NOUVEAU
DICTIONNAIRE
PRATIQOE
DE HËDECINB, DE CHIRER6I1 ®T D’HYGIËIB
X.
LISTE
DES COLLABORATEURS DU DIXIÉME VOLUME,
MM.
ARLOlNG, professeur d’anatomie générale et descriptive, de zoolo¬
gie et d’extérieur k l’École vétérinaire de Toulouse.
BAILLET, professeur de zootechnie, d’hygiène, de zoologie et de
botanique à l’École vétérinaire d'Alfort.
H. BOüLEY, membre de l’Institut, inspecteur général des Écoles
vétérinaires.
FILHOL, directeur de l’École préparatoire de médecine et de phar-
macie de Toulouse.
EüG. GAYOT, ancien chef de division des haras au Ministère de
l’Agriculture.
MÉGlVEV, vétérinaire en l" au 12« régiment d’artillerie.
PEUCH, chef de service de clinique à l’École vétérinaire de Lyon.
REY, professeur de clinique à l’École vétérinaire de Lyon.
REYNAL, directeur de l’École vétérinaire d’Alfort,
SANSON, professeur de zootechnie k l’École d’agriculture de Grignon.
TABOURIN, professeur de physique, de chimie, de matière médi¬
cale et de toxicologie k l’École vétérinaire de Lyon.
TRASBOT, professeur de clinique, de pathologie médicale et chi¬
rurgicale k l’École vétérinaire d’Alfort.
ZVNDEL, vétérinaire supérieur d’Alsace-Lorraine, k Strasbourg.
PARIS. — IMP. VICTOR GOüPy, RUE GARANCIÈRE, 5.
NOUVEAU
O
DICTIOIVMIRE
PRATIQUE
DE MEDECINE, DE CHIRIIRGIE ET D’HYGIENE
TËTÉRIIIÂIRES
PUBLIÉ
km la collaboratioo d’une Société de Professeurs Vétérinaires et de Vétérinaires Praticiens,
H. BOIILEY
REYÜAL.
Membre de l’Instilnt; Inspecteur général des
IJcoIei vétérinaires; Membre de l’Académie
de médecine, de la Société centrale d’agri-
cnltnre et de l'Académie rovale de médecine
de Belgique; Secrétaire général de la Société
centrale de médecine vétérinaire, etc.
Direclenr de l’École vétérinaire d’Alfort; Professeur
de police sanitaire et de jurisprudence commer¬
ciale à la même École; Membre de l’Académie de
médecine, de la Société centrale de médecine vé¬
térinaire , de la Commission d’hygiène hippique,
de la Société centrale d’agriculture, etc.
TOME DIXIÈME
ICH — JAR
3 4 8 2 3
PARIS
P. ÂSSELIN, SUCCESSEUR DE BÉGHET jeune et LÂBË
LIBRAIRE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE,
ET DE LA SOCIÉTÉ SATIOKALE ET CENTRALE DE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE,
Place de l’Ecole-de-Kédecine.
1874.
Les auteurs et l’éditeur Se réservent le droit de traductîeu.
NOUVEAU DICTIONNAIRE
PRATIQUE
DE MEDECINE ET DE CHIRERGÏE
VÉTÉRINAIRES.
I
ICHOR. Voir Gangrène.
ICTÈRE. Voir Foie.
IF {Taxiis baccata L.). Espèce de la famille des Conifères ca¬
ractérisée ainsi qu’il suit : arbre pouvant acquérir une taille
assez élevée (15 à 20 mètres environ) à tige dressée, ordinaire¬
ment très-rameuse, à rameaux étalés, horizontaux, ou plus
rarement dressés ou à demi-dressés. Feuilles nombreuses, d’un
vert foncé en dessus, plus pâles en dessous, persistantes, rap¬
prochées et étalées sur deux rangs opposés, étroites, linéaires,
planes, à une seule nervure, aiguës, un peu mucronées, faible¬
ment atténuées à la base en un pétiole très-court. Fleurs dioï-
ques; les mâles, en chatons ovoïdes, solitaires ou géminés,
petits, environnés à la base par des bractées imbriquées, consti¬
tuées par des écailles que l’on considère comme des connectifs,
arrondies, lobées dans leur pourtour^ portant à leur face in¬
terne 3-8 lobes d’anthères. Les femelles solitaires, constituées
par un ovule nu, environné à la base d’une feuille carpellaire
cupuliforme non fermée, et en dehors de quelques bractées
imbriquées. Fruit charnu, d’un rouge écarlate, impropre¬
ment désigné sous le nom de baie, formé par la feuille car¬
pellaire accrue, ouverte au sommet, renfermant une seule
X. 1
2
IF.
graine à enveloppe dure, ligneuse, à amande blanchâtre
et charnue.
L’if croît spontanément en France, particulièrement dans les
pays de montagne. On le trouve çà et là dans les Alpes, les
Pyrénées, les Cévennes, et même dans les provinces de l’ouest,
particulièrement en Normandie. Il est en outre fréquemment
planté dans les parc^ et dans les jardins, où on lui fait prendre
par la taille les formes les plus bizarres. Sa croissance est exces¬
sivement lente, et si l’on en juge par les dimensions qu’ont pu
acquérir quelques arbres de cette espèce, il est doué d’une re¬
marquable longévité. Le bois de l’if très-dur a dans l’industrie
une grande valeur.
Propriétés de l’If. — Envisagée dans ses rapports avec les
sciences médicales, l’étude de l’if offre un certain intérêt à
cause des propriétés toxiques qui ont été attribuées à tort ou
à raison à ses diverses parties. On a, en effet, regardé comme
de violents poisons pour l’homme et pour les animaux son
écorce, son bois, ses fleurs, ses fruits et ses feuilles; et l’on a
même signalé son ombrage comme dangereux. Nous avons à
voir jusqu’à quel point sont fondées les opinions que nous ve¬
nons de rappeler au sujet de cet arbre.
Les anciens croyaient que l’ombrage' de l’if suffisait pour dé¬
terminer chez l’homme le sommeil, l’engourdissement des sens
et même la mort. Ces idées se sont propagées presque jusqu’à
notre époque, et les annales du siècle dernier rapportent encore
quelques exemples de prétendus accidents dont auraient ,été
victimes des hommes et des animaux à la suite d’un séjour plus
ou moins prolongé sous des arbres de cette espèce. Les faits nom¬
breux qui ont été observés de nos jours démentent ces asser¬
tions. M. Puteaux, jardinier en chef du parc de Versailles, cité
par MM. Chevalier, Duchesne et Reynal, dans un mémoire au¬
quel nous aurons beaucoup à emprunter (1), s’exprime ainsi :
« Les ouvriers qui tondent les ifs depuis bien des années n’ont
« jamais éprouvé de mal de cette plante. Tous les jours, onvoi4
« dans la belle saison, des personnes couchées sur l’herbe et à
« l’ombre des ifs du parc sans en être incommodées; d’un autre"
« côté, j’ai observé qu’il se fait tous les ans des nids d’oiseaux
« de plusieurs espèces dans les ifs. » Nous avons nous-même;
bien souvent, pendant les chaleurs de l’été, à l’époque des va-
(1) Mémoire sur Vif et sur ses propriétés toxiques, par MM. Chevalier, Duchesne-
et Reynal. [Annales d’hygiène et de •médecine légale, 2* série, tome IV.)
IF.
cances, recherclié l’ombrage des ifs d’un jardin dans le midi de
la France, et jamais nous n’en , avons ressenti la moindre indis¬
position, pas plus que d’autres personnes qui, en diverses cir¬
constances, avaient fait comme nous. Il n’y a donc pas lieu de
nous arrêter plus longtemps sur ce premier point que nous
avons dû rappeler cependant, ne fut-ce que pour combattre
le préjugé qui règne encore à ce sujet dans quelques parties
de la France.
Il ne nous est pas possible de résoudre, d’une manière précise,
la question qui se présente à propos des propriétés nuisibles de
l’écorce et du bois de l’if. Les documents que la science possède
sur ce point sont insuffisants. Harmand de Montgarni {Obser¬
vations sur l’If; Journ. de méd., 1790, p. 77 et suiv.) qui, dans
le xviii® siècle, employait comme médicament l’écorce d’if, rap¬
porte qu’un ouvrier, ayant bu une pinte de vin blanc dans la-
, quelle il avait fait infuser une once de cette écorce, fut guéri
d’une fièvre intermittente qui le tourmentait, mais qu’il fut
atteint, uû mois après environ, d’une éruption particulière
sur toute la surface du corps, que ses cheveux tombèrent,
et qu’il fut comme frappé d’imbécillité pendant deux mois.
Mais à cette relation, MM. Chevalier, Ducbesne et Reynal op¬
posent une expérience dans laquelle une infusion d’écorce
dans du vin de Mâcon n’a produit sur l’un d’eux aucun effet
appréciable.
Les Romains, d’après Pline, avaient remarqué que le vin qui
avait été enfermé dans des vaisseaux de bois d’if était dange¬
reux. Je ne sache pas qu’aucune. expérience ait été faite pour
justifier cette assertion. On dit qu’au Canada ce bois sert à la
préparation.d’une bière purgative, et que, dans la Silésie, les
paysans l’emploient pour combattre la rage. Il est malheureu¬
sement à craindre que ce remède, comme beaucoup d’autres,
soit impuissant contre la terrible maladie que nous venons de
nommer.
Les auteurs qui ont signalé comme nuisibles les émanations
qui s’échappent de l’if, ont avancé que c’est surtout lorsque
cet arbre est en fleur qu’il est dangereux d’en rechercher
l’ombrage. Dans le but de reconnaître si, en effet, les,fleui^
sont susceptibles d’exercer une action funeste sur l’écono-,
mie animale, MM. Chevalier, Duehesne et Reynal ont recueilli
jusqu’à quatre décigrammes de pollen, et l’ont fait prendre,
avec des précautions particulières, à un moineau qui n’en a point
été incommodé.
4
W.
C’est surtout à l’occasion des fruits que se sont produites les
assertions les plus contradictoires. On doit à M. Clos, professeur
àla Faculté des sciences de Toulouse, un travail très-intéressant
[De l’innocuilé des fruits de l’If commun, par M. D. Clos; Bulle¬
tin de la Société botanique en France, t. XVI, p. 12), où sont ré¬
sumées et discutées les opinions de la plupart des auteurs
qui se sont occupés de rechercher si les fruits de l’If peuvent
être mangés sans danger. Il résulte de ce travail que, chez les
anciens, Pline et Dioscoride ont été les premiers à attribuer
aux baies de llf, une action vénéneuse, et que depuis lors, on
ne trouve dans la science que deux faits qui puissent venir à
l’appui de leur assertion. Le premier appartient à Matthiole qui
déclare avoir soigné des pasteurs et des bûcherons en danger
de perdre la vie pour avoir mangé de ces fruits. Le second, plus
récent, est rapporté dans la Belgique horticole (1864, p. 337),
par un anonyme qui attribue la mort subite d’une jeune fille à
des baies d’If, qu’elle avait mangées le jour même. A ces deux
faits, on peut en ajouter un troisième, recueilli par M. Hurt,
publié dans un journal anglais, et reproduit dans la Revue
médicale de 1^37, p. 394. Il s’agit d’un enfant de trois ans et
demi, qui mourut au milieu de convulsions, trois heures après
avoir mangé, avec quatre autres enfants, des baies tombées d’un
if, sous lequel il avait joué.
A part les exemples que nous venons de rapporter, on ne
rencontre plus chez les auteurs comme Lobel, Tragus, Fr. San¬
chez, Lémery, Baumgarten, Hoppe, qui regardent les fruits de
l’If comme vénéneux, que des assertions absolument dénuées
de preuves. Gela ne suffirait pas cependant pour établir l’inno¬
cuité de ces fruits, si l’on ne pouvait opposer aux faits de Mat-
' thiole, de Hurt et de l’anonyme anglais, des observations nom¬
breuses et des expériences bien faites. Or, il ne manque pas de
faits signalés par les meilleurs observateurs, dans lesquels les
baies de l’If se sont montrées inoffensives. Rai, Gérard, Garidel,
Huiler, Duhamel, Lâmark, Gilibert, Evelyn, La Tourette,
Geoffroy, l’abbé Rozier, Lory, Duret, Lightfoot, Bosc, Loiseleur
Deslongchamps, Duchesne, Achille Richard, Cazin, Thiébaut de
Berneaud, Fée, Houliès, Prulliard, M. Duchartre, M. Carrière,
dont M. Clos a recueilli et résumé les opinions, se prononcent
tous, d’après leurs observations et d’après des expériences faites
sur eux-mêmes dans la plupart des cas, en faveur de la parfaite
innocuité des fruits de l’If. Tout au plus, quelques-uns d’entre
eux accordent-ils à ces fruits des propriétés légèrement laxa-
IF.
tives, lorsqu’on en mange avec excès. Du reste, l’observation de
tous les jours vient encore à l’appui de cette opinion, puisque
tout le monde sait qu’il est une foule d’oiseaux, tels que les
merles, les grives, etc., qui se nourrissent des baies de l’If, et
ne paraissent pas en souffrir.
Pour concilier les opinions divergentes qui ont été émises
relativement aux propriétés toxiques des fruits du Taxus
baccata, quelques auteurs ont émis l’opinion que la partie pul¬
peuse delabaie était par elle-même inoffensive, et que l’amande
seule était vénéneuse. Grognier a fait en 1 81 6 {Gazette de santé^
du 1 *'■ novembre 1 8 1 7 ; ou Orflla, Traité des poisons, 3® édit.^ t. II,
p. 192) des expériences qui ne permettent pas d’accepter cette
explication. Dans l’une de ces expériences, en effet, 240 grammes
de fruits d’if, dont on avait enlevé les pépins, ont été traités
par décoction dans un litre d’eau, que l’on a fait réduire de
moitié, et que l’on a fait prendre à un chien barbet qui était à
jeun, et la santé de cet animal n’éprouva aucune altération;
dans l’autre, huit hectogrammes de pépins d’if, mêlés à une
quantité double d’avoine, ont été présentés à un cheval égale¬
ment à jeun : il les a mangés avec difficulté, mais il n’a donné
aucun signe d’empoisonnement.
Il paraît donc bien démontré que les baies de l’if ne sont
point susceptibles de déterminer l’empoisonnement de l’homme
ou des animaux. Il n’en est pas de même des feuilles, dans
lesquelles réside un principe toxique qui agit, le plus souvent,
avec une énergie remarquable.
Les anciens, ainsi que le témoigne un passage de Théophraste,
connaissaient parfaitement les propriétés toxiques des feuilles
de l’if, et les historiens de Rome assurent que les Gaulois se
servaient du suc de ces feuilles pour empoisonner leurs flèches.
César rapporte même que ce fut en prenant des feuilles d’if, ou
tout au moins le suc tiré de ces feuilles, que Cativulcus, roi des
Eburons, se donna la mort. Les annales de la science présentent
quelques exemples d’empoisonnements semblables. Les plus re¬
marquables de ces empoisonnements, sur lesquels nous n’avons
pas à nous arrêter ici, ont été observés chez des filles qui, me¬
nacées de devenir mères, avaient pris pour se faire avorter du
suc obtenu par expression des feuilles, ou bien encore des
infusions ou des décoctions de ces mêmes feuilles dans l’eau ou
dans des liqueurs alcooliques, comme le vin ou le cidre. On
cite aussi de déplorables accidents produits chez des enfants
par l’emploi des feuilles d’if, à titre d’antbelminthique.
IF.
On connaît des exemples d’empoisonnement par les feuilles
d’if, chez la plupart de nos animaux domestiques, qui par cela
même qu’ils sont organisés pour se nourrir de substances vé¬
gétales, sont assez souvent portés à brouter les feuilles des
arbres qu’ils rencontrent sur leur passage. Il est remarquable
cependant que, daos la plupart des cas, les animaux auxquels
on a voulu faire manger, dans un but expérimental, du feuillage
d’if, l’ont d’abord refusé, ou ne l’ont mangé qu’après qu’on l’a
eu mélangé à d’autres aliments. Mais il paraît que leur instinct
n’est pas toujours suffisant pour les engager à le repousser, et
que, dans quelques cas au moins, ils le mangent sans répu¬
gnance, surtout lorsqu’ils sont pressés par la faim. Des exemples
d’empoisonnements de chevaux ou de bêtes bovines, rapportés
par Girard de Yillars {Mémoires de V Académie royale de La Ro¬
chelle, 1752, p. 100), Wiborg {Expériences sur les effets de Vif,
Rec. de méd. vétér., 1849; Bibliothèque vétérinaire, p. 189),
M. Delcroix, de Bavay (Rec. de méd. vétér., mai 1854, p. 372),
M. Huzard, M. Canu {Mémoires de la Société vétérinaire du Cal¬
vados et de la Manche, novembre 1854), en font foi.
On ne peut dire, d’une manière rigoureuse, la dose de feuilles
d’if qui est nécessaire pour déterminer la mort chez nos grands
herbivores domestiques. Dans des expériences qui ont été faites
à l’École vétérinaire de Lyon, par MM. Bredin et Hénon {Dé¬
monstrations élémentaires de botanique, t. III, p. 366), il a suffi
d’une dose de six onces (192 grammes), pour faire périr un che"
val après une heure et un mulet après cinq heures. Mais un autre
cheval a pu en prendre une quantité deux fois plus considé¬
rable, sans éprouver d’accidents. D’un autre côté, M. Deynal
[loG. cit.), à la suite des expériences qu’il a faites à l’Ecole
d’Alfort, fixe entre 750 et 1,500 grammes la dose de feuilles
d’if, mélangées ou non à l’avoine ou aux autres aliments, qu’il
faut faire prendre à un cheval pour amener la mort. Quant aux
grands ruminants, nous n’avons trouvé nulle part de chiffre
indiquant la quantité de ce feuillage qu’il serait nécessaire de
leur faire manger pour les empoisonner. Nous pouvons dire
seulement que, dans une expérience que nous avons tentée à
Toulouse en 1863, une vache que nous avions laissée à jeun
pendant tout un jour, a mangé, du 18 au 31 juillet, 24 kilo¬
grammes, 260 grammes de feuilles d’if, et qu’il n’en est résulté
pour elle aueun accident.
D’après divers auteurs, les chèvres et les moutons peuvent
aussi être empoisonnés par les feuilles d’if. Nous devons ajouter
IF.
cependant que deux moutons, auxquels nous axons distribué
de ces feuilles en 1863 , en ont maugé ensemble environ
300 grammes, et que ni l’un ni l’autre n’a paru en éprouver le
moindre malaise.
Symptômes de l’empoisonnement. — Les symptômes de l’em¬
poisonnement par l’if ne sont pas toujours bien tranchés et
n’ont rien de pathognomonique. Aussi est-ce surtout par les
renseignements que le praticien peut prendre sur les lieux,
comme par les investigations auxquelles il peut se livrer sur
le terrain où ont séjourné les animaux, qu’il lui est permis
de s’éclairer sur la nature du mal qu’il a à combattre. Le plus
souvent, c’est dans les haies des, pâturages, ou dans les planta¬
tions qui sont au voisinage, que l’on retrouve les arbres ou les
arbustes que les animaux ont broutés. D’autres fois, on apprend
que les animaux ont été momentanément et pendant plus ou
moins de temps attachés à des ifs, dans des cours, des enclos
ou sur le bord des chemins; ou bien encore, en visitant la
crèche ou le râtelier, on peut reconnaître des débris de ce
feuillage qu’on leur a donné par inadvertance, ou par ignorance
des funestes effets qu’il pouvait produire.
Les effets de l’if sur les animaux se font observer avec une
rapidité et une intensité qui sont un peu variables, suivant la
dose du poison et suivant la force de résistance plus ou moins
grande des sujets.
Chez le cheval, il arrive souvent, ainsi que l’ont rapporté
Bredin et Hénon, Wiborg, M. Dujardin (Revue horticole, t. III,
16 novembre 1854), MM. Chevalier, Duchesne et Reynal, que
l’animal ne paraît éprouver d’abord aucune espècè de malaise,
puis qu’après un temps qui varie entre une heure et six heures,
il tombe comme foudroyé et meurt sans convulsions, ou après
avoir été agité pendant quelques instants de mouvements con¬
vulsifs.
Dans d’autres circonstances, bien que la mort se produise
dans un délai aussi court, elle est précédée de quelques symp¬
tômes particuliers. On voit alors les animaux manifester, peu
de temps après l’ingestion du poison, une certaine inquiétude.
Ils s’agitent dans l'écurie, regardent à droite et à gauche, se
couchent et se relèvent comme s’ils éprouvaient quelques co¬
liques, et l’on entend des borborygmes. Ordinairement, pendant
cette période d’agitation, la circulation et la respiration sont un
peu accélérées. Chez certains sujets, les coliques deviennent
plus manifestes, des plaintes se font entendre, puis l’animal
IF.
tombe, se débat pendant quelques instants et ne tarde pas à
mourir. Chez d’autres, une période de coma succède à la pé¬
riode d’inquiétude et d’agitation. L’animal reste alors immo¬
bile, la tête basse, les paupières à demi baissées. La respiration
et la circulation se ralentissent d’une manière remarquable,
puis le malade chancelle, tombe et expire après quelques con¬
vulsions plus ou moins violentes.
Chez d’autres animaux, la marche de l’affection est plus lente,
et l’on peut réussir à enrayer le mal par un traitement appro¬
prié. M. Delcroix, vétérinaire à Bavay (Nord), a tracé un tableau
complet des symptômes qui se font observer en pareil cas, en
faisant l’histoire de trois poulains qui, avec deux autres que
l’auteur trouva morts à son arrivée, avaient mangé des ra¬
meaux d’if dans une prairie. Nous ne saurions mieux faire que
de reproduire ici le passage de son intéressant travail où ces
symptômes sont décrits.
« Voici maintenant, dit M. Delcroix, les symptômes que j’ai
« observés sur les trois poulains encore vivants au moment de
« ma visite : tête basse, oreilles tombantes, yeux à, demi coû¬
te verts ; naseaux dilatés, exécutant des mouvements excessive-
« ment lents; insensibilité absolue; les coups, l’implantation
« des épingles dans la peau laissent l’animal complètement im-
« mobile. Tremblements musculaires auxrégions ilio-rotulienne,
« olécranienne et croupienne. Peau froide ; poil piqué, hérissé ;
« ventre balonné ; très-grande flexibilité des reins à la pres-
« sion ; membres roides, fixés sur le sol comme quatre poteaux.
« Marche vacillante, surtout du derrière ; il faut soutenir l’ani-
« mal pour l’empêcher de tomber. La respiration est lente, à
« un tel point qu’on la croirait par moments suspendue. La
«queue est agitée d’une sorte de frétillement; l’anus béant
« laisse échapper des gaz et des matières demi-solides d’une
« extrême fétidité.
« De temps à autre, les animaux se laissaient tomber tout
« d’une pièce, et faisaient entendre, une fois sur le sol, des gé-
« missements plaintifs en regardant leurs flancs. On ne pou-
« vait les faire relever qu’avec beaucoup de peine ; les coups,
« les excitations les plus énergiques, les piqûres même, les
« laissaient complètement insensibles.
« La fonction urinaire était remarquablement excitée chez
« ces animaux; il ne se passait pas dix minutes qu’ils ne se
« campassent avec une assez grande liberté, faisant contraste
« avec la roideur de leurs mouvements, pour évacuer une
IF. 9^
« urine abondante et claire, dont l’éjection était accompagnée
« d’une expiration plaintive.
« Après l’éjection, la xerge restait pendante, et les animaux
« demeuraient campés comme si la force leur manquait pour
« revenir à leur aplomb régulier. Il fallait, si l’on voulait les
« empêcher de conserver cette position forcée, remettre les^
« membres dans leur direction.
« Circulation. Pouls petit, lent, presque imperceptible, bat-
« tements du cœur insensibles ; conjonctives d’une teinte jaune
« safranée, injectées sans infiltration.
« Respiration. Les mouvements sont tellement lents, que
« l’auscultation ne fait percevoir, dans la poitrine, qu’un bruit
« à peine sensible. Résonnance des parois pectorales à la per¬
te cussion.
« Digestion. La bouche est presque froide et sèche; la mu¬
te queuse est décolorée; anorexie complète. » •
Tels sont les symptômes que présentent les animaux de l’es¬
pèce chevaline lorsqu’ils sont empoisonnés par des feuilles d’if.
Si la terminaison doit être fatale, les symptômes s’aggravent ,
l’animal tombe pour ne plus, se relever, et meurt le plus sou¬
vent au milieu de mouvements convulsifs, comme déjà nous^^
l’avons dit plus haut. Si, au contraire, le sujet doit se rétablir,
les phénomènes» morbides s’atténuent peu à peu, et, le plus-
ordinairement, après dix-huit, vingt-quatre ou trente-six heures,
le malade est revenu à son état normal et recherche les ali¬
ments.
Nous ne pouvons dire que fort peu de chose sur les symp¬
tômes que présentent les ruminants sous l’influence de l’action
toxique de l’if, car la plupart des auteurs qui ont rapporté des
empoisonnements d’animaux de cette classe par l’agent dont
nous nous occupons, se bornent à dire que les animaux, après
avoir été malades pendant plus ou moins de temps, se sont ré¬
tablis ou ont succombé sans avoir offert autre chose que des
concisions. Il est bon d’observer cependant que, sur trois
vaches qui ont été soignées par M. Ganu et qui se sont rétablies,
deux ont avorté. Déjà nous avons dit que nous avons échoué
dans les tentatives que nous avons faites à Toulouse pour em¬
poisonner avec des feuilles d’if une vache et deux moutons."
Le chien, le porc, les oiseaux de basse-cour sont aussi em¬
poisonnés par l’if. Mais le premier de ces animaux ne peut
l’être que dans des expériences, car il n’est point porté de lui-
même à introduire les feuilles de ce végétal dans son estomac.
10 IF.
A part les vomissements, à la faveur desquels ce carnassier se
débarrasse le plus souvent du poison qu’on lui a administré,
les symptômes qu’il présente ont la plus grande analogie avec
ceux que nous avons signalés chez le cheval. Lorsqu’on met
obstacle au vomissement, le chien meurt le plus souvent après
avoir passé, comme certains chevaux, par une période de coma
et de somnolence très-remarquable.
Quant aux porcs et aux volailles, ils meurent rapidement, à
ce que l’on assure, et sans que l’on ait le temps de constater de
symptômes particuliers, si ce n’est des mouvements convulsifs
au moment de la mort.
Lésions pathologiques.— Les lésions que l’on trouve à l’autopsie
des animaux qui succombent à l’action des feuilles d’if sont,
d’une manière générale, celles qui caractérisent l’empoisonne¬
ment par les substances narcoüco-âcres. Pour peu que l’on en
retarde l’ouverture, le cadavre est ballonné, l’anus fait une saillie
plus ou moins prononcée, et souvent du sang noir et liquide
s’écoule par les naseaux. Parfois on trouve, à la surface du corps,
desélevures du tégument, semblables à celles de l’ébullition, au-
dessous desquelles il y a une vive injection des vaisseaux sous-
cutanés, et même du sang épanché dans le tissu cellulaire. Les
poils qui revêtent ces points -s’arrachent avec la plus grande
facilité. MM. Chevalier, Duchesne et Reynal jont insisté tout
particulièrement sur cette lésion, qui leur paraît être chez les
animaux, l’analogue des taches ecchymotiques plus ou moins
nombreuses que l’on rencontre ordinairement, en divers points
du corps, chez les personnes qui ont été empoisonnées par l’if.
Pour les auteurs que nous venons de citer, cette lésion est ca¬
ractéristique de l’empoisonnement particulier dont nous nous
occupons, et ils considèrent les ecchymoses, que nous ver¬
rons exister sur la muqueuse digestive, comme étant de même
nature.
La bouche est le plus souvent sèche, et sa muquéuse est
pâle. Dans quelques cas, cependant, on a signalé des traces
d’irritation au fond de cette cavité, ainsi que dans le pharynx
et le larynx. La muqueuse de l’œsophage a aussi offert plu¬
sieurs fois des taches ecchymotiques peu étendues et plus ou -
moins multipliées.
Dans l’estomac, et parfois même dans les premières portions
de l’intestin grêle, on retrouve les feuilles d’if entières ou divi¬
sées, parfaitement reconnaissables à leur forme qui n’est pas
encore sensiblement altérée. Tantôt elles ont conservé leur
couleur d’un vert sombre, tantôt au contraire elles sont déco¬
lorées et d’un vert jaunâtre, par suite de l’action qu’ont exercée
sur elles la salive, le suc gastrique et les autres fluides dont
elles ont subi le contact. Souvent toute la masse alimentaire
enfermée dans l’estomac est comme enveloppée d’une couche
de mucus épais. La muqueuse du sac droit est plus ou moins
Tivement irritée, et l’on signale, comme étant plus particuliè¬
rement le siège de cette irritation, les points qui avoisinent la
ligne de réunion des muqueuses des deux sacs, et ceux qui
sont au voisinage du pylore. Indépendamment des signes ordi¬
naires de l’irritation, on observe encore des ecchymoses qui
tranchent par leur couleur foncée, et qui varient d’ailleurs,
dans leur nombre et dans leur étendue. Des caractères en tout
semblables existent sur la muqueuse de l’intestin grêle, qui est
parfois si violemment irritée qu’à l’extérieur, les anses intesti¬
nales offrent à peu près le même aspect que celles d’un intestin
fortement congestionné. Souvent des marbrures se dessinent à
l’intérieur et à l’extérieur, par suite de la présence des ecchy¬
moses. Nous devons nous hâter de faire observer, cependant, que
les caractères de l’irritation et les ecchymoses deviennent de
moins en moins prononcés, au fur et à mesure que l’on s’éloigne
du pylore. Ils disparaissent même fréquemment tout à fait,
avant d’arriver au gros intestin, qui néanmoins les a présentés
aussi, dans quelques cas, jusque dans la portion flottante du
côlon. Dans l’appareil circulatoire, le sang reste fluide et de
couleur noire, et distend la plupart des veines qui, sur la plèvre
et surtout sur le péritoine, le mésentère et l’épiploon, dessinent
des arborisations très-marquées. On trouve également du sang
noir et fluide dans le cœur, surtout dans les cavités droites.
Dans ses autopsies, M. Delcroix a trouvé les reins plus volu¬
mineux qu’à l’état normal : leur substance corticale d’un blanc
rougeâtre était ramollie et s’écrasait facilement entre les doigts.
La substance tubuleuse avait ses tubulures gonflées et très-
distinctes les imes des autres, dans les autopsies faites par
M. Dujardin. Il y avait des traces d’irritation dans les ure¬
tères et surtout dans la vessie qui était vivement conges¬
tionnée.
On ne signale point de lésions constantes dans l’appareil
respiratoire. Cependant, chez quelques sujets, on a trouvé du
sang épanché et mousseux dans les bronches, et dans la tra¬
chée. La muqueuse des bronches a aussi offert des ecchymoses
comme celle de l’intestin.
Les centres nerveux • ont toujours offert ce caractère que les 1
"Vaisseaux qui rampent à leur surface étaient distendus par le i
sang, souvent aussi la substance du cerveau laissait voir sur :
les coupes que l’on en faisait un sablé plus ou moins prononcé. -,
Enfin, plusieurs fois, chez les femelles pleines, on a trouvé le I
fœtus expulsé auprès de la mère, morte, sans qué néanmoins '
ce caractère ait été constant. j
Expériences toxicologiques. — Il ressort évidemment des ;
détails dans lesquels nous venons d’entrer, que les feuilles d’if i
constituent pour les herbivores, et plus particulièrement pour J
le cheval, un violent poison. Si l’on en croit Wiborg, cepen- !
dant, à son époque on Msait, dans quelques parties du Hanovre, ^
usage des rameaux feuillés de cette conifère pour nourrir le J
bétail. Il est vrai que les habitants de cette contrée avaient ^
reconnu la nécessité de ne donner jamais ce fourrage qu’en ;
petite quantité et mélangé à d’autres aliments et d’y habituer i
peu à peu les animaux. Wiborg assure avoir fait lui-même des ; ]
expériences dans lesquelles des chevaux ont pu manger sept et |
huit onces (224 et 256 grammes) de feuilles d’if, associées à ‘ j
vingt et vingt-quatre onces (640 et 768 grammes) d’avoine, sans j
avoir éprouvé le moindre trouble dans leurs fonctions. Le )
savant professeur danois tire de là cette conclusion que , l’if j
pourrait être employé avec des précautions particulières dans 1
l’alimentation du bétail. Mais MM. Chevalier, Duchesne et Rey-
nal ont depuis démontré, par de nombreuses expériences, que '
les feuilles d’if ne sont pas moins dangereuses à l’état de mé¬
lange, que lorsqu’elles restent séparées, et à l’exemple de ces :
éminents expérimentateurs, nous croyons qu’il n’y a pas lieu
de recommander d’en faire usage en France où elles n’ont
jamais, croyons-nous, été employées de cette manière.
Les feuilles d’if étant toxiques, il serait important de connaî¬
tre le ou les principes auxquels elles doivent leur funeste pro¬
priété. Malheureusement il n’en a point encore été fait d’ana¬
lyse à ce point de vue. Mais s’il existe ici une lacune regrettable
dans rhistoire de l’if, les belles expériences de MM. Chevalier,
Duchesne et Reynal sont de nature à mettre sur la voie, rela¬
tivement à la direction à donner aux recherches pour arriver
à élucider la question. Ces expériences ont en effet établi quel¬
ques-unes des propriétés de la substance toxique contenue dans
les feuilles d’if, et nous devons nécessairement nous arrêter un
instant sur les faits qu’elles ont révélés.
Les feuilles d’if ne cessent point d’être vénéneuses, lors-
IF.
18
qu’eUes sont desséchées. M. Reynal a pu, en effet, empoisonner
deux chevaux en faisant prendre à chacun d’eux cinq cents
grammes seulement de poudre d’if desséché. Il a même observé
qu’il suffisait d’ajouter une petite quantité de cette poudre à
l’eau dans laquelle on conserve des sangsues, pour faire périr
ces aonélides en peu de temps. Harmand de Montgarni [Obser¬
vations sur l’If; Journal de méd., 1790, p. 77 et suiv.) avait,
avant lui, rapporté l’empoisonnement d’un enfant, auquel on
avait fait prendre de la poudre de feuilles d’if desséchées pour
combattre des accès d’éclampsies.
Mais les feuilles d’if desséchées perdent leurs propriétés toxi¬
ques, quand elles sont épuisées par l’éther, et celui-ci se charge
de la substance vénéneuse. Cela a été démontré par diverses ex¬
périences, dans lesquelles un chien a survécu à l’administra¬
tion d’une forte dose de feuilles sèches épuisées, tandis que
deux autres ont succombé, et qu’un troisième a été très-malade
après avoir pris, à dose peu élevée, de l’extrait éthéré de poudre
de feuilles sèches d’if.
L’éther paraît être d’ailleurs le dissolvant par excellence du
principe actif de l’if. L’alcool et l’eau sont bien loin d’agir de la
même manière. En effet, quatre chiens soumis à l’action de
doses assez élevées d’extrait alcoolique sont sortis sains et saufs
de cette épreuve; et, d’après Gatereau [Essai de médecine sur
■la nature de Vif, Journal de méd., t. LXXXI), une pie et un
chien ont pu prendre de l’extrait aqueux à dose relativement
élevée, sans éprouver autre chose que de la purgation. Gro-
gnier [loc. vit.) a même injecté l’extrait aqueux dissous dans
l’eau, dans les veines de deux chiens, et si l’un d’eux a suc¬
combé, l’autre a parfaitement résisté.
Traités par l’eau en infusion ou en décoction, les feuilles
vertes d’if ne paraissent céder à ce liquide qu’une faible partie
de leur activité. L’infusion n’a nullement dérangé les fonctions
d’une jument dans une expérience de Barthélemy. La décoction
n’a rien produit chez deux chiens auxquels Grognier l’avait
administrée à haute dose : et à part un peu de perturbation dans
le rhythme des mouvements circulatoires, elle n’a pas agi non
plus d’une manière bien manifeste sur une jument mise en ex¬
périence par Barthélemy. Cependant M. Ganu affirme que des
pigeons ont été empoisonnés par des pois que l’on avait laissés
tremper dans une décoction de feuilles d’if. Et plusieurs méde¬
cins rapportent des empoisonnements dans l’espèce humaine,
par la décoction de feuilles d’if ; seulement il serait intéressant
U
IF.
de savoir si, dans les faits qui ont été rapportés, les feuilles
n’ont pas été traitées tout à la fois par décoction et par ex¬
pression.
Il est très-important de tenir compte de cette dernière cir¬
constance, car le suc que l’on obtient par expression des feuilles !
d’if est aussi actif que les^ feuilles elles-mêmes. Gela ne veut
pas dire cependant qu’il faille accorder à ce suc les propriétés
énergiques que lui attribuaient les anciens Gaulois qui, d’après
Strabon,s’en servaient pour empoisonner leurs flèches. M. Rey-
nal a fait voir, par diverses expériences, qu’en piquant les ani¬
maux avec la pointe d’un bistouri trempée préalablement dans
le suc d’if, on ne produit pas autre chose que les phénomènes
ordinaires de l’inflammation à la suite de l’introduction d’un
corps étranger dans le tissu cellulaire. Mais ce suc introduit à
l’intérieur a provoqué la mort rapide d’une jument dans les
expériences de Wibor^, et celle d’un oiseau dans les essais de
MM. Chevalier, Duchesne et Reynal. C’est d’ailleurs la prépara¬
tion qui paraît avoir déterminé le plus souvent la mort des
filles qui, dans un but coupable, ont recours à l’if pour cacher
une faute par un crime.
Il est même bon de remarquer, puisque nous sommes ame¬
nés à dire quelques mots sur ce point, que la propriété que
l’on attribue aux feuilles d’if dans le vulgaire, de provoquer
l’avortement, est bien loin d’être toujours confirmée par l’ex¬
périence. M. Dujardin et M. Canu rapportent bien, il est vrai,
le premier, qu’une jument pleine de sept mois avait expulsé
son fœtus au moment de mourir, et le second, que deux vaches
qui furent très-malades, mais qui se rétablirent plas'tard, avor¬
tèrent sous l’influence des feuilles d’if. Mais à cela l’on peut
opposer une expérience de M. Rqynal, dans laquelle, une
chienne pleine mourut sans avorter après avoir pris de l’if, et
les faits rapportés par MM. Chevalier, Duchesne et Reynal, où
l’on voit plusieurs jeunes filles se faire mourir par l’emploi de
cet agent, sans réussir à provoquer même un commencement
d’avortement.
Il nous reste encore à dire un mot de l’eau distillée de
feuilles vertes d'if avec laquelle MM. Chevalier , Duchesne et
Reynal ont fait une curieuse expérience. Cette préparation n’a
point toute l’énergie des feuilles, et l’on peut même dire qu’elle
semble n’emprunter à ces dernières qu’une partie de leurs pro¬
priétés, comme s’il existait dans l’if plusieurs principes actifs
susceptibles d’être séparés. Administrée à une jument, elle n’a
IF.
15
d’abord provoqué qu’une sorte d’excitation, traduite par un
peu d’accélération dans les mouvements de la circulation et de
la respiration, et par des sueurs partielles aux ars, aux aines
et sous le ventre. Puis une ébullition, couvrant tout le corps,
s’est déclarée le second jour pour disparaître d’elle-même le
troisième. A partir de ce moment tout est rentré dans l’ordre, et
la bête n’a plus souffert.
Traitement de l'empoisonnement par l’If. — Nous avons ter-
min é d’exposer ce qui est relatif à l’action de l’if et de ses
diverses préparations. Nous avons maintenant à nous occuper
du traitement. Dans la plupart des cas, lorsqu’il y a empoison¬
nement par cette substance, la mort survient avec une telle
rapidité que l’on n’a pas le temps de songer à traiter les malades.
D’un autre côté, les expériences démontrent que le plus sou¬
vent les sujets qui ne succombent point en quelques heures
se rétablissent d’eux-mêmes et sans traitement. Néanmoins, il
est certain qu’il est utile de chercher à entraver la marche du
mal, lorsque l’on arrive à temps, et de s’efforcer d’aider au
rétablissement.
Chez l’homme et chez les animaux qui peuvent vomir, la pre¬
mière indication à remplir est de provoquer le vomissement, si
déjà celui-ci n’a pas eu lieu par suite de l’action de la substance
toxique elle-même. L’émétique, l’ipécacuanha, la titillation de
la luette, lorsque l’on n’a pas immédiatement ces médicaments
sous la main, sont les moyens auxquels il faut recourir. Il est
en outre important d’entretenir les vomissements chez l’homme
par l’administration de l’eau tiède et de débarrasser ainsi le
plus possible l’estomac du poison qui a été introduit dans son
intérieur.
Chez nos herbivores qui ne peuvent pas vomir, il faut s’ef¬
forcer de calmer d’abord l’irritation qui tend à se produire
dans le tube digestif et recourir ensuite aux moyens propres à
combattre le narcotisme qui naît sous l’influence du principe
actif de l’if, dès qu’il est absorbé.
Pour remplir la première indication, on se bâtera d’admi¬
nistrer au malade des boissons émollientes mucilagineuses.
Les décoctions de graines de lin, de mauve, de guimauve, que
l’on se procure si facilement dans les campagnes, peuvent alors
rendre de grands services. On pourra aussi, comme l’a fait
M. Huzard, faire prendre au malade du lait pur ou additionné
d’eau mucilagineuse. Enfin ces breuvages pourront être sucrés
avec du miel, dont l’action adoucissante sera très-favorable.
16
IF.
Au cas où l’on ne pourrait préparer assez rapidement les
breuvages que nous venons d’indiquer, il serait utile de suivre
l’exemple de M. Delcroix et de donner en attendant un litre ou
deux d’huile douce, comme l'huile d’olive ou l’huile d’œillette,
qui en même temps qu’elles agissent à titre d’émollients, ont
peut-être encore l’avantage de mettre obstacle à la dissolution
du principe actif par les fluides de l’appareil digèstif et de s’op¬
poser à son absorption.
Les lavements avec l’eau tiède ordinaire ou mucilagineuse,
les frictions sèches ou avec un liquide irritant, la promenade
nu pas, l’animal étant couvert si le temps est froid, sont encore
des moyens auxquels il ne faut pas dédaigner de recourir, sur¬
tout s’il se manifeste des coliques.
En même temps que l’on s’efforce de calmer l’irritation, il
faut aussi s’attacher à prévenir et à combattre les phénomènes
qui se manifestent ou qui ne tarderont pas à se manifester du
côté du système nerveux. M. Delcroix a employé dans ce but le
camphre à la dose de quinze grammes, pour des poulains, et
l’a administré associé à une assez forte dose de miel (SOO gram¬
mes). On pourrait, pour des animaux adultes, aller sans incon¬
vénient jusqu’à vingt- quatre et même trente-deux grammes que
l’on administrerait de la même manière. Indépendamment de
son action incontestable sur le système nerveux, çe médica¬
ment a encore ici l’avantage d’agir sur les organes génito-uri¬
naires, et de calmer l’irritation qui tend à se produire de ce
côté. Enfin, comme le fait observer M. Delcroix, il est indiqué
par l’état particulier dans lequel se trouve le sang des animaux
dont on fait l’autopsie.
Mais de toutes les substances, celle qui paraît le mieux indi¬
quée pour combattre le narcotisme, c’est le café, dont on con¬
naît les bons effets, lorsqu’il s’agit de l’empoisonnement par
l’opium. Nous ne sachions pas qu’il ait été jamais jusqu’ici em¬
ployé pour combattre les effets toxiques de l’if. C’est donc un
essai que nous recommandgns. Il n’est pas nécessaire d’ajouter
que le café doit être administré dans l’état où on le prépare or¬
dinairement pour l’usage de l’homme. La dose, nous le croyons,
peut en être assez élevée sans beaucoup d’inconvénients.
Le calme, le repos à l’écurie et sur une bonne litière, sont
ensuite fort utiles pour achever de rétablir les animaux, quand
les symptômes inquiétants commencent à s’atténuer. On peut
.aussi continuer alors les breuvages émollients ou recourir
même aux breuvages rafraîchissants légèrement acidulés.
IMMOBILITÉ. 17
L’if exerce sur l’économie animale une action assez énergi¬
que pour que l’on ait songé à l’utiliser comme nlédicament.
Cependant jusqu’à présent les tentatives que l’on a faites, dans
ce sens, sont peu nombreuses en médecine humaine, et tout à
fait nulles en médecine vétérinaire. Harmaod de Montgarni a
recommandé les préparations d’if contre le rachitisme et les
douleurs rhumatismales, et assure avoir obtenu des succès de
leur emploi.
D’autres médecins ont préconisé l’eau distillée d’if dans le
traitement de l’épilepsie et de quelques autres affections du
système nerveux. Enfin les baies, ou plutôt un sirop préparé
avec les baies, a été recommandé dans le traitement des affec¬
tions chroniques des voies respiratoires.
Le bois, comme nous l’avons dit déjà, est utilisé au Canada à
la préparation d’une bière purgative , et est vanté en Silésie
contre la rage. Mais ce sont là des assertions trop vagues, pour
que la thérapeutique puisse encore tirer parti de cet agent,
dont les diverses préparations auraient besoin d’être beaucoup
plus étudiées qu’elles ne l’ont été jusqu’à ce jour, avant que l’on
puisse décider s’il serait utile de tenter de les utiliser à titre de
médicaments. baillet.
ILÉUS. Voir Invagination.
IMMOBILITÉ, Maladie particulière à l’espèce chevaline, qui
se caractérise, non pas, comme l’impliquerait le nom qu’on lui
a donné, si l’on prenait ce nom dans son sens littéral, par la
privation, pour l’animal, de la faculté de se mouvoir, mais par
sa tendance à rester, en effet, immobile, dans de certaines âtti-
tudes forcées et même instables, et par la difficulté ou même
l’impossibilité qu’il éprouve à exécuter les mouvements en
arrière.
Les causes, comme la nature, de cette maladie étant assez
obscures encore, nous allons faire connaître ce qui la caracté¬
rise objectivement, c’est-à-dire ses symptômes ; et nous cher¬
cherons ensuite à remonter de ces effets aux conditions que l’on
peut admettre, ou supposer, causales de leur manifestation. En
procédant ainsi de ce qui est connu vers ce qui l’est moins ou
qui reste complètement ignoré, nous marcherons d’un pas plus
sûr, et les chances seront, pour nous, moins grandes de com¬
mettre des erreurs.
X.
2
18
IMMOBIUTÉ.
Symptômes de l’immobilité.
Pour donner une idée, la plus frappante possible, de cette
maladie étrange, nous allons en faire d’abord une description
type, en supposant la réunion ou la succession, sur un même
animal, de tous les symptômes bien accusés qui peuvent la ca¬
ractériser. Une fois tracé ce tableau, que nous tâcherons de
rendre aussi fidèle que possible, nous donnerons un aperçu des
nuances multiples sous lesquelles l’immobilité peut se montrer,
et sous lesquelles elle apparaît, en effet, dans la pratique, bien
plus fréquemment qu’avec l’ensemble de tous les caractères que
nous allons grouper et mettre en relief dans notre description.
Les manifestations de l’immobilité coïncident le plus ordi-.
nairement avec l’étroitesse et l’obliquité en arrière de la région
crânienne : conformation spéciale qui se traduit par le rappro¬
chement des yeux et des oreilles et qui coexiste, d’une manière
qu’on dirait presque nécessaire, avec lalongueur de la face et la
saillie du chanfrein. Ce n’est pas à dire, cependant, qu’on ne
constate l’immobilité que sur les chevaux exclusivement qui
présentent la conformation céphalique que nous venons d’indi¬
quer. Les chevaux les mieux conformés peuvent aussi devenir
immobiles ; mais, chez eux, la maladie est un accident, déter¬
miné par des modifications morbides de l’encéphale ou de ses
enveloppes, tandis que chez les chevaux à crâne étroit et fuyant,
elle résulte, le plus souvent, d’une transmission héréditaire,
comme l’organisation encéphalique dont elle procède.
Chez les animaux dont l’immobilité est très-accusée, l’ex¬
pression faciale est pour ainsi dire éteinte. L’œil est fixe et ne
laisse pas échapper ces lueurs qui donnent son animation à la
physionomie du cheval énergique, et témoignent de son intelli¬
gence et des ardeurs de sa nature.
Considéré dans la station debout', à l’écurie, l’animal immo¬
bile mérite véritablement ce nom par la fixité de ses attitudes
et son indifférence à tout ce qui l’entoure ; ni le va-et-vient,
dans l’écurie, des hommes et des chevaux, ni les commande¬
ments par la parole, par le geste ou par le toucher, ni même la
distribution des fourrages ne peuvent l’éveiller. Les stimula¬
tions extérieures restent sans action sur son cerveau assoupi,
ou plutôt sont lentes à l’ébranler. La tête est portée basse le
plus souvent, ou appuyée sur la mangeoire ; elle ne se déplace
qu’avec lenteur et à de rares intervalles. Lorsqu’on parvient à
faire exécuter à l’animal un mouvement de côté daos sa stalle.
IMMOBILITÉ.
19
ses membres antérieurs prennent et conservent assez fréquem¬
ment une attitude croisée, l’un devant l’autre, qui résulte de ce
que le pas de côté, commencé par l’un, n’est pas suivi par
l’autre. L’excitation reçue paraît avoir été presque immédiate¬
ment oubliée, et elle n’a eu pour résultat que la moitié du mou¬
vement commandé, en sorte que le membre qui n’a pas suivi
l’impulsion se trouve dépassé et croisé par celui auquel elle a
été communiquée. Ce croisement des deux membres antérieurs,
en rétrécissant la base de sustentation, met le corps dans un
état d’équilibre moins stable, dont l’animal ne semble pas avoir
conscience, et il ne paraît être déterminé à reprendre l’attitude
quadrupédale régulière que par le sentiment de la fatigue du
membre sur lequel les pressions du poids du corps sont le plus
accumulées, dans l’attitude croisée.
Cette attitude que l’animal est susceptible de prendre de lui-
même dans un mouvement latéral, commencé et non achevé,
on peut la lui donner artificiellement et il la conserve. Il est
même possible de maintenir, en même temps, les membres an¬
térieurs et les membres postérieurs dans une position croisée,
si l’on ale soin de procéder lentement à la manœuvre, en prenant
la précaution d’étayer, de chaque côté, l’animal, au moment où,
les membres antérieurs étant déjà croisés, on essaye de croiser,
l’un sur l’autre, les postérieurs. Une fois les deux bipèdes placés
respectivement dans l’attitude qu’on leur a donnée, si la ligne
du centre de gravité tombe bien sur la base étroite du support,
l’animal ne fait pas immédiatement d’efforts pour se remettre
en équilibre plus stable et il ne paraît déterminé à décroiser ses
membres que lorsque la chute devient imminente. Alors la sti¬
mulation du danger de cette chute est assez puissante pour
éveiller en lui l’instinct conservateur et le remettre dans des
conditions d’équilibre plus solide.
L’automatisme de l’immobilité peut se caractériser encore par
d’autres attitudes des membres. Quelle que soit la situation
qu’on leur donne en avant de la ligne d’aplomb, en arrière, ou
en dehors, ils y restent un certain temps et ne la quittent
qu’avec lenteur et comme par une rétraction machinale.
Ce ne sont pas seulement ces attitudes forcées, qu’il estpossible
de donner artiûciellement aux membres, que l’animal conserve,
sans avoir conscience de ce qu’elles ont d’anormal ; la tête aussi
peut être placée, au gré de l’expérimentateur, dans une posi¬
tion fléchie, à droite, à gauche ou en bas, absolument comme
on peut te faire avec 'un automate, et toutes ces attitudes
20 IMMOBILITÉ.
étranges, Lanimal les conserve également ; et lorsqu’il est dé¬
terminé, probablement par la sensation qu’il perçoit à la longue
de la fatigue de ses muscles, à rendre à sa tête sa situation
normale, ce n’est pas d’une manière brusque que le mou¬
vement s’opère, mais au contraire avec une très-grande len¬
teur, comme s’il résultait plutôt d’une rétraction insensible des
muscles distendus que d’une contraction commandée par la
volonté.
Si l’animal immobile est oublieux, pour ainsi dire, des atti¬
tudes fausses ou forcées et instables qu’il prend ou qu’on lui
donne, il en est de même pour les mouvements de ses mâ¬
choires. Les excitations produites sur son sensorium par la vue,
l’odeur et le goût des matières alimentaires ne paraissent pas
assez durables pour le déterminer à continuer l’action com¬
mencée de ses mâchoires jusqu’à ce que les portions de four¬
rages, introduites actuellement dans sa bouche, aient été com¬
plètement triturées et soient prêtes à être dégluties. C’est de lui
que l’on peut dire : graminis immemor, car souvent la bouchée
est oubliée, soit au moment où elle vient d’être saisie, soit lors¬
qu’elle est déjà sous les dents molaires ; après quelques mou¬
vements de mastication, les mâchoires s’arrêtent et restent
inactives pendant un certain temps, puis elles reprennent, .
s’arrêtent de nouveau et n’achèvent enfin leur œuvre sur la
bouchée commencée, qu’ après des pauses successives. La bou¬
chée de fourrage saisie par les mâchoires immobiles, et sortant
en partie par un des coins de la bouche, donne à la physionomie
une expression très-caractéristique et constitue un symptôme
d’une grande valeur diagnostique. Les marchands de chevaux
ne s’y trompent pas, et quand ils voient un cheval fumer sa pipe, J
comme ils ont l’habitude de le dire dans leur langage pitto¬
resque, ils savent très-bien ce que ce fait signifie et ils ne s’y
laissent pas prendre.
Ce défaut d’excitabilité cérébrale, d’où procède l’oubli des .
fourrages dans la bouche, se traduit encore par des symptômes
singuliers lorsque l’on met un seau d’eau devant l’animal im¬
mobile. Tantôt, comme le cheval dont Renault donne la relation :
dans son Mémoire sur le liquide céphalo-rachidien {Rec. vét., :
1830), il ne fait que le simulacre de boire. « Ce cheval ne pou¬
vant baisser la tête jusqu’à terre pour atteindre le liquide, on '
était obligé de lui mettre le seau à la hauteur de la bouche ; aus¬
sitôt qu’il en touchait le bord, il exécutait rapidement le mou¬
vement des lèvres et des joues qui constitue l’action de humer,
IMMOBILITÉ.
21
bien qu’il fut loin encore de la surface de l’eau qui n’était qu’à
la moitié du Yase. Il exerçait ainsi cette action pendant quel¬
ques instants, puis se rapprochant un peu du liquide il humait
encore comme s’il eut xéritablement bu. » Mais ce fait est ex¬
ceptionnel ; le plus souYeut l’animal immobile plonge la tête
jusqu’au fond dufseauet Ty laisse jusqu’à ce que l'excitation
produite par le besoin de respirer le détermine à un moUYe-
ment brusque de redressement de Tencolure. Dans l’un ou
l’autre de ces cas, les perceptions ne sont pas régulières et ne
donnent pas lieu à des actions bien dirigées.
Lorsque Tanimal chez lequel l’immobilité est très-accusée se
met en mouYement, ses allures, dans les premiers moments,
peuYent ne rien présenter d’irrégulier. Au pas ou au trot, il en¬
tame le terrain, sans que tout d’abord il soit possible souYent
de rien constater qui dénonce son état maladif. Mais à mesure
qu’aYec les mouYements la circulation et la respiration s’accé¬
lèrent, des phénomènes insolites se produisent. Tantôt l’animal
précipite un court moment son allure, sans qu’il soit possible à
son conducteur de se rendre maître de lui ; tantôt au contraire,
et le plus souYent, il s’arrête brusquement, et quoique l’on
fasse par la parole, le fouet, la craYacbe ou l’éperon, il reste in¬
sensible à toutes les excitations et s’immobilise pendant un cer¬
tain temps ; dans d’autre cas, il se jette brusquement de côté,
sans que rien puisse le maîtriser, renversant ou brisant tout ce
qui est trop faible pour lui faire obstacle, se précipitant dans
les fossés qui longent les routes ou par-dessus les parapets qui
les bordent. Dans toutes ces manifestations, évidemment le ré¬
gulateur ne fonctionne pas ; la volonté n’est pas directrice,
l’animal obéit à des impulsions auxquelles il n’est pas maître
de ne pas obéir.
L’un des symptômes le plus frappant et le plus constant de
l’immobilité, et qui en constitue la caractéristique la plus uni¬
versellement connue et acceptée, c’est la difficulté ou l’impossi¬
bilité où se trouve l’animal immobile d’exécuter les mouve¬
ments en arrière. Tantôt ce symptôme se manifeste à froid et
d’emblée, dès qu’on procède à sa constatation ; tantôt ce n’est
qu’après quelques pas de recul qu’on le voit se produire ; d’au¬
tres fois, il faut que l’animal ait été, au préalable, échauffé
pendant un certain temps, par un exercice au trot; dans d’au¬
tres circonstances enfin, il peut effectuer le reculer s’il n’a pas
d’autres résistances à déplacer que celle de son corps, mais si
on le charge du poids d’un cavalier, ou si on l’attelle à une voi-
22 IMMOBiLITÉ.
ture chargée, tout mouvement eu arrière lui devient impos¬
sible.
Quoi qu’il en soit, quand la condition est donnée pour que
ce symptôme se manifeste, voici ce que l’on observe lorsque l’on
cherche à faire reculer un cheval immobile : s’il est monté par
un cavalier, au moment où l’action des rênes se fait sentir,
tantôt l’animal porte la tête fortement au vent, tantôt il l’enca-
puchonne, et, dans l’une ou l’autre situation, sous la traction
des rênes, le centre de gravité est porté plus ou moins en ar¬
rière, sans que les pieds quittent le sol, les membres postérieurs
s’arcboutant sous le corps, tandis que les antérieurs se tendent
en avant, d’autant plus obliques sur leur ligne d’aplomb, que le
déplacement en arrière du centre de gravité s’est opéré dans
une plus grande limite. Si l’action des rênes continue à se faire
sentir, ou bien l’animal, après quelques moments d’une , résis¬
tance obstinée, sort de cette attitude tendue, par un mouve¬
ment brusque de côté, qui le remet dans la station normale
d’équilibre ; ou bien il se jette violemment en arrière et se ren¬
verse sur son cavalier ; ou bien enfin, finissant par obéir à l’im¬
pulsion qu’on tâche à lui imprinier, il exécute un pas de recul,
en laissant sur le sol un sillon plus ou moins profond qu’il
creuse avec ses sabots antérieurs, qui restent adhérents au sol
pendant tout le témps que s’effectue le déplacement du centre
de gravité de l’avant à l’arrière, et ne le quittent que lorsque la
chute devient imminente. A ce nioment, l’animal peut exécuter
quelques pas de recul assez librement ; puis il s’arrête, se remet
dans l’attitude inclinée en arrière que nous venons de décrire,
et, arcbouté sur le sol, oppose les mêmes résistances au mouve¬
ment de rétrogradation qu’on veut lui faire exécuter; et toujours
ainsi, avec cette différence, pour les dernières épreuves, que
l’animal devenu plus irritable a plus de tendance à se renver¬
ser ou à se jeter de côté. ■
Quand le cheval immobile est attelé et qu’on veut le faire re¬
culer, il affecte dans les brancards les mêmes attitudes, que
sous le cavalier, renversant sa tête, ou l’encapuchonnant, ou
encore la fléchissant fortement sur l’un ou sur l’autre côté du
cou, suivant que l’action mécanique du mors se fait sentir plus
■ d’un côté que de l’autre. Son corps, sous la pression des rênes,
se déplace graduellement en arrière, les membres postérieurs
s’arcboutent sous lui, les antérieurs se tendent en avant, puis
un moment arrive où l’équilibre devenant absolument instable,
l’animal, ou bien se décide à exécuter brusquement un mouve-
IMMOBILITÉ.
23
ment de recul, après avoir fortement labouré le sol de ses sabots
antérieurs ; ou bien se jette violemment de côté ; ou bien enfin,
se renverse dans les brancards.
Sur le même animal, les symptômes de l’immobilité ne se
montrent pas avec le même caractère d’intensité dans toutes les
saisons. L’expérience a prouvé qu’ils étaient d’autant plus
prompts à se manifester et d’une manière plus accusée, que la
température était plus élevée et que les animaux étaient expo¬
sés plus directement à l’action du soleiL Tel animal chez lequel
l’immobilité, dans la saison d’hiver, se montre assez peu in¬
tense pour qu’il soit possible de l’utiliser sans trop d’incon¬
vénients ou de difficultés, devient, l’été, impropre à tout
usage, tant les symptômes de sa maladie se trouvent alors
exagérés.
L’accélération de la circulation est aussi favorable à la mani¬
festation plus prompte et plus intense de ces symptômes. Sou¬
vent, avant que l’animal immobile ait été exercé, on ne constate
rien d’anormal dans ses mouvements et dans ses allures. Il
peut se montrer impatient des attitudes forcées qu’on cherche à
donner à ses membres, et exécuter assez librement les mouve¬
ments de recul qu’on lui commande. Mais que cet animal soit
exercé pendant quelque temps, et surtout sous le soleil, et il va
se montrer tout différent de lui-même, par son état automa¬
tique très-accusé et par les résistances qu’il opposera aux ef¬
forts tentés pour le faire reculer : résistances qui seront l’ex¬
pression de l’impossibilité actuelle dans laquelle il se trouvera
d’exécuter les mouvements en arrière.
En dehors de ces circonstances extérieures, qui influent sur
les caractères de l’immobilité et les exagèrent pendant un cer¬
tain temps, on peut constater, dans le cours de cette maladie,
des paroxysmes qui résultent des conditions organiques plus
ou moins obscures dont elle dépend. Les animaux présentent
alors tous les caractères d’une affection vertigineuse : à l’écurie,
tantôt ils poussent au mur avec tant d’énergie, qu’ils s’excorient
la peau du front et des orbites ; tantôt ils se redressent sur leur
train de derrière et restent quelques instants dans l’attitude du
cabrer, les sabots antérieurs appuyés sur le fond de la man¬
geoire ou même engagés entre les barreaux du râtelier ; d’autres
fois enfin, ils tirent en renard sur leurs longes, se renversent
et se livrent par terre à des mouvements désordonnés. Quand
ce paroxysme se manifeste au moment où les animaux sont
attelés, ils deviennent, immaîtrisables, soit qu’ils se portent en
24
IMMOBILITÉ.
avant, soit qu’ils se jettent de côté, soit que, s’agitant surplace,
ils se cabrent et se renversent.
Après ces paroxysmes qui peuvent ne durer que quelques
minutes, ou se prolonger des jours entiers, l’immobilité s ac¬
centue davantage, et se traduit par un état automatique, plus
marqué qu’il ne l’était avant leurs manifestations.
Tels sont les traits principaux de cette maladie singulière que
l’on appelle l’immobilité du cheval. Lorsqu’elle se montre,
comme nous venons d’essayer de la dépeindre, avec l’ensèmble
de tousses symptômes, considérés daps leur simultanéité et
dans leur succession, elle est tellement caractérisée qu’il n’y a
pas possibilité de la méconnaître. Mais cette maladie ne se pré¬
sente pas toujours, loin s’en faut, aussi expressive dans ses ma¬
nifestations ; elle a ses degrés et ses nuances, assez faibles et
assez obscures, dans un certain nombre de cas, pour qu’on ne
parvienne à la reconnaître qu’avec une attention soutenue et
après des épreuves répétées. Ainsi l’expression d’hébétude, si
caractéristique de la physionomie, lorsque l’immobilité est très-
accentuée, peut manquer chez un animal qui n’est atteint de
cette maladie qu’à un faible degré, ou peut ne pas être saisissable
dans tous les moments où on l’observe. Il peut suffire, en effet,
pour que sa physionomie s’éveille et s’anime, des excitations
ordinaires du va-et-vient d’une écurie ; et il est possible alors
que l’observateur soit mis en défaut par l’excitabilité actuelle
des sujets dont l’état organique n’entraîne pas encore un auto¬
matisme bien accusé. Les chances d’erreur s’accroîtront si, chez
un cheval immobile' à un faible degré, la conformation cépha¬
lique régulière éloigne l’idée d’une maladie de la nature de
celle dont il est atteint. Quoique ce fait soit rare, il, se voit ce¬
pendant, et l’on doit toujours admettre la possibilité de son
existence, dans les cas surtout où l’immobilité étant soupçonnée
sur un cheval nouvellement acheté, le jugement diagnostique
qui sera formulé devra être pour la justice la base de ses pro¬
pres décisions.
-L’état automatique peut aussi n’être que très-faiblement ac¬
cusé. Quand la condition organique dont l’immobilité dépend
n’exerce encore sur la volition de l’animal qu’une influence
modérée,' et n’atténue que faiblement la conscience qu’il a de
son état' d’équilibre, il ne se prête pas toujours et surtout im¬
médiatement à conserver les attitudes fausses qu’on veut lui
donner, et les impatiences qu’il témoigne, comme la rapidité
avec laquelle il rétablit ses membres dans leurs aplombs natu-
IMMOBILITÉ.
2o
rels, quand on les en a fait dévier, peuvent faire croire qu’il est .
complètement exempt de la maladie. De même pour le reculer :
là encore se trouvent des degrés dans la manifestation du symp¬
tôme. Il est des chevaux immobiles qui reculent très-bien à
troid, et même après un exercice de courte durée, et chez les¬
quels l’impossibilité de ce mouvement ne s’accuse que lorsque
leur circulation a été accélérée par une course prolongée. Il en
est chez lesquels ce symptôme n’apparaît qu’après un certain
nombre de pas effectués librement ; d’autres qui sont, pour
ainsi dire, journaliers, ou, autrement dit, qui ne se montrent
immobiles quépar intermittences irrégulières; d’autres, enfin,
chez lesquels la maladie reste presque latente dans la saison
d’hiver et ne se manifeste avec son intensité propre que lorsque
la température s’élève. *
Certaines circonstances peuvent aussi influer sur les manifes¬
tations de l’immobilité, et, suivant leur mode d’action, les ren¬
dre ou plus obscures ou plus apparentes : telles sont le repos
et le travail continus; la diète et une alimentation qui pousse
à la pléthore; l’action des purgatifs, de la saignée, etc. Si,,
comme l’expérience en témoigne, les symptômes de l’immobi¬
lité s’exagèrent momentanément, sous l’influence d’une allure
précipitée qui, en accélérant la circulation, donne lieu à un
afflux de sang plus considérable vers les centres nerveux, on
doit concevoir que la continuité du travail et l’état pléthorique
soient des conditions favorables à la manifestation de ces symp¬
tômes, tandis que^ dans les conditions opposées, comme celles
qui résultent du repos prolongé, de la diète, de la saignée, des
purgatifs, la maladie doit rester plus obscure.
Quoi qu’il en soit des nuances nombreuses sous lesquelles
l’immobilité peut se montrer, ces degrés qui impliquent des
différences d’intensité dans la lésion causale, n’impliquent pas
des différences de nature.
Mais cette nature de l’immobilité, quelle est-elle? ou, en
d’autres termes, à quelle lésion anatomique peut-on rattacher
les symptômes si expressifs et si constants dans leur manifes¬
tation par lesquels cette maladie se caractérise ? Très-intéres¬
sante question que celle-là, dont la solution ne peut pas encore
être donnée aujourd’hui d’une manière tout à fait satisfaisante,
faute de recherches anatomo-pathologiques assez nombreuses
et assez complètes, faute aussi de recherches expérimentales
qui, bien instituées, contribueraient sans doute à Téclaircisse-
ment de ce qui reste obscur dans cette matière et pourraient
2g IMMOBILITÉ.
permettre d’attribuer les symptômes de l’immobilité à une ré¬
gion déterminée de Tencépbale.
Mais avant de formuler sur ce point les desiderata auxquels
il serait important de satisfaire, exposons d’abord l’état de la
question d’après les documents que nous possédons.
Anatomie patltologique.
Cbabert, dans son mémoire sur Y Immobilité {Instructions
vétér., t. VI, 1806), attribue cette maladie au « mauvais état du
cerveau et de la moelle allongée. » « En effet, ajoute-il, dans les
chevaux qui périssent de cette maladie, on trouve la substance
cérébrale sans consistance, les grands ventricules remplis d’eau,
le plexus choroïde tuméfié et souvent garni de concrétions d’un
volume plus ou moins considérable, la glande pituitaire engor¬
gée, la moelle allongée dans la laxité, la dure et la pie-mère
constamment adhérentes à la glande pituitaire, et légèrement
infiltrées par la présence d’une eau surabondante, renfermée
entre les deux membranes ; la graisse qui enveloppe les nerfs à
leur sortie de l’épine, ainsi que celle qui tapisse l’intérieur du
tube vertébral, très-jaune et très-fluide. »
De ces différentes lésions signalées par Cbabert, Fbydropisie
ventriculaire est celle dont l’existence a été le plus souvent
constatée, après Cbabert. Renault, dans son Mémoire sur le li¬
quide céphalo-rachidien (Rec. vét.,^830), a confirmé sur ce point
les observations de son célèbre devancier. « J’ai ouvert dans le
courant de l’année dernière, dit-il, deux chevaux reconnus im¬
mobiles et vendus pour tels à l’équarisseur. Dans tous les deux^
la quantité du liquide contenu dans le cerveau était sensible¬
ment plus grande, que dans aucun des chevaux non immobiles
que j’ai oauerfs jusqu’à présent. Il n’en était pas de même du
liquide rachidien, » dont la quantité était de beaucoup infé¬
rieure à celle que Renault avait recueillie sur des chevaux de
même âge et de même taille. Aussi Renault concluait- il de
ces deux observations, — contrairement à une opinion formu¬
lée par quelques auteurs qui ignoraient l’existence d’un fluide
normal autour de la moelle, — « que l’on ne pouvait regarder l’im"
mobilité comme produite par un excès de sérosité dans le canal
rachidien, puisque, dans ces deux cas, il y avait immobilité
bien constatée et que, pourtant, la quantité de liquide était moin¬
dre que dans l’état normal. » Ouant à l’excès de sérosité que
« les ventricules cérébraux renfermaient manifestement, » Re¬
nault se contente de dire que les deux observations, dont il
IMMOBILITÉ.
27
Tient de donner la relation, « concordent aTec celles de la plu¬
part des Tétérinaires qui ont parlé de Timmobilité. » — « J’i¬
gnore, ajoute-t-il, si cet excès de liquide yentriculaire est cause
de cette maladie ou bien s’il n’est que l’effet d’une lésion qui la
produirait; je laisse au temps et à de nouvelles observations à
nous l’apprendre ; je constate un fait et voilà tout. »
Depuis l’époque où Renault écrivait son mémoire sur le li¬
quide céphalo-rachidien, les faits auxquels il en appelait se sont
assez multipliés pour que l’on soit en droit de rattacher l’im¬
mobilité tout aussi fréquemment à l’hydropisie ventriculaire,
que la pousse à l’emphysème pulmonaire. Sans doute que l’en¬
semble de symptômes qui caractérise cet état morbide, que l’on
appelle l’immobilité, peut dépendre d’autres lésions, comme
nous allons le voir à l’instant ; ou, pour mieux dire, que d’au¬
tres causes que l’hydropisie des ventricules peuvent exercer
sur le centre encéphalique l’action paralysante que produit cette
hydropisie, mais c’est elle qui est la cause la plus fréquente.
M. Rôll, dans son Manuel de pathologie et de thérapeutique,
traduit en français sur la 3® édition (vol. Il) est, sur ce point,
très-afürmatif : « Celui qui a eu occasion de faire l’autopsie d’un
grand nombre d’animaux atteints d’immobilité a pu se convain¬
cre, dit-il, que, dans la plupart des cas, l’existence d’un exsu¬
dât séreux, chronique, rarement aigu, dans les ventricules, est,
essentielle dans cette affection.... Dans l’hydropisie chronique,
les ventricules du cerveau sont distendus à des degrés variables
et souvent tellement remplis d’une sérosité claire, que la pa¬
roi supérieure des ventricules se bombe , si l’on enlève par
une section horizontale la partie supérieure des hémisphères
cérébraux, sans pourtant ouvrir les ventricules eux-mêmes.
Quand on ouvre ceux-ci, on voit parfois les corps striés aplatis
(lésion qui pendant la vie peut produire la cécité — amaurose
— par suite de la compression et de l’atrophie des nerfs opti¬
ques). Les lobules olfactifs, souvent, sont énormément disten¬
dus par de la sérosité et comme macérés. Il n’est pas rare, non
plus, de voir les deux ventricules communiquer l’un, avec l’au¬
tre par suite de la déchirure du septum qui les sépare. L’épen-
dyme {arachnoïde interiewre) est épaissi et présente quelquefois,
à sa surface, des nodules résistants, de la grosseur d’une graine
de pavot. Par l’accumulation de cette sérosité dans les ventri-
dules, la substance cérébrale paraît gonflée ; les circonvolutions
de la surface et de la base sont comprimées, aplaties et quel¬
quefois comme effacées. Les méninges de la convexité de l’en-
28
IMMOBILITÉ.
céphale, de même que la substance de celui-ci, sont anémiques.
Cette dernière est imprégnée de sérosité et molle; ou bien sou
imprégnation est normale et sa texture compacte. Le troisième
ventricule cérébral est le plus souvent dilaté et également rem¬
pli de sérosité. »
Quand l’bydropisie ventriculaire est aiguë, le liquide contenu
dans les ventricules est, d’après M. Rôll, ou clair, ou troublé,^
ou semblable au pus par la présence des cellules qu’il tient en
suspension. La substance cérébrale, immédiatement sous-ja¬
cente à Taraclmoïde intérieure, est imprégnée de sérum et œdé¬
mateuse (ramollissement blanc]. Dans certaines circonstauces,
des flocons, en quantité plus ou moins considérable, nageant
dans ce liquide, viennent encore le troubler ^davantage. Dans
des cas exceptionnels, les plexus choroïdiens sont plus nu moins
couverts de flocons ou de membranes d’un exsudât croupal. »
Cette description donnée par M. Rôll des lésions que l’on cons¬
tate le plus souvent dans Fencéphale des chevaux immobiles
est confirmative, on le voit, de ce que Chabert avait dit avoir
observé dans cette maladie : — « Substance cérébrale sans con¬
sistance, grands ventricules remplis d’eau, plexus choroïde tu¬
méfié, etc., etc. »
L’hydropisie des ventricules a été aussi constatée sur des
chevaux immobiles par M. G. Colin, qui est parvenu à extraire
d’assez grandes quantités de liquide, chez un certain nombre
de ces animaux, en faisant une ouverture de trépan au crâne,
puis une ponction de trocart à travers la substance des hémis¬
phères jusque dans les grands ventricules (G. Colin, Traité de
physiologie, t. I").
L’hydropisie ventriculaire n’est pas la seule lésion que l’on
ait vu coïncider avec l’état d’immobilité. Renault a publié dans
le Recueil dé médecine vétérinaire (1 831), une observation d’im-
mobilité déterminée par l’existence de deux protubérances os¬
seuses à la paroi frontale, de la cavité crânienne. « Ces protubé¬
rances, représentant par leur forme et leur volume la moitié
d’un œuf de pigeon, étaient situées à la partie antérieure interne
du crâne, un peu au-dessus des lames criblées de l’éthmoïde, et
de chaque côté de la crête longitudinale. Elles étaient formées
par la lame interne et anfractueuse qui sépare l’intérieur du
crâne des sinus frontaux, et paraissaient avoir été déterminées
par l’accumulation, dans ces sinus, d’un liquide clair, filant et
comme glaireux qui les remplissait. La lame osseuse qui cons¬
tituait ces éminences était si mince à leur sommet qu’elle était
IMMOBILITÉ.
29
transparente, et qu’il, suffit d’une légère pression avec le doigt
pour la briser.La membrane des sinus a^ait son épaisseur et sa
couleur normale. » — Malheureusement Renault ne s’aperçut
de l’existence de ces tumeurs qu’après avoir procédé à l’examen
du cerveau, sous la préoccupation de l’existence d’une hydro-
pisie des ventricules que l’ensemble des symptômes lui avait
fait admettre; et ce n’est qu’après avoir reconnu, à sa grande
surprise, que le liquide contenu dans les ventricules était nor¬
mal, sous le double rapport de sa limpidité et de sa quantité, et
qu’il n’existait aucune altération sensible du cerveau et du pro¬
longement rachidien, que son attention se porta sur l'a boîte
crânienne. Mais il était trop tard pour se rendre compte des
modifications que les tumeurs osseuses, dont il vient d’être parlé,
avaient dû imprimer par leur pression à la substance cérébrale;
et ainsi son observation n’est pas aussi complète et aussi signi¬
ficative qu’elle aurait pu l’être. Quoi qu’il en soit, un fait en res¬
sort : c’est que, dans un cas d’immobilité bien déclarée, on a
constaté l’existence d’une déformation intérieure de la boîte
crânienne qui avait pour conséquence la réduction de sa capa¬
cité et par suite la compression de l’organe qu’elle renferme.
-Dans d’autres cas d’immobilité, on a signalé d’autres condi¬
tions morbides, de nature différente, mais produisant des effets
analogues tels , par exemple , que des épaississements de la
dure-mère, des exsudats de la pie-mère, des fausses membranes
dans l’arachnoïde. Ajoutons enfin que, dans les inflammations
aiguës des méninges, soit qu’elles apparaissent fortuitement
sous l’influence des* causes susceptibles de les produire, soit
qu’on les détermine artificiellement par des injections irritantes,
les phénomènes qui se manifestent, à la période des exsudations
et des néoplasies, ont beaucoup de ressemblance avec ceux qui
constituent l’immobilité ; et, qu’en définitive, cet état morbide
persistant peut fort bien être la conséquence d’une inflamma¬
tion aiguë des méninges éteinte actuellement, mais ayant eu
pour effet la formation de produits morbides plus ou moins
irréductibles.
Ce n’est pas seulement à la surface de l’encéphale, ou dans les
cavités ventriculaires, que Ton a constaté, chez les chevaux im¬
mobiles, l’existence de conditions morbides persistantes ; on a
aussi signalé des altérations propres de la substance cérébrale,
déterminées par des exsudations séreuses ou sanguines ou
même purulentes.
Les tuméfactions du plexus choroïde; les kystes, les concfé-
30
IMMOBILITÉ.
tions souvent volumineuses que l’on constate dans sa trame ont
été considérées aussi comme des lésions propres de l’immobi¬
lité ; mais nous sommes portés à croire que cette opinion, émise
pour la première fois par Ghabert, n’est basée que sur des faits
de coïncidence. Les altérations de plexus choroïde sont si fré¬
quentes, surtout sur les vieux chevaux, comme sur les vieil¬
lards du reste, qu’on ne peut pas ne pas les- avoir rencontrées
sur des chevaux immobiles ; et alors, par une tendance toute
naturelle de l’esprit, on s’est laissé aller à leur attribuer une
influence causale dans la manifestation des symptômes de l’im¬
mobilité, oubliant ou méconnaissant que, dans mille et une cir¬
constances, on. avait reconnu l’existence de ces mêmes lésions à
Tautopsie des chevaux qui, pendant toute leur vie, n’avaient
jamais rien manifesté qui dut les faire soupçonner d’être im¬
mobiles à un degré quelconque.
Maintenant, en dehors des cas où l’examen nécropsique des
chevaux immobiles a fait reconnaître dans le crâne, dans les en¬
veloppes cérébrales, dans les cavités ventriculaires et dans le
cerveau lui-même, des lésions très-reconnaissables et ayant une
grande signification physiologique, n’y a-t-il pas des circons¬
tances où l’autopsie est, peut-on dire, restée muette et n’a pas
livré le mot de l’énigme de la maladie? Si, incontestablement ; et
l’on peut se demander, en présence de ces faits, si, dans les cas
où on les constate, l’état d’immobilité n’est pas le résultat de
l’organisation congénitalement imparfaite des animaux qui en
sont atteints. Est-ce qu’il ne peut pas y avoir des chevaux immo¬
biles, par défaut de développement de l’encéphale, comme il y
a des idiots dans l’espèce humaine? On a quelque pente àrésou-
dre cette question par l’affirmative] quand on réfléchit à la fré¬
quence des cas où l’on voit coïncider l’immobilité avec l’étroi¬
tesse de la tête et la forme fuyante du crâne. Des études sont à
faire sur ce point; il y a à rechercher si, dans les chevaux im¬
mobiles, à tête étroite, le poids de l’encéphale, comparé à celui
du corps, n’est pas sensiblement au-dessous de la moyenne
normale.
Mais, il faut aussi considérer que, dans le plus nombre des
autopsies faites jusqu’à présent, on n’a procédé à l’examen de
1 encéphale que par une dissection ordinaire, sans recourir aux
moyens plus approfondis d’investigation dont la science dispose
aujourd’hui. Sans doute que notre indigence actuelle de ren¬
seignements nécropsiques à l’égard de l’immobilité résulte, en
grande partie, de l’impossibilité où l’on s’est trou vé de bien voir,
nOIOBILITÉ.
81
en ne se servant que de ses yeux et du simple scalpel;— et qu’en
les armant d’instruments qui augmentent leur puissance, des
faits seront reconnus qui ont dû échapper à l’attention des an¬
ciens observateurs, dans les conditions imparfaites et insuffi¬
santes où ils étaient placés.
Quoi qu’il eh soit, et en attendant qu’il soit donné satisfac¬
tion, par de nouvelles recherches, aux desiderata que nous ve¬
nons de faire connaître, voyons si, avec les données que nous pos¬
sédons actuellement, la nature de l’immobilité ne peut pas être
éclairée, ou, autrement dit, s’il n’est pas possible de donner une
interprétation physiologique de ses symptômes qui soit, dans
une certaine mesure, satisfaisante.
lüTature de l’inuuobilité.
Ce qui caractérise essentiellement cette maladie, nous le rap¬
pelons, c’est l’expression d’hébétude de la physionomie ; ‘l’état
automatique des malades, qui résulte, tout à la fois, et de l’in¬
conscience où ils sont de leurs attitudes, et de leur volition as¬
soupie; les mouvements désordonnés auxquels ils se livrent
dans de certaines conditions d’excitation, etc., etc. Or, tous ces
phénomènes ne peuvent procéder que « du mauvais état du
cerveau, » comme le disait Ghabert, sans beaucoup de précision,
il est vrai, mais avec une grande justesse de vue. Il est remar¬
quable, effectivement, que les expériences physiologiques, qui
portent sur les hémisphères cérébraux et d’autres départements
de l’encéphale, donnent lieu à des effets qui ont, avec les symp¬
tômes de l’immobilité, de très-grandes analogies. « Lorsque,
sur un mammifère ou un oiseau, on excise, couche par couche
ou d’un seul coup, les hémisphères cérébraux, en évitant de
léser soit l’isthme, soit les autres parties de l’encéphale... l’ani¬
mal continue à vivre, pendant quelque temps, dans une sorte
de torpeur. Sa sensibilité générale est émoussée et ses mouve¬
ments affaiblis. Il semble avoir perdu l’usage de ses sens, la
spontanéité, V intelligence, la volonté....
« Une poule sur laquelle M. Flourens avait pratiqué cette
mutilation perdit manifestement l’usage de ses sens ; elle avait
d’abord cessé de voir et d’entendre. Plus tard, quand elle fut
rétablie, — car elle survécut plusieurs mois à l’opération — il
fut facile de constater qu’elle était aussi privée de la gustation
et de l’olfaction. On la mettait sur un tas de blé, on lui plaçait
des aliments sous les narines, on lui enfonçait le bec dans le grain,
on le lui plongeait dans Veau, on lui introduisait l’aliment à Ven-
32
DIMOBiLlTÉ.
trèe de la bouche, mais elle ne mangeait ni ne buvait; il fallait
lui porter le grain jusqu’à l’entrée du pharynx pour qu’il fut
avalé, et il Tétait automatiquement, comme les cailloux portés
au même point. » (G. Colin, Traité de physiologie, t, I" )
Sur les grands animaux, cheval et ruminants, les phénomènes
observés à la suite de Texcision. des hémisphères concordent
avec ce que Ton observe sur la poule r diminution ou même
abolition de la sensibilité générale ; perte des facultés visuelles,
olfactives et gustatives. Une génisse à laquelle M. Colin avait
enlevé les deux hémisphères cérébraux se tenait encore debout
et marchait assez facilement, mais elle se heurtait contre les
murs et gardait, sans le mâcher, le foin qu’on lui mettait dans
la bouche.
Toutefois si, à la suite de la destruction des hémisphères cé¬
rébraux, la faculté de se maintenir en équilibre et même de se
mouvoir n’est pas abolie chez tous les sujets d’expérience,
comme en témoignent les résultats obtenus par M. Colin sur des
ruminants et des ânes, et par M. Flourens sur la poule, il res¬
sort manifestement de l’observation des phénomènes que' ces
animaux sont actuellement destitués de leur volition. Ils peu¬
vent se mouvoir, mais ils n’ont plus la faculté de le vouloir.
La poule, privée de ses hémisphères, « marche quand on Tir-'
rite ou qu’on la pousse. Dès qu’on ne l’irrite plus, elle cesse de
se mouvoir, reste dans la situation où on la place et tombe dans
un assoupissement profond... Par moment, elle marche comme
sans motif et sans but, se heurte contre les obstacles qui se trou¬
vent sur son passage, sans chercher à les éviter; en un mot,
elle conserve la faculté d’exécuter ses mouvements habituels,
tout en perdant leur spontanéité, c’est-à dire la faculté de les
vouloir. »
Un âne auquel M. Colin avait enlevé la couche superficielle
du lobe cérébral droit, se tint debout pendant près d’une heure,
penchant un peu à gauche...; abandonné à lui-même, il restait
immobile. Dès qu’on venait à l’exciter par des piqûres ou par
des coups portés sur les oreilles, il se mettait en marche et mar¬
chait très-vite... En se heurtant contre les murs il tombait, mais
on parvenait sans trop de peine à le faire relever.
Ce ne sontpas seulement les facultés sensoriales, lavolition qui
disparaissent avec les hémisphères cérébraux, il en est de même
des facultés intellectuelles et instinctives. «Après l’ablation des
hémisphères, dit M. Colin, l’animal peut vivre encore long¬
temps, se mouvoir automatiquement, respirer, digérer; mais
IMMOBILITÉ.
il perd, avec ses sensations, la mémoire, le jugement, la volonté
et les instincts les plus vivaces de son espèce. Il devient tout à
fait stupide; son existence se passe dans la torpeur, dans le som¬
meil. Éveillé, il exécute à peine quelques mouvements, tant
que rien ne vient Texciter.
tt On le maltraite sans qu’il essaye d’éviter les coups ; il ne
cherche ni à fuir, ni à se défendre. Il n’a même pas l’idée de
prendre la nourriture qui lui est offerte et se laisserait mourir
de faim sur un tas d’aliments si une main étrangère ne les lui
mettait dans la bouche... Rien ne révèle la persistance de l’ins¬
tinct et de l’intelligence,» (G. Colin, Traité de physiologie, 1. 1®^.)
Quand on compare les faits recueillis par l’observation clini¬
que aux résultats obtenus par l’expérimentation physiologique,
on saisit entre eux dé grands rapports de similitude, et ce rap¬
prochement conduit à cette induction légitime que les uns et
les autres procèdent de dérangements fonctionnels des mêmes
appareils nerveux; dérangements qui peuvent dépendre de di¬
verses causes, dont le mode d’action comme l’intensité est sus¬
ceptible de varier, mais qui, malgré une certaine diversité dans
les phénomènes par lesquels ils s’accusent, ne laissent pas ce¬
pendant que d’avoir une même signification, au point de vue du
siège des lésions dont ils sont l’expression.
Éclairés par les lumières de la physiologie expérimentale,
nous pouvons maintenant arriver à une interprétation satisfai¬
sante des phénomènes caractéristiques de l’immobilité et com¬
prendre comment ces phénomènes peuvent, en définitive, pro¬
céder de lésions différentes par leur siège et par leur nature. Ce
qui Caractérise l’immobilité, nous le répétons encore, c’est l’hé¬
bétude, c’est la stupeur, l’affaiblissement -des facultés senso-
riales et intellectuelles, l’automatisme des mouvements, etc.;
c’est-à-dire toute une série de manifestations que nous avons
vu se produire, sous le scalpel du physiologiste, opérant la des¬
truction des hémisphères cérébraux. Eh bien, ce que l’on dé¬
termine expérimentalement par une destruction violente et
complète, les lésions pathologiques peuvent le produire aussi,
avec une intensité proportionnelle à l’intensité de leur action.
Renault trouve à l’autopsie d’un cheval, sur lequel il avait re¬
connu des symptômes très-accusés d’immobilité, deux tumeurs
osseuses du volume, chacune, de la moitié d’un œuf de pigeon,
situées toutes deux à la partie antérieure du crâne, dont elles
diminuaient la capacité, proportionnellement à leurs dimensions.
Ces tumeurs, en conaprimant les hémisphères cérébraux, avaient
34
IMMOBILITÉ.
eu pour effets d’amoindrir leur activité, comme organes des sen¬
sations, de l’intelligence et des mouvements, et ces effets s’é¬
taient traduits par les symptômes constatés, de la même manière
que ceux qui résultent d’une destruction artificielle, portant sur
la même région de l’encéphale.
Les fausses membranes dans la cavité de l’arachnoïde, les
épaississements de la dure-mère, lescoennres développés à la sur¬
face du cerveau, ont un mode d’action semblable : les hémis¬
phères comprimés se trouvent destitués de leur activité propre,
proportionnellement à l’intensité de la pression qu’ils subissent,
et les phénomènes de l’immobilité apparaissent et donnent la
mesure, par leur mode d’expression, de l’intensité de la cause
d’où ils procèdent.
L’hydropisie ventriculaire a aussi pour résultat la compres¬
sion des hémisphères cérébraux, avec cette différence que l’ac¬
tion du liquide qui la détermine s’exerce de dedans en dehors,
et d’une manière uniforme, en vertu du principe d’égalité de
pression, sur toute la masse des hémisphères,_ interposée entre
les parois du crâne contre lesquelles elle est repoussée et le li¬
quide incompressible qui remplit la cavité des ventricules.
Dans ce cas, l’effet est plus complet que lorsque la compres¬
sion s’exerce sur un point isolé des hémisphères, et plus com¬
plexe aussi, car ce ne sont pas seulement les hémisphères qui
la subissent, mais aussi les organes qui forment le plancher des
ventricules, c’est-à-dire les corps striés et les couches optiques,
revêtus par l’hippocampe. Quel est le rôle propre des uns et des
autres ? Sur ce point, la physiologie est, non pas muette, mais
hésitante encore et peu précise, parce que les résultats des ex¬
périences tentées pour l’éclairer sont contradictoires. D’après
M. Colin, adoptant sur ce sujet l’opinion de Todd et de Carpen-
ter, les connexions des corps striés avec les pédoncules et avec
les faisceaux antérieurs et latéraux de la moelle doivent les faire
regarder comme des organes incitateurs des mouvements. Quant
aux couches optiques, Longet pensait qu’elles étaient déstinées
à. transmettre les ordres de la volonté au mésocéphale et à
jouer, par elles-mêmes, le rôle de foyer d’innervation locomo¬
trice. Quoi qu’il en puisse être des fonctions, absolument spé¬
ciales, de ces deux renflements ganglionnaires de l’appareil
encéphalique, le rôle qu’ils remplissent, comme organes qui
président aux mouvements locomoteurs, ne saurait être mis en
doute, et c’est là le fait principal que nous avons à retenir, en
restant au point de vue particulier où nous sommes actuelle-
MMOBILITÉ.
35
ment. On conçoit donc, après cet exposé, que l’hydropisie ven¬
triculaire soit une cause plus complète de l’immobilité que
celles qui viennent d’être énumérées, puisqu’elle exerce son ac¬
tion tout à la fois sur les hémisphères et sur les organes du
plancher des ventricules, et peut-être au delà, c’est-à-dire sur
tout l’appareil complexe de l’intelligence, de la volition, des sen¬
sations et des mouvements. Que toutes ces facultés se montrent
amoindries dans un animal dont les ventricules sont disten¬
dues par de la sérosité accumulée, cela se comprend et s’explique.
Mais peut-on pousser plus avant l’interprétation des phéno¬
mènes? Magendie l’a essayé. D’après cet illustre physiologiste,
qui était un très-habile expérimentateur, mais qui se laissait
volontiers aller aux impatiences de conclure, lorsque les faits
semblaient venir à l’appui de ses théories, les phénomènes ca¬
ractéristiques de l’immobilité procéderaient de la paralysie des
corps striés. Mais, pour bien comprendre sa manière de voir à
cet égard, il est nécessaire de rappeler le rôle qu’il assignait à
ces organes. Il les considérait, d’après les expériences qu’il avait
tentées, comme les foyers de la force incitatrice des mouvements
en arrière^ tandis que le cervelet était le siège de celle qui excite
l’animal à se porter en avant. Une fois l’équilibre rompu entre
ces deux forces antagonistes, par l’abolition ou l’amoindrisse¬
ment de l’activité fonctionnelle, soit du cervelet, soit des corps
striés, les animaux devaient suivant lui être fatalement déter¬
minés à se mouvoir dans le sens de l’impulsion donnée par la
force devenue prédominante I
Appuyé sur cette théorie, Magendie donnait de l’immobilité
une explication des plus simples et, à première vue, des plus
satisfaisantes : Si, disait-il, les chevaux immobiles sont dans
l’impossibilité d’exécuter des mouvements en arrière, c’est que
le liquide en excès, qui distend les parois des. cavités ventricu¬
laires, exerce sur les corps striés une compression qui les para¬
lyse, qui peut même en déterminer l’atrophie, et annule ainsi
la force dont ils sont le foyer.
Mais d’où vient ce liquide intra-ventriculaire, qui, par l’ac¬
tion compressive qu’il exerce sur les corps striés, donné lieu aux
manifestations de l’immobilité? Magendie pensait qu’il n’était
autre que le fluide céphalo-rachidien, qui refluait du rachis dans
les cavités de l’encéphale, par une ouverture située au niveau
du calamus scriptorius, ouverture toujours béante, par laquelle
s établissaient des courants alternatifs de flux et de reflux du
liquide contenu dans lés ventricules cérébraux.
IMMOBILITÉ.
Mais si réellement ces courants existaient de l’extérieur à l’inté¬
rieur de l’encéphale par l’ouxerture postérieure au calamus, il y
aurait lieu de se demander comment tous les chevaux ne sont '
pas immobiles ou ne le deviennent pas, tout au moins, par inter¬
mittence, sous l’influence de la plénitude de leurs cavités ven¬
triculaires. Le liquide céphalo-rachidien est, en effet, un liquide
normal, dont la quantité est considérable, et dans les attitudes
déclives de la tête il devrait remplir et distendre à l’excès les ca¬
vités ventriculaires, si réellement elles étaient en communica¬
tion constante avec l’espace sous-arachnoïdien, comme Magendie
le prétendait. Mais cette communication n’existe pas; les expé¬
riences de Renault l’ont prouvé surabondamment. Les liquides
colorés, injectés dans les ca;vités ventriculaires, passent dans
l’aqueduc de Sylvius et de là dans le quatrième ventricule d’où
ils ne peuvent sortir, car là existe un repli séreux qui obstrue
l’ouverture par laquelle, suivant Magendie, le liquide céphalo¬
rachidien pourrait pénétrer dans les cavités du cerveau. A ce
premier égard, la théorie de l’illustre physiologiste est donc en
défaut.
Mais si l’hydropisie ventriculaire n’est pas produite par l’af¬
flux, dans les ventricules, du liquide rachidien , cette hydro-
pisie n’en existe pas moins dans un certain nombre de cas d’im¬
mobilité, et il n’y a pas à mettre en doute qu’elle joue un rôle
considérable dans la manifestation des phénomènes. Ce rôle
quel est-il ? Nous avons dit plus haut comment nous le compre¬
nions. En vertu du principe d’égalité de pression, le liquide qui
distend les cavités ventriculaires exerce son influence, unifor¬
mément, dans toutes les directions, et toutes les parties la su¬
bissent autour de ces cavités, aussi bien celles qui sont situées
à leur plafond que celles de leur plancher. Les corps striés, les
couches optiques, la masse des hémisphères sont soumis à une
pression égale par le liquide qui fait effort de'partout contre les
parois de la cavité ventriculaire, et les effets produits résultent
de cette action complexe, et non pas d’une action isolée sur les
corps striés exclusivement. Que l’action que ces corps suppor¬
tent ait sa part dans la manifestation des effets, on doit l’ad¬
mettre. Mais est-il possible de la distinguer et de lui attribuer,
comme effet spécial et qui lui reviendrait exclusivement, la
difficulté ou l’impossibilité de reculer qui est une des caracté¬
ristiques essentielles de l’immobilité? Nous ne le pensons pas.
Ni les expériences, ni les faits cliniques n’autorisent à résoudre
cette question dans ce sens. « Longet n’a pas vu les lapins, pri-
QIMOBILITÉ.
37
vés de corps striés, se porter en avant plus que d’habitude. Ils
restaient, au contraire, au repos. Une forte excitation suffisait à
■peine pour les mettre en mouvement et quelquefois en fuite ;
mais bientôt ils s’arrêtaient et retombaient dans une immobilité
à peu près complète. D’où il a conclu que la force motrice, ad¬
mise par Magendie, dans les corps .striés était une force pure¬
ment imaginaire. » De son côté, M. Colin n’a rien vu se pro¬
duire, sur le cheval, à la suite de la piqûre des corps striés, qui
fut confirmatif de l’opinion de Magendie relativement à l’acti¬
vité fonctionnelle spéciale de ces organes. Une première piqûre
n’a donné lieu à aucun dérangement dans la locomotion. L’ani¬
mal avançait, reculait et tournait comme avant. Trois nouvelles
piqûres déterminèrent un affaiblissement d’abord, puis une pa¬
ralysie incomplète des membres postérieurs qui furent quelque
temps privés de la force de soutenir l’arrière-train et la récu¬
pérèrent bientôt assez pour que Tanimal pût se tenir debout
sans le secours d’aucun appui.
Ces expériences de M. Colin seraient confirmatives bien
moins de l’opinion de Magendie que de celle de Saucerotte,
qui pensait que les corps striés tenaient sous leur dépendance
les mouvements des membres postérieurs, tandis que l’actioji
des couches optiques s’exercerait particulièrement sur les mem¬
bres antérieurs. Mais quoi qu’il en puisse être du rôle propre
des groupes de ces organes, considérés respectivement, il nous
paraît hors de doute que si l’bydropisie ventriculaire est déter¬
minante de l’immobilité, c’est par son action complexe, que res¬
sentent tout à la fois les hémisphères, les corps striés, les cou¬
ches optiques et peut-être encore les parties de l’encéphale
situées au-dessous et au voisinage de ces gangliohs, car les ma¬
nifestations de l’immobilité ne sont pas exprimées seulement
par Tarrière-train, mais bien par tout l’appareil locomoteur.
Les faits cliniques ne viennent pas plus que les résultats des
expériences physiologiques à l’appui de la doctrine par trop
exclusive de Magendie sur la cause organique de l’immobilité.
On rencontre très-communément des concrétions des plexus
choroïdes sur des chevaux qui ne présentaient, pendant leur
vie, aucun symptôme d’immobilité et qui n’avaient, non plus,
aucune propension à se porter en avant, comme s’ils obéissaient
à une impulsion irrésistible. M. Colin cite un cas où les concré¬
tions cboroîdiennes, mesurant le volume d’un œuf de pigeon,
à droite et à gauche, avaient provoqué la résorption delà partie
des corps striés qui fait saillie dans les] ventricules; et cepen-
38
IMMOBILITÉ.
dant ranimai, chez lequel une altération aussi considérable des
ganglions striés a été constatée, n’avait rien laissé voir qui pût
faire soupçonner la rupture de l’équilibre entre les forces anta¬
gonistes dont les corps striés et le cervelet seraient les foyers
respectifs, d’après la théorie.
En résumé, la seule conclusion qui puisse être légitimement
tirée des faits, des observations et des considérations que nous
venons d’exposer, c’est que l’état maladif que l’on désigne sous
le nom d’immobilité procède de l’encéphale. Dans l’état actuel
des choses, rien ne peut être formulé de plus précis ; mais ainsi
formulée, cette proposition ne saurait être contestée, car elle
est l’expression rigoureuse des faits qui sont réfractaires à la
théorie d’une localisation circonscrite de la condition organique
de l’état d’immobilité, dans un seul département de l’appareil
encéphalique. Aussi bien, est-ce que, considérés respective¬
ment, les symptômes de cet état morbide n’ont qu’une seule et
même signification et n’expriment que le même trouble fonc¬
tionnel? Évidemment non. Chacun d’eux est comme une note
particulière qui, dans l’ensemble, conserve une signification
très-nette et très-précise. A côté de ceux qui traduisent un af¬
faiblissement des facultés sensoriales, se trouvent ceux qui ex¬
priment l’activité amoindrie et quelquefois abolie des facultés
intellectuelles et tout particulièrement de la volition; d’autres
indiquent que les parties de l’appareil nerveux central qui pré¬
sident à la coordination et à la libre exécution des mouvements
locomoteurs, ne fonctionnent plus avec régularité, ou même
ont cessé de remplir leurs fonctions. Évidemment ces manifes¬
tations multiples et diverses impliquent le dérangement fonc¬
tionnel de l’appareil encéphalique tout entier et non d’une de
ses parties isolées, comme le prétendait Magendie, qui ne s’at¬
tachait dans l’immobilité qu’à un seul symptôme : la difficulté
ou l’impossibilité de reculer, et négligeait volontiers tous les
autres, parce qu’ils s’accordaient mal avec la doctrine qu’il vou¬
lait faire prévaloir sur l’usage des corps striés.
Pronostic. — Ce qui vient d’être dit de la nature de l’immo¬
bilité ou autrement des conditions organiques dont elle dépend,
doit faire comprendre la gravité extrême de cet état morbide,
considéré d’une manière générale. Il est bien rare qu’un animal
chez lequel on en a constaté les symptômes revienne à son état
normal ; un cheval vraiment immobile l’est ordinairement pour
toute sa vie, avec des variations dans les manifestations des
symptômes, dépendantes des influences qui ont été exposées
IMMOBILITÉ.
39
plus haut : influences de saisons, de régime, de travail ; dépen¬
dantes aussi de la marche de la maladie, dont la cause, telle
que la tumeur extérieure à l’encéphale, l’hydropisie Ventricu¬
laire, peut s’exagérer et donner lieu conséquemment à des phé¬
nomènes de plus en plus accusés.
Toutefois, il y a des exceptions à cette règle de la gravité ex¬
trême de l’immobilité ; il est possible que la cause qui l’a dé¬
terminée disparaisse et avec elle toute la série des symptômes
qui en exprimait l’action, comme, par exemple, lorsque l’im¬
mobilité succède à une inflammation àiguë des méninges qui a
donné lieu à la formation d’exsuflats plus ou moins développés
et persistants, mais en définitive réductibles. Si la compression,
déterminée par ces exsudais, n’a pas eu pour conséquence une
altération définitive de la substance de l’encéphale, l’immobilité
peut disparaître avec la cause qui l’avait produite. Il y a donc
une certaine somme de chances de guérisons ou d’améliora¬
tions, dont il est indiqué de tenir compte quand il s’agit de for¬
muler un jugement sur la gravité de cet état morbide.
Maintenant, il y a des degrés dans l’immobilité, et au point
de vue économique, les différences sont grandes, entre les che¬
vaux immobiles, suivant le mode d’expression de leur maladie.
Quand les symptômes en sont accusés de la manière extrême
que nous avons prise pour type dans la description du début
de cet article, le cheval immobile, véritable automate, qui n’a
conscience ni de ses sensations, ni de ses mouvements et qui
n’est plus dirigé par sa volonté, n’est plus propre à aucun ser¬
vice ; ou plutôt son emploi ne peut être que dangereux, puis¬
qu’il représente une force aveugle et désordonnée dont, à un
moment donné, il n’est pas possible de se rendre maître. Le
seul parti à prendre, en pareil cas, c’est de faire abattre les
animaux.
Mais les chevaux immobiles peuvent encore être utilisés,
quand la condition organique d’où dépend leur mal ne produit
que des effets modérés, qu’elle les laisse libres encore de leurs
mouvements de progression et ne donne pas lieu à ces incita¬
tions désordonnées sous l’influence desquelles ils se dévient de
leur direction, quoi que l’on fasse pour les y maintenir, se jet¬
tent de côté et se renversent.
Ces chevaux sont susceptibles d’un usage d’autant meilleur
que, dans l’emploi qu’on en fait, on évite davantage l’influence
es causes dont l’action peut contribuer à l’aggravation de
leur mal. .
40
BIMOBILITÉ.
Ainsi, en règle générale, le service du pas leur convient mieux
que celui du trot et du galop; dans les saisons chaudes, il vaut
mieux les faire travailler la nuit et pendant la fraîcheur des
matinées que pendant la chaleur du jour et surtout sous les
rayons du soleil. Enfin il est beaucoup plus avantageux d’uti¬
liser les chevaux immobiles aux travaux des champs qu’à ceux
des grandes villes où les mouvements, le bruit, les excitations
de leurs conducteurs, les temps d’arrêt forcés, etc., sont autant
de conditions qui peuvent donner lieu à des manifestations
symptomatiques exagérées. On doit tenir compte de ces circons¬
tances dans le jugement pronostique que l’on peut être appelé
à formuler sur l’état d’immobilité d’un cheval; mais, en résul¬
tat dernier, cet état maladif est de ceux dont il faut toujours
mal augurer et l’on ne doit jamais conseiller l’acquisition d’un
animal qui en est affecté, à quelque degré que ce soit.
Traitement de l’immoliilité.
On doit pressentir, d’après ce que nous venons"de dire du siège
et de la nature des altérations qui donnent lieu aux manifesta¬
tions de l’immobilité, que cette maladie est de celles qui ne se
guérissent que bien rarement. 11 peut y avoir des oscillations
dans l’intensité de ses symptômes, tantôt très-éxagérés, tantôt,
au contraire, faibles et peu accusés. Elle peut rester stationnaire
ou s’aggraver graduellement ; elle peut aussi s’amender d’une
manière persistante, de telle sorte qu’un animal qu’elle rendait
absolument impropre à tout usage, puisse redevenir serviable
dans une certaine mesure ; mais il est bien rare qu’elle gué¬
risse, surtout quand l’immobilité date de longtemps déjà, c’est-
à-dire qu’elle dépend de lésions chroniques et définitives.
Cependant on a signalé des cas de guérison de cette maladie;
on a préconisé des traitements et affirmé en avoir obtenu de
très-bons résultats. Cet article ne serait pas complet, si nous ne
donnions pas une place à l’exposé de tout ce qui est relatif à la
thérapeutique de l’immobilité.
Cbabert lui a consacré d’assez longues pages dans la mono¬
graphie qu’il a publiée sur cette maladie. Le plan de traitement
qu’il préconise est inspiré par une conception toute doctrinale.
L’immobilité, pour Cbabert, se caractérise, dans un premier
temps ou période, par la tension excessive des nerfs et, dans un
second, par le relâchement; d’où il suit que, « dans la première
période, la faiblesse dépend de l’excès de la force, tandis que,
dans la seconde, elle est le produit de l’épuisement de ces mêmes
miOBILITÉ.
41
forces, en sorte que, pour combattre avec succès cette maladie,
il faut nécessairement distinguer ces deux états. » Il est facile
de reconnaître, à ce langage, à quelle doctrine médicale Cha-
bert demandait ses inspirations, lorsqu’il rédigeait son Mémoire
sur l’immobilité. La science n’étant pas faite, on voulait la
constituer, et, au lieu de se borner à la simple observation des
faits, on se laissait volontiers aller à la pente de les accom¬
moder à une doctrine de prédilection.
Conséquent avec ses idées doctrinales, Ghabert conseille de
combattre l’état de tension, ou le strictum de la. première pé¬
riode, par des moyens susceptibles de produire le relâchement,
tels que les bains de vapeurs, les compresses Idumides et
chaudes sur le dos et les flancs, les lotions tièdes sur les joues
et l’encolure, mais il proscrit les moyens trop débilitants,
comme la saignée et la nourriture verte, car « si les solides ont
besoin d’être assouplis quelquefois, ils ne doivent jamais être
affaiblis. » C’est afin d’éviter cet affaiblissement des solides
qu’il recommande l’usage d’aliments qu’il appelle cordiaux,
c’est-à-dire qui renferment, sous un petit volume, le plus de
sucs nourriciers : féveroles, gerbée de blé, sainfoin, luzerne,
foin de prairies élevées; avoine noire et pesante, blé, froment.
La médication, malgré l’état de strictum des solides, ne laisse
pas, cependant, que d’être cordiale^ comme le régime : masti-
gadour de feuilles d’hysope, de thym, ou de marjolaine et de
sauge, avec deux onces de sel marin dans le nouet; — solliciter
l’action des nerfs olfactifs et exciter l’excrétion de la pituitaire
par des fumigations de succin brûlé sur une pelle rouge, dont
les vapeurs doivent être dirigées, par un entonnoir, dans les
fosses nasales; compresses d’alcali volatil sur la tête; breuvages
d infusion de mélisse, de menthe, de lavande, de sarriette ou
autres plantes aromatiques, auxquelles on ajoute benjoin, suc¬
cin, styrax, camphre, etc., etc.; lavements irritants et émol¬
lients alternés.
Quant au traitement de la deuxième période, « on doit ten¬
dre, par tous les moyens, à opérer des dérivations, à rappeler
le ton des solides, à forcer les vaisseaux veineux de repomper les
fluides épanchés dans les différentes cavités cérébrales. »
Pour remplir ces indications, « les plus forts vésicatoi¬
res ne sauraient être appliqués trop tôt aux parties latérales
de l’encolure, après qu’on aura passé à chacune de ses faces
trois sétons qui s’étendront de la crinière à la jugulaire. » En
outre, frictions modérées d’essence de thérébentine sur l’épine
IMMOBILITÉ.
i2
dorsale et les membres; breuvages, opiats et lavements, comme
dans la première période, avec addition de sel de mars, de
gomme ammoniaque et de tartre vitriolé, etc. Chabert ne pou¬
vait manquer d’ajouter à tout cela sa fameuse huile empyreu-
matique qui était son médicament de prédilection.
« Tel est, dit-il, en terminant, le plan de traitement qui a
constamment réussi dans l’immobilité essentielle, et qui a été
plus prompt, quand on a aidé l’action des cordiaux par quel¬
ques gros d’aloës. »,
Chabert était un homme d’une trèsrgrande bonne foi; il a
laissé, parmi tous ses élèves, la réputation d’un praticien dont
la sagacité diagnostique tenait du merveilleux; et cependant,
cette conclusion que nous venons de reproduire, par laquelle il
termine son mémoire, contient une affirmation qui ne saurait
être, qui n’est pas, à coup sûr, l’expression de la Térité. Com¬
ment Chabert a-t-il pu se tromper ou être trompé à ce point? C’est
ce qu’il est bien difficile de dire aujourd’hui. Mais, quoi qu’il
en soit, il est certain que le traitement institué par lui et qu’il
a affirmé si constamment efficace s’est montré presque toujours
infidèle entre les mains de ceux qui l’ont employé après lui, et
que la guérison des chevaux immobiles, soumis à cette médi-,
cation complexe, loin d’être la règle, a toujours été, au contraire,
la très-rare exception.
Magendie, dans son mémoire sur le fluide céphalo-rachidien,
communiqué à l’Académie des sciences en 1827, a rapporté
l’histoire d’un cheval immobile dont il axait obtenu la guérison
complète à l’aide de révulsifs énergiques, appliqués, non pas,
comme le conseillait Chabert, de chaque côté de l’encolure,
« pour forcer les vaisseaux veineux à repomper les fluides épan¬
chés dans les différentes cavités cérébrales,» mais bien le long
de la région dorsale, pour diminuer la sécrétion du fluide cé¬
phalo-rachidien. Cette observation mérite d’être reproduite tex¬
tuellement; voici comment Magendie s’exprime : «J’allais un
jour visiter à l’École de médecine mon confrère Breschet. Je vis
dans la cour un cheval qui devait servir à des expériences : il
était jeune, fort, de belle forme, de race normande, mais d’ail¬
leurs frappé de cette maladie nommée immobilité, qui consiste
principalement dans l’impossibilité absolue de faire le moindre
mouvement en arrière, et souvent ne permet pas aux chevaux
de maîtriser leurs mouvements en avant, ce qui les rend inca¬
pables de tout service. J’étais depuis bien longtemps désireux
de savoir quelle espèce de lésion produisait sur les chevaux
IMMOBILITÉ.
43
l’immobilité. Jepriai doncM. Brescbet de vouloir bien ire céder
son cheval, et il y consentit sans peine. Mais avant de sacrifier
cet animal, je voulus faireune tentativepour le guérir. Je m’ima¬
ginai qu’un trouble aussi marqué dans le libre exercice des
mouvements devait avoir sa source dans la moelle épinière.
Dans cette idée, je fis appliquer sur le dos du chenal, à six ou
huit pouces de distance l’un de l’autre, quatre larges moxas,
deux à droite, deux à gauche. Ces caustiques causèrent un très-
vif effroi, et sans doute une très-vive douleur à l’animal. Il fit,
durant leur application, des sauts et des mouvements que nous
eûmes beaucoup de peine à contenir, , mais qui ne faisaient
qu’exciter la combustion. Enfin, il se forma quatre grandes es-
charres qui furent convenablement pansées. Deux jours après
cette application, le cheval n’était plus aussi immobile ; il com¬
mença à faire un léger mouvement en arrière, et huit jours
après il reculait librement. Le considérant dès lors comme guéri,
je le fis venir dans mon écurie, et au bout d’un mois ses plaies
étaient cicatrisées. Je pus le faire atteler et m’en servir. »
« J’ignorais, dit, en terminant, Magendie, à l’époque où j’ai
recueilli cette observation, que l’immobilité des chevaux tînt
probablement à une compression de la partie antérieure du cer¬
veau, par le liquide accumulé dans l’intérieur des ventricules
latéraux. J’ai eu l’honneur de communiquer à l’Académie mes
observations sur ce point; j’ai montré l’analogie entre les che¬
vaux immobiles et les animaux auxquels on enlève les corps
striés du cerveau, et qui, devenus incapables d’aucun mouve¬
ment en arrière, sont incessamment poussés par une force irré¬
sistible à se mouvoir en avant. »
Pour conformer à sa doctrine cetle observation, qui lui est an¬
térieure, de guérison d’un cheval immobile par l’application de
moxas sur la région dorsale, Magendie admet que ces révulsifs
énergiques ont eu pour résultat de diminuer la sécrétion du
fluide céphalo-rachidien, dont l’accumulation dans les ventri¬
cules latéraux du cerveau serait la cause des phénomènes ca¬
ractéristiques de l’immobilité. Quoi qu’il en soit de la valeur de
cette théorie, que nous avons discutée et appréciée dans le cha¬
pitre précédent, un fait ressort de l’observation de Magendie,
c est que, sous l’influence des moxas, appliqués sur la région
dorsale, l’état d’un cheval immobile s’est assez amélioré pour
que cet animal, mis hors de service par sa maladie, ait pu être
utilisé. Cette amélioration a-t-elle été durable ? Magendie n’en a
rien dit. Mais nous pouvons affirmer, d’après des renseigne-
LMMOBILITÉ.
ments certains, qu’elle n’a été que provisoire ; trois mois après
l’cinnonce de sa guérison si complète, le cheval de Magendie, re¬
devenu rebelle et dangereux, était livré à l’équarisseur.
Après la publication de la communication de Magendie à
l’Académie des sciences (Rec. vét. 1827), quelques essais ont
été faits d’un traitement révulsif analogue à celui qu’il affirmait
avoir été si efficace entre ses mains. Decostes, vétérinaire en
chef aux cuirassiers de Berry, traita par l’application d’un vési¬
catoire sur la région dorsale, du garrot à la croupe, un vieux
cheval immobile « dont la stupidité était complète, et qui, im¬
propre à toute espèce de service, ressemblait à une masse à peu
près inerte, que les coups même n’ébranlaient que très-diffici¬
lement. » Après la troisième application de ce vésicatoire, un
mieux sensible se fît remarquer dans l’état de ce malade, et sa
marche devint plus libre. On continua le traitement pendant
trente jours, l’amélioration s’affirma graduellement, et après un
mois et demi, l’animal était en état d’être monté.
Sur un autre cheval, dont Decostes rapporte l’histoire, le vé¬
sicatoire fut appliqué sur la nuque et le front', et renouvelé plu¬
sieurs fois. L’état de cet animal s’améliora sensiblement, sans
que cependant son utilisation, fut possible dans les manœuvres.
On le réforma, et plusieurs mois, après, Decostes put constater,
chez son nouveau propriétaire, qu’il rendait de bons^services,
quoiqu’il portât la tête plus basse que ce n’est ordinaire chez fe
cheval complètement sain. » (Bec. 1829.)
Dans le même tome du Recueil, un vétérinaire de la Côte-
d’Or, Hiigon, a fait connaître les bons résultats qu’il avait obte¬
nus de l’application des moxas, suivant la formule de Magendie,
sur un cheval qui présentait des symptômes d’immobilité,
depuis une quinzaine de jours seulement : une amélioration
notable se manifesta quatre jours après, et le cheval put être
utilisé au labour, au bout d’un mois. De nouveaux symptômes
d’immobilité s’étant manifestés, on eut recours au même trai¬
tement et à la saignée, et cette fois la guérison fut définitive.
(Bec. uéL, 1829.)
Le cheval qui fait le sujet de cette dernière observation n’é¬
tant pas affecté d’une maladie chronique, le traitement réussi
qui a été employé par Hugon ne saurait être invoqué comme
une preuve de l’efficacité possible des moxas contre l’immobilité
véritable. Et ce qui ressort, en définitive, de toutes les expé¬
riences tentées, c’est que les traitements révulsifs et dérivatifs,
même les plus énergiques, quels que soient leur mode et leur
IMMOBILITÉ.
45
lieu d'application, restent sans effets, ou tout au moins sans
effets durables dans le plus grand nombre des cas, sur les che¬
vaux vraiment immobiles, et immobiles de longue date.
Y a-t-il maintenant à compter davantage pour la guérison de
cet état morbide complexe sur les ressources de la thérapeuti¬
que médicamenteuse ? Une réponse très-affirmative à cette ques¬
tion a été faite, dès 1851, par M. Goculet, vétérinaire à Mont-
guyon , et renouvelée avec encore plus d’énergie en 1 864.
M. Goculet a publié, àa.mle Journal des vétérinaires du Midi, à ces
deux époques, cinq observations de guérisoo, par la noix vomi¬
que donnée a haute dose, de chevaux présentant des Symptômes
d’immobilité, et les résultats qu’il a obtenus par cette médica¬
tion lui ont donné une telle foi dans son efficacité thérapeutique,
qu’il 8 considère l’immobilité comme tout aussi curable par la
noix vomique que Test la fièvre intermittente de Thomme par
le quinquina, et même il est convaincu que la guérison une fois
obtenue a quelque chose de plus constant. » « Ges faits, ajoute
M. Goculet, réduisent à sa valeur l’opinion de ceux qui soutien¬
nent que les animaux morts de cette maladie portent constam¬
ment des lésions de quelques-uns des organes encéphaliques,
contenants et contenus, ou de leurs produits de sécrétion. Nous
admettons bien qu’il doit exister des lésions dans le cerveau ou
ses enveloppes; mais la curabilité possible de cette maladie ne
prouve-t-elle pas que ces lésions, si elles sont bien évidentes,
ne doivent consister ni en productions osseuses, ni en dégéné¬
rescence des tissus... »
M. Goculet a oublié, en formulant ces conclusions trop
promptes et trop exclusives, que si Tétat d’immobilité est Tex-
pression symptômatique certaine de troubles fonctionnels de
Tencéphale, ces troubles peuvent procéder de causes diverses,
les unes éphémères, ne laissant pas de traces, et dès qu’elles
ont disparu, permettant à l’appareil encéphalique de récupérer
toutes ses aptitudes; les' autres, plus durables, comme les faus¬
ses membranes de l’arachnoïde, par exemple, mais réductibles
encore, et pouvant ne pas donner lieu à des altérations perma¬
nentes de la substance cérébrale : d’où la possibilité de la dis¬
parition graduelle et définitive de tous les symptômes par les¬
quels s’accusait l’action compressive qu’elles exerçaient sur le
cerveau. D’autres, enfin, parmi ces causes, sont permanentes,
et l’effet qu’elles produisent est permanent comme elles et peut
persister alors même qu’elles auraient cessé d’agir. On conçoit,
par exemple, que si une hydropisie ventriculaire a donné lieu à
4.6
IMMOBILITÉ.
une atropliie générale duceryeau, par compression excentrique de
sa substance, la disparition de Tbydropisie ne sera pas la condi¬
tion suffisante du retour de l’encéphale à sa régularité fonction¬
nelle. Il y a donc à distinguer entre l’immobilité et l’immobilité,
suiyant qu’elle est de date récente ou qu’elle est chronique;
suiyant aussi la nature des causes qui la produisent, car si cet
état morbide est un, en tant qu’expression symptomatique du
dérangement fonctionnel de l’encéphale, il n’implique pas que
les conditions de ce dérangement sont toujours les mêmes, et
identiques à elles-mêmes par leur siège et leur mode d’action.
Ce sont justement ces conditions variées qui font les espèces
différentes d’immobilité : état morbide que l’on peut con¬
sidérer comme presque toujours incurable, lorsqu’il date de
longtemps ; qui est au contraire susceptible de disparaître, ou
tout au moins de s’amender, lorsque la condition, dont il pro¬
cède, est susceptible de disparaître elle-même ou de se réduire
à des proportions moindres.
C’est faute d’avoir fait cette distinction nécessaire que M. Co-
culet s’est laissé aller à l’hyperbole de faire de la noix vomique,
un agent curatif de l’immobilité, tout autant efficace que le
quinquina l’est de la fièvre intermittente. Les résultats heureux
qu’il a obtenus de l’emploi de la noix vomique, dans les quelques
cas qu’il rapporte, n’ont été possibles que parce qu’il a eu affaire
à des accidents d’immobilité de date récente, et produits par des
causes qui n’avaient pas encore eu le temps de donner lieu à des
altérations organiques irréductibles. De fait, le sujet de sa pre¬
mière observation était un « cheval vif et soumis, qui soutenait
très-bien les fatigues. On le saignait habituellement deux fois
l’an, au mois de mai et vers la fin du beau temps ; il ne l’avait
pas été cette année (1 8S0) ; il avait eu deux fois, vers la fin de
juin et au commencement de juillet, à son retour de voyage, des
attaques simulant l’apoplexie cérébrale, s’accompagnant de
stupeur, de station chancelante, d’essoufflement, ce qui avait
fait croire à un coup de sang. Ce fut à partir dé cette époque que
l’animal commença à chanceler dans son travail. »
Lorsque M. Goculet fut appelé à visiter ce cheval au mois
d’août, il constata chez lui l’existence -d’un état maladif géné¬
ral, dont le coma était le symptôme le plus saillant.
Cet état s’étant aggravé graduellement, malgré une saignée
abondante et le régime du vert, c’est alors que M. Goculet eut
recours à la noix vomique, administrée le 1 6 septembre à la dose
de 12 grammes, qui fut portée à 14 le lendemain et à 1 6 le sur-
IMMOBILITÉ.
47
lendemain. Une amélioration notable s’en suivit; trois nou¬
velles doses de 16, 18 et 20 grammes furent données les 28, 29
et 30 septembre; et à la fin d’octobre la guérison était complète.
{Journ. des vét. du Midi, 1851 .)
Dans la deuxième observation rapportée par M. Goculet, la
maladie est tout à fait aiguë, puisque c’est onze jours après la
première manifestation de symptômes comateux que la noix
vomique fut employée, pendant trois jours consécutifs, aux do¬
ses croissantes de 16, 18 et 20 grammes d’abord qui restèrent
sans effet. Cinq jours après, l’état s’aggravant, on administra
deux nouvelles doses de 22 et de 24 grammes.
Malgré cela, la maladie empirait et la mort semblait immi¬
nente, lorsque deux nouvelles doses furent encore données,
l’une de 26, l’autre de 28 grammes. Un mois s’était écoulé de¬
puis que le traitement était commencé. Cette fois, les effets du
médicament se firent sentir, et au bout de trois semaines la
guérison était complète.
Le troisième cheval soumis au traitement par la noix vomi¬
que présentait, comme les deux premiers, des symptômes coma¬
teux et quelques particularités qui n’appartiennent, pas à l’im¬
mobilité, entre autres, la manière singulière dont il prenait ses
fourrages : « Quand le désir de manger se manifestait, l’animal
faisait d’abord un mouvement de recul, qui l’éloignait de la man¬
geoire, puis relevant la lèvre supérieure, il ouvrait largement la
bouche et se précipitait, bouche béante, sur ses aliments dont il
saisissait le plus possible, sans se servir de ses lèvres. Puis après
s’être approché le menton du poitrail, il suspendait la mastica¬
tion pour ne la reprendre qu’un moment plus tard. » Malgré la
noix vomique, administrée à des doses énormes (jusqu’à 35
grammes), ces symptômes singuliers persistèrent pendant plus
de trois mois, accompagnés d’un coma profond. Cependant ce
cheval finit par guérir. Est-ce parce que ou quoique ?
Évidemment les faits dont nous venons de donner l’analyse ne
suffisent pas pour justifier les affirmations de M. Goculet à l’é¬
gard des vertus curatives de la noix vomique. Que ce médica¬
ment convienne pour exercer une excitation sur le système ner¬
veux central, et qu’à ce titre il y ait quelque avantage à l’em¬
ployer pour réveiller les animaux qui sont tombés dans un état
comateux qui ne dépend que de stases sanguines ou d’infiltra^
tiens séreuses sans altérations essentielles de la substance cé¬
rébrale; cela est admissible. Les expériences de M. Goculet ont
48
IMMOBILITÉ.
quelque valeur probative à ce point de vue; mais voilà tout, et
c’est aller au delà de ce qu’elles signifient que d’en conclure que
la noix vomique est curative de Timmobilité, comme le quin¬
quina l’est de la fièvre intermittente.
M. Lafosse se déclare, lui aussi, partisan de la noix vomique
dans le traitement de l’immobilité et il dit en avoir obtenu de
bons résultats, même avant que M. Goculet eût fait part de ses
succès, mais il n’y a pas recours d’emblée. Lorsque l’immobilité
est récente, il commence le traitement par des breuvages émé-
tisés et des lavements laxatifs, auxquels il ajoute, au bout de
cinq à six jours, les sétons à Tencolure et les larges vésicatoires
le long de la colonne vertébrale. Quinze jours plus tard, s’il n’y
a pas d’amélioration très-sensible, la noix vomique est employée
intus et extra. En même temps qu’il l’administre à l’intérieur, j
M. Lafosse associe aux vésicatoires soit de la teinture^ de cette j
substance, soit même de la strychnine. i
Bien que M. Lafosse n’ait pas spécifié dans quelles circonstances |
ce traitement énergique lui avait donné les bons résultats qu’il j
signale, il paraît ne le préconiser que dans le cas d’immobilité
récente, c’est-à-dire lorsqu’on est encore en droit d’espérer que
les conditions pathologiques, dont l’état d’immobilité actuelle
est l’expression, sont de celles qui peuvent ne pas persister et ne
pas donner lieu à des altérations irrémédiables.
La notion acquise, depuis Chabert, que l’immobilité pouvait
dépendre d’une bydropisie des ventricules latéraux du cerveau
a inspiré à un vétérinaire allemand, Hayne, l’idée de recourir,
pour en obtenir l’évacuation, à la ponction des lobules olfactifs
qui sont en communication avec ces ventricules. Cette ponc¬
tion peut être pratiquée soit par la trépanation du frontal, soit
à l’aide d’un trocart de forme appropriée, introduit par le méat
nasal supérieur, jusqu’à la lame criblée de l’etbmoïde, à travers
laquelle on pénètre dans les lobules olfactifs. Les tentatives, peu,
nombreuses du reste, faites jusqu’à présent ne sont pas venues
témoigner en faveur de l’efficacité de cette opération qui ne-
produit qu’un résultat très-provisoire, car les ventricules sont
à peine vides qu’ils se remplissent de nouveau, sous l’influence
de l’exsudation morbide dont ils sont le siège, et dont la ponc¬
tion évacuatrice n’a pas modifié les conditions. D’un autre côté,
l’opération de la ponction, surtout celle que l’on pratique par
le méat nasal supérieur, avec un trocart qu’on ne peut ni bien
diriger, ni bien limiter, cette opération, dis-je, peut donner lieu,
par la lésion inévitable qu’elle entraîne, à des inflammations
IMMOBILITÉ.
49
de la substance cérébrale et à des accidents hémorrhagiques.
(Rôll., Manuel depathol. ,11® yoI.)
Ce n’est donc pas là, à proprement parler, jusqu’à nouvel
ordre tout au moins, une opération que Ton puisse appeler
thérapeutique; mais, au point de vue de la physiologie expéri¬
mentale et même des tentatives thérapeutiques à entreprendre,
elle offre assez d’intérêt. D’abord, il nous paraît possible de la
perfectionner et d’éviter, en recourant à la trépanation du fron¬
tal, les destructions trop violentes de la lame criblée de l’eth-
moîde. On pourrait ensuite, à l’aide de la seringue de Dieula-
foy, opérer l’évacuation immédiate ou la réplétion extrême des ^
ventricules, et étudier les effets de ces deux conditions opposées. '
Ces recherches poursuivies soit sur des chevaux immobiles,
soit sur des sujets sains, auxquels on donnerait une hydropisie
ventriculaire accidentelle, et dans la mesure que l’on jugerait
convenable, fourniraient à coup sûr des renseignements très-
utiles et sur la physiologie du cerveau et sur le mode de produc¬
tion des symptômes par lesquels l’état d’immobilité se caracté¬
rise. Peut-être même conduiraient-elles à quelque application
thérapeutique. Il y a, dans cet ordre d’idée, d’intéressantes expé¬
riences à entreprendre.
L’immobilité étant une maladie héréditaire, et toujours incu¬
rable quand elle procède de l’hérédité, une économie bien en¬
tendue doit empêcher d’utiliser, comme animaux reproducteurs,
les chevaux et les juments qui en sont affectés, car il y a toutes
chances pour que leurs produits naissent entachés de ce vice
originel et n’aient conséquemment qu’une valeur de beaucoup
inférieure à celle que représentent les dépenses de l’élevage.
Des mesures coercitives en vue de réaliser ce résultat seraient
impraticables; mais comme l’État, en France, exerce encore sur
la production chevaline une influence considérable par les dé¬
pôts d’étalons qu’il entretient et par les primes qu’il distribue,
il peut et il doit, dans la mesure de son action, prévenir les
transmissions héréditaires de l’immobilité, en ne laissant con¬
courir à la reproduction ni les étalons ni les juments immobiles.
En Autriche, quand on procède à la réforme, dans l’armée, des
chevaux qui ne sont plus propres au service, l’action préventive
du gouvernement, à l’égard de l’immobilité, se traduit par la
castration que l’on fait subir aux chevaux entiers atteints de
cette maladie et, pour les juments qui sont dans le même cas,
par la marque au feu d’une croix, au-dessous de la crinière,
pour que, aux stations de remonte, on puisse les reconnaître et
X. 4
50 IMMOBILITÉ.
leur refuser la saillie. Toutefois, l’État ne fait mettre en vente,,
en fait de chevaux immobiles réformés, que ceux qui sont en¬
core propres à quelque usage et qui peuvent être utilisés sans
danger. Les chevaux chez lesquels la maladie est trop avancée
sont abattus. (RôlL, loc. cit.)
Ce sont là des pratiques bonnes à imiter.
DE L’IMMOBILITÉ SODS LE RAPPORT DE LA RÉDHIBITION.
L’immobilité est inscrite au nombre des maladies, ou plutôt
des vices réputés rédhibitoires par laloi du 20 mai 1838, qui n’a
fait du reste que confirmer sur ce point ce que les anciennes cou¬
tumes avaient établi. Cette maladie réunit bien, en effet, les con¬
ditions essentielles exigées par le code pour qu’un défaut d’une
chose vendue donne lieu à la garantie de la part du véndeur.
Elle est cachée, non pas dans le sens absolu du mot, mais suffi¬
samment pour que l’animal qui en est affecté ne paraisse pas,
aux yeux du plus grandnombrej différent d’un cheval en santé;
en outre « elle rend cet animal impropre à l’usage auquel on le
destine, ou elle diminue tellement cet usage que l’acheteur ne
l’aurait pas acquis ou n’en aurait donné qu’un moindre prix »
s’il avait su que cet animal fut immobile.
La durée de la garantie légale pour l’immobilité est de neuf
jours.
Quand un cheval, nouvellement acheté, est soupçonné atteint
d’immobilité, et qu’une contestation s’élève à ce sujet entre les
parties contractantes, un ou trois experts sont nommés par le
juge de paix compétent pour procéder à l’examen de cet animal
et constater si le vice soupçonné existe ou n’existe pas. L’expert,
chargé de cette mission, doit réunir, avec le plus grand scru¬
pule, tous les éléments d’un jugement diagnostique^, aussi sûr
que possible, car son jugement doit servir de; base «principale à
celui que sont appelés à prononcer les juge» auxquels est sou¬
mise la question de la résiliation du marché dont le cheval en
litige a été l’objet, et c’est de la justesse du premier de ces juge¬
ments que dépend d’une manière presque fatale l’équité du
second. «•
Pour procéder àl’examen d’un cheval soupçonné atteint d’im¬
mobilité, il faut l’observer dans toutes les conditions où lesmar
nifestations de cette maladie peuvent se produire de la manière
la plus accusée et prendre en considération tous les signes qui
en sont l’expression.
Au repos et à l’écurie, l’expression de la physionomie, les dif-
IMMOBILITÉ.
51
férentea attitudes de la tête, sa conformation ; la manière dont
les aliments solides sont saisis et mâchés-; le mode de préhen¬
sion des liquides; la manière dont les perceptions s’accomplis¬
sent; les attitudes des membres; le plus ou moins de rapidité'
avec lesjpiels s’exécutent les déplacements sous les incitations
qui les commandent :,Yoilà autant de points sur lesquels doit
porter l’attention. On étudiera l’animal d’abord en le laissant
abandonné à lui-même et ensuite dans les différentes attitudes
que l’on aura données soit à ses membres, soit à sa tête.
Une fois fait ce premier examen, on considérera le chenal en
mouyement. On deyra le voir sortir de sa place, puis de l’écu¬
rie, et l’on se rendra compte de la manière dont il obéit aux
commandements qu’on lui fait, et dont il tourne sur lui- même,
ou recule, ou avance, au moment- où on le dirige vers la porte
desortie. Dans toutes ces circonstances, des signes peuvent se
produire que l’expert doit toujours être prêt à saisir.
Dehors, le cheval sera vu d’abord à l’état de repos et aban¬
donné à lui-même, sans que celui qui le conduit fasse quoi que
ce soit pour lui commander une attitude ou un mouvement.
Puis qp; fera mettre les membres en dehors de leurs lignes
d’aplomb, soit qu’on les écarte, soit qu’on les place l’un devant
l’autre, soit qu’on les croise, et l’on verra comment l’animal se
prête à ce qu’on veut lut faire faire, comment il le fait et pen¬
dant combien de temps. Dans ces-différents temps des épreuves,
l’expert attentif peut percevoir des impressions diagnostiques
qui éclairent son jugement.
La tête sera aussidirigée dans différents mouvements, en haut,
en bas, d’un côté ou de l’autre, et l’on se rendra compte de leur
mode d’exécution et du plusou moms de fixité des attitudes,
plus ou moins forcées, qu’on aura données à reneolure.
ê^près ce, on verra, comment s’exécutent les mouvements en
arrière ; s’ils se font sur simple commandement par une iniT-
pression légère^ exercée sur le chanfrein et les barres; ou s’il
faut un plus^and effort pour les produire ; ou si l’animal ne
s’y décide que sous- la, traction très-énergique des rênes; ou
enfin s’il s’y refuse, soit immédiatement, soit seulement après
quelques pas en arrière régulièrement exécutés.
Quand ce premier examen sera terminé, l’animal devra être
exercé aux différentes allures du pas^ du trot ou du galop, soit à
la main, soit sous rbomme, soMr attelé ; et 1! on constatera com¬
ment lès mouvements ■ s’exécutent.
Après un certain temps d’exercice, lorsque la respiration et
52
DIMOBILITÉ.
la circulation seront accélérées, on mettra de nouveau les mem¬
bres et la tête dans des attitudes plus ou moins forcées, et on
fera exécuter des mouvements en arrière, afin de comparer le
cheval à lui-même dans ces nouvelles conditions et de voir si
des phénomènes nouveaux ne se sont pas produits ou si ceux
qu’on avait pu observer dans les premières épreuves ne se sont
pas davantage accentués.
Lorsque l’immobilité est très-caractérisée : caractérisée par la
conformation de la tête, par son expression hébétée, par ses
attitudes, par l’automatisme des membres et de l’encolure, et
surtout par l’impossibilité de reculer, rien n’est simple comme
de constater ce vice et de l’affirmer dans un procès-verbal. Mais
cette constatation ne laisse pas que de présenter de certaines
difficultés lorsque le vice n’en est encore qu’à ses premiers degrés,
et que les symptômes par lesquels il s’exprime sont peu accu¬
sés et n’apparaissent qu’après* un certain temps d’épreuve. Il y a
des chevaux qui ne sont pas immobiles à froid. Au sortir de
l’écurie, l’expression faciale ne manque pas de vivacité; les ani¬
maux manifestent de l’impatience des attitudes fausses qu’on
cherche à leur donner et se refusent à les conserver ; ils obéis¬
sent aux commandements du reculer et l’exécutent sans mar¬
quer sur le sol la traînée qui fait dire qu’ils labourent. A. pre¬
mière vue, ces chevaux paraissent libres de leurs mouvements,
et de leur volonté, et si on ne poussait pas les épreuves jusqu’à
la limite voulue, on courrait risque d’être trompé par eux et,
par suite, d’induire la justice en erreur. Dans ces cas douteux,
il faut prolonger les épreuves et les multiplier, multiplier aussi
les examens dans les différentes conditions où les manifesta¬
tions du vice peuvent être saisies; et lorsqu’il existe réellement,
on peut, on doit arriver à le reconnaître à ses signes, rendus
lïîanifestes par ces épreuves et par ces observations. Question
de temps, de patience et de tact.
Mais l’immobilité peut être simulée dans son symptôme prin¬
cipal, l’impossibilité de reculer, par de certaines conditions
organiques, comme la mauvaise construction soit des jarrets,
soit des reins ; ou par le défaut d’habitude, l’indocilité, la réti-.
vité ; ou encore par des blessures de la bouche, des barres prin¬
cipalement, qui font que l’animal, rendu rétif par la douleur
excessive que lui cause le mors, se révolte contre elle et au lieu
d’obéir au mouvement qu’on lui commande, se raidit et s’obs¬
tine, de propos délibéré, à ne pas l’exécuter. Dans ce cas, le pro¬
blème du diagnostic se complique et pour le résoudre avec
IMMOBILITÉ.
33
sûreté, il faut rechercher la significatioD du symptôme principal
(jufi Ton constate, signification qui ressortira, tout à la fois, et
de l’absence des autres symptômes avec lesquels il coexiste d’or¬
dinaire, et de la constatation de faits particuliers qui expliquent
sa manifestation. Ainsi, par exemple, quand on constate la dif¬
ficulté ou l’impossibilité actuelle de reculer sur un cheval à
tête carrée, dont la physionomie est rendue expressive par la vi¬
vacité et le feu du regard; qui est sans cesse en mouvement,
s’impatiente des contraintes auxquelles on l’assujettit et se re¬
fuse conséquemment à prendre ou à conserver les attitudes
fausses que Ton donne à ses membres : tout cet ensemble des
signes de son activitu nerveuse doit éloigner de l’esprit l’idée
de l’immobilité, et il faut chercher ailleurs que dans son encé¬
phale la cause de son empêchement à exécuter des mouvements
en arrière. Quand les barres sont blessées, il suffit souvent pour
déterminer l’animal à reculer d’éviter la pression du mors sur
les parties endolories. Tel animal qui n’obéit pas, quand on lui
commande le mouvement à l’aide de cet appareil, cède sans
aucune contrainte à la simple pression de la longe ou même
seulement de la main sur le chanfrein.
Quand la difficulté de reculer ne se rattache pas à une cause
de cet ordre, et qu’elle contraste avec l’habitude générale des
sujets et l’absence des autres symptômes qui se manifestent, de
concert avec elle, chez les chevaux immdbilès, il faut se deman¬
der si elle ne résulte^pas d’un défaut d’habitude, d’un certain
degré d’indocilité naturelle, de rétivité, d’obstination à ne pas
obéir, et alors il y a lieu pour l’expert, avant de formuler son
jugement, de faire soumettre l’animal à quelques épreuves
bien dirigées de dressage, qui suffisent souvent pour surmonter
ses résistances et le déterminer à effectuer de lui-même le mou¬
vement auquel il se refusait.
Si l’obstacle à ce mouvement résulte de la mauvaise confor¬
mation de l’animal, on peut le reconnaître aux essais qu’il tente
pour l’exécuter et à l’irrégularité des résultats produits . double
manifestation qui diffère de la résistance obstinée que le cheval
immobile oppose aux efforts par lesquels on tâche de le faire
reculer.
En résumé, l’étude et l’analyse attentives des phénomènes
conduisent assez sûrement à faire la différence entre l’impossi¬
bilité de reculer, qui est l’expression symptomatique de Tétat
d immobilité, et celle qui dépend d’une condition absolument
indépendante de cet état.
U
DIMOBILITÉ.
Maintenant une question se présente à examiner et à ré¬
soudre : celle ,de savoir si l’immobilité conserve son caractère
rédhibitoire ou, autrement dit, si le vendeur est tenu de la ga¬
rantie pour ce vice à l’égard de l’acheteur, lorsque sa constata¬
tion n’a pu être faite qu’à la suite d’une maladie aiguë posté¬
rieure à la livraison et qui s’est compliquée de phénomènes
cérébraux : telle par exemple la fièvre typhoïde compliquée d’un
état comateux; l’indigestion vertigineuse; certaines formes
d’entérite suraiguë ; ou encore et surtout les congestions et les
inflammations de l’encéphale et de ses enveloppes comme celles,
notamment, qui peuvent être déterminées par des coups ou
par des chutes. Supposons, pour bien préciser, que l’une ou
l’autre de ces maladies s’étant déclarée sur un cheval nojivél-
lement acheté, l’acheteur ait intenté à son vendeur -une action
en rédhibition, et que l’expert nommé ait constaté, à sa pre¬
mière visite et dans ses visites succèssives, l’existence ‘ d’une
maladie aiguë compliquée de symptômes nerveux, tels que le
coma, l’affaiblissement des facultés sensoriales, la titubation,
l’automatisme, etc., etc. :Si, lorsque cette maladie aiguë sera .
guérie, on constate chez cet animal, ayant d’ailleurs repris les
apparences extérieures de la santé, la persistance d’un certain
nombre des symptômes caractéristiques de l’immobilité, sera-
t-on en droit de consid:érer cet état morbide persistant comme
antérieur à la vente, et constituant uii défaut caché dont le
vendeur doit avoir la responsabilité ? Dans de telles condi¬
tions, l’expert, après avoir exposé dans son procès-verbal les
symptômes qu’il a reconnus, doit faire des réserves à l’endroit
de leur signification au point de vue de la rédhibition, et indi¬
quer aux juges que ces symptômes peuvent procéder de la mala¬
die aiguë survenue après la vente. Les magistrats, ainsi mis
sur leur garde, prononceront ensuite leur jugement en toute
connaissance de cause.
L’immobilité n’étant presque jamais mortelle, il peut sembler
oiseux de rechercher si le vendeur doit être tenu de la garantie
dans le cas où l’animal, qui en est affecté, vient à périr dans les
délais de l'art. 3 de la loi du 20 mai 1838. Cependant il est
possible que le fait se produise. Un animal atteint d’immobilité
peut tomber foudroyé sous les rayons d’un soleil de juillet et
périr ainsi des suites de sa maladie. Dans ce cas, l’autopsie
pourrait-elle fournir les éléments d’un jugement certain surla
nature de cette maladie et sur la cause de la mort? On ne sau¬
rait faire à cette question une réponse qui s’applique à tous les
IMPÉTIGO.
8o
cas; raais il nous semble qu’on n’irait pas au delà de ce qu’auto¬
risent nos connaissances actuelles si, après avoir constaté sur un
cheval mort dans le délai de la garantie et sujet de contestation
pour cause d’immobilité, l’existence soit d’une hydropisie ven¬
triculaire considérable, soit de tumeurs volumineuses dévelop¬
pées à l’intérieur du crâne, avec complication d’une congestion
de l’encéphale ou de foyers hémorrhagiques dans sa substance,
on en concluait que cet animal était immobile et a péri des
suites de la lésion qui produisait l’immobilité. Mais heureuse¬
ment que cette difficulté n’est pour ainsi dire que théorique et
nous ne la soulevons ici qu’en prévision d’un événement qui,
s’il est possible, n’a pas été, que nous sachions, encore une seule
fois observé. . H. boulet.
IMPÉTIGO. Le mot impétigo, qui vient de impetus, violence,
mouvement brusque, a été appliqué par les anciens à toutes
sortes de maladies de la peau. Il faut arriver jusqu’à Willan
pour trouver une définition nette et précise de l’impétigo : c’est
la même affection qu’Alibert, dans son langage imagé, décrivit
d’abord sous le nom de dartre crustacée flapescente et plus tard
sous celui de mélitagre.
Vimpétigo est caractérisé par des pustules petites, acuminées,
discrètes ou confluentes, et dans ce dernier cas soulevant l’épi¬
derme de manière à former une petite collection purulente à
contours irréguliers, bien différente de la pustule arrondie, régu¬
lière et isolée de l’ecthyma. Rarement le pus qu’elle contient se
résorbe sans rupture de Tépiderme; celui-ci se déchire ordinai¬
rement et son contenu en se desséchant donne naissance à des
croûtes épaisses, rugueuses, d’aspect melliforme (d’où le nom
demélitagra], d’une coloration variant du jaune au brun-ver¬
dâtre, suivant que la matière est pure de tout mélange ou tein¬
tée par im peu de sang. En accélérant la chute de ces croûtes,
on s’ aperçoit qu’elles masquent une surface exubérée qui ne
tarde pas à se recouvrir d’une nouvelle croûte, composée de la¬
melles d’épiderme et de séro-pus concrété. Celle-ci tombe à son
tour et la partie malade n’offre plus qu’une surface rouge qui
se sèche rapidement et devient le siège, comme dans l’eczéma à
la troisième période, d’une desquamation pityriasique. La co¬
loration de la peau s’éteint progressivement et la maladie guérit
sans aucune cicatrice.
Assignes objectifs il faut ajouter quelques phénomènes sub¬
jectifs, tels que le malaise, un léger mouvement fébrile qui ac-
56
IMPÉTIGO.
compagne les poussées aiguës de cette éruption. Notons égale¬
ment un sentiment de cuisson et de démangeaisons dans le
point affecté, moins intense en général que dans l’eczéma.
M. Bazin reconnaît chez l’homme plusieurs espèces i’impé-
tigo : 1" un impétigo artificiel dû à la malpropreté, à des agents
extérieurs irritants, etc. ; 2° un impétigo parasitaire dont les
croûtes caractéristiques vienüent compliquer la teigne faxeuse,
la teigne tonsurante, la gale et la phthiriase ; 3“ un impétigo
dartreux ou mélitagre; 4“ un impétigo scrofuleux; et un im¬
pétigo syphilitique.
Pour M. Hardy il n’y a qu’une seule espèce d’impétigo, Yim-
pétigo dartreux qui ne serait lui-même qu’une variété d’eczéma,
développée chez les malades à tempérament lymphatique et
scrofuleux, chez lesquels il y a une grande propension à la sup¬
puration. L’impétigo serait donc la manifestation cutanée de la
diathèse dartreuse chez les malades à tempérament lymphatique,
. comme l’eczéma l’est de la même diathèse chez les tempéra¬
ments nerveux, sanguins ou bilieux; de là les différences que
l’on remarque dans l’abondance et la nature de la sécrétion,
aussi bien que dans l’intensité du prurit, différences qui cons¬
tituent seules les caractères distinctifs qui séparent ces deux gen¬
res de dermatoses.
L’impétigo se montre-t-il chez les animaux domestiques ?
Les rares cas de dartres croûteuses, dont il est question dans
les annales vétérinaires, semblent se rapporter bien plutôt à la
dartre tonsurante qu’à Vimpétigo;ee qui le prouve, c’est que,
d’une part, il est ordinairement question de contagion dans l’his¬
toire de ces dartres, et que, d’autre part, chez le bœuf où on
les a surtout observées, la dartre tonsurante s’accompagne
d’une abondante production croûteuse qui repose sur un véri¬
table ulcère, ainsi que nous l’avons nous-même constaté.
M. Lafosse, de Toulouse, dans sa Pathologie vétérinaire,
dit que l’on observe assez fréquemment dans la Jeunesse des
chats, des chiens, des bovinés et plus rarement des solipèdes
une affection pustuleuse qui est tout-à-fait l’analogue de Vira,'
pétigo infantile, vulgairement connu sous le nom de gourmes ou
croûtes de lait ; nous n’avons pas encore été à même de vérifier
cette assertion.
Dans notre Deriviatologie hippique, nous avons démontré
par des exemples à’ eczéma, de psoriasis et de pityriasis dartreux
des mieux caractérisés, l’existence de la diathèse dartreuse
chez le cheval, mais nous n’avons pas parlé, et pour cause, da
IMPÉTIGO.
37
Vimpétigo; c’est que nous n’nvons pas encore rencontré de
véritable mélitagre se rattachant évidemment à cette dia¬
thèse. — Depuis la publication de notre ouvrage, nous avons
été témoin d’un cas type d’impétigo, avec ses croûtes molles,
presque fluides, d’un jaune doré, semblables à du miel ou mieux à
de la marmelade d’abricot (Bazin). Le malade qui le présentait
était un jeune cheval normand de quatre ans, en pleine crise
gourmeuse. — Dans son article sur la Gourme, du présent Dic¬
tionnaire (tome VIII®), M. Reynal cite, parmi les maladies de
peau qui se montrent dans le cours de cette affection, « une
éruption qui a beaucoup d’analogie avec V eczéma aigu ; » il l’a
observée surtout sur les jeunes chevaux provenant des remontes
extraordinaires de 1840, et il l’a vue alterner ou marcher de
pair avec tous les symptômes de la gourme franche. — Vim¬
pétigo que nous avons étudié ne serait-il pas, — ce qui vien¬
drait à l’appui de l’opinion de M. Hardy, — une variété de
cQi eczéma gourmeux de M. Reynal, ne devant son aspect ca¬
ractéristique qu’au tempérament manifestement lymphatique
du sujet.
Ces faits prouvent que l’on observe chez le cheval un eczéma
et un impétigo tout à fait dépendants de la diathèse gourmeuse,
comme le sont l’herpès phlycténoïde et peut-être même le horse-
pox, avec cette différence que ces deux dernières maladies par¬
courent leurs phases très-rapidement, tandis que l’eczéma et
l’impétigo ont une grande tendance à la chronicité. Ainsi
M. Reynal a vu Teczémagoufmeux persister deux, trois, quatre,
cinq mois et même plus, et notre impétigo n’a cédé qu’après
six semaines d’un traitement reconstituant que nous appliquons
avec succès à tous les reliquats de gourmes, qu’ils se présentent
sous forme d’anémie, de toux chronique, de douleurs ou de
boiteries erratiques; ce traitement c’est l’arsenic à l’intérieur, à
la dose quotidienne de 0,30 à un gramme.
Si nous avions affaire à un impétigo franchement dartreux,
nous nous en tiendrions encore à cette médication qui est celle
qui réussit le mieux, en médecine humaine, dans toutes les ma¬
nifestations de la dartre ; on la combine seulement avec l’emploi
d un topique local, modificateur de la peau, qui est ordinaire¬
ment l’huile de cade.
Comme on le voit par cette étude, l’histoire de l’impétigo en
médecine vétérinaire est encore assez incomplète ; il en est mal¬
heureusement ainsi de beaucoup de maladies de peau de nos
intéressants auxiliaires ; ce n’est que par l’accumulation d’ob-
58
INANITION.
servations bien faites qu’on arrivera à parfaire cette histoire, et '
les jalons que nous avons posés aideront, nous i’espérons, à at- !
teindre promptement ce but. mégnin. j
INANITION. On appelle ainsi l’état de faiblesse et de pro¬
fond épuisement dans lequel tombent les animaux privés de
nourriture.
L’inanition entraîne infailliblement la mort. C’est graduelle¬
ment que l’économie passe de l’état normal à l’état d’inanition.
Ghossat donne à 'ce passage graduel et plus ou moins long le
nom dHnanitiation.
Cette importante question a occupé depüis longtemps les na¬
turalistes et les médecins. Elle a été l’objet d’écrits nombreux
en France et à l’étranger. Tantôt on étudia l’inanition au point
de vue expérimental ; tantôt on s’attacha à en décrire les ter¬
ribles effets sur de malheureuses populations. Il serait trop
long de dresser la liste des physiologistes, des chimistes et des j
médecins dont les travaux se lient à l’histoire de l’inanition. Rap- .
pelons seulement que Chossat, entre tous, fit connaître cette
question dans tous ses détails ; son travail auquel nous aurons
souvent recours reçut de l’Académie des sciences, en 18M, le
prix de physiologie expérimentale.
CAUSES DE l’inanition.
Les aliments pris quotidiennement par les animaux ont à
remplir un rôle plus ou moins compliqué. Dans la jeunesse de
l’animal, ils lui fournissent les matériaux de son entretien et de
son accroissement. Dans l’âge adulte, ils se bornent à entretenir
le sujet ; et si, dans ce cas, ils sont ingérés en trop grande quan¬
tité, la partie excédante se dépose sous forme de -graisse dans le
tissu conjonctif et même dans les cellules de certains organes
glandulaires. •
C’est à l’aide des aliments que l’adulte se maintient dans cet |
équilibre si bien démontré par les belles expériences de Boussin-
gault sur la nutrition. Si on vient a ie priver de cette ressource,
on devine ce qui arrivera : l’animâl sera obligé de puiser dans
ses propres tissus les éléments nécessaires à sonentretien.il
trouvera d’abord ces éléments dans le tissu adipeux mis [en
réserve aux temps d’abondance, et, nette provision épuisée, il
les prendra sur d’autres groupes d’organes. Ces soustractions
journalières qu’éprouve l’économie, sans aucune compensation.
INANITION. S9
la mènent graduellement à sa ruine ; elles entraînent Tinanition
et ensuite la mort.
L’impossibilité plus ou moins complète dans laquelle se
trouve l’animal de réparer les pertes que lui fait subir le mou¬
vement nutritif est donc la cause de l’inanition. Gette cause se
présente dans deux circonstances un peu différentes en appa¬
rence : r Lors de l’abstinence ou de la privation complète dé
nourriture; 2“ Dans le cas d’alimentation insuffisante.
On doit donc apercevoir une relation, on ne peut plus étroite,
entre les effets de l’abstinence, ceux de l’alimentation insuffi¬
sante et l’inanition; aussi croyons-nous qu’il est nécessaire
de traiter de ces deux questions pour faire connaître le sujet
de cet article.
1® De l’abstinence.
L’abstinence est la privation complète d’aliments solides et
liquides. Il faut tenir un grand compte de ces derniers, car leur
importance est considérable dans l’accomplissement des actes
nutritifs; ils peuvent, comme on le verra, modifier notablement
le résultat de l’abstinence. Étudions d’abord la privation de
nourriture dans sa durée et dans ses effets.
DURÉE DE l’abstinence.
Le temps pendant lequel un animal peut supporter l’absti¬
nence varie dans de très-grandes limites, lorsqu’on l’envisage
dans toute la série zoologique. Pour ne parler que des vertébrés,
il existe une importante différence entre les animaux à sang
froid ou à température Tafiable et les animaux à sang cbaud ou
à température constante.
Les vertébrés à sang froid supportent très-longtemps la priva¬
tion de nourriture. Pendaqt l’biver, les grenouilles, les tortues,
les serpents restent plus ou moins engourdis et sans prendre de
nourriture. Oniroittous les jours des poissons, des tritons, vivre
des années dans de l’eau claire, à la seule condition qu’on re¬
nouvellera celle-ci. On a pu garder des vipères une année sans
qu’elles prissent d’aliments. Les chaleurs de l’été abrègent ce
temps, car M. Colin a toujours vu les ophidiens mourir au bout
de deux ou trois mois pendant la saison chaude ; pourtant cet
auteur rapporte, d’après M. Vallée, que l’on a conservé, au jar¬
din des Plantes, pendant vingt-sept mois, un serpent àsonnéttes
qui refusait toute nourriture.
Parmi les vertébrés à sang chaud, les oiseaux se séparent
60
INANITION.
assez nettement des mammifères. Ceux-là meurent rapidement 1
surtout s’ils sont granivores. D’après Dugès, les oiseaux qui sé
nourrissent de graines s’éteignent à la suite de deux jours {
d’abstinence. Les canards, les dindons vivent de quatre à huit 1
jours. Quant aux oiseaux rapaces, ils peuvent résister neuf, dix
à quatorze ou quinze jours, suivant les espèces.
En général, les mammifères sont les vertébrés à sang chaud
qui résistent le plus longtemps à l’abstinence ; les carnassiers
se placent en première ligne, puis les omnivores et enfin les
herbivores.
Il est d’une connaissance banale que les grands carnassiers
sauvages, tels que le lion, le loup, qui n’ont pas toujours une
proie à leur disposition, sont soumis à chaque instant à une
privation de nourriture qu’ils supportent très-bien.
Les expériences de Collard de Martigny, de Magendie, de Leu-
ret et Lassaigne fixent la durée de l’abstinence, pour le chien,
à trois semaines ou un mois.
Un carnassier sauvage fait une exception remarquable à cette
règle. D’après Flourens et Dugès, la taupe « meurt de faim, si
on la laisse un jour sans nourriture, ou même si on ne lui fait
faire qu’un seul repas dans la journée » (Dugès, Physiologie
comparée).
Les herbivores, qui mangent plus souvent et ingèrent une
plus grande quantité d’aliments que les carnassiers, ne suppor¬
tent pas l’abstinence aussi longtemps que ces derniers. A part
le chameau et le dromadaire, aucun herbivore ne peut conserver
quelque temps les apparences de la santé sans recevoir de nour¬
riture. M. H. Bouley a vu le cheval mourir après le douzième
jour. Le lapin meurt également, dit-on, du douzième au dix-
septième jour ; nous en avons conservé un, en été, pendant
vingt-quatre jours.
Circonstances qui font varier la durée de l’abstinence. — Un
grand nombre de circonstances sont capables de modifier la
durée de l’abstinence chez une espèce donnée.
Les sujets jeunes succombent plus rapidement que les adul“
tes. Cette différence s’explique par l’activité des phénomènes
nutritifs qui est toujours plus grande pendant la jeunesse.
L’état de maigreur ou d’embonpoint des inanitiés au com¬
mencement -de l’abstinence entraîne des variations qui se sai¬
sissent aisément.
L’état fébrile, en activant les combustions organiques, pr^*
cipite le dénoûment de l’abstinence.
INANITION.
61
Le repos absolu retarde la terminaison fatale ; les mouve-
inents la font arriver plus tôt.
La température extérieure exerce une notable influence.
Ainsi Leuret et Lassaigne ont vu le cbien vivre quarante jours
dans un lieu humide et sombre, alors qu’il ne supportait la
privation de nourriture que trente jours dans un endroit sec et
chaud. Magendie et M. Colin ont constaté que les rats ne vi¬
vaient que trois jours pendant les fortes chaleurs de l’été.
La durée de l’inanitiation est surtout modifiée par l’adminis-
Iration des boissons. Gbossat a parfaitement remarqué que la
vie était prolongée, quand on fournissait de l’eau aux animaux
en expérience. Ce fait a été constaté depuis par plusieurs expé¬
rimentateurs. On peut citer à l’appui, les observations de la'
Commission d’hygiène et celles de M. Gurlt; la première a vu
le cheval vivre au-delà de douze jours, en lui laissant de l’eau à
discrétion, et M. Gurlt, jusqu’au vingt-septième en le plaçant
dans les mêmes conditions. M. Cl. Bernard a sacrifié des che¬
vaux qui n’avaient reçu, pendant vingt jours, que des boissons
pour toute nourriture.
C’est probablement à l’action des boissons qu’il faut attribuer
ces cas d’abstinence très-prolongée observés sur l’homme. On
parle de jeûnes de quinze, dix-huit, vingt jours. Velpeau dit
même avoir été témoin d’un jeûne de six semaines et d’un autre
de quarante jours sur deux militaires atteints de dothiénen-
térie. Faisons remarquer, en passant, que ces jeûnes extraor¬
dinaires ont été supportés par des personnes malades, ou at¬
teintes d’affections mentales, ou plongées dans un état moral
exceptionnel. L’homme ne résiste guère à l’abstinence au-delà
de huit à dix jours. Les jeûnes dont parle Haller et qui auraient
duré des années, nous paraissent impossibles ; il faut au moins
s’en défier, si on ne veut pas répéter avec Rudolphi, qu’ils
sont des impostures.
L’eau qui exerce une influence insensible sur les oiseaux,
mais si prononcée sur les mammifères, doit, pour prolonger
la durée de la vie, être prise volontairement par les animaux.
Administrée de force, au-delà des besoins naturels, l’eau abrège
la durée de la vie desinanitiés, en diluant le sang et en détermi¬
nant des épanchements dans les cavités séreuses.
La vie peut encore être prolongée par l’emploi de ce que
M. Amelmier a appelé autophagie artificielle. Nous ne faisons
que 1 indiquer ici, car, en raison de l’importance que semble
présenter la méthode de M. Anselmier, nous l’exposerons plus
loin avec quelques détails.
62
INANITION.
TABLEAU, DE L’ ABSTINENCE.
Sous ce titre, nous voulons parler dès symptômes de cette sorte
de maladie, l’inanitiation, provoquée expérimentalement par
la privation de nourriture. Ce tableau diffère selon le caractère
des espèces et la manière dont elles manifestent leurs besoins.
Dans les premiers jours de l’abstinence, le chien est excité ;
il s’agite, aboie, va et vient dans sa loge, semble chercher et
demander de la nourriture. Le bœuf et le porc présentent un
peu de cette surexcitation ; le premier beugle et foule sa litière;
le second grogne constamment et insinue son boutoir partout
où il espère trouver des aliments. Mais cette agitation ne s’ob¬
serve guère chez le cheval, à moins qu’il ne soit très-vigou-
Teux ; elle manque à peu près dans le lapin et fait absolument
défaut chez les oiseaux.
Cette période d’excitation étant passée, le chien redevient
calme ; il se retire dans le coin le plus somhre de sa prison et
y reste couché. L’amaigrissement fait de rapides progrès et
bientôt les saillies osseuses se dessinent sous la peau; L’œil est
terne, enfoncé, languissant. Tout dans l’animal annonce une ex¬
trême faiblesse. Si on l’appelle, si on lui montre de la nourriture,
il se lève avec quelque hésitation, ses membres le soutiennent à
peine et parfois même il retombe sur le sol ; après s’être emparé
de l’aliment qu’On lui présente, il regagne sa place obscure. Cet
état de langueur se prononçant de plus en plus, l’animal ne
tarde pas à mourir au milieu de quelques convulsions.
Le cheval se maintient debout aussi longtemps que ses forces
le lui permettent ; mais bientôt, épuisé de fatigues, il se couche
et prend le décubitus latéral qu’il conserve jusqu’à la mort.
Cette fin est précédée d’üne sueur froide abondante, d’une agi¬
tation des extrémités et de tremblements musculaires.
Le lapin conserve pendant quelques jours sa timidité natu¬
relle ; il cherche à fuir dès qu’on l’approche et fait entendre lé
clapottement caractéristique produit par le choc de ses pattes
contre le sol. Mais à partir du milieu de la durée de l’abstinence,
son attitude change de caractère. L’animal devient triste, som¬
bre ; il ramène fortement ses membres sous le tronc ; son
corps prend Taspect d’une sorte de boule hérissée par le re¬
dressement des poils, n ne fuit plus à l’approche de l’homme et
se laisse saisir sans faire aucun mouvement.
Quant aux oiseaux, on remarque, qu’à la période de calme
qui s’observe dans les commencements de rexpérience, succède
une agitation qui persiste tant que la chaleur reste encore’
INANITION.
63
élevée. Elle est remplacée^ dans les derniers jours, par un état
de stupeur et un affaiblissement graduellement croissant. La
station, devient vacillante, la marche incertaine. L’-oiseau ne
peut plus se tenir perché; ses doigts froids et livides se met¬
tent en boule à l’extrémité de ses pattes. Bientôt, ses membres
refusant de le soutenir , il se laisse tomber sur le côté et y
reste immobile jusqu’à la mort. Des déjections fluides, quelques
spasmes, des mouvements convulsifs des ailes et la rigidité
opisthotonique du corps viennent clore cette existence lan¬
guissante.
EFFETS DE L’INANITION SUR LES ORGANES, OU MODIFICATIONS
anatomiques.
Le résultat le plus constant de l’abstinence est la, diminution
du poids du corps. La mort arrive lorsque les animaux, ont
perdu en moyenne les ^ de leur poids initial; mais cette perte
peut s’élever jusqu’aux ^ pour des animaux gras et s’abaisser
aux ^ pour des sujets jeunes.
La diminution du poids du corps n’est pas régulière; elle est
très-grande les premiers jours, en raison de l’expulsion du
contenu de l’intestin; elle s’abaisse insensiblement vers le
milieu de l'expérience, pour s’élever ensuite un peu pendant la
dernière période. La diarrhée colliquative qui survient à ce
moment peut expliquer, jusqu’à, un certain point, ce surcroît
des pertes diurnes.
Nous rapportons ici le tableau des pertes éprouvées par un
lapin qui résista vingt-quatre jours à la privation complète d’a¬
liments. Les pertes étaient constatées tous les deux jours. —
L’animal pesait au commencement de l’expérience 2‘",460 ; à la
fin, l‘‘,305.
Au début de l’expérience . 2'k. 460 gr.
Au deuxième jour . . 2 245
Au quatrième jour,. ............ 2 095
Au sixième jour. . . i 930
Au huitième jour . , 4 860
Au dixième jour . ■ . 4 790
Au douzième jour . 4 740
Au quatorzième jour. ............ 4 645
Au' seizième jour . . . 4 585
Au. dix-huitième jour, . . . . 4 543
Au vingtième jour . . 4 460
Au vingt-deuxième jour . 4 377
Au vingt-quatrième jour; mort . 4 305
Perte totale . . . 4 155
U
INANITION.
Les vertébrés à sang froid s’émacient comme les animaux à 1
sang chaud et meurent après avoir perdu ^ de leur poids ini¬
tial ; seulement, pour éprouver cette diminution, il leur faut i
un temps trente fois plus long que pour les animaux à sang I
chaud. - '
Tous les organes, tous les tissus participent à cette émacia¬
tion pour une proportion plus ou moins grande. Le tissu adi¬
peux, le tissu musculaire et le sang sont' les parties qui perdent
le plus.
La graisse est presque entièrement résorbée. Elle disparaît
du tissu conjonctif sous-cutané, sous-péritonéal et des inter-
stices musculaires. Une reste que la graisse dite d’organisation,
tels que les coussinets adipeux de l’œil et de l’oreille, la graisse
qui protège la moelle épinière, celle qui soutient les organes
du fond du bassin. Dans les points où' il persiste, le tissu adi¬
peux se modifie : les vésicules laissent échapper une partie de
leur contenu naturel qui est remplacé par de la sérosité;
aussi forment-elles une masse rougeâtre et tremblotante. La
moelle des os n’est pas soustraite à ces modifications; elle di¬
minue notablement, ce qui donne une grande blancheur au
squelette préparé avec un animal mort d’inanition.
Les muscles, d’abord très-apparents, éprouvent ensuite une
véritable émaciation; ces organes s’atrophient et laissent voir
toutes les parties saillantes du squelette. Le cœur ne fait pas
exception à cette règle; au contraire, il perd plus, proportion¬
nellement, que les muscles striés de la vie animale. D’après les
calculs faits sur l’espèce humaine, le cœur d’un adulte perdrait
tellement pendant l’inanition que sa puissance serait réduite à
celle du cœur d’un enfant de huit ans.
Le sang diminqe peu à peu chez les animaux soumis à une
abstinence complète. Haller l’avait déjà constaté sur les gre¬
nouilles, et d’autres observateurs, après lui, ont écrit que le
corps des inanitiés est presque exsangue.
Lorsque l’eau n’a pas été supprimée, la proportion de ce
fluide augmente dans le sang; il en est de même, dans toutes
les circonstances, des matières salines qui proviennent de la
destruction des tissus; mais les globules subissent toujours une
perte considérable. — Denis note que le sang d'un jeune
homme contient ; ean, 710; globules, 154; matières salines,
grasses et extractives, 76. Après quarante jours de privation
d’aliments solides, le sang du même jeune homme est ainsi
modifié : eau, 804; globules, 11 1,9 ; matières salines et extrac-
INANITION.
6o
tives, 84,1 . Il paraît que parfois le sang n’éprouve qu’une dimi¬
nution de la masse des globules ; les éléments plastiques y se¬
raient même en proportion supérieure à la moyenne normale
(VTM. Colin et Wurtz).
D’après Collard de Martigny, la lymphe augmenterait pen¬
dant les quatre ou cinq premiers jours, ce qui déterminerait
un gonflement des vaisseaux lymphatiques. M. Colin n’a pas
observé un semblable résultat sur les animaux ruminants. La
lymphe, comme le sang, diminue graduellement par la priva¬
tion d’aliments.
Au milieu de ces tissus en train de s’atrophier, il en est un
qui se fait remarquer par son intégrité relative; il s’agit du
système nerveux. Les parties périphériques perdent fort peu,
et quant à la masse encéphalique, elle semble remplir toujours
exactement la cavité crânienne.
Voici, d’après Chbssal, le tableau des pertes proportionnelles
des principaux organes ou systèmes. On y voit que quelques-
uns éprouvent une diminution qui dépasse la moyenne de 0,4 ;
tandis que d’autres restent au-dessous et mênie beaucoup au-
dessous de ce chiffre;
PARTIES QVI PERDENT PLUS QUE LA PARTIES QUI PERDENT MOINS QUE
MOTENNE 0,4. LA MOYENNE.
Graisse. .
. . 0,933
. 0,397
î^ang. ^ .
. . 0,750
Pharynx, œsophage . .. .
. 0,342
Rate .
. . 0,71 4
. 0,333
Pancréas .
. . 0,641
U a! ne
, 0^319
Foie . .
. . 0,520
Appareil respiratoire. . .
. 0^,222
Cœur .
. . 0,448
Système osseux. . . . . .
. 0,167
Intestin .
. . 0,424
Yeux . . . .
. 0,100
Muscles locomotifs. . .
. . 0,423
Système nerveux. . . . .
. 0,019
Il est à noter que les tissus conjonctif, fibreux et cartilagi¬
neux n’ont presque rien perdu de leur poids : ils se rappro¬
chent, sous ce rapport, du tissu nerveux.
L’examen de l’appareil digestif fait constater des modifica¬
tions auxquelles on doit s’attendre.
L’épithélium de la cavité buccale s’est accru en épaisseur.
On a quelquefois observé sur l’homme la gangrène de la
bouche ; je ne sache pas qu’on l’ait vue sur les animaux.
'L’ estomac est complètement vide chez les carnassiers; il est
revenu sur lui-même; sa cavité s’est effacée, et sa muqueuse
offre un grand nombre de plis. Cet organe conserve encore des
X. 5
INANITION.
aliments dans le porc, le lapin et le cheval ; ses vaisseaux sont
flexueux; sa tunique charnue fasciculée; sa muqueuse est sur¬
tout plissée à droite , pâle dans quelques points , phlogosée
dans d’autres, jamais ou très-rarement ulcérée. — La masse
gastrique des ruminants conserve une grande quantité de ma¬
tières alimentaires. Le rumen renferme à la fin de l’inanitiation
les deux tiers des aliments qu’il contient à l’état normal; mais
cette quantité est insuffisante pour permettre la rumination, de
sorte que l’animal meurt, de faim avec plusieurs kilogrammes
de fourrage dans son estomac. Le réseau présente des matières
solides délayées dans une certaine proportion de liquide. Le
feuillet loge, entre ses lames, des aliments en tablettes dessé¬
chées et compactes. Quant ‘à la caillette, elle ressemble à l’es¬
tomac des carnassiers.
Vintestin grêle, revenu sur lui-même, est çà et^ là dilaté
et rétréci; il contient une petite quantité d’un liquide dont
les caractères varient suivant lés animaux; la muqueuse en
est plissée, enflammée, avec quelques stries sanguines à sa
surface.
Le gros intestin, surtout le côlon, est phlogosé dans toutes les
espèces; il est presque vide chez les carnassiers; mais il con¬
serve des matières plus ou moins épaisses chez le lapin, les ru¬
minants et les solipèdes ; chez celui -là, elles sont d’une teinté
brunâtre qui rappelle celle du méconium.
M. Colin décrit, de la manière suivante, l’état de l’appareil di¬
gestif d’un cheval vigoureux, mort après douze jours d’absti¬
nence absolue : « L’estomac contenait trois litres d’un liquide
trouble, jaune verdâtre, fétide ; l’intestin grêle, deux litres et
demi d’un autre fluide jaune d’ocre, alcalin et également fé¬
tide; le cæcum, quinze litres d’un liquide tenant en suspension
quelques parcelles alimentaires, et le côlon replié, vingt litres
de matières très-délayées, où les aliments entraient à peu près
pour un dixième. La muqueuse du sac droit de l’estomac était
évidemment phlogosée, celle de l’intestin grêle davantage en¬
core ; enfin, celle du côlon et du cæcum l’était très-vivement.
Cette dernière, recouverte de fausses membranes très-adhé¬
rentes, a ses follicules hypertrophiés. »
Le foie revient sur lui-même; son tissu est noir et ferme; ses
cellules sont privées de gouttelettes graisseuses.
V appareil urinaire est à peine modifié; nous avons constaté
une légère inflammation des reins. Quant à la vessie, elle peut
contenir encore une certaine quantité d’urine.
INANITION.
67
Une lésion remarquable, signalée par Magendie, est la perfo¬
ration de la cornée, chez les animaux qui périssent d’inanition.
Yelpeau a vu cette altération cinq fois sur des malades sou¬
mis à une longue diète ou bien à des émissions sanguines ré¬
pétées. Nous avons observé sur le lapin, non pas une perfora¬
tion de l’œil, mais un autre état pathologique de cet organe ;
dans les derniers jours de la vie, l’œil est devenu larmoyant ;
il s’est clos à demi, puis s’est fermé complètement par la sé¬
crétion d’une chassie blanchâtre, épaisse, qui se solidiOait au
contact de l’air.
Passons maintenant aux troubles fonctionnels qui sont d’une
très-grande importance.
EFFETS DE L’iNANlTION SUR LES FONCTIONS, OU MODIFICATIONS
PHYSIOLOGIQUES.
Toutes les fonctions sont plus pu moins modifiées pendant
l’inanitiation. En réfléchissant sur ces modifications^ on s’aper¬
çoit bien vite qu’elles se lient très-étroitement et que l’une n’est,
en quelque sorte, que la conséquence de l’autre.
Digestion. — Au début de l’abstinence, elle ne paraît pas
troublée. L’animal a des évacuations alvines qui prouvent que
l’intestin continue d’accomplir sa fonction. La quantité des
évacuations diminue rapidement, et bientôt, on en comprend
le motif, celles-ci disparaissent à peu près complètement ; mais
lorsqu’arrive la dernière période de l’inanition, ou remarque des
déjections bilieuses, fluides, une sorte de diarrhée colliquative
qui achève vite d’épuiser les inanitiés.
L’appareil digestif délabré par l’abstinence n’est plus propre à
remplir ses fonctions d’une manière parfaite. Tous les expéri¬
mentateurs ont remarqué que les aliments pris par les animaux
à une période avancée de l’inanition, n’étaient pas complète¬
ment digérés; une grande partie était, vomie. Ce ne serait donc
que graduellement et par une série de précautions que l’on
pourrait rétablir un être ruiné par l’abstinence.
Circulation. — Cette fonction s’affaiblit. Les mouvements du
cœur deviennent plus lents et moins intenses ; aussi le pouls
est-il rare, petit, filiforme, à peine perceptible. Il peut arriver
que la fièvre s’allume pendant l’inanition; le pouls est alors
très-fréquent, mais il reste toujours petit et misérable. L’aus¬
cultation des vaisseaux principaux laisse percevoir des bruits
de souffle, indices d’une profonde altération du liquide
sanguin.
68
IN4NIT10N.
Respiration. — La respiration subit dans ses phénomènes
mécaniques une modification analogue à celle de la circulation.
Les mouvements respiratoires deviennent de plus en plus
lents au fur et à mesure que l’abstinence se prolonge davantage.
Cependant, dans les derniers moments, la respiration est hale¬
tante, accélérée, souvent entrecoupée.
Le point qui intéresse le plus dans l’étude de cette fonction,
c’est la composition des produits exhalés par le poumon.
— L’air expiré renferme toujours une forte proportion d’a¬
cide carbonique et de vapeur d’eau, ce qui prouve que l’animal
continue à brûler les principes hydro-carbonés de sa propre
substance.
Boussingault, en observant une tourterelle placée pendant
sept jours au milieu d’une atmosphère à la température de T à
12°, est arrivé à cette . conclusion : que cet oiseau a exhalé, à
toutes les époques de l’expérience, la même quantité d’acide
carbonique dans un temps donné, et moins aussi pendant le
sommeil que durant l’état de veille, comme cela arrive dans le
cas d’alimentation normale. Ce résultat est bien capable de sur¬
prendre, surtout quand on songe que la température de l’ina-
nitié s’abaisse graduellement. On croit généralement aujour- ,
d’hui que la quantité d’acide carbonique exhalé par le poumon
diminue insensiblement pendant la durée de l’abstinence, et
même qu’elle cesse complètement aux dernières heures de la
vie, malgré la persistance des mouvements respiratoires.
Calorification. — Cette fonction est gravement atteinte et ses
modifications sont sans contredit les plus importantes qu’en¬
traîne l’abstinence.-
La température propre des animaux à sang chaud s’abaisse
au-dessous du chiffre normal. Cet abaissement de température
fut suivi avec le plus grand soin par Chossat sur les animaux
qui firent l’objet de ses expériences. Ce physiologiste a constaté
que la chaleur éprouve chaque jour une diminution moyenne
de 0%3. Dans les derniers jours de la vie, la diminution est
bien plus rapide ; à la fin elle se trouve dans la proportion de
103 : 1 . Enfin la mort arrive lorsque l’abaissement total de la
température est de 1 4 à 1 6® ; ce qui a fait dire à plusieurs per¬
sonnes que les animaux inanitiés mouraient de froid.
La diminution graduelle de la température pendant l’inani-
tiation se conçoit aisément, lorsqu’on connaît la cause de la ca¬
lorification. Il est évident que la chaleur produite dans un foyer
doit diminuer lorsqu’on cesse d’y mettre du combustible. Le
INANITION.
69
refroidissement rapide des dernières heures de la vie est attri¬
bué à la cessation des phénomènes de la respiration, non pas
mécaniques, puisque les mouvements persistent, mais chimi¬
ques, puisqu’il n’y a plus expulsion d’acide carbonique.
Les animaux privés de nourriture sont très-sensibles aux va¬
riations de température ; ils ont fait un pas vers les animaux
à sang froid et éprouvent, comme eux, une influence notable
de la température ambiante. Les sujets sains subissent une
simple oscillation diurne de 0»,74; tandis que les sujets inanitiés
présentent entre leur température du jour et celle de la nuit
une oscillation de 3“, 28.
Il est impossible de restituer par la chaleur artificielle la cha¬
leur perdue par ces malheureux animaux. Chossat a parfaite¬
ment remarqué que la caloricité ne s’acquiert que par la di¬
gestion, et que le réchauffement artificiel produit une chaleur
passagère qui ne tarde pas à diminuer et à disparaître com¬
plètement.
L’abaissement de température indiqué par Chossat, vérifié
depuis par plusieurs expérimentateurs, est-il absolument cons¬
tant? — Peut-être noi^ M. Colin a! vu, sur plusieurs espèces do¬
mestiques, que pendant une longue période d’abstinence, le
refroidissement n’avait pas dépassé 1 à 2“ Nous avons observé
un lapin qui vécut 2i jours sans aliments et dont la tempéra¬
ture, qui était de 34° quelques instants avant la mort, n’avait
varié pendant les 20 premiers jours qu’entre 38® S/1 0 et 40°.
Enfin Currie, cité par Muller, affirme n’avoir vu aucun abaisse¬
ment de température chez un malade qui mourut d’inanition
par suite d’une oblitération de l’œsophage.
Sécrétions. — Toutes les sécrétions sont modifiées par l’abs¬
tinence, soit dans leur quantité, soit dans leurs qualités.
L’urine coule avec moins d’abondance, et après quelques
jours, sa sécrétion est presque suspendue si les animaux sont
privés de boissons.
Mais le liquide urinaire renferme toujours ses éléments ca¬
ractéristiques; ainsi Lassaigne y trouve l’urée, chez un aliéné
jeûnant depuis dix-huit jours ; Boussingault y voit encore de
l’acide urique chez une tourterelle à toutes les périodes de
l’abstinence.
— Les fonctions sécrétoires de la peau sont troublées. L’ex¬
halation cutanée est diminuée; les sueurs sont plus rares,
moins abondantes; et ces derniers produits subissent probable¬
ment des changements physiques qui nous échappent chez les
70
INANITION.
animaux dont la peau est couverte de poils, mais qu’on peut
admettre par analogie. En effet, la transpiration est profondé¬
ment modifiée, chez Thomme, dans des. circonstances sem¬
blables. Voici de quelle manière Meersman nous dépeint cette
modification dans sa relation de la famine qui désola-les Flan¬
dres belges en 1846-1847 : « La peau était sèche, jaune, sem¬
blable à du parchemin ; l’exhalation qui, dans l’état ordinaire,
se fait sur toute la surface d’une manière insensible, s’opérait
dans ce cas par voie sèche. Les pores du derme rejetaient une
poussière visqueuse qui, s’accumulant et se concrétant, recou¬
vrait le corps d’une croûte noirâtre, pulvérulente et d’une féti¬
dité horrible. Il n’est pas un seul praticien qui n’ait eu occasion
d’observer ce fait. Souvent on attribuait cet état de la peau à la
malpropreté, au défaut de soins ; mais en y faisant plus d’at¬
tention, on était bientôt convaincu que c’était le résultat d’une
altération profonde des fonctions de l’enveloppe cutanée ; car,
dans les localités dont les ressources permettaient d’envoyer les
indigents à l’hôpital, on mettait ceux-ci vainement au bain ; à
peine les lotions avaient-elles purifié la surface du corps, que
quelques heures suffisaient pour qu’elle Sût de nouveau recou¬
verte par le produit de cette sécrétion anormale. Dans ces con¬
ditions, la peau laissait à la main qui la touchait une impres¬
sion âcre , mordicante et prolongée , et l’imprégnait pour
longtemps d’une odeur repoussante. »
— La lactation diminue rapidement et finit par s’arrêter tout
à fait.
— - Les sécrétions de l’appareil digestif ne sont pas également
influencées. La salive n’est plus fournie qu’en petite quantité ;
elle est épaisse et visqueuse. La production du suc gastrique est
suspendue. Il n’en est pas de même des sécrétions intestinales;
elles continuent avec une certaine activité et produisent, vers la
fin de l’inanition, cette diarrhée qui est l’indice de l’arrivée très-
prochaine de la mort. Le foie sécrète toujours de la bile; ce li¬
quide est versé par ondées dans l’intestin et reflue parfois dans
l’estomac ; chez les animaux pourvus de vésicule biliaire, il s’ac¬
cumule aussi dans ce réservoir au point de lui donner, sur le
V bœuf, le poids de 1200 grammes (M. Colin). La fonction glyco¬
génique du foie est plus gravement atteinte que sa fonction bi¬
liaire. M. Cl. Bernard a constaté que la production du sucre
dans la glande hépatique se maintient encore assez considérable,
pendant les premiers jours de l’abstinence ; mais elle diminue
rapidement dans les jours suivants, et paraît s’arrêter trois jours
INANITION.
71
environ avant la mort. Dans le foie des animaux morts d’inani¬
tion, on ne trouverait jamais de sucre. Le même résultat aurait
été observé sur les mammifères, les oiseaux et les reptiles ; il se
produirait plus ou moins rapidement, suivant la classe et aussi
suivant les conditions dans lesquelles les sujets seraient placés.
La disparition du sucre du foie serait due, d’après M. Colin, à la
disparition de la graisse des cellules hépatiques et des autres
points de l’économie. Si, d’après ce physiologiste, l’animal est
très-gras au commencement de l’abstinence et s’il meurt avec
une certaine quantité de graisse, on retrouverait encore du
glycose dans la glande hépatique.
Absorption. — Nous avons vu que la tension du système cir¬
culatoire diminuait pendant l’abstinence; cette sorte de vide
qui se fait à l’intérieur des vaisseaux augmente singulièrement
l’activité de l’absorption. Cette fonction est activée sur toutes les
surfaces ; elle est activée aussi dans l’épaisseur des tissus, té¬
moin la disparition rapide de la graisse et la résorption par¬
tielle du tissu musculaire.
Innervation. — Les fonctions du système nerveux sont-elles
troublées par l’inanition ? — Question difficile ou impossible à
résoudre par l’expérimentation ou l’observation sur les ani¬
maux.
D’abord, pour les fonctions des parties périphériques du sys¬
tème, on constate bien que l’animal réagit avec moins d’intensité
et de rapidité aux impressions douloureuses ; mais cette diffé¬
rence peut appartenir tout aussi bien à la faiblesse générale
qu’à un trouble des fonctions nerveuses. Si l’on passe mainte¬
nant aux fonctions dont le cerveau est le siège, telles que la voli-
tion, l’intelligence, on est obligé de sortir du champ des expé¬
riences pour entrer dans celui de l’observation sur l’homme.
Là, les difficultés augmentent, car on se trouve en présence de
faits contradictoires auxquels viennent s’ajouter encore les
variétés individuelles.
Les horreurs bien connues auxquelles se sont livrés des hom¬
mes affamés pendant des sièges ou après des naufrages ont fait
supposer que les facultés intellectuelles étaient troublées par
l’abstinence. On rapporte, à propos du naufrage de la Méduse^
qu’une moitié des naufragés voulurent, dans un accès de fréné¬
sie, briser le radeau qui les portait et engagèrent un combat à
mort avec ceux qui s’opposaient à leur projet. Quelques-uns
avaient des ballucinations bizarres ; ils apercevaient, comme
nos malheureux soldats mourant de soif en Égypte, une eau
72
INANITION.
fraîche et limpide qui fuyait sans cesse à leur approche. Enfin, '
tous les auteurs indiquent le délire parmi les symptômes de
la faim.
Ces exemples, ces assertions peuvent bien faire conclure en
faveur du trouble des fonctions cérébrales. Mais à côté d’eux
combien de faits contraires ne pourrait-on pas citer! Huit
mineurs renfermés cinq jours et demi dans une houillière con¬
servèrent le calme le plus parfait et affirmèrent, après leur
délivrance, n’avoir pas beaucoup souffert de la privation dè'
nourriture. N’a-t-on pas vu plusieurs fois des hommes condam¬
nés à la peine capitale promettre de se laisser mourir de faim
pour échapper à la honte de l’échafaud et tenir leur promesse.
On conserve, à Toulouse, le souvenir du cordonnier Granié.
qui vécut, dit-on, 62 jours en ingérant une grande quantité de
liquide, sou urine y comprise. Sa volonté ferme s’est donc main¬
tenue jusqu’au moment de son exécution ! — On connaît aussi,
par la publicité qu’on lui a donnée récemment, l’histoire du
Corse Viterbi, qui, condamné à mort pour vendetta, resta
depuis le 2 décembre 1821 jusqu’au 18 du même mois sans '
prendre d’autre aliment qu’un verre et demi d’eau et quatre
cuillerées de vin. Viterbi transmit le journal de ses sensations ;
quelques heures avant sa mort, il écrivait : «Je suis aü mo¬
ment de mourir avec la sérénité du juste. La faim ne me tour¬
mente plus et la soif a entièrement cessé. La tête a perdu sa .
lourdeur ; ma vue est nette et claire. Enfin un calme parfait
règne dans mon cœur, dans ma conscience,^ dans tout mon être.
Les courts instants qui me restent à vivre s’écoulent douce- .
ment de la même manière que l’eau d’un limpide ruisseau dans
une riante plaine. La lampe va s’éteindre, faute d’huile pour
s’alimenter.... » {Esquisses des mœurs et de l’histoire de la Corse,
par M. Sorbier, avocat générai, cité par Letourneau).
Gomment croire maintenant que les facultés intellectuelles ,
soient profondément troublées par l’inanition? La question est
donc très-compliquée. Néanmoins, en présence du délire famé¬
lique, des actes monstrueux, contre nature, auxquels se sont
livrés les affamés, il faut admettre un trouble des fonctions,
nerveuses, trouble relativement léger, en rapport, du reste, avec
les pertes anatomiques légères du système qui préside à ces
fonctions. Quant aux cas exceptiopnels où la lucidité, le calme
ont accompagné l’inanition, ils ont lieu de surprendre et doi¬
vent probablement être attribués à l’influence que la volonté,
le désir violent exercent sur les fonctions. Cette influence e si'
INANITION.
73
bien connue, elle varie dans ses effets suivant les individus, sui¬
vant les circonstances, mais à chaque instant elle produit des
effets surprenants,. Pourquoi ne pourrait-on pas l’admettre pour
expliquer ces faits exceptionnels ?
On s’est occupé plusieurs fois de déterminer la cause qui
mettait fin à l’inanition et jamais on n’a pu répondre d’une ma¬
nière brève et affirmative. Toutes les fonctions étant plus ou
moins modifiées, on comprend que la mort puisse en être la
conséquence ; mais au milieu de cet ensemble de troubles, on
ne saisit pas la cause principale.
On a beaucoup parlé de l’abaissement de la température.
Cette hypothèse réunit pour elle les plus grandes probabilités.
Par l’abaissement progressif de la température, la nutrition
s’arrête avant que tous les matériaux à brûler soient consom¬
més. On voit, en effet, dans les dernières heures de la vie, les
phénomènes mécaniques de la respiration se continuer sans être
accompagnés par les phénomènes chimiques dé cette impor¬
tante fonction. C’est là, bien certainement, une preuve que la
nutrition est suspendue. En résumé, l’inanition entraîne, des
modifications anatomiques et physiologiques d’une telle gravité
que la nutrition s’arrête et que la mort en est la conséquence.
Avant de passer à l’étude de l’alimentation insuffisante, nous
voulons examiner deux questions qui ont leur importance dans
ce sujet. Nous nous demanderons : î ° S’il existe un moyen de pro -
longer l’inanition au-delà des limites que nous avons assignées ;
2“ s’il y a une différence entre l’inanitiation et l’hibernation.
PEUT-ON PROLONGER LA DURÉE DE L’INANITION CHEZ LES SUJETS
PRIVÉS d’aliments? ;
L’individu soumis à l’abstinence vit sur ses propres tissus ;
il se mange lentement ; aussi ce mode de nutrition a-t-il reçu le
nom d’autophagie. M. Anselmier a reconnu, qu’il était possible
de reculer la fin de la vie chez l’animal privé d’aliments .en
le soumettant à un mode d’alimentation qu’il appelle autopha¬
gie artificielle. Le procédé de cet expérimentateur consiste à
faire de petites saignées à l’animal et à lui faire ingérer son
sang en guise d’aliments. Les saignées doivent être d’autant plus
faibles que l’on s’éloigne davantage du début de l’expérience.
Comme on le voit, ce mode de nutrition est bien encore l’auto -
74
INÂNITIÔN.
phagie, puisque les aliments sont pris à l’intérieur même du
sujet.
M. Anselmier a été conduit vers ce procédé, par cette consi¬
dération tirée de quelques expérienees : que la diminution de la
calorification provient de l’inactivité du système d’absorption
gastro-intestinale. Par son emploi, il lui a été permis d’aug¬
menter l’émaciation des inanitiés. Tandis que l’autophagie pure P
et simple ne permet pas une émaciation de plus des 5/1 0 pour
les sujets replets, des 4/10 pour les moyens et des 2/10 pour
les jeunes, M. Anselmier a obtenu, par son procédé, une éma¬
ciation des 6/10 pour les sujets replets, des 5/1 0 pour les moyens
et des 4 / 1 0 pour les j eunes.
Vautophagie artificielle peut donc pérmettre de prolonger
considérablement la vie. Elle pourra être, dans quelques cas
qu’il est difficile d’indiquer ici, mais dont on devine la possibi¬
lité, une ressource avantageuse.
EXISTE-T-IL UNE DIFFÉRENCE ENTRE LES EFFETS DE L’HIBERNATION
ET CEUX DE l’abstinence?
Les animaux hibernants , tels que le hérisson , la marmotte, etc. , ^
ne prennent aucune nourriture pendant leur sommeil ; ils se
préparent même à cette léthargie par un jeûne de quelques
jours. Sous ce rapport, ils ressemblent aux animaux soumis à
l’abstinence; ils leur ressemblent encore par un abaissement de
température, par un ralentissement de la respiration, de la cir¬
culation, etc. :
Néanmoins, il existe de grandes différences entre les effets de !
rhibernation et ceux de l’inanitiation. Un examen minutieux
montre que rhibernation est un phénomène physiologique,
tandis que l’abstinence, chez les animaux éveillés, est tout-à-
fait anormale.
Pendant le sommeil hivernal, les fonctions circulatoire et
respiratoire se ralentissent beaucoup plus que pendant l’absti- !
nence ; les pertes de ce côté sont donc moins grandes, aussi !
voit-on ce sommeil se prolonger beaucoup plus que l’absti- ^
nence. La température s’abaisse au-dessous du chiffre vers le¬
quel arrive la mort par inanition. Prunelle a vu des marmottes
dont la température interne était seulement de 5“. On s’étonne
que cette diminution de la chaleur animale soit compatible
avec la conservation de la vie. L’émaciation n’est jamais aussi
considérable par rhibernation que par l’abstinence ; elle dépasse
à peine 1/4 du poids initial. Ce qui démontre encore, que la
INANITION.
75
nutrition n’est pas altérée comme elle l’est dans l’inanition,
c’est qne le foie de l’animal vers la fin du sommeil contient
encore. une forte proportion de sucre. Valentin a trouvé sur une
marmotte, endormie depuis 39 jours, a peu près une aussi
grande quantité de sucre que chez des rongeurs à l’état normal.
Enfin, quelle différence encore dans l’énergie, dans la contrac¬
tilité musculaire : l’animal qui a. perdu le quart de son poids ■
par privation de nourriture peut à peine se soutenir ; tandis
que le hérisson, à son réveil, se livre à l’acte épuisant de la re¬
production avant de rechercher le moindre aliment.
9" De l’alimentation insuffisante.
Ce qui a été dit plus haut fait connaître quelle est la desti¬
nation des aliments. La ration sert à entretenir l’économie sans
perte ni gain [ration d’ entretien)^ ou bien encore, outre cet en¬
tretien, à fournir du travail, de la chair ou du lait (ration de
production).
La ration journalière a été déterminée. Prenant le foin
comme l’aliment type, M. Magne fixe la ration d’entretien à
1-,700 grammes de foin pour 100 kilogrammes de poids vif;
il porte la ration de production à 2,500 grammes pour les ani¬
maux qui travaillent médiocrement, à 3,500 pour ceux qui font
des travaux pénibles, et à 4,500 grammes pour les services très-
pénibles,
Lorsque les animaux, placés dans l’une des conditions indi¬
quées ci-dessus, ne recevront pas la ration correspondante à
leur condition, ils seront soumis à une alimentation insuffi¬
sante. Mis dans l’impossibilité de réparer, par le produit de
leurs digestions, les pertes qu’ils éprouvent journellement, ces
animaux seront obligés de brûler une partie de leur propre
substance.
L’alimentation peut être insuffisante par la quantité et par la
qualité.
Par la quantité. — Il est évident que l’alimentation d’un
animal sera insuffisante si, au lieu de recevoir 1 ,700 grammes
on 1,500 grammes, etc., de foin type, il n’en consomme plus
que 1,500 ou 2,000 grammes.
Par la qualité. — Ce mode d’insuffisance mérite quelques
explications. — Les parties assimilables (|e l’aliment se répar¬
tissent entre, les organes et la combustion respiratoire; elles
servent à la formation et à la rénovation de ceux-là et à l’entre¬
tien de celle-ci. Elles doivent, par conséquent, renfermer en
INANITION.
proportion définie des matières albuminoïdes, des sels et des
matières non azotées. Ainsi, la ration type de 1,700 grammes
pour 100 kilogrammes est bonne, parce qu’elle renferme 19^,58
d’azote, 64=,60 de corps gras et 6®, 80 d’acide pbospborique. Ce
sont ces derniers éléments qu’il faut prendre en considération
dans la composition de la ration. S’ils ne sont pas en proportion
voulue dans une ration, quel que soit d’ailleurs son poids total,
l’alimentation sera forcément insuffisante.
Cependant, il ne faudrait pas croire que l’on pût entretenir
un animal avec une substance qui présenterait, sous un très-
petit volume, la quantité d’azote, de graisse et de phosphates,
déterminée scientifiquement. On n’ignore pas que l’aliment doit
offrir un certain volume, afin de mettre l’appareil digestif dans
un état de distension qui lui permette de fonctionner active¬
ment. Le bœuf peut mourir de faim, s’il n’a pas dans sa panse
une quantité d’aliment suffisante pour faciliter la rumination.
EFFETS DE L’ALIMENTATION INSUFFISANTE.
Ils sont les mêmes que ceux de l’abstinence, à la rapidité
près. L’animal qui est privé d’une quantité suffisante d’élé¬
ments réparateurs, prend dans ses tissus ce qui manque dans sa
ration ; par conséquent, il doit présenter, après un temps va¬
riable, les symptômes de l’inanition. Ralentissement des fonc¬
tions, faiblesse, émaciation, tels sont les résultats d’une ali¬
mentation insuffisante. Ils arriveront plus lentement que par
l’abstinence, et plus ou moins vite, suivant le déficit de la ra¬
tion. Le temps nécessaire pour produire l’inanition, par une
ration insuffisante, est en raison inverse de la différence qui
existe entre la valeur nutritive de la ration type et celle de la
ration consommée.
On ne doit pas perdre de vue que les trois principes essen¬
tiels de l’aliment sont indispensables à la nutrition. Ils seront
toujours réunis ; pris isolément, même sous une masse capa¬
ble, en apparence, de remplacer les principes absents, iis n’en¬
traîneront que des conséquences funesfes. Magendie et Che-
vreul essayèrent de nourrir des chiens avec des substances
non azotées et de l’eau distillée; les animaux maigrirent et
moururent d’inanition le trente-quatrième jour. Tiedmann et
Gmelin obtinrent le même résultat sur des oiseaux. Ces der¬
niers expérimentateurs soumirent des oies au régime des prin¬
cipes immédiats non azotés; les animaux moururent encore
d’inanition.
' INANITION.
77
Il est certain que, si les principes organiques ne peuvent pas
entretenir les animaux, les matières minérales seules seront
loin d’atteindre le but. Néanmoins, ces matières doivent entrer
dans l’alimentation , principalement les phosphates calcaires.
Chossat, en privant des pigeons de matières calcaires, a vu ces
oiseaux maigrir et la nutrition de leur système osseux s’altérer;
les os devenaient tellement minces qu’ils se fracturaient sous
l’influence du moindre effort. D’un autre côté, Mouriès croit,
en se basant sur ses propres expériences, que la privation com¬
plète du phosphate de chaux, peut amener la mort avec tous
les signes de l’inanition, et que l’ingestion insuffisante de ce
sel fait naître les maladies du système lymphathique.
L’alimentation insuffisante est d’autant plus terrible, qu’elle
agit avec lenteur et que, lorsque ses effets deviennent appa¬
rents, l’économie est profondément détériorée. Non-seulement
l’alimentation insuffisante expose les animaux à contracter
toutes les maladies générales, mais elle agit encore sur les
fonctions comme cause affaiblissante, diminue la fécondité,
abaisse énorméiiient le cheptel, diminue aussi le rendement
sur les animaux de rente.
La vétérinaire manque d’une statistique assez complète et
assez détaillée qui permette d’étudier l’influence des années
pauvres en fourrages sur le cheptel; mais on peut préjuger par
voie de comparaison. Les statistiques de Messance et de Mêlier
ont montré que les disettes amenaient un abaissement dans le
cbiffre de la population. Pendant l’année de disette et celle qui
suivait, on observait un moins grand nombre de naissances.
De plus, par l’examen de la liste des conscrits dressée vingt ans
après, on pouvait s’assurer que la mortalité avait été plus
grande parmi les nouveau-nés.
APPLICATIONS A LA PATHOLOGIE.
On a vu que l’abstinence est un puissant modificateur dès
fonctions; aussi n’est-on pas surpris de la trouver parmi les
ïûoyens dont on se sert pour combattre les maladies. Par la
diminution de la masse du sang, le ralentissement de la cir¬
culation et de la respiration, l’abstinence peut lutter contre
f inflammation. Comme la privation de nourriture augmente
f absorption interstitielle ou l’absorption sur les surfaces, elle
constitue un procédé avantageux pour obtenir la résorption des
cpanchements et l’absorption de matières médicamenteuses.
78
INCUBATION.
1
Sous l’influence de la diète, on voit encore les plaies se des¬
sécher, les bords des ulcères s’affaisser, et les éruptions pâlir.
Par cela même que l’abstinence est une arme puissante, il
faut en user avec beaucoup de modération, afin que son action
bienfaisante no tourne pas en désastre; il faut encore savoir
l’employer à propos. Trop prolongée, l’abstinence affaiblit l’or¬
ganisme, le prive de sa force de réaction, et dès lors devient )
pour lui une cause de ruine. Si un dépôt purulent de mauvaise
nature existait dans un point de l’économie, l’abstinence, en
augmentant l’absorption, pourrait en faire rentrer le produit dans
le système circulatoire et entraîner des désordres très-graves.
Enfin, l’action de l’abstinence sur les absorbants étant connue,
on doit éviter, ce qui est du reste recommandé par tous les
hygiénistes, de conduire les animaux à jeun dans les lieux où
des miasmes dangereux pourraient infecter l’organisme en y pé¬
nétrant.
Toutes ces applications ne peuvent être qu’indiquées ici ; elles
sont ou seront traitées longuement dans des articles spéciaux.
s. ARLOiNG.
INCISION. Voir OPÉRATIONS.
INCUBATION. C’est ractiôn d’un oiseau qui se tient sur des
œufs pour en développer le germe, au moyen de la chaleur
qu’il leur communique, et mener ainsi l’œuvre du développe¬
ment jusqu’à son achèvement heureux, c’est-à-dire jusqu’à l’é¬
closion, jusqu’à la naissance des petits.
L’incubation est à ce fait ce que la germination est au com¬
mencement de la plante qui, après être sortie de la graine par
une sorte d’éclosion, aura à poursuivre en dehors son dévelop¬
pement ; elle est à l’oiseau ce que la gestation est aux mammi¬
fères, une période essentielle de la production des jeunes ou
des petits. On peut donc avancer, sans crainte de se tromper,
que l’incubation a pour but et aussi pour effet de maintenir,
sous la couveuse, les œufs à la même température que s’ils
étaient logés dans un organe intérieur, que s’ils étaient encore
dans le sein de la mère.
Je viens de nommer la couveuse. C’est l’appellation que, dans
nos basses-cours, les ménagères donnent à la femelle préposée à
l’incubation qu’elles désignent aussi par le terme de couvaison.
La femelle fécondée, celle qui porte en soi le produit de sa
conception, n’a point à s’en occuper. L’embryon se développe,
INCUBATION.
70
le fœtus arrive à terme en dehors de toute action ou de toute
participation consciente de la mère. L’œuvre s’accomplit mys¬
térieusement et physiologiquement comme tous les actes de la
-pie intérieure, comme une fonction qui n’emprunte rien à la
volonté de l’animal. -
Il n’en est plus ainsi de la couveuse. La fonction qui lui est
départie ne saurait être, ni physiquement ni physiologique¬
ment, remplie sans un consentement exprès de la femelle,
sans les dispositions spécialesou l’aptitude voulue pour l’amener
à bien. Aussi l’incubation ne saurait-elle être confiée qu’à bon
escient, sous peine de nombreux mécomptes.
Voilà qui justifie l’insertion de cet article dans ce diction¬
naire. ' .
En effet, la basse-cour a successivement acquis, dans ces der¬
nières années, une telle importance économique qu’il y a lieu de
lui accorder une grande attention, et de viser à lui faire rendre
tout ce qu’elle est susceptible de rendre. Aussi bien, comme
tout ce qui, au surplus, arrive à un développement considé¬
rable, après une prospérité presque inattendue, tant elle a été
large, facile, absolue, la basse-cour a connu les revers; l’épi¬
zootie a gravement atteint les nombres, et toutes sortes de mé¬
comptes venant à la suite ont porté quelque découragement chez
la ménagère. C’est à tort. Un peu plus de soins ou des soins un
peu plus attentifs que par le passé et toute trace d’insuccès dis¬
paraîtra.
L’incubation a sa part dans le succès ou les mécomptes de
l’élevage, une part très-notable : il faut en retenir ce qui est
avantage; il faut savoir en écarter les principales causes de
pertes. En rappelant toutes choses à la bonne pratique, on rap¬
pellera la basse-cour au plein succès de ses meilleures années.
Le désir de couver est à l’oiseau ce qu’est aux mammifères
l’instinct de la propagation. Pour si naturel qu’il soit pourtant,
il se montre à des degrés variables. Chez certaines feihelles, il
se développe, et s’exalte et s’élève à un tel diapason, il devient
un besoin si impérieux qu’il y a tout avantage à l’utiliser. Chez
d’autres, au contraire, il est moins accentué et souvent éphé-
uière. Celles-ci s’essaient volontiers à l’acte qui tend à la mul¬
tiplication, puis s’en détournent d’elles-mêmes ou pour peu
qu’elles se sentent violentées.
Les deux conditions peuvent tenir à la race et à l’âge des
femelles.
Il est des races très-aptes à l’incubation : elles couvent bien.
80 INCUBATION.
mais cette disposition à trop couder nuit beaucoup à la grande
production des œufs.
La question d’âge a son importance, même pour les femelles
les mieux disposées à l’incubation. 11 en est, sous ce rapport,
de nos oiseaux de basse-cour comme de nos mammifères; trop
de jeunesse est une cause certaine d’insuccès. Plus encore que
la gestation, l’action de couver éprouve fortement la femelle, et
celle-ci, dans nos espèces domestiquées, de la poule à la cane,
n’est réellement apte à tenir avec avantage le nid qu’à deux ans
révolus. Encore faut-il qu’elle ait un beau développement,
qu’elle se montre d’humeur douce, qu’elle soit richement em¬
plumée et de bonne santé, capable de bien couvrir tous les
œufs, de communiquer à tous et de leur conserver le degré de
chaleur nécessaire à la réussite et de résister pendant une longue
période à la fatigue, plus grande qu’on ne le croirait, d’un acte
physiologique qui n’a rien de passif.
Ce n’est pas, on le voit, à la première venue^parmi les cou¬
veuses qu’il faut confier le soin de mener à bien des œufs. Ici,
comme toujours, un choix judicieux doit présider aux sérieux
préparatifs de l’incuhation, et la couveuse la plus belle, la mieux
conformée et la mieux disposée, devrait encore être écartée si,
par aventure, elle avait les extrémités armées d’ergots longs et
pointus avec lesquels elle casserait immanquablement une par¬
tie des œufs, si adroite qu’elle puisse être par ailleurs.
Tout cela n’est pas aussi minutieux que la description sem¬
blerait l’annoncer. Minutieux ou non, cependant, il n’y a rien à
négliger, tout est indispensable.
A supposer que, dans le passé, la proportion des insuccès ait
été aussi élevée qu’elleFest aujourd’hui, elle avait en apparence
bien moins d’importance. Toutefois, il y a lieu de croire que
les mécomptes de l’élevage étaient réellement alors moins fré¬
quents et moins nombreux qu’ils ne le sont devenus, eu égard
à l’immense développement qu’a pris la population de nos vola¬
tiles; c’est d’ailleurs une règle générale.
En effet, plus rares sont les choses de cet ordre, en agriculture,
■ et plus facilement passent inaperçues les pertes qui les attei¬
gnent. Plus a grandi la basse-cour, plus se sont multipliés ses
habitants ou ses produits, et plus se sont accentués les non-
réussites ouïes sinistres. Une couvée manquée dans une ferme,
c’était comme la part habituelle du feu, on y prêtait à peine
attention. Mais dix couvées venant à mal, donnant seulement
le tiers ou le quart de ce qu’on s’en était promis, cela marque
INCUBATION.
81
et cela compte ; on se plaint, on regrette, on se lamente et Ton
se décourage, car le sinistre est plus gros qu’il n’en a l’air. Ce
sont d’abord nombre d’œufs complètement perdus, puis des
femelles qui rapportent peu et des élèves qui manqueront à la
vente. Tout cela creuse un nota’ole déficit dans les recettes, et
tandis que, par le fait, baissera le profit, ira toujours la dépense
sans la compensation voulue.
Pour le moment, cette situation est celle de la plupart de nos
basses-cours dont la prospérité a été si grande pendant quelques
années. Nous devons la rappeler, car les millions qu’elles ont
donnés à l’agriculture lui sont plus nécessaires que jamais:
elle reviendra si, aux soins généraux que réclament les espèces
en toutes lés conditions où elles peuvent être tenues, on ajoute
les attentions un peu plus minutieuses qui doivent entourer le
fait même de l’incubation. Voyons donc quels sont ici les points
essentiels.
En première ligne et comme point de départ, les qualités de
la couveuse, puis dans l’ordre naturel des choses : le choix des
œufs, la préparation du nid, les soins à donner à la couveuse
et les attentions que réclame l’éclosion des petits. En tout ceci,
nous pouvons prendre pour type la poule, notre poule domes¬
tique, qui, à raison même de son état de domesticité plus avan¬
cée, est de toutes les femelles de nos volatiles celle près de qui
nous intervenons le plus utilement. Pour elle, en effet, l’incu¬
bation est devenue, pour ainsi parler, un acte presque autant
placé sous la volonté de la main de l’éleveur que sous l’action
de la couveuse. Certes, nos poules ne couvent pas toujours lors¬
qu’elles semblent le désirer le plus ; elles ne tiennent pas tou¬
jours non plus volontairement le nid lorsque cela entrerait le
plus complètement dans nos vues. Si elles suivaient à leur guise
leur penchant à couver, elles pondraient peu. En trompant leur
instinct, en leur enlevant les œufs à mesure qu’elles les pro¬
duisent, nous les détournons dé l’incubation au profit d’une
ponte plus active et plus prolongée. Nous arrivons au même
résultat en développant leur aptitude à faire beaucoup de chair
et de graisse. Ceci encore est une condition normale, un fait
général plutôt,;une, règle : plus la faculté d’engraissement s’élève
et s’étend, plus se limite la fécondité. Suivant une loi de nature,
la machine animale ne gagne sur un point qu’en raison de ce
qu’elle perd sur un autre. Nos races gallines les plus aptes à
1 engraissement sont les moins portées à l’action de couver. Il
s en suit que Téleveur qui s’en tient à elles ou à l’une d’elles pe
X. , 6
82
INCUBATION.
trouve pas toujours dans son troupeau le nombre de couveuses ^
indispensable à Télevage. De là l’obligation de s’adresser à des ’
femelles étrangères à la race ou même à l’espèce, ainsi que
nous le dirons bientôt.
1“ Les qualités de la couveuse. — A moins de circonstances
particulières, je le répète, on ne permet pas à une poule de cou¬
ver avant qu’elle arrive à sa troisième année, et la recomman¬
dation n’est pas spéciale à la femelle du coq, elle s’attache aussi
bien à la dinde, àlajpintade, aux femelles de l’oie et du canard.
Les affaires de la reproduction ne peuvent être confiées qu’aux
adultes, aux plus forts bu aux plus complets, sous peine de n’ar¬
river à bien que difficilement et exceptionnellement. En ce qui
concerne plus spécialement la couveuse, celle-ci ne peut bien
couvrir la totalité des œufs que si elle a acquis toute sa crois¬
sance et toute son envergure. Très-probablement aussi, avant
de s’être élevée par l’état adulte à son plus haut point de vitalité
ou de puissance, elle n’arrive pas à développer ou à concentrer
sur la face ventrale du corps, en temps utile et en toute son *
intensité, le degré de chaleur qui doit être communiqué à tous
les œufs. Alors, et ipso facto, l’incubation ne marche pas à sa
pleine et entière réussite.
La question d’âge, emportant avec soi celle d’un complet déve¬
loppement du corps et d’une grande force de résistance aux
fatigues de l’incubation, prend ici, on le voit, une réelle impor¬
tance. Nous devions insister.
Beaucoup de jeunes ‘poules, bien nourries, à l’issue d’une"
ponte hâtive, cherchent prématurément à couver, sauf à rem¬
plir plus ou moins incomplètement cet acte, considérable en
soi. En dehors du régime qui les pousse, certaines races, la
cochinchinoise entre autres, sont particulièrement tourmentées
du besoin de l’incubation. Chez celles-ci, c’est une rage, c’est
comme une maladie qui sévit sur toutes et fait le désespoir de
la ménagère qui ne vise pas l’élevage seulement et voudrait, en
même temps que des poulets, abondante production des œufs.
D’autres races, au contraire, grandes et actives productrices de
viande grasse, sont peu fécondes et couvent peu.
Voilà qui établit ce fait, à savoir : une basse-cour doit être
peuplée dans le sens des vues qu’on sé propose spécialement et
diversement, suivant qu’on poursuivra plus ou l’élevage, ou la
production des œufs, ou la production de la viande.
La spécialisation va bien à certaines situations; le fait le plus
général pourtant s’attache à des résultats doubles. Dans la ma-
INCUBATION.
83
jorité des cas, on veut à la fois des œufs et des poussins, ün dit
alors à juste titre que si, dans une basse-cour, il faut des cou¬
veuses, pas trop n’en faut pourtant. La poule toujours disposée
à couver ne pond guère. Or, dans un troupeau entretenu en vue
d’une ponte active, ce qu’il faut surtout, ce sont de riches pon¬
deuses. La poule aux œufs d’or est . celle qui va souvent au
pondoir, non celle qui passe la plus grande partie de sa vie au
couvoir ou à le désirer.
Celle-ci, lorsqu’elle ne doit pas être utilisée sur un nid, doit
être soumise à un régime propre à la «dècouver» : il importe,
en effet, de la détourner, sans attendre, de la disposition qui
s’est établie en elle et qui, s’accusant de plus en plus, arrive
assez vite jusqu’au besoin impérieux. Lorsque celui-ci la pos¬
sède, il impose silence à tous les autres et déprime d’une ma¬
nière absolue la puissance productive de la grappe ovarienne.
On peut donc découver la poule à laquelle on ne veut pas
donner un nid. La disposition à couver venant d’une surexci¬
tation spéciale, le traitement à lui opposer rencontre ses moyens
dans une diminution très-notable de la ration, dans la priva¬
tion de la liberté, dans la substitution du régime herbacé ou
rafraîchissant à l’alimentation riche, substantielle et échauf¬
fante du grain. On retient donc la malade prisonnière sous une
mue placée en vue du troupeau; on met à sa portée de l’eau
potable, bien fraîche et, pour toute nourriture, on donne quel¬
ques herbages. Que si le traitement est appliqué, sans attendre,
à l’invasion même de ce qu’il nous faut bien considérer ici
comme un mal, la petite bête sera rendue en quarante-buit
heures à son état normal. Pendant la saison des grosses , cha¬
leurs, la surexcitation est plus violente et plus tenace et elle se
manifeste à l’extérieur par une sorte d’inflammation qui a son
siège à la surface ventrale du corps. On calme ce symptôme en
mettant la face ventrale de lapoute en contact avecT’eau froide;
on lui donne ainsi deux Ou trois fois le jour un bain partiel
très-rafraîchissant et très-efficace. Au sortir de ce traitement
facile, on rend la bête à la liberté et on la tient pendant quel¬
ques jours à l’écart ou séparée des autres, afin de ne pas la
rendre sans transition au régime échauffant des pondeuses.
Découver une poule est d’autant plus aisé, en général, qu’elle
appartient à une famille meilleure pondeuse ou plus apte à l’en¬
graissement. C’est d’autant plus mal aisé aussi qu’elle est d’ori¬
gine ou d’aptitude différente, et qu’on a laissé s’écouler plus de
temps entre la première manifestation du . désir de prendre le
84 INCUBATION.
nid et le moment où on Ta soumise au régime propre à la dé¬
couver.
C’est bien vraiment par les contraires qu’il faut traiter les
situations opposées. On peut bâter la disposition à couver ou la
faire . naître par un régime excitant auquel on mêle le cbènevis
et le sarrazin. Cependant, lorsqu’il s’agit de races mauvaises
couveuses et dont les poules sont si faciles à découver, il y a
souvent plus de sécurité pour la ménagère à confier les œufs à
une couveuse étrangère, à l’une de ces obstinées qui tiennent
le nid avec amour, et font réussir la couvée par les bons soins
qu’elles donnent aux petits après l’éclosion. Ceci est autre chose
encore. Telle couveuse opiniâtre n’est pas toujours la mère
la plus attentive et la pourvoyeuse la plus habile ou la
plus intelligente ; c’est le cas particulier de la cochinchinoise.
Celle-ci est une spécialiste n“ 1 . Elle pond vite et vite afin de
pouvoir couver ; mais quand les petits ont brisé leur enveloppe
et vivent dans le monde extérieur, elle ne sait pas entourer, avec
la sollicitude d’une vraie mère, de soins suffisants leurs pre¬
miers pas dans la vie. On dirait qu’elle a déjà d’autres préoccu¬
pations : on l’enlèverait à ses poussins qu’elle n’en éprouverait
pas un mortel chagrin. Elle enverrait volontiers en nourrice
ces chers petits auxquels elle a donné le jour, rappelant ces
femmes qui livrent d’un cœur léger à des mercenaires le fruit
trop peu chanceux de leurs entrailles,
A toutes les qualités que doit réunir la couveuse, . on peut
prendre une idée de l’importance qu’il faut attacher à la bien
choisir, sous peine de laisser trop large part aux mécomptes et
aux sinistres qui grèvent outre mesure les frais de l’élevage.
Soulignons donc les conditions nécessaires.
On veut la couveuse d’humeur douce, fortement développée,
bien emplumée, bien partagée aussi sous le rapport de la santé,
car l’incubation, rude besogne, impose de réelles fatigues. Par
contre, cela va de soi, on repoussera, en les découyant, les
farouches et les turbulentes qui tiendraient mal le nid ; les mal
emplumées qui n’auraient pas assez de chaleur pour la réussite
des œufs ; celles dont les pattes sont trop vigoureusement
armées et qui. casseraient immanquablement partie des œufs;
celles enfin qui, par suite d’un goût malencontreux, se permet¬
traient de manger des œufs encore frais et de dévorer ainsi
par anticipation l’espoir de la nichée.
Ce n’est pas seulement du nid, mais du troupeau que ces
dernières doivent être exclues et pour le tort qu’elles causent
INCUBATION.
85
et pour le mauvais exemple — celui-ci est contagieux — qu’elles
sèment autour d’elles. La gourmandise, on le voit, n’est pas ici
péché véniel. La poule doit pondre pour autrui et ne commettre
aucune infidélité de cette sorte. Toute faute du genre entraîne
fatalement la peine de mort. Sur ce point au moins, il n’y a
qu’une voix; la jurisprudence est constante et nul encore, en
pareille matière, ne s’est arrogé le droit de faire grâce.
Est bien facile à reconnaître la poule dont le désir de couver
s’empare. Elle va répétant, sans se lasser, le cri particulier
qu’on nomme gloussement et que traduit assez exactement ce
mot encore absent du dictionnaire — cloc-cloc. D’autres signes
accompagnent celui-ci; ils ont été observés et décrits par
M. Mariot Didieux, à qui il faut'ici donner la parole.
« La disposition à couver, dit-il, se manifeste par des phéno¬
mènes physiologiques qu’il est important de connaître. Le pre¬
mier de tous est un changement de voix : la poule glousse de
temps à autre ; elle se fait moins vagabonde, s’écarte moins du
pondoir, devient moins sociable, aime et recherche la solitude.
« Alors une espèce de chaleur se manifeste chez elle, mais au
lieu de se porter sur les organes génitaux, comme on le voit
Chez les femelles vivipares, cette chaleur se manifeste sur les
muscles pectoraux. En effet, si on explore cette région pendant
l’acte d’incubation, on y constate une élévation considérable de
température, une véritable inflammation incubatoire, occa¬
sionnée par un afflux sanguin ; la peau est plus rouge, et un
réseau vasculaire se développe dans le tissu cellulaire sous-
cutané.
« Ce réseau est d’autant plus facile à parcourir que la peau
de la poule est très-mince et presque transparente. Les plumes
tombent et la région se dénude. Ce n’est donc que par. besoin,
et ce besoin est imposé par la nature, que la poule couve et
cherche à couver ; elle- semble vouloir se débarrasser d’un sur¬
croît de chaleur que la nature accumule sur ses muscles pec¬
toraux en la communiquant à ses œufs et plus tard à ses petits.»
Les ménagères, même les plus soigneuses, ne cherchent à
constater le développement d’aucun de ces phénomènes, mais
elles leur donnent le temps d’arriver à leur apogée et elles sur¬
veillent avec quelque attention la ou les poules qui gloussent.
Elles les voient demeurer plus longtemps au pondoir avant d’y
abandonner les derniers [œufs de leur ponte, et, si elles s’en
approchent, elles ne sont pas surprises que les futures couveuses
se hérissent. Bientôt celles-ci gardent décidément le nid et se
86
INCUBATION.
laissent prendre sans sauvagerie, mais non sans témoigner à
coups de bec de la contrariété qu’elles éprouvent à être déran¬
gées. Celle qu’on estime être en pleine disposition est portée au
couvoir où on la dépose dans un panier tout prêt sur deux ou
trois œufs sacrifiés. Ce sont les œufs d’essai, que l’on conserve
à cet usage tant qu’il en est besoin, après quoi ceux qui ne sont
pas gâtés servent à l’alimentation des petits.
Pour une poule aussi bien préparée, l’expérience est courte;
mais lorsqu’on doit faire de nombreuses couvées, on recom¬
mande avec raison de donner les œufs'définitifs à plusieurs cou¬
veuses le même jour. La précaution est particulièrement utile
lorsqu’on n’est pas bien sûr des œufs dont on a fait choix.
Il faut alors forcer un. peu les inclinations pour hâter l’heure
de l’incuhation sérieuse et l’on met à l’essai les poules qui ne
seraient prêtes que deux ou trois jours plus tard peut-être. On
les prend comme on a pris l’autre, on les enferme (la tête sous
l’aile, après lés avoir légèrement enivrées en les forçant à avaler
un peu de vin et après les avoir un peu bercées pour les endor¬
mir) dans les paniers d’essai qu’on recouvre d’une pièce de
laine. On tient le local dans une demi-obscurité et dans un
silence absolu, puis on laisse les choses en l’état pendant vingt-
quatre heures.
Ce temps écoulé, on entre dans le couvoir, on ouvre avec pré¬
caution un panier, et l’on observe les façons de la poule. Si elle
se hérisse seulement, elle est bien près de couver avec assi¬
duité; mais elle peut se montrer quelque peu farouche encore
ou essayer de fuir, alors il faudra l’attendre. Dans tous les cas,
on la saisit adroitement avec les mains pour la porter sans bruit,
avec douceur, à la mue, où elle trouve son repas tout prêt. Dès
qu’elle a mangé et qu’elle s’èst vidée, on la reporte au panier
avec les mêmes attentions, en évitant toute brusquerie. On pro¬
cède de même à l’égard des autres, de manière que la cérémonie
se fasse pour toutes en même temps, et ne se prolonge pas outre
mesure.
En deux jours, en trois jours au plus de ce régime, sauf de
très-rares exceptions que savent prévoir les ménagères expéri¬
mentées, les poules les plus éloignées' de l’incubation sérieuse y
deviennent complètement aptes et tiennent le nid de façon à
assurer le succès de la couvée définitive.
Dans les grandes éducations, on place les couveuses éprou¬
vées sur leurs œufs par séries plus ou moins nombreuses, de
4 à H 2, en espaçant de trois à quatre jours l’installation de
INCUBATION.
87
chaque série. Et de celles-ci on en fait 6 ou 7. De la sorte, l’opé¬
ration s’accomplit en une quarantaine de jours. Commençant
fin mars, elle est toujours terminée vers la mi-mai.
Prenez toujours les couveuses parmi les poules de 3 et de
4 ans et ayez-en deux ou trois en réserve pour des éventualités
sans doute assez rares, mais contre lesquelles la prudence veut
que l’éleveur soit en garde. Une poule peut mourir sur ses
œufs : à ceux-ci on donne une couveuse de rechange et la cou¬
vée ne se ressent en rien de l’événement.
Voilà une assurance facile contre un sinistre possible.
L’époque indiquée comme la plus favorable dans les basses-
cours où les éducations ont une certaine importance peut être -
avancée ou reculée, pour quelques couvées précoces et pour
quelques couvées tardives. Celles-ci et cellesdà, pour réussir,
réclament nécessairement des attentions spéciales et plus sui¬
vies, mais les mêmes toujours.
— Ce n’est guère avant le milieu du mois de mai que la
dinde demande à couver. Elle le fait à la manière de la petite
poule ; elle glousse, et la face ventrale du corps se dénude en
s’injectant. Ses premiers désirs se manifestent avant même
qu’elle ait achevé sa ponte qu’elle terminera, si l’on veut, sur .
son nid d’essai. Malgré sa grande inclination à couver, il arrive
parfois que la dinde s’attarde. On la rapproche du moment
voulu par l’alimentatioH. au chènevis et au sarrazin, puis on
l’essaie après l’avoir enivrée en lui offrant de la mie de pain qui
a trempé dans l’eau-de-vie. Pour le reste, on se comporte en
tout comme il a été expliqué pour la poule.
—• L’oie est plus précoce, et c’est en mars que, d’ordinaire,
elle songe à couver ses œufs. On la voit alors transporter vers
le point où elle a décidé qu’elle établirait son nid les pailles et
autres matériaux grossiers qui en formeront en quelque sorte
la charpente, la construction extérieure. Si le lieu dont elle a
fait élection est convenablement placé et abrité, si la couveuse
doit y être en sûreté et tranquille, on n’a pas a intervenir ; on
peut la laisser arranger toutes choses à sa guise, quitte à mettre
plus à sa portée toute la paille nécessaire ou même à lui donner
un coup de main sans la troubler, pour compléter ou parfaire
son ouvrage. Mais si l’endroit où elle a commencé sa petite
installation n’a pas été heureusement choisi, onia porte ail¬
leurs en lui fournissant tout ce dont elle peut avoir besoin et,
en général, elle adopte le nouvel emplacement désigné à sa pré-
88 INCUBATION. 1
férence. Inutile de dire qu’il doit être en un point sec, chaud
et retiré.
— Bien mieux encore que l’oie, la cane poussée à l’incubation
cherche elle-même le lieu où elle construira son nid. C’est tou¬
jours eji un coin paisible et écarté où l’oiseau puisse être seul
et non dérangé. Toute l’attention à avoir ici consiste à décou¬
vrir le nid et à le placer, sans y toucher, sous la protection d’un
abri quelconque, soit une cage ou mue à poulets sous laquelle,
une fois par jour, on viendra mettre le boire et le manger né¬
cessaires à la couveuse.
— Je n’ai pas oublié la pintade. Si je n’en parle qu’en dernier
lieu, c’est que, de tous nos oiseaux de basse-cour, elle est bien
celui qui nous est le moins soumis. Plus sauvage encore que
civilisée ou conquise, la pintade a horreur du poulailler, d’une
habitation quelconque. Elle considère toujours celle-ci comme
une prison. Or, elle aime avant tout sa liberté. Aussi va-t-elle
pondre un peu loin, dans les luzernières ou dans les blés, ca¬
chant ou perdant ses œufs à l’aventure et réussissant peu ses
couvées. Aussi lui laisse-t-on rarement ses œufs. On la sur¬
veille, on tâche de récolter un à un les produits de la ponte et
on les confie généralement à la poule ordinaire.
Sans être précisément usuelle, la substitution d’une étran¬
gère à la couveuse naturelle n’a rien d’insolite. Elle devient
même parfois une bonne, une excellente pratique, un mode
utile et même nécessaire.
C’est ainsi que là où les poules, plus spécialement adonnées
ou à la production des œufs ou à la production de la viande, ne
couvent pas volontiers, on trouve avantage à donner ses œufs à.
la dinde, couveuse patiente, opiniâtre, adroite et mère jusqu’au
bout des ongles, c’est bien le cas de le dire, car, malgré son .
poids et ses grosses pattes, elle use, par amour pour la réussite ^
de l’œuvre, de telles précautions, en reprenant le nid, chaque ,
jour, qu’elle en casse plus rarement que la poule elle -même,
que la cochinchinoise surtout, la plus maladroite et la moins
avisée de toutes. La dinde est une couveuse précieuse pour les
‘œufs de Grèvecœur et de Houdan, deux races que la ménagère ^
n’a pas la peine dé découver.
Bien que la mère l’oie soit une admirable couveuse, on donne
parfois ses œufs à la poule. C’est le moyen qu’on emploie avec
succès pour prolonger là ponte et en accroître le produit.
On en use de même avec la cane pour deux ou trois raisons.
Celle-ci est la même que pour l’oie, une excitation à une ponte
INCUBATION.
89
plus abondante; celle-là est dictée par la nécessité de ne pas
abandonner les couvées de la cane qui se place juste assez bien
en général pour que les petits deviennent le plus souvent la
proie des rats, des chats et de tous ces dévorants en quête de
victuailles fraîches, quærentes quem dévorent; cette aütre enfin
que les œufs trouvés, et sauvés du naufrage, réussissent à sou¬
hait lorsqu’on les confie soit à une poule, soit à une dinde,
mais mieux à cette dernière que xingt-buit jours d’incubation
ne fatiguent pas, tandis que la poule, dont les œufs éclosent en
21 jours, fait vraiment un travail excessif lorsqu’elle est obligée
de prolonger autant son séjour sur les œufs de la couvée.
La durée d’incubation des œufs, dans chaque espèce, est
donc bonne à connaître ; la voici :
Poule ordinaire . 21 jours.
Pintade.' . . 25 —
Cane . . ... . . 28 —
Oie. . . .■ . . . 29 à 30.
Dinde . 30 à 32.
2“ Le choix des œufs. — On ne tirerait pas tout le parti pos¬
sible des qualités des meilleures couveuses si on ne leur con¬
fiait pas des œufs de choix. Comment distinguer les œufs les
meilleurs?
Aucun signe extérieur ne donne d’indication quant aux qua¬
lités héréditaires. Il devient donc très-important de se rensei¬
gner sur le mérite propre des pondeuses dont on mettra les
œufs en incubation. Des « plus beaux œufs » d’une médiocre
pondeuse ne naîtront que très-exceptionnellement sans doute
des poulettes d’une grande fécondité. Il y a donc autant d’in¬
térêt à savoir d’où viennent les œufs qü’on va placer dans un
nid qu’il y en a, par exemple, à connaître l’étendue des facultés
laitières de la vache dont la génisse doit, à son tour, être con¬
servée comme laitière abondante.
Les ménagères un peu expérimentées connaissent et les carac¬
tères qui signalent à leur préférence la bonne pondeuse et les
signes moins favorables qui marquent la poule dont la fécon¬
dité est peu active. C’est là une utile connaissance à la condi¬
tion qu’il en sera fait judicieux emploi : écarter de la basse-cour
les pondeuses médiocres, qui grèvent les frais d’entretien du
troupeau, et récolter en vue de l’incubation les œufs des poules
les plus productives, àl’âge de leur plus grande fécondité, voilà
à quoi doit servir le précieux enseignement de l’expérience.
90
INCUBATION.
Dans ce fait — la chose est tangible — se trouve le moyen d’a¬
méliorer rapidement un troupeau consacré à la production des
œufs, en ne le composant que de femelles en qui cette apti¬
tude, grâce à une sélection intelligente,, a été successivement
portée à son maximum, à sa plus haute puissance.
L’incubation a cela de particulier qu’elle permet de confier à
une couveuse quelconque, bonne ou mauvaise pondeuse, des
œufs choisis en dehors de toute relation avec elle-même. En
l’état de domesticité, l’action de couver est absolument indé¬
pendante de la production de l’œuf; en l’état dénaturé, au con¬
traire, la femelle couve exclusivement le produit de sa ponte.
C’est commettre une grosse faute à son propre préjudice que
de ne pas bénéficier de cette situation. Il faut donc prêter une
attention raisonnée à la récolte des œufs de choix qui doivent
être confiés aux couveuses. La petite peine que cela donne, les
petites précautions que cela impose ont une notable compen¬
sation dans ce résultat assuré : une plus grande proportion des
naissances et la naissance de petites bêtes qui seront bien
douées.
Ce dernier mot fait pressentir qu’il nous reste à donner d’au¬
tres explications. Les voici :
. En premier lieu, il faut viser à ne mettre dans le même nid
que des œufs du même âge et tâcher que les plus vieux n’aient
pas été pondus depuis plus de quinze jours. Je sais bien qu’à
ceci on pourrait trouver et le pour et le contre, et discuter à
perte de vue. A quoi bon au fond? La recommandation a son
grain de justice. Dans la pratique, on se trouvera bien de s'en
éloigner le moins possible. Les œufs de poule ne perdent pas
leur vitalité, j’allais dire leur faculté germinative, après quinze
jours de ponte; mais ils la conservent moins longtemps que les
œufs de l’oie ou de la cane — ceci est démontré — et l’on peut’
bien supposer qu’avant de s’éteindre cette vitalité va toujours
en diminuant. Au surplus , l’expérience, ce grand maître en
toutes choses, a dit ceci et nous le fait répéter ; Il y a plus de
certitude de réussite pour les œufs d’une couvée lorsqu’ils sont
. jeunes que lorsqu’ils sont vieux, et les œufs cessent d’être
jeunes lorsqu’ils ont dépassé la quinzaine.
Encore faut-il, pour qu’ils ne vieillissent pas avant l’âge, en¬
tourer leur récolte et leur conservation de quelques précau¬
tions beaucoup trop négligées.
Dès que vient l’époque habituelle de la couvaison, on en
prépare l’élément essentiel. On surveille de près les bonnes
INCUBATION.
91
pondeuses dont on récolte avec soin les œufs pour les mettre à
part dans une boîte placée sainement, en dehors de la chaleur
et de Thumidité. Cette boîte contient ou de la paille hachée
très-saine, ou du son ou de la charrée très-secs, dans lesquels
on enfouit les œufs à mesure qu’on les ramasse, et la chose se
fait doucement, de façon à préserver l’œuf de toute bousculade
ou de tout choc nuisibles ou mortels pour le germe. Une fois
là, on ne dérange rien, on ne bouge rien jusqu’au jour où
commencera l’incubation.
Ce sont, je l’ai déjà dit, les œufs des poules qui se trouvent
dans la période la plus accusée de leur fécondité qùi doivent
obtenir la préférence. Il faut néanmoins se bien garder de pren¬
dre, fussent-ils « les plus beaux, » ceux des poules ijii’on soup¬
çonnerait avoir été négligées par le coq;. Les sultanes favorites
ont peut-être bien ici des qualités cachées, mais on peut bien
supposer aussi que leurs œufs ont été sûrement fécondés. Il y a
de ce côté un écueil difficile à éviter. En effet, comment recon¬
naître les œufs clairs puisqu’aucun indice ne signale les autres?
A cet égard, l’obscurité est complète. Si l’on n’a pas perdu tout
espoir d’arriver à distinguer un jour — très-faible lueUr tOute-
fofs— l’œuf qui contient le germe d’un coq de celui duquel doit
naître une poulette, on n’en est pas encore à espérer qu’on
pourra repousser Tœuf infécond au profit de celui qui seul peut
être utilement couvé.
Les œufs clairs sont malheureusement très-nombreux. Mêlés
aux autres et ne réussissant pas, ils réddisent d’une manière
» assez notable le nombre des naissances, en trompant double¬
ment l’attente de l’éleveur. Effectivement, les oeufs clairs ne
présentent au goût aucune différence. Ils sont aussi bons pour
le consommateur, pour tous les usages domestiques que les
autres. Ils conviennent donc tout autant au commerce et con¬
stituent une perte sèche lorsqu’au lieu d’avoir été vendus ou
livrés à la consommation, ils ont tenu une place qu’il faudrait
ne pouvoir donner, sous la couveuse, qu’à des œufs fécondés.
Alors les couvées comptent moins de petits et les couveuses
n’ont pas été utilisées au grand complet, deux mécomptes pour
nn, en dehors de la perte sèche des œufs.
Tous les éleveurs doivent s’attendre et tous s’attendent, en
effet, à quelque déchet. Par avance donc, on fait, et sagement,
au feu sa part. Mais trop souvent les prévisions sont dépassées
et l’on signale des pertes qui atteignent au sixième ou même au
cinquième. Gela dépasse toute mesure pour les circonstances
INCUBATION.
ordinaires. Elles peuvent être réduites de moitié. Un tel résultat
est encourageant, mieux encore il est largement rémunérateur
pour un élevage intelligent et soigneux. S’il est vrai qu’on n’a
rien sans peine, il est vrai aussi que les éducations bien con¬
duites payent largement les attentions dont on les entoure.
Bien que la forme de l’œuf ne dise rien quant à ce qui ad¬
viendra de son contenu par d’incubation, il tombe néanmoins
sous le sens qu’il faut rejeter ceux qui ne mériteraient pas d’être
qualifiés « beaux. » Si vague que se présente ici l’épithète en
sa signification, elle exprime pourtant ce fait qu’on n’acceptera
ni les plus petits, ni les mal conformés. ' *
— Iæs femelles de nos autres oiseaux domestiques n’ont pas’
l’activité productive de la poule. Elles ne donnent leur œuf que
de deux jours l’un et s’ingénient à le cacher, se gardant bien,
comme la poule, d’annoncer par un champ de triomphe qu’elles
viennent de le déposer quelque part, ici ou là. Pour ne pas
courir le risque trop fréquent de perdre ou à peu près le pro-:
duit de leur ponte, les ménagères épient, surveillent, suivent
les pondeuses et découvrent le lieu on elles ont la prétention
d’accumuler mystérieusement leur ponte tout entière, puis de
la couver en toute sécurité. Il est bon qu’elles comptent ainsi
sans la vigilance de l’éleveur. Une fois reconnue la cachette, on
va la visiter en temps opportun. On y laisse le premier œuf au¬
quel on fait une marque et on enlève successivement les autres
pour les plonger, en un lieu sec et plus froid que chaud, dans
la boîte d’attente dont il a été déjà parlé. Tant que la pondeuse
trouvera un œuf, elle reviendra au même nid. On l’en chasse¬
rait, au contraire, en lui substituant un œuf de plâtre. Pas si
sotte la dinde, et l’oie se comporte de même. Prenez note de
l’avertissement, il en vaut ^eux.
3° La préparation des nids. — • Dès que l’on commence à ré¬
colter les œufs préposés à l’incubatiou', il y a lieu de se préoc¬
cuper de la pièce où l’on mettra les nids et les couveuses. On
la débarrasse dè tous les objets encombrants; on l’approprie
en toutes ses parties, on l’aère largement, longuement; on
réchauffe ; on prend en un mot toutes les précautions voulues
pour en assainir complètement l’atmosphère. On vide.les paniers
à incubation, on les secoue,, on les expose au grand air : on bat
et on étend au dehors les morceaux d’étoffe qui devront recou¬
vrir les œufs pendant que les couveuses prendront leur repas
quotidien.
Ces travaux de nettoyage sont tellement importants qu’ils
INCUBATION.
9,3
doivent se répéter encore avant que les couveuses prennent
possession des nids. On garnit alors, en nombre nécessaire, les
paniers de paille très-saine, fraîche et propre, flexible, brisée,
soigneusement et convenablement foulée. En cet état, elle forme
une couche assez ferme, sur laquelle treize œufs, placés les uns
près des autres, se tiennent à plat ou à peu près, sans s’entasser,
et restent continuellement et également en contact utile avec
la poule, qui elle-même éprouve moins de difficulté à les con¬
server intacts tout en les couvrant tous pour les amener à bien,
car son poids n’occasionne aucun dérangement lorsque le nid a
étéfaitavecun certain art. Bien qu’un peu d’habitude fàmiiiarise
très-vite la première personne venue avec la bonne manière de
faire, la ménagère habile et soigneuse ne se fie à qui que ce
soit pour la dernière main à mettre à cette importante besogne.
Elle ordonne, on lui prépare toutes choses, grosso modo, mais
elle achève ou mieux elle parachève. Elle ne manque pas de
s’assurer, par exemple, qu’un morceau de fer quelconque a été
placé au fond du panier, et toujours elle recouvre la surface du
nid d’une certaine quantité de plumes sur lesquelles elle place
et range avec soinTes œufs.
Quelques personnes rient de cette vieille ferraille placée sous,
le nid et traitent assez irrévérencieusement la chose : préjugé,
disent-elles, pratique ridicule et saugrenue que devrait oublier
ou stigmatiser l’écrivain réfléchi, à moins qu’il n’ait une expli¬
cation acceptable à donner de la nécessité de cette broche
rouillée ou de ces gros clous tordus et cassés, car il n’est pas
admissible qu’ils puissent faire là office de paratonnerre. —
Préjugé! c’est bientôt dit; une demande d’explication! c’est
aussi bientôt fait. En ce qui regarde ce diable de morceau de
^er, je n’ai en vérité aucune explication plausible à donner que
la constatation d’un fait, celui-ci : l’orage, lorsqu’il atteint une
certaine violence, tue les germes vivants des œufs ou les petits
dans leur coque en les paniers qui n’ont pas, sous le nid, la
ferraille en question. Celle-ci, au contraire, préserve de la mor¬
talité et lés petits et les œufs composant des couvées, placées
dans les conditions parfaitement égales d’ailleurs. Le fait est là.
Se vérifie-t-il toujours, dans toutes les circonstances? Je ne
saurais le dire. Les ménagères sont pour l’affirmative, préven¬
tivement, mais cela ne suffit pas. L’expérience doit être renou¬
velée si on veut avoir le dernier mot de l’affaire. En attendant,
te préjugé — fortune assez rare — n’entraînant après soi d’in¬
convénient d’aucune sorte, on petit tout au moins laisser sur
9i
INCUBATION.
ce point les ménagères à leur idée complètement inoffensiYe.
II y a quelque chose pourtant, et ce quelque chose ne doit
pas être passé sous silence. Ceux-là même qui trouvent absurde
le placement du morceau de fer, dans lè panier de la poule qui
couve, disent très-haut ou écrivent ceci : «L’expérience a appris
que, dans la fonte, les résultats d’éclosion sont plus certains. »
« L’expérience a appris, » je l’ai entendu dire, je l’a-i lu comme
tout le monde, mais je n’ai vu nulle part la constatation des
résultats annoncés. A mon avis, les deux se présentent ex œquo,
sans plus d’étai l’une et l’autre, à l’esprit du juge impartial. Me
mettant au lieu et en la place de celui-ci, je renvoie les parties
et demande une enquête, c’est-à-dire des expériences sérieuses
et déterminantes.
Mais j’ai un mot à dire des coüvoirs en fonte. Loin de pousser
au remplacement des paniers par eux, je les repousse comme
étant plus froids, et l’élasticité de l’osier 'me semble en réalité
préférable en l’occurrence à la rigidité du métal.
Le meilleur argument à opposer aux ménagères relativement
à leur ferraille est sûrement celui-ci : en l’état de nature, les
oiseaux ne mettent point de fer dans leur nid et l’orage ne tue
pas leurs petits dans l’œuf. L’orage ne tue pas tous les petits dans
leur coque, mais il en tue quelquefois, ainsi que me le disent
des souvenirs éloignés. Après certains orages et de violents
coups de tonnerre, visitez les nids de moineaux, d’hirondelles,
de pigeons même, et vous constaterez de nombreux sinistres.
On ne sait pas toujours bien ce qui se passe dans les affaires de la
reproduction en l’état d’indépendance absolue ; et celui-ci vrai¬
ment ne doit être invoqué qu’à bon escient. Au surplus, tout
n’est pas comparable entre ces deux conditions si diverses —
l’état de nature et la domesticité.
La substitution des vrais œufs aux œufs d’essai se fait, cela
va de soi, à l’heure du repas de la couveuse. On reforme le nid,
s’il a été quelque peu dérangé, et on y place treize œufs avec
les précautions déjà indiquées : « Les douze apôtres et Notre-
Seigneur, » dit la tradition,
Qu’est-ce encore que ce chiffre 13? Pourquoi pas 10 ou 11 ou
12? Pourquoi pas U ou 15 ou 16 ou même 20, comme on le
trouvera en certains livres? Tout simplement 13 parce que
la poule ordinaire, placée sur les plus « beaux » œufs de sa
propre race, ne peut bien étreindre et couver complètement avec
succès que ce nombre d’œufs de la grosseur de ceux qu’elle
pond elle-même. En donner moins, ce n’est pas utiliser au-
INCUBATION.
95
tant qu’on le peut la couveuse ; én donner plus, c’est courir le
risque de ne les voir réussir qu’en partie, puisqu’elle ne peut les
couvrir également tous. La couveuse ne demeure pas inerte sur
ses œufs, il s’en faut. Elle les arrange conformément à son ins¬
tinct et les change d’autant plus souvent de place qu’on lui en
a confié un plus grand nombre. Tous sont égaux devant son
incommensurable sollicitude. En tous elle veut faire pénétrer
une même quantité de chaleur et les maintenir à la même tem¬
pérature. La réussite est à ce prix ; la couveuse a charge de succès.
Delà cette œuvre laborieuse,' malaisée, de déplacer, de changer
et de replacer successivement tous les œufs de la couvée en la
mesure la plus heureuse et la plus favorable à chacun. Et ce
n’est là, croyez-le, ni une mince besogne ni une petite fatigue.
Qu’au lieu d’être constante, l’incubation soit suspendue mo¬
mentanément, à tour de rôle, par inadvertance ou par impos¬
sibilité de couvrir tous les œufs à la fois — et voilà la couvée
fortement compromise. L’inquiétude aussi qui s’empare de la
couveuse la plus fidèle, lorsqu’elle se sent insuffisante, contri¬
bue à la détourner de l’entier accomplissement de ses devoirs.
En l’état de nature, les femelles ne couvent pas les œufs
clairs ; elles les poussent hors du nid dès qu’elles ies ont pondus.
C’est le cas de la pigeonne dans nos volières. On pourrait croire
que certaines poules ne cassent que les œufs inféconds qui ont
pris place dans la couvée. Toutes assurément n’ont pas con¬
servé en l’état de domesticité ce merveilleux instinct; mais
celles-là cessent de couver avec rage et désir de plein succès
qui ont compris qu’elles s’adonnent à une œuvre incertaine ou
manquée.
En toutes les espèces, le nombre des œufs à couver est limité
par Taptitudè de la couveuse. Notre poule n’est guère apte à
couver que 13 œufs bien choisis parmi les plus gros qu’elle-
même peut pondre.
Il n’y a donc rien de cabalistique dans le nonibre 13 qui est
devenu, au contraire, le nombre normal, rationnel.
Sur le devant du panier à incubation, il est bon d’attacher
une étiquette portant la date du jour où la couvaison commence
et le quantième naturellement fixé pour l’éclosion. C’est un
simple memento; mais il a pour avantage de décharger la mé¬
moire de foute préoccupation inutile et fait que, ne pouvant
rien oublier, on est prêt à tout.
^ On fait souvent couver les œufs de poule par la dindonne;
J ai dit dans quelles circonstances. Celle-ci d’ailleurs est cou-
96
LNCÜBATION.
yeuse si déterminée qu’on lui confie volontiers toute espèce
d’œufs, ceux de la pintade," ceux de l’oie et ceux de la cane.
Mais la poule aussi est parfois employée à l’incubation des
œufs de ces diverses espèces, moins ceux de la dinde toutefois.
Alors on mesure le nombre à la grosseur, c’est ainsi qu’on ne
peut mettre sous elle plus de six œufs d’oie, par exemple. En
thèse générale, je n’approuve pas ces substitutions. Il ne faut y
avoir recours que dans des cas de réelle nécessité. La durée de
l’incubation est moindre chez la poule que chez toutes. Ce fait
seul lui impose une fatigue pour laquelle elle n’est pas faite. Et
puis la différence dans les habitudes et dans la manière de
vivre devient une cause de torture morale qui est, elle, une
autre épreuve fort rude.
Quant à la durée de l’incubation, la dinde se trouve dans de
meilleures conditions. Aussi lui confie-t-on volontiers des œufs
étrangers, et presque toujours elle les mène à bien jusqu’à
l’éclosion. Mais alors reste cette grosse affaire d’habitudes et de
mœurs différentes.
L’arrangement du nid de la dindonne ne nécessite, au sur¬
plus, aucune préparation particulière. La principale attention
consiste à le placer sainement, au sec et au chaud, ou tout au
moins à l’abri du froid. On l’arrange d’ordinaire sur des brins
de menu bois ou de bruyère qui forment une première couche
sur le sol. On tortille de la paille attachée en rouleau, on la
façonne en rond et on la pose sur la paille qui recouvre le menu
bois. On évite de la sorte un creux trop profond dans le milieu,
et les œufs se trouvent plus .à l’aise, mieux rangés que sur une
surface trop concave. Ce mode a en outre l’avantage de sépa¬
rer complètement les femelles qu’il faut tenir à une certaine
distance les unes des autres pour éviter toute taquinerie et toute
tentative de vol entre elles. Le sentiment de la maternité est si
prononcé chez les poules d’Inde que, couvant en compagnie, la
plus forte parvient souvent à soustraire à ses voisin es quelques-
uns de leurs œufs. Elle accumule ainsi au-delà de ce qu’elle
peut réussir et n’en laisse point assez aux autres. Mais, l’in¬
convénient ne se produit guère quand les œufs du nid sont
assez espacés pour que les bêtes se trouvent bien chacune
chez elles.
Nos poules ordinaires sont assez disposéés aussi à se disputer
leur nid au moins dans les premiers jours de l’incubation. On
prévient le fait en employant des paniers couverts, dans lesquels
elles se tiennent à merveille, le dessus étant façonné de ma-
INCUBATION. 97
nière à ce que l’air arrive en suffisance pour les besoins de la
respiration.
Lorsqu’on permet à l’oie de couver, on rapporte dans le nid
qu’elle a confectionné elle-même, sous . la surveillance de la
ménagère, tous les œufs qu’on en avait enlevés au fur et à
mesure de la ponte. On les place les uns près des autres avec
les précautions ordinaires, en ayant soin d’agir ainsi dès que
la femelle, ayant terminé sa ponte, se montre disposée à tenir
sérieusement le nid.
On agit de même envers la cane; mais on laisse rarement
couver celle-ci. On lui substitue ou la poule ordinaire ou la
dinde, et je me suis déjà expliqué en ce qui touche ces mères
d’emprunt dont les canetons ne comprennent ni le langage ni
les façons d’être, étrangères à leur propre instinct.
Quant à la pintade, qui est allée à l’aventure et qui tient les
œufs pondus en cachette, il n’y a pas à intervenir sous peine de
lui voir quitter tout aussitôt le nid à la façon de tous les oiseaux
qui ont conservé l’instinct de l’indépendance. Il n’est pas cer¬
tain qu’elle mène à bien sa couvée, tant de causes de dérange¬
ment peuvent survenir I Mais il est bien plus certain encore de
la voir'sombrer si on y met la main, si peu. que ce soit. On a
accusé la pintade de ne savoir pas couver et d’être peu atta¬
chée à ses petits. Les deux reproches ne sont rien moins que
fondés en l’état de nature. Ce qui les justifie en état de domes¬
ticité, c’est qu’elle n’est encore conquise qu’à demi.
4“ Couveuses et couvées. — Dans l’application des soins que l’ex¬
périence a fait reconnaître comme nécessaires, chaque fois que
i’éieveur intervient dans les affaires de l’incubation, la ména¬
gère agit empiriquement. Elle fait de la science pourtant, mais
à la façon dont M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir,
si elle suit de point en point les prescriptions utiles à la bonne
réussite des couvées. Nous pouvons aller plus loin ici et dire que
l’existence d’une certaine quantité d’eau dans l’atmosphère est
indispensable aux succès ; que l’air trop sec est nuisible, au con¬
traire, en déterminant la dessiccation des parties liquides de
l’œuf par une transpiration trop active.
Pendant l’incubation, les éléments constitutifs de l’œuf ne se
transforment en un être vivant que par suite de phénomènes
physiologiques que nous n’avons ni à pénétrer ni à expliquer à
celte place ; mais il est bon de savoir que la coque joue en tout
cela un rôle important que rien ne doit entraver. Elle est, on le
sait, comme toutes les enveloppes des corps vivants, percée de
X. 7
98
INCUBATION.
ces myriades de petits trous qu’on appelle des pores. C’est par
cette Yoie que s’échappent le liquide aqueux et certains gaz que
l’œuf doit perdre, par cette xoie aussi que pénètre la quantité
d’oxygène nécessaire au travail organique qui, sous l’influence
de la chaleur, s’accomplit dans l’œuf fécondé. A cet égard, donc,
la principale fonction de la coque est de régulariser, de modé¬
rer l’échange de matériaux qui se fait naturellemeht de dehors
en dedans de l’œuf et réciproquement de dedans en dehors, et
les attentions qu’elle réclame se bornent à favoriser autant que
possible, ou du moins à n’entraver en rien les effets ordinaires
de la porosité. Or, le manque d’air , ou le défaut ou un excès de
transpiration deviennent contraires à l’évolution organique, et
les gaz irrespirables tueraient l’embryon ou les petits dans leur
coque aussi sûrement que s’ils étaient nés à la vie extérieure.
Ces connaissances acquises, on doit comprendre la nécessité
de veiller à ce que le couvoir ne laisse jamais rien à désirer sous
le rapport de la salubrité. La température doit y être élevée et^
maintenue entre 17 et 19“ centigrades. IJ n’y faut ni trop de sé¬
cheresse, ni froid, ni chaleur.
Maintenant que la couveuse est à son poste, il n’y a plus à tou¬
cher à rien, ni pour un motif ni pour un autre. Si on a bien fait
toutes choses, on a rempli les conditions voulues, il n’y a plus
qu’à abandonner la couvée à l’œuvre de la future maman. C’est
elle qui retournera ou déplacera les oeufs à sa guise, et comme
il conviendra. Si par hasard elle en casse, accident assez rare
d’ailleurs, on se borne à enlever minutieusement les débris et
les saletés.
Cette opération s’accomplit, est-il besoin de le dire, tandis
que la couveuse prend son repas quotidien. Ceci est affaire con¬
sidérable. Voyons comment elle doit être traitée.
C’est au moment le plus chaud de la journée, de onze heures
du matin à deux heures de l’après-midi, qu’on met les couveuses
à même de prendre leur unique repas. Lorsqu’il y en a un cer¬
tain nombre au couvoir, on a dû préparer une mue qui est leur
salle à manger, et aussi la nourriture et le boire, placés à l’a¬
vance devant chaque case, bien nettoyée toujours. Ainsi, l’une
des augettes a été remplie d’eau purent fraîche; l’autre contient
un mélange de blé et d’avoine, ou d’orge et de sarrasin, ou de
quelques autres graines, de façon à varier l’alimentation : tous
les deux ou trois jours même, on ajoute un peu de verdure : sa¬
lade, mouron, oseille, épinards,^ coupés menu et mêlés de son
mouillé aün de prévenir réchauffement.
INCUBATION.
On entre avec précaution dans le couvoir où tout doit se pas¬
ser avec ordre, sans bruit, sans brusquerie aucune. On ouvre un
panier — si on a cru devoir le fermer, ce qui vaut mieux — et
on saisit avec ménagement la poule, de façon à ne rien déran¬
ger du nid, on la place avec douceur sous un bras, on couvre
les œufs de la pièce de laine affectée à chaque panier après avoir
vu que tout est bien, et on porte la couveuse à la mue où elle ne
restera pas plus de quinze à vingt minutes.
Il faut pourtant s’assurer qu’elle mange et se vide, deux né¬
cessités égales qui ne sont pas toujours remplies au début. Il
est des bêtes tellement absorbées, en effet, qu’il faut les secouer
un peu pour les éveiller aux sensations extérieures, et d’autres
qui, capricieusement, se refusent à prendre de la nourriture à
travers les barreaux de la mue. Il se présente d’autres petites
difficultés encore qu’une ménagère intelligente sait surmonter,
et auxquelles elle obvie toujours avec plus ou moins de certitude.
Et c’est là précisément ce qui assure le succès, car tous les pe¬
tits ennuis des premiers jours disparaissent sitôt que, traitées
avec douceur, les couveuses ont compris les exigences de la si¬
tuation.
Il en est, par exemple, qui ne se gênent pas pour se vider dans
le nid. A celles-là, dont les pattes ont ordinairement été salies,
on fait la leçon en les leur essuyant. L’opération, qui ne leur
plaît qu’à demi, leur donne de la mémoire. Apprenant qu’elles
seront levées et libres chaque jour à la même heure, elles régu¬
larisent leurs habitudes et ne commettent plus aucune incon¬
gruité. Il est bien entendu que le nid qui a été sali doit être net¬
toyé avec tous les ménagements voulus.
Le retour au panier s’effectue avec les mêmes précautions.
On examine les pattes pour les essuyer si quelque malpropreté
s’y est attachée pendant le repas. La poule est doucement re¬
mise sur ses œufs et de nouveau renfermée dans son nid.
La manœuvre est la même pour toutes.
Dans les éducations moins considérables, si la couveuse est
fidèle et remplit bien son devoir, on ne l’emprisonne pas dans
le panier qui reste ouvert; on met de l’eau et du grain à portée
et en vue. Alors, la poule se lève seule et agit librement quqnd
vient le besoin.
Cette méthode, très-simplifiée, implique néanmoins une cer¬
taine surveillance, car les plus ardentes à couver se laisseraient
mourir.de faim plutôt que de quitter le nid. Quelques autres,
c’est bien plus rare, pourraient prolonger outre mesure la ré-
100
mCUBÂTION.
création autorisée. Il y aurait lieu de rappeler celles-ci à leur
mission et de les contraindre à reprendre leur nid, dont elles ne
peuvent demeurer absentes pendant plus de vingt-cinq à trente
minutes sans inconvénient pour le résultat final.
Je passe sous silence une opération très-délicate, celle du mi¬
rage des œufs. Elle demande de grandes attentions et n’a, en dé¬
finitive, que de minces avantages à supposer qu’elle n’ait pas
les inconvénients qui peuvent en être une conséquence néces¬
saire. Ne la conseillant pas, je ne m’attarde pas à la décrire, et,
m’abstenant, je demeure fidèle à scette recommandation de la
prudence : nïntervenir que le moins possible dans les affaires
de l’incubation et reporter tous ses soins sur le choix des œufs
et la stricte observance de toutes les précautions minutieuse¬
ment indiquées jusqu’ici.
On gouverne la dindonne exactement comme la poule ordi¬
naire. Ou on la lève pour la laisser, vingt à vingt-cinq minutes,
sous une mue où elle trouve à boire et à manger, ou, plaçant à
sa portée, chaque jour, les éléments du repas, on. la laisse se
lever seule, sauf à surveiller ses faits et gestes.
De l’oie qui couve on ne s’occupe que pour lui apporter des
^\aliments une fois par jour. On a tout à gagner à permettre à
!^celle-ci d’administrer ses affaires elle-même, ce qu’elle sait
^perveilleusement faire sous la protection très-attentive du jars
^/(jui, dès lors, ne la quitte plus.
La cane qui couve dans le nid qu’elle s’est construit elle-
même, et qu’on a placé sous la protection d’un abri quelconque,
reçoit de même sa ration journalière et rien de plus.
On le voit,des grandes attentions, les précautions utiles pré¬
cèdent toutes l’heure de l’incubation. Celle-ci ne nécessite plus
que ces deux choses qui se confondent, — nourrir et surveiller
la couveuse.
L’éclosion. — A la fin de l’incubation, la couveuse redouble de
zèle et d’attention. Ce ne serait pas le cas de la négliger. Elle a
entendu la voix de ses petits; il lui tarde de les voir sortir de la
coque et ne quitte le nid qu’à regret, puisque c’est la chaleur
qu’elle leur communique qui les mûrit et leur donne, à l’heure
venue, la force de briser l’enveloppe sous laquelle ils sont cap¬
tifs. Cependant, la ménagère sait qu’elle ne peut rien pour eux ;
elle attend donc, à la fois anxieuse et patiente, si les couvées
sont nombreuses’ et constituent en somme une opération impor¬
tante. Et elle a bien raison de ne pas se montrer pressée, car il
n’y a lieu à rien précipiter. La nature agit comme il convient et
INCUBATION. 101
dans la mesure du temps voulu. Toute manœuvre prématurée
est fatale et détermine des pertes bien faciles à prévenir.
Connaissant les dates, puisque chaque panier les porte, on re¬
double de précaution quand, au jour fixé pour l’éclosion, on
vient au couvoir pour lever les poules à l’heure accoutumée.
Avant de les soulever du nid, on étend doucement les ailes où
peuvent se trouver, soit les premiers nés, soit des œufs. Il ne
faut froisser, heurter ni ceux-ci ni les autres.
Pendant que la mère est au réfectoire, on retire du panier
tous les fragments de coquilles, et, lorsqu’on la rapporte au nid,
on a enlevé doucement les petits placés pour un instant dans
une corbeille remplie de plumes ou d’ouate, on la remet sur les
œufs qui restent, puis, et sans attendre, on glisse par devant les
petits qui savent bien aller se placer tout seuls ! -
Sans cette précaution nécessaire, nombre de poussins seraient
écrasés.
Il n’y a rien à donner pendant vingt-quatre heures aux petits
qui viennent d’éclore ; ils peuvent même attendre la nourriture
pendant deux jours entiers, ce qui donne à toute la couvée le
temps d’éclore. Mais s’ils se passent facilement d’aliments, ils ne
sauraient se passer de la vive chaleur que leur communique
alors la maman; yelle leur est indispensable, au contraire, et
semble mettre le sceau à l’incubation qu’elle prolonge. Cette
faculté d’abstinence, propre aux poussins, tient à ce que, peu
avant l’éclosion, tout ce qui reste dans l’œuf de substance nutri¬
tive entre spontanément dans ses viscères. Il n’est pas à jeun
en venant au monde et voilà d’où vient qu’il a plus besoin tout
d’abord de chaleur que d’aliments.
Quand l’éclosion se fait en même temps dans plusieurs pa¬
niers, on peut réunir les premiers nés sous une même couveuse
à qui on enlève alors les œufs non éclos pour les placer avec
précaution sous plusieurs autres. On s’y prend de la même ma¬
nière, après l’avoir remise dans le nid, on lui glisse les petits
par devant, et on peut lui en donner jusqu’à quinze.
Opérant ainsi chaque jour, on finit par avoir une dernière
couveuse sans poussins, on la rend immédiatement à la vie
commune et sa ponte recommencera dès qu’elle sera remise des
fatigues de l’incubation .
Quelquefois, si elle paraît en santé et vigoureuse, on lui rend
sans attendre de nouveaux œufs, et on lui impose une seconde
couvée. A mon avis, c’est trop exiger. Je ne conseille pas ces
excès. En écrivant le mot, je condamne la pratique.
102
INCUBATION.
Revenons un peu en arrière, et voyons comment a lieu le
très-intéressant phénomène de l’éclosion, dont reste seul chargé
le poussin pour qui c’est parfois vraiment une rude besogne.
Voici donc comment il s’y prend pour l’accomplir. La prison
est étroite et la tête est engagée sous l’aile. La position n’est
déjà pas si commode, mais la nature a trouvé que c’était encore
la plus favorable et nous devons rester en tout de son avis.
Quoi qu’il en soit, c’est avec le bec que le petit va piocher, va
bêcher, pour ouvrir sa coque. Mais son bec eût été bien faible
pour un semblable travail si la Providence ne l’eût armé tempo¬
rairement d’une petite protubérance cornée. Il s’en sert en frot¬
tant, en poussant, en percutant à petits coups redoublés le même
point de la paroi de la coquille attaquée vers le milieu de la
longueur de l’œuf. La besogne est d’autant plus pénible que
l’enveloppe à briser est plus épaisse et que le poussin est moins
vigoureux. Dans, l’immense majorité des cas, cependant, il suf¬
fit à la peine; il use une place, réussit à faire un petit trou et
ne se ménage pas; il donne dé nouvelles poussées et obtient un
nouveau résultat, une nouvelle brisure, un éclat. Alors, il re¬
prend haleine, puis, faisant sur lui-même un léger mouvement
de rotation, il lève d’autres éclats qui continuent et agrandis¬
sent la première ouverture, et il va toujours suivant une ligne
circulaire jusqu’à ce que la coque, ouverte tout autour, tombé
en deux parties et le laisse libre enfin.
Toute prison est close, tout esclavage pèse, toute liberté s’a¬
chète au prix d’un pénible labeur, de constants efforts.
Comme celle de l’incubation, la durée de l’éclosion varie. Tel
poussin emploie une heure à peine à se débarrasser de sa coquille,
tel autre y emploiera deux jours, et malgré cela, sauf des cas
très-rares où il est bien avéré qu’un accident appelle un secours
efficace , il faut bien se garder d’intervenir et de précipiter une
opération qui ne doit s’accomplir qu’après la formation achevée
du poulet. Le voilà né pourtant, et c’est à grand’peine même
qu’on peut le dire complet puisqu’il a besoin encore.de nourri¬
ture d’abord, mais surtout de chaleur, je le répète.
En effet, à le voir au moment même où il vient d’éclore, on
pourrait en augurer assez mal. Ses forces semblent épuisées;
on le croirait plus près de la mort que de la vie. Attendez, ce¬
pendant. Sous l’influence bienfaisante de la chaleur, il sera bien¬
tôt tout autre. Ses plumes, simple duvet à peine visible, qui
lefaisaient paraître presque nu, tandis qu’elles étaient mouillées,
se sèchent, se développent et le protègent, car le voilà tout à
INCUBATION.
103
coup assez chaudement vêtu. On comprend maintenant à quel
point la chaleur lui est nécessaire. Tout imprégné d’humidité,
il ne résisterait pas au froid. Aussi, dans la mauvaise saison,
faüt-il chauffer assez le couvoir pour aider à la tâche imposée à
la maman, sécher assez vite les poussins nouveau-nés. Par l’in¬
cubation, ainsi prolongée pendant quarante-huit heures, la
constitution se fortifie en se complétant.
Après ce laps de temps, on les trouve bien différents et comme
transformés. On les voit tout guillerets, dispos, et on les juge
tout autrement, si on s’était pressé, la veille ou l’avant-veille,
de porter un jugement prématuré.
A partir de là, ils appartiennent à l’élevage.
L’éclosion des dindonneaux se fait en général avec plus d’uni¬
formité et de facilité que celle des poulets, et demande con¬
séquemment un peu moins de surveillance. La dindonne ac¬
cepte volontiers aussi les poussins d’une autre mère, mais il
ne faut les lui donner que le soir et les placer, comme il a été
dit précédemment, afin d’éviter de sa part de mauvais traite¬
ments, auxquels ne résisteraient pas les petits. La nuit passée,
l’adoption est complète.
L’éclosion des petits oisons nécessité la présence de la ména¬
gère^ car il faut les retirer du nid à mesure qu’ils naissent.
Cette précaution est commandée- par l’empressement de la mère
à s’occuper des premiers nés à l’exclusion de ceux qui sont près
d’éclore. Il en résulte qu’elle abandonnerait le nid. Or, une fois
qu’elle l’a quitté ainsi, elle n’y rèntre plus. On prévient ce grave
mécompte en mettant les oisillons dans un panier garni de laine
auprès du feu ou au soleil, en ayant soin, dans ce cas, que les
petits ne reçoivent pas directement les rayons solaires. Dès que
l’éclosion est complète, et que les petits sont bien ressuyés, on
les rend à leur mère qui se montre pleine de sollicitude et en
prend le plus grand soin.
La cane ne montre pas plus de sagacité à l’heure de l’éclosion.
Gomme roie,'elle abandonnerait les oeufs sans parachever l’œu¬
vre de l’incubation. Nous venons de dire comment doit procé¬
der l’éleveur pour sauvegarder la meilleure part de la couvée.
Seulement, retirer les petits du nid à mesure qu’ils naissent
est chose moins facile ici, parce que les canes qui couvent sont
assez ordinairement méchantes. Il y a donc lieu de se tenir, à
cet égard, sur ses gardes autant pour éviter de violents coups de
bec que pour prévenir les brusques mouvements de la mère et
les sinistres qu’ils pourraient occasionner. eüg. gayot.
104 INDIGESTION.
IjVDEMNITÉ. Voir Poltce SANITAIRE et Maladies conta¬
gieuses. '
INDIGESTION. On doit comprendre, en pathologie vétéri¬
naire, sous le nom d’indigestion, non pas seulement les trou¬
bles passagers et subits de la fonction digestive, comme les
dictionnaires ont l’habitude de le dire, mais bien tous les états
morbides, passagers ou plus ou moins durables, subits ou plus
ou moins lents à se manifester, qui sont déterminés par la ces¬
sation ou seulement l’insuffisance des actions que l’appareil
digestif exerce sur les matières alimentaires qu’il renferme
dans ses différents diverticulums.
Il est possible que des matières alimentaires parcourent toute
l’étendue du canal digestif, sans avoir été digérées et qu’elles
sortent, sinon toujours absolument telles qu’elles sont entrées,
au moins peu modifiées dans leur composition. Mais ce n’est
pas là ce qui constitue l’indigestion ; l’indigestion est cet état
pathologique qui résulte de ce que les matières ingérées dans'
le canal digestif n’y subissent pas actuellement les mouvements
et les transformations que l’appareil doit leur imprimer, quel
que soit du reste l’obstacle qui s’y oppose : Inertie des organes
ou résistance des substances à leur action.
Considérées aux points de vue des conditions dans lesquelles
elles se produisent, de leurs modes de manifestation, de leur
gravité et de leurs terminaisons, les indigestions se présentent
avec de tels caractères de diversité, suivant les espèces chez les¬
quelles on les observe, qu’au lieu de les envisager d’une ma¬
nière générale, il y a tout avantage, pour la facilité et la clarté
de leur description, à les étudier dans chaque espèce indivi¬
duellement, sous les types divers qu’elles peuvent offriT. Cette
étude faite, ce qu’elles présentent de commun et ce qui les dif¬
férencie ressortira de leur comparaison et pourra, plus fruc¬
tueusement, être résumé en quelques pages.
Nous allons donc passer successivement en revue les indiges¬
tions, d’abord dans l’espèce chevaline, comprenant à ce point
de vue l’âne et le mulet; puis dans les ruminants, grands et
petits; ensuite dans les. carnivores, les omnivores et les
oiseaux.
CHAPITRE I".
INDIGESTIONS DANS L’ESPÈCE CHEVALINE.
Les indigestions dans les animaux monodactyles sont sus-
INDIGESTION.
10S
ceptibles de revêtir un caractère tout particulier de gravité, en
raison d’abord des obstacles physiologiques qui s’opposent
d’une manière presque insurmontable à ce que l’estomac, dis¬
tendu et surchargé par des aliments, puisse être évacué par le
vomissement comme dans les carnivores. En sorte qu’il n’existe,
pour ces animaux, de chances de guérison, dans le cas d’indi¬
gestion causée par la trop grande réplétion de l’estomac, que si
les contractions de ce viscère sont assez efficaces pour faire péné¬
trer peu à peu dans l’intestin les matières qui le distendent, car
la voie pylorique est la seule ouverte; celle du cardia reste pres¬
que toujours hermétiquement fermée et lorsque, par exception,
des efforts sont tentés pour la forcer, le plus souvent ils abou¬
tissent plutôt à la rupture de l’estomac qu’à la réjection par le
vomissement des matières qu’il contenait.
Yoilà donc une première raison, toute organique, de la gravité
d’une des indigestions du cheval, l’indigestion stomacale. Cette
indigestion n’est pas la seule ; le cheval est exposé aussi à des
indigestions intestinales, et plutôt du gros intestin et surtout
du cæcum que de l’intestin grêle. Cette prédisposition résulte
encore de l’organisation de son estomac dont la capacité est
petite relativement à celle des grands réservoirs intestinaux,
en sorte que souvent les aliments les premiers ingérés fran¬
chissent le pylore, sous l’impulsion de ceux qui les suivent,
avant d’avoir subi dans l’estomac la transformation qu’il doit
leur imprimer et qui est nécessaire pour que leur digestion
s’achève complètement dans les autres parties de l’appareil. Ces
matières, non sufflsamtnent préparées par l’action propre de
l’estomac, étant moins facilement attaquables par le cæcum et
le gros intestin, y séjournent plus longtemps, peuvent s’y accu¬
muler et donner ainsi lieu à des manifestations symptornati-
ques qui constituent les formes particulières de l’indigestion
du cheval. Nous en distinguerons trois variétés principales :
l’indigestion stomacale; l’indigestion du cæcum; l’indigestion du
gros intestin.
Mais, avant d’exposer les caractères de ces états pathologiques,
nous croyons utile, pour faciliter l’interprétation des phénomè¬
nes, de présenter ici, dans un court résumé, les notions phy¬
siologiques acquises aujourd’hui à la science sur la fonction
digestive chez le cheval. En se rappelant les conditions néces¬
saires pour que cette fonction s’accomplisse régulièrement, on
comprendra mieux comment agissent les causes qui intervien¬
nent pour la troubler. Nous allons nous attacher, du reste, à
106
INDIGESTION.
mettre en relief l’action de ces causes, en rapprochant leurs
effets des actions physiologiques dont elles déterminent le
dérangement.
CONSIDÉRATIONS PHYSIOLOGIQUES PRÉLIMINAIRES.
L’un des actes physiologiques qui, chez les animaux herbi¬
vores, exerce le plus d’influence sur l’accomplissement régulier
de la digestion est l’acte de la mastication, plus important
encore chez le cheval que chez les ruminants, à cause de l’uni¬
cité et de l’exiguité de son estomac. La mastication a pour but
de diviser, de broyer les substances alimentaires, de manière
que la substance nutritive essentielle, contenue dans leurs cel¬
lules, puisse être exposée directement à l’action des liquides
destinés soit à les dissoudre, soit à leur imprimer des modifi¬
cations chimiques qui les rendent solubles ou miscibles aux
liquides organiques. Sans cette action puissante des meules
dentaires sur la trame des végétaux, la substance nutritive,
enfermée dans leur gangue, protégée par leurs enveloppes sou¬
vent résistantes, resterait inattaquée par les réactifs organiques
et ne pourrait pas être incorporée à l’animal qui l’a ingérée.
La mastication, chez les solipèdes, est donc un acte prépara¬
teur de la digestion d’une importance principale. Aussi exige-
t-elle un assez long temps pour qu’elle puisse s’accomplir d’une
manière régulière et complète. M. Colin nous a fait connaître
« qu’il fallait, en moyenne, à un cheval de taille ordinaire, une
heure et un quart pour manger deux kilogrammes de foin sec,
soit 45 secondes pour broyer une trentaine de grammes de foin,
en donnant de 70 à 80 coups de dents par minute. » Mais la
mastication ne s’exécute dans cette limite de temps que si l’ap¬
pareil masticateur est régulier, comme c’est le cas, en général,
pour les animaux jeunes et adultes. Lorsque, par le fait de l’âge
ou de maladies des dents, ou de déformations accidentelles, ou
de fracture des maxillaires, les meules dentaires ne sont plus
dans les conditions voulues pour effectuer le broiement com¬
plet des aliments, les mouvements des mâchoires se ralentis¬
sent et se multiplient ; mais, malgré cela, leur œuvre restant
imparfaite, les aliments déglutis insuffisamment broyés sont
réfractaires à l’action des liquides digestifs ; ils s’accumulent
dans les grands réservoirs et plus particulièrement dans le
cæcum, s’y tassent et finissent par y former des masses immo¬
biles, impénétrables aux liquides, et contre lesquelles le's con¬
tractions des parois intestinales restent impuissantes.
INDIGESTION.
107
Mais la mastication peut être imparfaite et ne s’effectuer que
d’une manière insuffisante, alors même que son appareil se
trouve dans les conditions les meilleures pour fonctionner
régulièrement : c’est lorsque les animaux, naturellement glou¬
tons ou pressés accidentellement par la faim, dévorent leurs
aliments sans se donner le temps de les mâcher dans la mesure
qui serait nécessaire, et les déglutissent avant qu’ils aient été
soumis à une trituration convenable. Dans ce cas encpre, la
condition se trouve réalisée pour qu’une indigestion se produise
soit de l’estomac, soit du gros intestin, car l’aliment ainsi
dégluti est nécessairement plus réfractaire h l’action digestive
que celui dont les meules dentaires ont broyé toutes les parties
résistantes. ,
L’insalivation concourt aussi pour une part considérable à
l’accomplissement de la fonction d.igestive, dont 'elle est un des
préliminaires les plus utiles. L’importance de cet acte prépara¬
teur ressort de la quantité prodigieuse de liquide que les
glandes salivaires versent dans la bouche pendant la mastica¬
tion, et encore dans les intermittences des repas. D’après les
expériences si concluantes de M. Colin, « les glandes d’ùn che¬
val qui mange du foin sécrètent de 5,000 à 6,000 grammes de
salive par heure; elles produisent un tiers en plus lorsque
l’animal mange de l’avoine ; une moitié de la quantité normale
pendant qu’il mange de l’herbe verte et le tiers seulement de
cette somme si son repas est composé de racines telles que bet¬
teraves et navets. Les fourrages secs, d’après Lassaigne et la
commission d’hygiène, absorbent quatre fois leur poids de
fluides salivaires, l’avoine un peu plus d’une fois, la farine un
peu plus de deux fois, et les fourrages verts à peine la moitié
de ce poids. »
D’un autre côté, dans les intervalles des repas, la quantité de
salive versée dans la bouche et déglutie pour la plus grande
partie, est en moyenne de 100 à 160 grammes par heure. Ces
données acquises, on peut évaluer aisément et d’une manière
assez exacte, dit M. Colin, la quantité totale du liquide sécrété
par le système salivaire dans une période de 24 heures. Le foin
absorbant, pour être dégluti, à peu près quatre fois son poids
de fluides salivaires, et le cheval avalant, pendant l’abstinence,
de 100 à 150 grammes de salive par heure, il en résulte qu’un
cheval qui consomme 5,000 grammes de foin et 5,000 grammes
de paille par jour a besoin, pour transformer ces aliments en
bols, propres à être déglutis, de 40,000 grammes de salive qu’il
108 INDIGESTION. ^
faut joindre à environ 2,000 grammes du même fluide, produit
pendant les dix-sépt ou dix-huit heures d’abstinence ; en tout
42,000 grammes 1 De telle sorte que toute l’eau du sang passe¬
rait par l’appareil salivaire, et serait convertie en salive dans la
période de vingt-quatre heures, chez les chevaux qui sont *
nourris avec des aliments secs.
Cette salive, versée en si grande abondance dans les réservoirs
digestifs pendant la mastication et même après.jemplit un rôle
complexe et des plus importants au point de vue de l’accom¬
plissement intégral de la digestion. En se mêlant aux aliments,
pendant qu’ils sont soumis à l’action des dents molaires, elle
en facilite la trituration complète.
Les expériences deM. Colin démontrent, en effet, que « si l’on
diminue la quantité de salive qui afflue à la bouche, la masti¬
cation se ralentit, devient pénible, irrégulière, incomplète. Si
la plus grande partie de ce fluide coule à l’extérieur, les ali¬
ments se tassent sous la pression des, dents, s’assouplissent,
mais ne se divisent et ne se réduisent en pâte qu’avec une
extrême difficulté. Un cheval auquel on a fait deux fistules
parotidiennes ne peut manger dans un temps donné que le tiers
ou tout au plus la moitié de ce qu’il mangeait auparavant. »
Les aliments qui n’ont pas été suffisamment insalivés, étant
moins complètement triturés, sont déglutis avec plus de' diffi¬
cultés, en raison de l’état de plus grande solidité des bols, qui
sont moins malléables, moins ductiles que dans les conditions
physiologiques et ne s’accommodent pas, comme dans ces con¬
ditions, au diamètre du tube œsophagien, beaucoup plus étroit,
on le sait, surtout dans sa partie terminale, chez le cheval que
chez les ruminants. . * '
Mais la salive ne remplit pas seulement l’office mécanique de
faciliter la trituration des aliments et leur déglutition ; c’est un
dissolvant de toutes les matières immédiatement solubles que
les aliments renferment ; et, grâce à ses propriétés chimiques,
elle rend solubles celles qui ne le sont pas, c’est-à-dire les ma¬
tières amylacées, qu’elle transforme en dextrine d’abord, et puis
ensuite en glycose. Eufln, elle n’est pas sans action sur les
matières grasses à l’émulsion desquelles elle contribue. Voilà
ce que l’on sait des usages des liquides salivaires. Mais est-cè à
cela qu’ils se bornent? Une fois mélangée avec le suc gastrique
et les divers fluides intestinaux, la salive doit continuer à exer¬
cer sur les matières amylacées cette action saccharifiante que
les expériences lui ont reconnue, et peut-être, comme le sup-
INDIGESTION.
109
pose M. Colin, le mélange des liquides acquiert-il des propriétés
nouvelles que chacun d’eux ne possédait pas isolément. On peut
ge demander aussi si l’air, qui se mélange et se dissout dans la
salive en si grande quantité, pendant la mastication, et auquel
elle sert de véhicule, n’a pas son rôle à jouer dans les réser¬
voirs digestifs qui continuent et achèvent les mouvements de
transformation imprimés aux matières alimentaires par la mas¬
tication et l’iusalivation.
Quoi qu’il en soit de ce que l’on ignore, ce que l’on sait du
rôle des fluides salivaires suffit pour en faire comprendre l’im¬
portance et expliquer la part que peuvent avoir dans le dévelop¬
pement des indigestions les troubles de l’insalivation, son
insuffisance ou sa suppression plus ou moins complète. Les
chevaux qui ont des fistules salivaires accidentelles, qui per¬
dent leur salive par suite d’une occlusion imparfaite de la
bouche, comme c’est le cas chez les vieux animaux, ceux qui
ont la langue pendante, sont donc dans de certaines conditions
qui les prédisposent aux indigestions. Mais, à ce point de vue,
ce sont surtout les fistules salivaires qui constituent l’accident
le plus grave, non-seulement par la grande déperdition de salive
qu’elles entraînent; mais encore par la déformation de l’appa¬
reil masticateur qu’elles finissent par déterminer, quand elles
persistent longtemps. Quelques mots d’explication sur ce point.
On sait que la mastication, chez le cheval, comme du reste chez
les autres herbivores, ne peut s’effectuer en même temps des
deux côtés ; que tantôt le broiement s’exécute à droite et tantôt
à gauche, et que, par suite de la largeur inégale des deux mâ¬
choires, l’inférieure étant plus étroite'que la supérieure, leurs
molaires ne peuvent s’affronter que d’un seul côté pendant la
mastication, celle de la mâchoire inférieure venant se placer en
dedans des supérieures, du côté où la mastication ne s’effectue
pas. Or nous avons vu, dans l’article consacré à l’étude des
maladies des dents, que si, pour une cause ou pour une autre,
une carie dentaire, par exemple, la mastication, au lieu d’être
alternative, devient unilatérale d’une manière constante, les
déûts du côté où le frottement ne s’effectue plus augmentant
de longueur sans s’user proportionnellement, finissent par se
rencontrer par une partie de la surface de leur table, le côté
externe pour la mâchoire inférieure et l’interne pour la supé¬
rieure. Le frottement qui s’établit entre elles, dans ces condi¬
tions de rapport anormal, a pour effet de les tailler en biseau ;
cette déformation peut être portée à un tel point, faute de
110
INDIGESTION.
l’usure de la partie qui ne frotte pas, que les dents inférieures
aillent frapper contre le palais par leur bord interne démesuré¬
ment accru et finissent par le défoncer, tandis que les dents
supérieures excorient les gencives et la muqueuse du sillon des
joues par leur bord externe dont les dimensions sont de même
démesurément exagérées. Une fistule salivaire, de l’un ou de
l’autre côté, peut avoir pour conséquence, dans une certaine
mesure, la déformation de l’arcade dentaire, d’après le mode
qui vient d’être indiqué.- Les expériences de M. Colin nous ont
appris, en effet, que les glandes parotidiennes ne fonctionnaient
pas simultanément, mais qu’elles s’alternaient dans leur sécré¬
tion, la plus grande activité de l’une et de l’autre correspon¬
dant au temps pendant lequel la mastication s’effectue du côté
où elles sont placées. Pendant la mastication à droite, la salive
est versée abondamment par la parotide droite, celle de gauche
restant relativement inactive, pour se substituer à sa congénère
lorsque le bol alimentaire est porté sous les molaires gauches,
et toujours ainsi, alternativement, dans les conditions physio¬
logiques. Mais si ces conditions viennent à être troublées par
rétablissement d’une fistule salivaire de l’un ou de l’autre côté,
l’expérience démontre que l’animal est déterminé à se servir de
préférence, pour effectuer la mastication, du côté où la salive
continue à être versée dans la bouche, parce que le broiement
du côté opposé est plus pénible, plus difficile et moins efficace,
en raison de la dilution moindre des substances qui sont sou¬
mises à l’action des dents. Cette inégalité d’usage des molaires,
ayant pour résultat l’inégalité de frottement des deux côtés,
peut avoir pour effet leur usure oblique et conséquemment un
certain degré de déformation de leur table qui les rende moins
aptes à une trituration complète que celles du côté opposé.
D’où, en définitive, l’ingurgitation dans les réservoirs digestifs,
de bols alimentaires qui, faute d’une trituration et d’une insa¬
livation suffisantes, sont soumis à l’action des organes abdomi¬
naux dans des conditions incomplètes de préparation.
Considérons maintenant la digestion gastrique chez les soli-
pèdes et nous allons voir que l’étiologie des indigestions, quel
que soit leur siège, peut être très-avantageusement éclairée par
l’étude des phénomènes qui caractérisent et particularisent cette
fonction.
L’estomac dans l’espèce chevaline a, relativement au cæcum et
au gros côlon, une capacité très-faible (15 à 18 litres) qui ne lui
permet pas de contenir et de conserver tout ce que les animaux»
INDIGESTION.
111
dans rétat de domesticité tout au moins, mangent pendant la
durée d’un seiil repas ; et, en outre, il ne fonctionne, à propre¬
ment parler, comme organe digestif, que dans la moitié de son
étendue. Tout son sac gauche revêtu, à l’intérieur, de cet
épithélium épais qui continue celui de l’œsophage, n’exerce sur
les aliments aucune action modificatrice ; il les contient et leur
imprime des mouvements qui les déplacent, mais chimique¬
ment il est inactif. C’est dans le sac droit, et dans le sac droit
exclusivement, que s’opère, par l’intermédiaire de glandes
spéciales, la sécrétion du liquide, appelé suc gastrique, auquel
est dévolue la fonction de dissoudre les matières azotées pro¬
téiques, c’est-à-dire la , fibrine, l’albumine, la caséine, la légu-
mine, etc., et de les convertir en une ou en plusieurs substances
nouvelles, aptes à passer immédiatement dans le chyle et dans
le sang. . Il résulte de nette exiguïté de l’estomac du cheval et de
l’étroitesse relative de la partie de sa membrane interne qui
renferme les glandes sécrétoires du suc gastrique qu’il faudrait,
pour que les matières alimentaires fussent toujoursbien digérées,
qu’elles ne pénétrassent dans l’estomac qu’en quantité exac¬
tement proportionnelle à sa capacité,' c’est-à-dire par fractions de .
dix litres au maximum, afin que l’organe ne fût pas soumis à
une distension trop grande, défavorable, nous le verrons tout
à l’heure, à son fonctionnement régulier.
Qu’arrive-t-il en effet, lorsqu’un cheval, nourri au foin exclu¬
sivement, mange en un repas de deux heures 5 kilogrammes
de foin représentant la moitié de la ration qu’il doit recevoir en
vingt-quatre heures ? Yoici ce que nous apprennent sur ce point
les expériences de M. Colin ; « Ces 5 kilogrammes de foin sont
imprégnés de 20 litres de salive, qui donnent, par conséquent,
une masse du poids de 25 kilogrammes, capable d’occuper un
espace de 28 à 30 décimètres cubes. Or, pendant ce repas,
l’estomac a de quoi se remplir trois fois, car, dans les conditions
physiologiques, pour bien fonctionner, il ne se distend qu’aux
deux tiers de sa capacité maximum, soit dix litres. Gonséquem-
ment, lorsque après ce laps de témps de deux à trois heures, le
cheval finit son repas, l’estomac a dû se vider deux fois, pour
conserver le tiers de sa ration. Les deux premières fournées n’ont
donc pu séjourner qu’une heure, à peu près, dans le réservoir
pstrique ; la dernière seule a, pour passer dans l’intestin, tout
le temps qui s’écoule entre les deux repas. En vingt-quatre
heures, ces deux repas donnent, comme on le voit, 50 kilo¬
grammes de matières, pouvant remplir cinq ou six fois l’es-
112
INDIGESTION.
tomac. » Cette rapidité du passage dans l’estomac de la plus
grande partie de la masse alimentaire que représente une ra¬
tion de 5 kilogrammes de foin peut être sans inconvénients
lorsque les appareils de la mastication et de Tinsalivation fonc¬
tionnent avec une complète régularité et que les animaux
mettent le temps voulu à faire leur repas. Le foin ne contient en
effet que 7 centièmes des matières sur lesquelles le suc gas¬
trique ait à exercer son action, c’est-à-dire les matières azotées,
albumine, légumine, caséine. Les autres parties constituantes,
l’amidon, le sucre et autres matières analogues, qui déjà ont
éprouvé, sous l’influence de la salive, une modification de leur
état moléculaire, doivent achever leur transformation dans l’in¬
testin, ainsi que les matières grasses. On conçoit donc que
lorsque les aliments déglutis ont subi une trituration complète
et, sont rendus pénétrables par les liquides, le suc gastrique
qui s’ajoute à leur masse, pendant leur rapide passage, soit
suffisant pour opérer la dissolution et les transformations de la
petite quantité des matières albuminoïdes qu’elle renferme.
Mais si le foin n’est qu’incomplétement trituré, par suite soit
de l’imperfection de l’appareil masticateur, soit de la voracité
avec laquelle il aura été dégluti par un animal trop affamé,
soit encore de la coriacité des plantes trop ligneuses qui le’
composent, dans ces conditions les matières nutritives albu¬
minoïdes n’étant pas assez dissociées de leur gangue, pas plus
du reste que les autres, l’action gastrique restera insuffisante
et la matière destinée à être alimentaire franchira l’estomac
sans avoir été suffisamment transformée : d’où une condition
de son indigestibilité ultérieure.
Si l’estomac doit exercer principalement, sinon exclusive¬
ment, son action sur les matières albuminoïdes, il en résulte
qu’il est nécessaire pour l’accomplissement régulier et complet
de la digestion stomacale que les aliments où prédominent ces
matières fassept dans l’estomac un plus long séjour. L’avoine,
par exemple, beaucoup plus riche, à ce point de vue, que le
foin, passerait en très-grande partie indigérée, si son transit à
travers l’estomac s’effectuait aussi rapidement que celui des
fourrages ; mais comme, à volume égal, elle est beaucoup plus
nutritive que le foin, et que, pendant la mastication, elle ne
s’incorpore qu’un équivalent en poids des liquides salivaires,
l’estomac peut contenir et conserver pendant plus longtemps la
quantité de cette substance que l’animal mange à chaque repas
et exercer sur elle des actions, proportionnelles en durée et en
INDIGESTION.
IIS
intensité à la proportion de matières azotées que l’avoine rfen-
ferme. Une ration de foin de 12 kilogrammes pèse avec sa salive
60 kilos, dit M. Colin, et pourrait remplir sept fois et demie
l’estomac; tandis que la ration équivalente, d’avoine, 6 kilo¬
grammes et demi; n’en pèserait que 1 3 après son insalivation et
remplirait seulement une fois et demie l’estomac ; elle pourrait
donc y séjourner cinq fois autant que son équivalent de foin.
Mais pour que l’avoine fasse dans l’estomac le séjour nécessaire
à la complète dissolution des matières albuminoïdes qu’elle
contient, il ne faut pas que son ingestion soit suivie trop ra¬
pidement de celle des fourrages, car ceux-ci, en se faisant leur
place dans l’estomac, la poussent devant eux et la font passer
dans l’intestin, avant que sa digestion soit suffisamment
avancée. C’est ce qui ressort péremptoirement des expériences
faites sur ce point par M. Colin qui considère comme pluslogique,
au point de vue de la perfection de la digestion, de donner
l’avoine après le foin et assez longtemps après, afin de laisser
l’estomac se désemplir un peu, pour offrir au grain une place
assez large.
M. Colin, s’appuyant toujours sur ses expériences, qu’il sait
si bien faire, prescrit aussi de s’abstenir de donner des boissons
aux animaux, après l’ingestion ,de l’avoine, afin que le courant
précipité des liquides ne l’entraîne pas hors de l’estomac avant
qu’elle y ait éprouvé les modifications que le suc gastrique doit
lui imprimer. Le^ cheval ne doit hoire que quelques heures
après son repas d’Woine, tandis qu’il y a avantage à l’abreuver
après l’ingestion du foin, afin de favoriser la désobstruction de
l’estomac qui se vide plus vite des matières qu’il renferme, et les
disperse dans les autres réservoirs où s’achève leur digestion.
Somme toute, au point de vue de l’étiologie de l’indigestion
chez les solipèdes, le fait principal qui ressort de ce qui vient
d’être exposé c’est que l’estomac de ces animaux, trop petit pour
conserver longtemps les matières alimentaires, ne peut exercer
sur elles d’une manière suffisante l’action spéciale qui lui est
dévolue, qu’autant que ces matières^ préparées par une tritu¬
ration et une insalivation complètes, sont ingérées avec une
suffisante lenteur et en quantités modérées. La digestion sto¬
macale s’accomplit d’une manière d’autant plus régulière que
les aliments, les premiers ingérés, ne sont pas poussés trop vite
par ceux qui les suivent, et peuvent faire dans le viscère un
séjour suffisant. Leur transit trop rapide, à travers l’estomac,
est souvent une condition des in(Jigestions du cæcum ou du gros
X. 8
1U
INDIGESTION.
intestin. Leur accumulation, dans l’estomac, en trop grande
quantité, et dans uü temps trop court, donne lieu à des indi¬
gestions stomacales des plus redoutables qui résultent, d’une
part, de ce que les parois du viscère, distendues à l’excès, se
trouvent destituées de leur motricité, ou du moins ne la pos¬
sèdent plus à un degré suffisant pour réagir contre la masse
qui surcharge l’estomac; et qui résultent, d’autre part, de l’effa¬
cement des vaisseaiux sous la pression de cette masse, de l’obs¬
tacle qu’oppose leur calibre trop effacé à la liberté de la circu¬
lation, et du tarissement des sécrétions intérieures auxquelles la
circulation empêchée ne fournit pas la quantité de sang néces¬
saire pour les manifestations de leur activité.
Inertie musculaire de l’estomac, inertie sécrétoire, voilà les
conséquences de sa réplétion extrême, conséquences qui se
traduisent par la nullité actuelle de sa fonction, ou, autrement
dit, par l’indigestion dont il est le siège.
La conclusion, au point de vue prophylactique, à tirer de ces
faits, c’est qu'il ést possible de prévenir les indigestions stoma¬
cales, si l’on a le soin d’espacer assez les repas pour que les
rations alimentaires soient fractionnées d’une manière régulière,
et proportionnées ainsi à la capacité de l’estomac; si l’on a le soin
aussi de faire manger d’abord les aliments, dont le séjour dans
l’estomac doit être le plus court, en raison de leur composition
cbimique. Dans ces conditions, le sentiment de la faim ne se
trouve pas trop exagéré, au moment où les aliments sont dis¬
tribués ; les animaux les mangent sans gloutonnerie, prennent
le temps de les mâcher, et quand ces aliments arrivent dans
l’estomac, réduits en pulpe bien triturée et mélangés à une
abondante salive, les réactions du suc gastrique s’exercent
librement et d’une manière condplète sur celles de leurs subs¬
tances qui doivent être métamorphosées et dissoutes par ce
liquide. Enfin, grâce à l’ordre dans lequel ils se succèdent, et
à la mesure avec laquelle ils sont ingérés, ils se trouvent dans
un juste rapport, tout à la fois, avec la capacité du viscère qui
les reçoit et avec l’activité de sa fonction spéciale ; toutes con¬
ditions favorables à la production de la plus grande somme
possible d’effets utiles, puisque rien n’est perdu de ce que les
aliments peuvent fournir de substances réparatrices, et l’estomac
de liquides propres à les digérer.
Les matières alimentaires, qui ont franchi l’ouverture pylo-
rique, se répandent, avec une assez grande rapidité, dans toute
l’étendue du long conduit de l’intestin grêle, dont les mou-
INDIGESTION.
118
vements péristaltiques et antipéristaltiques leur impriment
des courants et des contre-courants alternés, en sorte qu’avant
d’arriver à l’iléon, qui oppose à leur passage dans le cæcum un
certain obstacle, elles sont vingt fois revenues sur elles-mêmes.
Ce va et vient, qui prolonge leur séjour, fait sur elles l’effet du
brassage^ sur le malt ; il facilite Jeur mélange, de plus en plus
intime, avec les liquides qui leur ont été associés dès leur entrée
dans la bouche, avec ceux que l’estomac a sécrétés, et enfin, avec
les liquides nouveaux, versés dans l’intestin grêle, bile, liquide
pancréatique, suc intestinal, qui continuent et achèvent les
transformations, les émulsîonnements et les dissolutions néces¬
saires pour que les matières constitutives des aliments puissent
pénétrer dans les vaisseaux destinés à les transvaser de la cavité
de l’intestin dans l’appareil circulatoire.
La perfection de l’action de l’intestin grêle est nécessairement
subordonnée à celle des appareils [préparateurs de la pâte ali¬
mentaire; plus satrituration et son insalivation ont été complètes,
plus son séjour dans l’estomac a été prolongé, et plus les liquides
intestinaux peuvent avoir d’action sur les matières albuminoïdes,
amylacées, sucrées, grasses ou salines que renferme la gangue
végétale, et opérer les transformations chimiques et les disso¬
lutions qui les rendent absorbables et miscibles au sang.
Quand le parcours de l’intestin grêle a été franchi, sous l’in¬
fluence du mouvement péristaltique, qui finit toujours par pré¬
dominer sur le mouvement inverse, et par faire surmonter la
résistance de l’iléon aux matières qu’il pousse devant lui,
celles-ci tombent dans le cæcum. M. Colin nous a fait connaître
que, dans les conditions physiologiques, les solides se trouvent
associés, dans ces matières, à 16 volumes ou à 16 équivalents
de liquides, qui proviennent soit des sécrétions seules, soit de
l’asspciation à leurs produits de l’eau de boissons. Cet état de
diffluence des matières contenues dans le cæcum explique la
facilité avec laquelle elles peuvent en être évacuées, quoique
leur évacuation ne puisse se faire que contrairement aux actions
de la pesanteur. L’ouverture de communication du cæcum avec
le gros intestin est, en effet, située à sa partie supérieure et,
pour que les matières qu’il contient puissent être évacuées
dans le côlon, il faut que l’impulsion leur soit communiquée
de la pointe du cæcum vers son arc, hors les cas où ce réservoir
étant plein, il suffit d’un resserrement sur lui-même pour élever
le niveau des liquides qu’il renferme et les faire passer dans le
gros intestin.
116
INDIGESTION.
Mais le cæcum ne peut se vider librement qu’à la condition
de la grande fluidité des substances qu’il contient; il faut
qu’elles y soient à l’état de bouillie très-liquide. Lorsque les
aliments n’ont pas subi sous les meules dentaires une tritu¬
ration suffisante, par suite soit de l’imperfection de l’appareil
de la mastication, soit de la voracité avec laquelle les animaux,
poussés par la faim, les ont déglutis, soit encore de la prédo¬
minance dans ces aliments des matières ligneuses et coriaces,
le courant de l’intestin grêle les pousse dans le cæcum dans un
état de trop grande solidité; ils s’accumulent vers sa pointe, s’y
tassent, s’y feutrent même sous l’influence des mouvements que
leur imprime les contractions de l’organe, impuissantes à les
faire remonter vers l’orifice de sortie, et un moment arrive où le
cæcum tout entier est rempli d’une masse solide, pesant de 30
à 40 kilogrammes, qui est modelé dans sa cavité, comme le
pain de sucre dans son moule.
Le parcours des substances alimentaires dans le gros intestin
est d’autant plus facile qu’elles sont plus délayées au moment
où le cæcum les pousse dans cet organe. L’impulsion qui les
fait progresser résulte des actions successives des espèces d’au-
gets en lesquels les reliefs des valvules dites conniventes divisent
la cavité intérieure du gros côlon. La pulpe alimentaire passe
successivement d’un de ces augets dans l’autre, en s’épaississant
davantage, à mesure qu’elle avance, car l’absorption toujours
active, à la surface de la muqueuse, la dépouille graduellement
d’une partie des liquides qui lui sont associés et des matières
solubles que ces liquides tiennent encore en dissolution. C’est
ainsi qu’elle finit par se réduire à l’état d’un résidu de plus en
plus consistant, que le côlon flottant divise et moule en pelottes
plus ou moins arrondies, dans la succession des diverticulums
en lesquels ses valvules conniventes le divisent.
. Pendant les périodes des digestions régulières, le gros intestin
peut contenir de 25 à 35 kilogrammes de matières, plus dif-
fluentes dans ses premières parties et plus consistantes dans les
dernières, qui sont graduellement conduites, de valvules en
valvules, jusque dans le côlon flottant, qui achève de les expri¬
mer et les pousse vers le rectum, sous la forme spéciale qu’elles
affectent au moment de leur expulsion par l’anus.
Lorsque les aliments ont été déglutis dans un état de tritura¬
tion imparfaite, sous l’influence des conditions qui viennent
d’être énumérées, une grande partie d’entre eux peut, malgré
cela, passer du cæcum dans le côlon, grâce aux liquides qui les
INDIGESTION.
117
tiennent en suspension. Mais à mesure que ces liquides sont
absorbés, la pâte grossière que forment les aliments en se con¬
densant n’obéit plus qu’imparfaitement, faute d’une ductilité
suffisante, au mouvement péristaltique qui tend à la pousser
vers le côlon flottant. Plus elle est lente à cheminer, plus sa
consistance augmente par l’absorption qui épuise sa partie
liquide, et le moment arrive où, après avoir engorgé les godets
de l’intestin, sa masse accrue finit par former des pelottes obtu¬
ratrices qui s’arrêtent dans les parties rétrécies du gros côlon
et déterminent l’engouement de la totalité de l’organe.
L’appareil digestif contient toujours, à l’état physiologique,
dans ses dififérents départements, une certaine quantité de
flddes gazeux mélangés, qui proviennent de sources diverses.
Au moment de la déglutition, le bol alimentaire entraîne avec
lui de l’air atmosphérique qui s’est incorporé à la salive pen¬
dant la mastication; la muqueuse intestinale laisse exhaler sans
doute des gaz en échange de ceux qu’elle absorbe; enfin les fer¬
mentations diverses, dont les aliments sont le siège dans toute
l’étendue de leur parcours, donnent lieu à un dégagement de
gaz particuliers, en rapport avec ces fermentations dont ils accu¬
sent la nature. Aussi rencontre-t-on dans les réservoirs intes¬
tinaux de l’oxygène, de l’azote, de l’acide carbonique, de l’hy¬
drogène, de l’hydrogène carboné et de l’hydrogène sulfuré.
C’est surtout dans les premières parties des voies digestives que
l’on rencontre l’oxygène, l’azote et quelquefois l’acide carbo¬
nique. L’hydrogène, l’hydrogène carboné et sulfuré se trou¬
vent principalement dans le cæcum et le côlon, où les condi¬
tions de leur dégagement sont données par la fermentation des
matières végétales. Il n’est pas rare que, sous l’influence de
circonstances qu’on ne peut pas toujours déterminer, les fer¬
mentations des derniers réservoirs intestinaux deviennent assez
actives pour donner lieu à un grand dégagement de gaz, qui
distendent outre mesure les organes et ne peuvent en être que
difficilement expulsés, parce que cette distension extrême qu’ils
produisent, en paralysant la contractilité de l’intestin, annule
son mouvement péristaltique, qui est la condition essentielle de
son évacuation. De là ces tympanites ou météorismes qui vien¬
nent si souvent compliquer les indigestions du cheval.
Les mouvements de l’intestin sont influencés par un certain
nombre de circonstances qu’il est intéressant de rappeler ici,
afin de faciliter l’interprétation des phénomènes pathologiques,
et des effets qui se produisent sous l’influence des médications
118
INDIGESTION.
et des différcDts moyens thérapeutiques auxquels il est indiqué
de recourir pour remédier aux indigestions, sous leurs formes
diverses.
Le froid excite vivement les contractions de l’intestin. Ses
effets sont manifestes lorsque, sur un animal vivant ou qui
vient d’être tué, la masse intestinale est exposée à l’action de
l’air extérieur. Tandis que les mouvements intestinaux étaient
faibles et lents, alors que les organes contenus dans la cavité
abdominale pouvaient être observés à travers la transparence
du péritoine, on les voit s’exagérer et se produire d’une manière
pour ainsi dire tumultueuse lorsque l’air exerce directement
sur eux son action excitatrice.
La connaissance de ce fait explique et justifie la pratique de
recourir à des compresses, à des affusions, à des douches froi¬
des pour remédier aux douleurs abdominales par lesquelles se
traduisent les troubles de la digestion. Il est possible que, sous
l’action du froid, transmise à l’appareil intestinal, les contrac¬
tions excitées des parois des conduits et des réservoirs mettent
en mouvement les matières pâteuses, liquides ou gazeuses qu’ils
renferment, et déterminent ainsi la désobstruction des appa¬
reils.
L’impression du froid sur la membrane muqueuse dé l’intès-
tin produit des effets analogues à ceux qui résultent de son
’ action sur la séreuse. Les boissons froides mettent en jeu la
contractilité de la membrane charnue et avec une telle énergie
qu’elles donnent lieu très-souvent à des accidents d’une extrême
gravité, comme les invaginations et les volvulus ; les unes et les
autres sont produits, en effet, par les mouvements tumultueux
que peut déterminer l’action excitatrice d’un courant d’eau
froide qui parcourt rapidement lo long conduit de l’intes¬
tin grêle jusqu’à l’iléon, dont l’état normal de resserrement
oppose un obstacle à son passage libre dans le cæcum. Le cou¬
rant liquide, ainsi brusquement arrêté, peut déterminer dans
la partie de l’intestin qu’il gonfle un mouvement ascensionnel,
qui le fait passer par dessus l’iléon et Ty enroule. M. Colin rap¬
porte dans sa physiologie un cas de volvulus que nous avons
observé ensemble et qui paraissait s’être produit dans ces con¬
ditions : «Les dernières anses de l’intestin s’étaient enroulées
plusieurs fois autour de l’iléon contracté, de même qu’on le fait
aisément sur le cadavre. On conçoit le mécanisme de ce dépla¬
cement en se rappelant qu’à la suite de l’ingestion d’une grande
quantité d’eau froide, celle-ci arrive bientôt jusqu’à l’iléon qui,
INDIGESTION.
119
par son resserrement, lui ferme l’entrée du cæcum. Alors la
dernière anse, distendue et redressée par les liquides que chas¬
sent les contractions des parties antérieures, se renverse par
son propre poids et se tord sur l’iléon, pour peu qu’elle soit sur
un plan supérieur à celui-ci. »
De son côté, M. Reynal a donné l’explication des invagina¬
tions que l’impression du froid sur la muqueuse est susceptible
de déterminer. D’après lui, l’invagination se produit, sous l’in¬
fluence de cette cause, lorsqu’un mouvement anti-péristaltique
très-brusque s’effectue en avant d’un point, où la contraction
des fibres circulaires de l’intestin a déterminé son resserrement
d’une manière très-étroite. La partie postérieure à ce point res¬
serré, revenant sur elle-même sous l'impulsion anti-péristal¬
tique, glisse par-dessus le rétrécissement, le recouvre et l’absorbe
dans l’intérieur de sa propre cavité, ce à quoi concourt sans
doute le mouvement péristaltique qui se produit en même temps
que le mouvement opposé. Il faut savoir mettre à profit, dans
le traitement des indigestions, cette action excitatrice du froid
sur la contractilité des parois intestinales pour tâcher de la
mettre enjeu, soit par des breuvages à basse température', soit
par des lavements ou par des douches froides ascendantes, et
parvenir ainsi à la désobstruction des réservoirs plus ou moins
distendus et paralysés par les matières qu’ils renferment.
La contraction des parois intestinales peut être encore déter¬
minée par d’autres agents, tels que les liquides excitants : al¬
cools, éthers, vins, bières, infusions aromatiques et particu¬
lièrement les substances douées de propriétés purgatives qui
excitent tout à la fois les sécrétions de la muqueuse et la con¬
tractilité de la membrane charnue de l’intestin.
Enfin, il est possible d’^exercer sur cette membrane une action
excitatrice indirecte, en injectant dans les veines, soifr simple¬
ment de l’eau tiédie, soit des solutions médicamenteuses qui
portent principalement leur action sur l’appareil intestinal. Ces
mêmes agents médicamenteux peuvent être offerts à l’absorp¬
tion par la méthode endermique ou par les injections sous-
cutanées. Il y a là des ressources thérapeutiques dont nous in¬
diquerons les applications à l’occasion des différentes formes
d’indigestions que nous aurons à considérer.
On peut agir aussi sur l’intestin par des excitations périphé¬
riques telles que celles qui résultent du simple bouchonnement
de la peau, des frictions chaudes ou irritantes, des applications
sinapisées ou encore des courants électriques. Mais l’influence
120
INDIGESTION.
de ces excitations, à différents degrés, est d'autant plus puis¬
sante que la circulation sanguine est plus libre dans l’appareil
abdominal; des expériences physiologiques témoignent, en
effet, que, dans l’état congestionnel de l’intestin, ses mouve¬
ments sont considérablement affaiblis, tandis qu’ils sont très-
énergiques dans l’intestin exsangue. Ainsi s’expliquent les bons
effets que l’on obtient de la pratique de la saignée dans les dif¬
férentes formes de l’indigestion du cheval, et surtout dans l’in¬
digestion intestinale. Les déplétions sanguines, en facilitant la
circulation dans l’appareil digestif, ont pour résultat de rani¬
mer la contractilité assoupie de ses parois et de la faire concou¬
rir ainsi, d’une manière plus active, au but qu’il s’agit d’at¬
teindre : la mise en mouvement des, matières enfermées et
immobilisées dans les réservoirs et leur expulsion au dehors.
Quand cette pratique s’est introduite dans la cliniq|ie vétéri¬
naire et s’est imposée par ses incontestables succès, elle avait
contre elle des préjugés de doctrine. On craignait que la saignée
ne fût nuisible en tarissant les sécrétions de l’intestin et en pa¬
ralysant son action. C’est le contraire qui a lieu et la science
plus achevée aujourd’hui, loin d’être en contradiction avec l’ex¬
périence clinique, donne, des résultats qu’elle obtient, la plus
satisfaisante des interprétations. '
Apres l’exposé de ces considérations, nous allons procéder à
l’élude des différentes formes de l’indigestion dans le cheval.
I l®*". — Indigestion stosnaeole.
L’indigestion de l’estomac peut être la conséquence ou bien
de la réplétion à l’excès de cet organe par des matières alimen¬
taires, du reste parfaitement digestibles, ou bien de l’ingestion
dans sa cavité de substances qui, sans le surcharger par leur
masse, sont plus ou moins réfractaires à l’action digestive, soit
par leur constitution même, soit par les préparations incom-
plètes et insuffisantes qu’elles ont subies. Ces deux circonstances
peuvent se trouver réunies et donner lieu ainsi à des indiges¬
tions d’une gravité proportionnelle à l’intensité d’action des
deux causes qui conspirent à les déterminer.
La condition est donnée pour que l’estomac se remplisse ou¬
tre mesure de matières alimentaires qu’il sera ensuite impuis¬
sant à digérer, lorsque les chevaux affamés par les déperditions
d’un long travail, par le long temps écoulé depuis leur dernier
repas, par une diète prolongée, par la réduction de leur ration
d’entretien, quel que soit le motif qui l’ait déterminée, trou-
INDIGESTION.
121
vent devant eux de quoi satisfaire leur appétit surexcité. Mais
les chances de l’indigestion seront d’autant plus grandes, en
pareil cas, que les aliments exigeront pour être déglutis une
mastication moins lente et une insalivation moins complète.
Ainsi, par exemple, on peut dire que la paille, la luzerne; le
foin donnent bien plus rarement lieu à des indigestions stoma¬
cales que l’avoine, le son ou la, farine d’orge, parce que, quelle
que soit la voracité actuelle d’un cheval, il ne peut réussir à dé¬
glutir les premiers de ces aliments qu’après les avoir soumis à
une trituration qui, pour chaque bol, demande un assez long
temps; tandis qu’il boit, pour ainsi dire, l’avoine, le son et la
farine lorsqu’ils ont été, au préalable, suffisamment humectés.
Pour ces aliments-là, le sentiment de la faim peut être assez
impérieux pour déterminer les animaux à les déglutir avant
qu’ils aient été suffisamment triturés et insalivés, et à les accu¬
muler dans l’estomac en cet état de préparation imparfaite; ce
qui les rend doublement réfractaires et par leur masse et par la
trop grande impénétrabilité de leur trame aux liquides diges-
teurs. Certains chevaux naturellement voraces sont tellement
insatiables lorsqu’ils sont affamés que si, par hasard, ils trou¬
vent le coffre à avoine ouvert devant eux et restent libres d’y
manger à même, ils se gorgent jusqu’à régurgitation et meu¬
rent sur place, encore plus asphyxiés qu’indigérés. Le son aussi
et la farine d’orge peuvent produire les mêmes effets quand
des animaux affamés sont libres d’en manger sans mesure.
Mais la condition de l’indigestion peut se trouver et - se ren¬
contre, en effet, fréquemment dans la nature même des ali¬
ments. A ce dernier égard, les différences sont très-grandes
entre les substances fourragères, par. exemple, suivant leur
constitution élémentaire qui est, elle-même, subordonnée à l’é¬
poque de leur végétation où les fourrages ont été récoltés. Il
est clair que plus les plantes sont jeunes, plus elles sont diges¬
tibles, car leur cellulose elle-même peut subir des transforma¬
tions qui la rendent assimilable. Tandis que lorsqu’elles sont
montées à graines, aux dépens des matières nutritives que con¬
tenaient leurs tiges, celles-ci se sont lignifiées à mesure qu’elles
fournissaient à la graine une plus grande somnqe de leurs par¬
ties constituantes, et leur dureté accrue, par cette transforma¬
tion graduelle, les a rendues d’autant plus indigestes. Donc
plus les fourrages ont été récoltés tard, plus ils sont réfractaires
à l’action digestive. Mais les fourrages de mauvaise qualité don¬
nent plutôt lieu à des indigestions cœcales et intestinales qu’à
122
INDIGESTION.
des indigestions stomacales, car ils ne peuvent être avalés gou-
lûment, comme les graines, les farines ou les sons.
Le son surtout est dangereux lorsqu’il est donné en trop
grande quantité et comme premier aliment à un animal affamé.
Non pas qu’il constitue une matière inerte, une pellicule ex¬
clusivement ligneuse, comme on a de la tendance à le croire.
Le son est, au contraire, un aliment riche en azote, car une
couche considérable du gluten de la graine reste adhérente
à son écorce. L’instinct des animaux ne s’y trompe pas, et c’est
justement l’appétence qu’ils ont pour le son qui en fait un ali¬
ment dangereux, lorsqu’il n’est pas donné avec mesure et alors
que déjà l’appétit commence à être satisfait. Dégluti trop vite et
en trop grande quantité, le son peut être réfractaire à la diges¬
tion stomacale, bien plus par sa masse et sa trituration impar¬
faite que par sa nature même.
Si la paille, donnée entière, n’est pas susceptible de déter¬
miner des indigestions stomacales, parce qu’elle ne peut être
déglutie qu’après une longue trituration, il n’en est pas de
même de la paille bâchée menue et associée à du son et à des
balles de graminées. Dans ce cas, il est possible qu’elle soitmam
gée trop vite et qu’elle vienne remplir et distendre l’estomac au
point de le frapper d’inertie.
Les aliments peuvent être rendus indigestes, non-seulement
par les conditions mauvaises sous, l’influence desquelles les
plantes qui les constituent ont végété ou ont été récoltées, mais
encore par la prédominance en eux de certaines huiles essen¬
tielles, ou par les modifications qu’ils éprouvent sous l’influence
soit de la germination, soit des moisissures. Il y a des exem¬
ples d’indigestions stomacales causées par des pommes de
terre germées ou par des châtaignes moisies. Les accidents
causés par ce dernier fruit ont été signalés et bien décrits par
Veilban, vétérinaire du département de la Corrèze {Recueil de
méd.vét., 1823).
On admet encore que les indigestions stomacales peuvent être
occasionnées par les efforts musculaires, lorsque les animaux
sont mis au travail immédiatement après leur repas. Les refroi¬
dissements sont aussi invoqués comme causes; de même les
hémorrhagies ou encore les douleurs déterminées par des opé¬
rations chirurgicales. Ces circonstances diverses ne nous parais¬
sent pas avoir sur l’organisme du cheval l’influence qu’on leur
a attribuée, plutôt d’après ce que l’on a observé sur l’homme,
que d’après l’observation rigoureuse des faits de la pathologie
INDIGESTION.
123
vétérinaire. Si le travail immédiat après le repas exerçait sur la
fonction de l’estomac l’influence que l’on prétend, les indiges¬
tions stomacales devraient être des accidents bien autrement
fréquents qu’on ne les constate, car le plus grand nombre des
chevaux sont mis au travail, si pénible qu’il soit, immédiate¬
ment après leur repas. Malgré cela, cependant, l’indigestion sto¬
macale reste, pour les chevaux de travail, un fait exceptionnel
si Ton considère le nombre si grand des animaux qui sont expo¬
sés à l’action de cette cause prétendue. Une véritable cause ne
reste pas d’ordinaire si infidèle à ses effets.
J’en dirai autant des refroidissements. Les milliers de che¬
vaux qui travaillent journellement dans Paris mangent quand
ils sont en sueur, se refroidissent souvent, après leur repas,
dans l’immobilité d’une longue station, comme ceux qui font le
service de la place, et Ton ne voit pas qu’après tout les indiges¬
tions se proportionnent, par leur nombre, à la fréquence des cas
où les refroidissements exercent leur influence.
Que de fois la longue et douloureuse opération de la cautéri¬
sation est pratiquée sur des chevaux qui ne sont pas à jeun sans
que l’indigestion s’ensuive. Et de même pour beaucoup d’opé¬
rations douloureuses et même sanglantes, dans les écoles vété¬
rinaires notamment, où bien souvent les animaux sont opérés
d’urgence, sans qu’ils aient été soumis à une diète préalable.
Quant aux hémorrhagies, leur part d’influence sur la produc¬
tion de Tindigèstion doit être bien faible, car il n’est pas pos¬
sible, par des saignées répétées et même à fortes doses, d’arrê¬
ter la digestion stomacale et de donner lieu à la manifestation
des symptômes par lesquels les troubles de cette fonction se
caractérisent. Les expériences de Delafond sur ce point sont
parfaitement concluantes.
En résumé donc, l’indigestion de l’estomac, chez le cheval,
reconnaît surtout pour causes : soit la réplétion extrême de cet
organe, soit la présence dans sa cavité d’aliments qui, par le
fait de leur nature ou de leur trituration trop imparfaite, ou
des altérations qu’ils ont subies, sont plus ou moins réfractai¬
res à l’action des sucs digestifs. Quant aux autres causes invo-
fluées, elles rentrent dans le cadre des choses banales qu’on a
l’habitude de mettre en ligne de compte au chapitre de T étiolo¬
gie d’un grand nombre de maladies.
SYMPTÔMES DE L’INDIGESTION STOMACALE.
Le premier caractère qui différencie l’indigestion stomacale
124
INDIGESTION.
de celle des intestins est la manifestation soudaine de ses symp.
tômes après l’ingestion d’une quantité trop considérable d’ali-
ments. Immédiatement, ou peu de temps après le repas, le sen¬
timent de malaise qui résulte de la distension extrême de
l’estomac et de l’action de son poids sur ses moyens d’attache,
se traduit par l’état d’abattement et de tristesse de l’animal qui
s’éloigne de sa crèche, gratte ou frappe le sol des pieds anté¬
rieurs, trépigne du derrière, se tourmente, se couche en position
sternale, se relève, en un mot manifeste, par ces signes non
douteux, qu’il éprouve des coliques (voy. ce mot). La descrip¬
tion des symptômes caractéristiques de ces douleurs abdomi¬
nales ayant été donnée dans l’article spécial auquel nous ren¬
voyons, nous devons nous attacher surtout à faire ressortir ici
les signes qui sont plus particulièrement propres à l’indigestion
stomacale.
Ces signes sont de différents ordres : les uns procèdent direc¬
tement de l’appareil abdominal et les autres dénoncent les effets
que les troubles de la fonction stomacale exercent sur d’autres
systèmes.
Pour faire un exposé méthodique de ces symptômes, nous
allons les grouper d’après les appareils auxquels ils se ratta¬
chent.
1" Symptômes procédant de l’appareil digestif. — Tension des
parois abdominales ; lourdeur du ventre ; météorisme à des
degrés divers; défécations rares; bâillements. fréquents suivis
d’éructations. Mais ces éructations ne peuvent s’exécuter sans
que l’animal se mette dans l’attitude caractéristique du tic,
qui est l’expression des efforts énergiques auxquels il se livre
pour parvenir à faire franchir aux gaz de l’estomac la puissante'
barrière que leur oppose l’occlusion hermétique du cardia et
l’état de constriction permanente de la dernière portion de
l’œsophage.
Dans la relation qu’il a donnée de l’indigestion stomacale pro¬
duite par les châtaignes, Veilhan dit que « les rots étaient
sonores et d’une odeur qui approchait de celle des excréments
du cheval. » Levrat, dans un mémoire sur les coliques d’indi'
gestion, publié dans le Recueil (année 1844), parle aussi «de
fréquentes éructations de gaz à odeur acéteuse. » Gilbert avait
déjà signalé, dans son Instruction sur le vertige abdominal oa
l’indigestion vertigineuse (vendémiaire an lY), « la sortie de
l’air contenu dans l’estomac, » et le bruit aigu et plaintif dont
le dégagement de cet air s’accompagne lorsque l’animal par-
INDIGESTION.
125
vient à Tespulser. Mais ce symptôme n’est pas constant et peut-
être appartient-il plutôt à l’indigestion causée par des aliments
réfractaires àl’action des sucs gastriques qu’à celle qui est causée
par une plénitude extrême de la poche stomacale.
Les efforts expulsifs, dans l’indigestion stomacale, peuvent
donner lieu, non-seulement à l’expulsion des gaz, mais encore à
la réjection par les cavités nasales et par la bouche d’une cer¬
taine quantité de la pâte alimentaire contenue dans l’estomac.
Mais, pour que ce vomissement puisse s’effectuer, il faut que
sous l’influence de la douleur déterminée par la surcharge de
l’estomac, les muscles expirateurs soient mis synergiquement
en jeu, et déterminés à des efforts puissants et souvent répétés
qui peuvent aboutir à faire franchir aux matières pâteuses,
accumulées dans le ventricule, la barrière si énergique qu’op-,
pose à leur retour la constriction du cardia et de l’extrémité
inférieure de l’œsophage. '
De fait, lorsque l’animal va se livrer aux efforts que nécessite
le vomissement, il étend les membres antérieurs, porte ceux de
derrière sous le'corps, allonge le cou et baisse la tête ; alors les
muscles des parois abdominales se contractent énergiquement,
et par secousses qui ébranlent tout le corps et lui impriment à
chaque fois un mouvement en avant. Ce n’est pas de prime-saut
que les aliments sont rejetés; il faut des efforts répétés à la
suite desquels des matières alimentaires délayées, et répandant
une odeur caractéristique, sont expulsées par les naseaux et
quelquefois aussi en même temps par la bouche. Une fois que
cette réjection a commencé, elle se répète à chaque effort nou¬
veau, et alors, ou bien l’animal éprouve un soulagement mani¬
feste, ou bien tous les signes de mauvais augure s’aggravent et
la mort survient à bref délai.
Pas plus que les éructations, le vomissement ne se manifeste
pas d’une manière constante dans l’indigestion stomacale du
cheval, et il est vrai de dire qu’il constitue plutôt une exception
qu’uD phénomène fréquent ; mais quand ses manifestations se
produisent elles ont une grande valeur diagnostique, sans qu’on
doive cependant les considérer comme absolument univoques,
car elles peuvent être l’expression d’étranglements internes qui
donneut lieu à des phénomènes réflexes du côté de l’estomac.
Les animaux affectés d’une indigestion stomacale refusent
absolument les boissons et il est très-difficile de leur faire avaler
des breuvages. Lorsqu’on y parvient, l’ingestion dans l’estomac
des liquides administrés de force donne lieu, dans les symptô-
126 INDIGESTION.
mes, à une aggravation très-marquée qui a une grande signifi.
cation diagnostique.
2° Symptômes procédant de V appareil nerveux. — En dehors
des sensations de douleur, se traduisant par des coliques, dont
la surcharge de l’estomac est la cause, cet état morbide se
caractérise encore d’une manière assez fréquente par des symp¬
tômes nerveux qui ont une grande signification diagnostique.
Le premier effet de la plénitude extrême de l’estomac ou de
sa réplétion dans une certaine mesure par des matières qui
sont réfractaires à son action est un état comateux profond qui
se traduit par l’attitude abaissée de la tête ; l’affaiblissement ou
l’abolition de la faculté visuelle, coïncidant avec la grande dila¬
tation de l’ouverture pupillaire ; l’état d’immobilité des sujets
qu’on ne peut faire reculer et qui conservent les attitudes for¬
cées qu’on donne à leurs membres. Quand on veut les mettre
en mouvement, ils ne s’y décident qu’avec lenteur et leur pro¬
gression est bésitée, incertaine et non dirigée, non-seulement
parce que les animaux ne voient plus ou que leurs perceptions
sont obscures, mais encore et surtout parce que l’incitation
motrice est affaiblie et n’imprime aux appareils qu’elle domine
qu’une impulsion insuffisante.
Chez un assez grand nombre de sujets, à ces premiers symp¬
tômes de coma viennent s’ajouter d’autres manifestations ner¬
veuses qui procèdent des mêmes troubles des appareils centraux
que le coma lui-même, et sont l’expression d’un état patholo¬
gique plus grave et plus intense.
Ces manifestations sont celles que l’on est convenu d’appeler
vertigineuses. Elles se caractérisent par l’appui de la tête contre
le mur qui lui fait face et l’attitude que nous appellerons
impulsive de tout le corps. Les animaux poussent au mur,
comme on a l’habitude de le dire, tantôt d’une manière conti-
nüe et sans violence, et tantôt par accès, et alors avec une sorte
de fureur. Dans ce dernier cas, il n’est pas rare que leurs pieds
se dérobent sous eux et qu’ils tombent; puis qu'ils se relèvent
tout à coup, pour se remettre dans leur attitude impulsive
énergique, jusqu’à ce qu’un état de calme relatif ou plutôt
•de coma succède à cette exacerbation.
Lorsque les animaux qui poussent au mur sont détachés et
mis en mouvement, on les voit se porter en avant, comme sons
l’influence d’ime impulsion dont ils ne sont pas maîtres, et ne
s’arrêter que lorsqu’ils rencontrent un obstacle contre lequel
ils s arc-boutent et reprennent leur attitude impulsive caracté-
INDIGESTION.
127
ristique. La manière dont ils s’y heurtent dénonce, chez eux,
l’affaiblissement ou plutôt l’abolition actuelle de la faculté
visuelle.
Si, au lieu de les laisser pousser au mur, dans une attitude
immobile, on leur laisse la faculté de se mouvoir dans un cer¬
cle, comme un cheval de manège, ils vont incessamment devant
eux, dans leur piste circulaire et ne s’arrêtent que lorsqu’ils
sont épuisés par la fatigue de leur marche incessante.
L’expression faciale des chevaux qui ont delà tendance à
pousser au mur est rendue souvent très-caractéristique par des
sortes de grimaces, résultant des contractions convulsives des
muscles de la face. Souvent aussi les mâchoires sont mises en
mouvement de la même manière que si les animaux man¬
geaient, et enfin la langue est tantôt pendante et tantôt elle reste
retirée dans le fond de la bouche.
L’appui et le frottement de la tête contre le mur sur lequel
elle est poussée ont pour conséquence de déterminer les exco¬
riations consécutives de ses parties saillantes, notamment des
arcades orbitaires, et par suite l’infiltration œdémateuse des
paupières, qui s’abaissent sur les yeux et restent écartées du
globe par le chémosis que l’œdématie a produit. De là une ex¬
pression faciale toute particulière, qui ne se rattache à l’état
morbide primitif que d’une manière contingente, mais ne laisse
pas cependant que d’avoir une assez grande signification dia¬
gnostique.
L’état vertigineux peut se caractériser, dans quelques cas,
par des symptômes qui simulent la rage. « Tous les muscles du
corps, dit Gilbert, éprouvent un spasme violent.... La bouche se
remplit d’écume qui coule abondamment. L’anitnal donne des
signes de fureur ; il prend entre les dents sq litière et l’y retient
longtemps.... Il saisit sa mangeoire avec les dents, etc,, etc....
Mais, dans ses accès, il reste toujours inoffensif pour l’homme
ou pour les animaux qui sont à la portée de ses atteintes. La
rue d’un chien ne donne lieu chez lui à aucune excitation et il
Q a aucune tendance à le mordre, comme c’est le cas. le plus
ordinaire chez le cheval, victime de la rage véritable, s
Ce caractère différentiel, si nettement accusé, empêche de
confondre l’état rabique avec le vertige furieux, symptomatique
de l’indigestion stomacale.
3" Symptômes procédant des appareils respiratoire et circula¬
ire. Chez les chevaux affectés d’une indigestion de l’es-
hanac, surtout quand elle est causée par une surcharge
128
INDIGESTION.
d’aliments, la respiration est souvent rendue laborieuse et
quelquefois même suffocante, par la pression que l’estomac
exerce sur le diaphragme dont il gêne les mouvements, et par la
diminution proportionnelle de la cavité thoracique. L’empê¬
chement opposé à la liberté des mouvements respiratoires se
traduit par la dilatation exagérée, des narines, l’expression an¬
goissante de la physionomie, le soulèvement des côtes, l’irrégu¬
larité du rhythme des flancs ; et ces troubles s’exagèrent propor¬
tionnellement à l’intensité des -coliques, car la respiration
devient d’autant plus diîficultueuse qu’elle s’accélère davantage
sous l’influence de l’agitation à laquelle les coliques donnent
lieu. '
Avec les troubles de la respiration coïncident ceux de la cir¬
culation : les muqueuses apparentes reflètent, par leur teinte
rouge, plus bu moins foncée, l’état de réplétion de leurs vais¬
seaux. Sur la conjonctive une teinte jaunâtre s’associe souvent
à la nuance rouge qui résulte de l’injection vasculaire. La plé¬
nitude des vaisseaux périphériques est dénoncée, dans la pre¬
mière période de la maladie, par le relief de leurs arborisations
sous-cutanées.
Les caractères du pouls se modifient, dans le cours de l’indi¬
gestion stomacale, suivant l’état des forces dont il donne la
mesure. Au début il est, le plus souvent, grand, développé,
plein, tendu, en rapport avec la plénitude actuelle de l’appa¬
reil vasculaire et l’énergie des réactions que déterminent les
douleurs dont l’estomac est le siège. Mais lorsque, sous l’in¬
fluence de ces douleurs nécessairement accrues, les forces se
dépriment, la tension du pouls diminue ; il devient plus petit,
plus serré ; puis il s’efface graduellement et le^ moment arrive
où l’ondée sanguine file et devient imperceptible.
En résumé, les .symptômes essentiefs qui caractérisent l’indi¬
gestion stomacale et peuvent servir à la différencier des autres
maladies abdominales, ayant pour mode commun d’expression
les coliques, sont ; les bâillements ; les douleurs accrues après
l’administration des breuvages; les efforts èxpulsifs, aboutis¬
sant à la réjection par les voies antérieures de gaz ou de matières
alimentaires délayées ; la tendance à pousser au mur dans la
station immobile ou à se porter en avant, ce qui procédé de la
même excitation ; les manifestations de fureurs, simulant par
quelques traits les fureurs rabiques, et enfin les difficultés plus
ou moins accusées de la respiration. Cet ensemble de symptô¬
mes donne aux coliques stomacales leur véritable signification,
INDIGESTION.
1Î9
et il deviendrait facile de les diagnostiquer si toujours ces
symptômes se manifestaient dans leur ensemble. Mais ils peu¬
vent manquer, et l’indigestion de l’estomac ne se traduisant
alors que par des coliques communes, il est difficile de dire
exactement d’où ces coliques procèdent et ce qu’elles signifient.
Forcément, en pareil cas, le diagnostic reste indéterminé et
l’autopsie seule peut faire reconnaître le siège précis et la cause
du mal. Toutefois, il est vTai de dire que, dans la plupart des
cas, lorsque les indigestions stomacales sont assez grèves pour
entraîner la mort, leurs symptômes essentiels ne manquent pas
et, tout particulièrement, les efforts de réjection et la tendance
à pousser au mur; en sorte qu’en définitive, ce sont surtout les
indigestions stomacales légères pour lesquelles existent vérita¬
blement les difficultés d’un diagnostic tout à fait précis. Ne se
traduisant que par quelques douleurs ventrales, elles restent
confondues, sans de bien graves inconvénients, du reste, pour
la pratique, avec les autres maladies abdominales qui se carac¬
térisent par des coliques peu intenses et de peu de durée.
Pronostic de l’indigestion stomacale. — L’indigestion légère
est une maladie sans conséquence. Mais celle qui résulte d’une
surcharge alimentaire est grave au suprême degré ; la; plupart
du temps elle se termine par la mort.
Ce qui constitue chez le cheval cette gravité exceptionnelle
de l’indigestion causée par la réplétion extrême de l’estomac,
c’est l’impossibilité presqu’absoîue de l’évacuation de cet or¬
gane par la voie cardiaque et la très-grande difficulté, sinon
l’impossibilité de son évacuation par la voie du pylore, ses
parois distendues à l’excès étant frappées d’inertie, ou tout au
moins n’ayant plus assez de puissance contractile pour agir
efficacement sur la masse qu’elles enveloppent. Dans les carni¬
vores et dans les omnivores, quand bien même l’état d’extrême
plénitude de l’estomac paralyse actuellement sa contractilité et le
transforme en une poche comme inerte, la réjection des inatières
qu’il renferme est encore possible et même facile, parce qu’il suffit
de la contraction des parois abdominales, agissant synergique¬
ment avec le diaphragme, pour que tout ce qu’il contient soit
rejeté au-debors par le cardia, largement ouvert et facilement
düatable. Dans le cheval, nous le savons, il en est tout autre¬
ment. Aussi qu’arrive-t-il, chez cet animal, lorsque la réplé¬
tion de son estomac donne lieu à la sensation qui détermine les
actions réflexes de la moelle sur les muscles expirateurs et met
ces muscles en jeu pour produire l’évacuation du viscère sur-
X. 9
130
INDIGESTION.
plein ? Dans le plus grand nombre des cas, les efforts de ces mus¬
cles restent impuissants à faire surmonter aux matières accu-
mulées dans l’estomac la résistance du cardia, nt aucune
réjection ne s’opère. Mais comme ces efforts sont très-éner¬
giques, les matières de l’estomac, soumises, pour ainsi dire, à
la presse, réagissent contre ses parois avec assez de force pour
en déterminer la rupture, de la même manière que l’on fait
éclater une vessie pleine d’eau lorsqu’on la soumet à une trop
forte pression. Mais si l’estomac peut aussi éclater , dans la cavité
abdominale, dans ces conditions de pression excessive que réa¬
lise, pour lui, la contraction puissante des muscles expirateurs,
la rupture de ses tuniques ne s’effectue pas d’une manière égale.
C’est la moins extensible, c’est-à-dire la séreuse, qui se rompt la
première etdansune plus grande étendue ; puis c’est la membrane
musculaire qui cède et qui se déchire ; et en dernier lieu, c’est
la muqueuse qui, plus extensible que les deux autres, se prête
davantage à l’effort intérieur exercé contre elle, et ne se perfore
que dans une bien plus petite limite.
Rupture possible de l’estomac, sous l’influence des efforts de
vomissement, sans que ces efforts donnent lieu à aucune réjec¬
tion, voilà une des conséquences les plus fréquentes de l’in¬
digestion stomacale avec surcharge.
Lorsque ces efforts de vomissement sont suivis d’effets, ce
qui arrive dans un certain nombre de cas, comme nous l’avons
vu au paragraphe précédent, quelle est la signification pronos¬
tique de ce phénomène? A cet égard les opinions formulées par
les auteurs sont très-divergentes. Pour les uns, le vomissement,
chez le cheval, est toujours un signe de très-mauvais augure,
parce qu’il implique forcément, suivant eux, que l’estomac est
rupturé. C’était la manière de voir de Lafosse fils, partagée et
soutenue par Renault. Girard, Vatel, Bouley jeune, tout en
considérant le vomissement comme un symptôme presque
toujours grave, n’étaient pas si exclusifs; ils admettaient,
d’après leur expérience, qu’il pouvait se produire sans que
nécessairement la rupture de l’estomac coexistât avec lui, et,
par conséquent, sans que la mort s’ensuivît d’une manière
fatale. C’est cette dernière opinion qui est l’expression de la
vérité. Sans doute que l’on constate asse^ communément l’exis¬
tence d’une déchirure de l’estomac, à l’autopsie de chevaux
chez lesquels on a vu le vomissement se produire; la simul-'
tanéité fréquente de ces deux faits, bien reconnue par Lafosse, le
justifie grandement d’avoir attribué au vomissement une signi-
INDIGESTION.
131
flcation diagnostique défavorable. Mais il a été trop loin en lui
donnant cette signification d’une manière absolue. Si, dans le
plus grand nombre des cas, lorsque les efforts du vomissement
sont assez puissants pour déterminer la réjection de la pâte
alimentaire, ils aboutissent, en même temps, à produire la.
rupture de l’estomac, cet accident n’est pas constant comme
l’admettait Lafosse. L’estomac, chez le cheval, peut être désempli
par le vomissement, comme chez les carnivores, et il est même
possible que cet acte soit pour cet animal, comme pour les au¬
tres, le prélude et même le moyen définitif de la guérison de
l’indigestion avec surcharge. Dans le mémoire de Veilhan sur
l’indigestion du cheval avec des châtaignes sèches, il est rap¬
porté que les gaz expulsés de l’estomac « entraînaient quel¬
quefois des parcelles de châtaignes mâchées, mêlées à d’autres
aliments ; et que, dans deux circonstances, ces matières ont été
rejetées en si grande abondance qu’elles sont arrivées à pleines
narines et à pleine bouche de la même manière que lorsque le
vomissement a lieu. » « Ce mouvement antipéristaltique ne s’est
opéré qu’après de grands efforts, ajoute Veilhan, et a produit à
chaque fois un soulagement sensiWe ; circonstance, dit-il, qui
prouve d’une manière incontestable et qui fait regretter de plus
en plus les grands avantages qu’on retirerait des émétiques dans
ces cas, comme dans tant d’autres, si les animaux -qui nous
occupent n’étaient pas privés de la faculté de vomir. »
Bien des faits du même ordre pourraient être recueillis dans
les annales de la science. Ils donnent la preuve que l’opinion
de Lafosse sur la gravité du vomissement est trop absolue et
qu’en définitive, ce symptôiüe, loin d’être toujours de mauvais
augure, peut être, au contraire, un signe des plus favorables. Ce
n’est donc pas en soi qu’il faut le juger, mais d’après les mani¬
festations qui lui succèdent. Lorsqu’il produit un soulagement
sensible, comme l’a constaté Veilhan, qu’en même temps le pouls
se relève, que la respiration devient plus libre,' que la physio¬
nomie cesse d’être anxieuse, etc., on peut en inférer avec cer¬
titude que l’estomac ne s’est pas rupturé, malgré la forte presse
à laquelle il a fallu qu’il fut soumis pour que la réjection d’une
partie de ce qu’il contenait ait pu s’effectuer, à travers et malgré
la résistance du cardia. Quand, au contraire, après le vomisse-
naent effectué, ou pendant qu’il continue par une sorte de régur¬
gitation, l’animal reste abattu, quand son pouls se déprime et
s efface, que sa marche devient de plus en plus titubante, que
sa température s’abaisse sensiblement aux extrémités et à plus
132
INDIGESTION.
forte raison sur le corps, on peut inférer, d’après ces signes non
douteux, sinon, d’une manière absolue, comme le voulait
Lafosse, que l’estomac est rompu, au moins que son évacuation
par la voie cardiaque a été insuffisante ou est restée inutile, et
que l’action dépressive de la surcharge alimentaire sur le
système nerveux continue à s’exercer en plein, et doit aboutir à
une mort très-prochaine.
Autopsie. — Le premier fait principal que l’on constate à l’aui.
topsie des chevaux morts d’indigestion stomacale, c’est le volume
exagéré de l’estomac, distendu à l’excès par la masse des ma¬
tières qui y sont accumulées, et qui représentent un poids de
18 à 20 kil., c’est-à-dire le poids extrême que comporte la
capacité de cet organe. Cette masse est formée le plus souvent
par des grains, des farines ou du son, qui ont été soumis à une
trituration incomplète, conséquence soit de la gloutonnerie de
l’animal, soit de l’imperfection de son appareil masticateur.
L’action gastrique ne s’est opérée qu’à la surface et se traduit
par une pulpe blanchâtre qui s’y étale en couche peu épaisse.
Mais à l’intérieur, la pâte alimentaire très-condensée n’a subi
d’autre modification apparente que celle qui résulte de la tritu¬
ration des substances qui la composent. Toutefois son odeur
très-acide dénonce le commencement de fermentation dont elle
est le siège.
Quant à l’estomac, ses tuniques distendues en paraissent
d’autant amincies, mais elles n’offrent rien de caractéristique .
dans leur coloration, si ce n’est peut-être qu’elle est plus lavée
que lorsque l’organe est en activité physiologique régulière.
Dans le cas où les parois de l’estomac se sont rompues, c’est
toujours le long de la grande courbure que la déchirure a lieu,
plus grande sur la séreuse, qui moins extensible a cédé la pre¬
mière, moindre sur la membrane charnue, plus petite encore
sur la muqueuse. L’état ecchymotique des bords de ces déchi¬
rures est le signe certain que c’est pendant la vie qu’elles se
sont opérées. Dans le cas de déchirure après la mort, les lèvres
de la solution de continuité sont tout à fait exsangues.
g^Quand la mort est survenue après les manifestations du
vomissement, l’ouverture cardiaque, au lieu, d’être étroitement
fermée comme dans l’état physiologique, donne passage à des
matières alimentaires qui y sont engagées, et remplissent plus
ou moins le tube œsophagien dans sa partie rétrécie.
Malgré sa rupture au niveau de sa grande courbure, l’es¬
tomac reste toujours plein de la plus grande partie des matières
INDIGESTION.
133
qui le disteDdaient, parce qu’elles ne sont pas assez fluides et
même assez ductiles pour s’échapper en grande quantité par la
yoie accidentelle qui leur est ouverte. De fait, c’est ce défaut
d’une suffisante ductilité qui empêche leur évacuation par le
pylore, malgré la forte presse, à laquelle elles sont soumises
pendant les efforts évacuateurs. Aussi n’en rencontre-t-on
qu’une très-petite quantité interposée entre les feuillets de
l’épiploon, ou répandue dans la cavité du péritoine par suite de
la rupture facile de l’un ou de l’autre de ces feuillets.
En dehors de ces faits, rien autre de particulier à l’indiges¬
tion stomacale ne peut être noté. L’état du système nerveux
splanchnique et médullaire n’a pas encore été étudié, que nous
sachions tout au moins, dans cette maladie. Des recherches
faites sur ces organes, avec les moyens d’investigation dont on
dispose aujourd’hui, donneraient sans doute des résultats inté¬
ressants.
TRAITEMENT DE L’INDIGESTION STOMACALE.
L’indigestion stomacale simple, légère, se guérit facilement,
en mettant surtout en jeu la contractilité de la membrane char¬
nue de l’estomac, dont les mouvements ont pour effet de brasser
les matières, de multiplier leurs rapports avec les sucs gastri¬
ques et enfin de leur faire franchir le détroit pylorique.
Un grand nombre de moyens conviennent pour atteindre ce
résultat. En premier lieu, il faut placer les infusions chaudes
de plantes stimulantes : camomille, sauge, mélisse, fleurs de
sureau, thé, feuilles d’oranger, foin des prairies, café vert (en
décoction), café torréfié, etc., etc. La cannelle, la noix muscade,
l’anis et, en général, tous les excitants stomachiques, dont l’an¬
cienne hippiatrie faisait un si fréquent usage, peuvent rendre
effectivement de très-utiles services en pareils cas. Il en est de
même du vin chaud, de la bière, des breuvages alcooliques plus
ou moins concentrés, administrés seuls ou associés aux infu¬
sions stimulantes et aux stomachiques.
Dans le cas où le symptôme douleur est un peu prédominant,
les breuvages d’éther simple ou nitreux (15 à 30 grammes),
l’éiixir de Lebas (30, 40, 50, 60 grammes) se montrent géné¬
ralement efficaces.
On obtient aussi de bons résultats des breuvages ammonia¬
caux donnés froids (1 6 à 32 grammes pour un litre) ; des solu¬
tions salines : sel marin, azotate de potasse (15 grammes asso¬
ciés à 30 d’éther) ; les extraits amers de genièvre et de gentiane
134 INDIGESTION.
peuvent entrer aussi avantageusement dans la composition des
breuvages stomachiques.
Outre ces moyens, à l’aide desquels on peut agir directement
sur l’estomac et solliciter la mise en jeu de ses diverses actions,
il ne faut pas négliger de recourir apx moyens indirects, tels
que les frictions sur la peau, —sèches, excitantes ou irritantes,
— les affusions froides sur le dos et sur l’épigastre, les lavements
chauds ou froids, les douches ascendantes par l’anus, si la mani¬
festation des symptômes en indique l’emploi; enfin la prome¬
nade continuée proportionnellement à la durée du temps pendant
lequel l’animal témoigne de ses souffrances abdominales.
Généralement, les indigestions simples cèdent à l’emploi de
l’un ou de l’autre de ces moyens, ou à l’association de quel¬
ques-uns d’entre eux. Mais pour les indigestions avec surcharge,
il en est tout autrement. Gomment désemplir la cavité de l’es¬
tomac de cette masse de 20 kilogrammes, et plus même, de ma¬
tières pâteuses, condensées, qui l’obstruent et le condamnent à
l’inertie par la distension' extrême qu’ils lui font subir, comme
par le poids dont ils le surchargent? et comment obtenir ce
désemplissement d’une manière méthodique et réglée, sans
courir le danger de déterminer la rupture du viscère par la
mise en jeu de forces trop énergiques, comme celles que, repré¬
sentent les convulsions du vomissement? C’est là, à coup sûr,
l’une des plus grandes difficultés de la thérapeutique hippia-
trique, si grande que, la plupart du temps, tous les moyens
auxquels on a recours pour la résoudre restent inutiles ou im¬
puissants, et que, quelquefois même, iis se montrent dangereux.
Ce n’est pas à dire cependant qu’il n’y ait rien à tenter. Gomme
il n’est pas toujours possible de juger, d’une manière absolu¬
ment rigoureuse, de la gravité des cas d’après leur expression
symptomatique, et qu’en définitive, l’expérience enseigne que
l’indigestion stomacale est susceptible de guérison, dans un
certain nombre de circonstances, même lorsqu’elle se traduit
par les symptômes lesjplus graves, il ne faut jamais désespérer
d’une réussite qui est, après tout, dans les choses possibles, si
la plus grande somme des chances n’est pas pour elle..
Examinons donc les indications à remplir en pareils cas et
voyons comment on peut y satisfaire.
L’indication qui domine toutes les autres, c’est de faire éva¬
cuer l’estomac, dans le temps le plus court possible, des ma¬
tières qui l’obstruent et qui’donnent lieu, par leur présence, à la
manifestation des symptômes si graves et si inquiétants qui
INDIGESTION.
135
caractérisent Tindigestion. Le principal obstacle à cette évacua¬
tion, c’est l’état de compacité des matières pâteuses accumulées
dans l’estomac. Il faudrait qu’elles fussent rendues plus ductiles
pour que, davantage, elles se prêtassent aux mouvements que
les contractions de l’estomac et celles des parois abdominales
tendent à leur imprimer. La première indication est. donc de
les délayer. Mais là se présente immédiatement une difficulté :
l’estomac est déjà distendu à l’excès et l’introduction dans sa
cavité de nouvelles substances peut avoir pour résultat d’en dé¬
terminer la rupture. Cette difficulté peut être parée, dans une
certaine mesure, en administrant des substances qui, tout en
exerçant sur les matières pâteuses une action délayante, aient
pour propriété de condenser les gaz de la fermentation et de
faire disparaître ainsi l’une dés conditions de la distension ex¬
trême de l’estomac. L’expérience a démontré qu’à ce point de
vue les breuvages alcalins d’ammoniaque, ou encore d’eau de
chaux, pouvaient rendre de très-utiles services. .Veilhan se féli¬
cite des effets merveilleux qu’il a obtenus de l’emploi de l’alcali
volatil dans l’indigestion par les châtaignes dont il a donné la
relation. Mais cette indigestion, il faut le dire pour expliquer
les succès presque constants de la médication qu’il a suivie, dé¬
pendait bien moins de la surcharge de l’estomac que de la na¬
ture réfractaire à la digestion des substances ingérées.
Quoi qu’il en soit, l’administration des breuvages alcalins est
parfaitementindiquée en pareil cas. Mais ‘il faut les administrer
par petites gorgées intermittentes, et non pas à haute dose et
d’un seul coup, comme on a trop souvent l’habitude de le faire.
On prévient ainsi les conséquences redoutables qui peuvent ré¬
sulter de l’augmentation du volume des matières déjà accumu¬
lées dans l’estomac.
Quand on est parvenu à obtenir, par cette première adminis¬
tration, la réduction du volume de ces matières par la conden¬
sation des gaz, et leur délaiement, dans une certaine mesure,
par l’addition à leur masse des liquides des breuvages, peut-
être y aurait-il avantage à essayer d’exercer sur elles une action
dissolvante par l’administration de breuvages acides. L’eau de
Habel, l’acide sulfurique, dilués dans la mesure convenable
pour l’usage interne, pourraient être administrés avantageuse-
. ment. Le petit lait aigri conviendrait aussi. Peut-être que la
pulpe obtenue par le grattage de la muqueuse de la caillette
d’animaux récemment tués, moutons ou bœufs, produirait de
bons effets en raison de la pepsine que cette pulpe contient. Si
136
INDIGESTION.
la pepsine commerciale n’était pas un produit si cher, il y au¬
rait lieu d’en faire l’essai, car la plupart du temps, nous l’avons
dit déjà, les indigestions stomacales, avec surcharge, sont cau¬
sées par des graines ou du son, c’est-à-dire par des substances
plus riches en principes azotés que les autres aliments et dont,
conséquemment, le suc gastrique est le dissolvant essentiel.
Mais il ne suffit pas d’essayer de délayer et de dissoudre les
matières pâteuses de l’estomac, il faut tâcher aussi que les pa-
rois de l’organe réagissent contre elles et leur impriment les
mouvements qui sont la condition de leur passage dans l’in¬
testin. Pour cela, il est nécessaire de stimuler les contractions
de la mémbrane charnue du viscère, en partie paralysée par son
extrême distension. Déjà un effet utile a pu être produit, à ce
point de vue, par les médicaments condensateurs des gaz. L’am¬
moniaque exerce en outre une action stimulante. On peut com¬
pléter son action par d’autres breuvages, alcooliques et stoma¬
chiques, dont l’énumération est donnée en tête de ce chapitre ;
mais il ne faut pas oublier qu’il est nécessaire de ne procéder
aux administrations médicamenteuses, quelles qu’elles soient,
qu’avec une extrême mesure au point de vue de la quantité,
car l’estomac est surplein et le danger de sa rupture doit tou¬
jours être considéré comme imminent.
On doit aussi essayer de mettre enjeu la contractilité de l’es¬
tomac par des moyens indirects, tels que la saignée à assez forte
dose, les douches froides sur le corps et particulièrement sur la
région hypogastrique, enfin les douches froides par le rectum.
Nous avons vu, dans les considérations physiologiques, que
la déplétion de l’appareil vasculaire rendait plus actives les con¬
tractions du système musculaire de l’appareil digestif. D’on l’in¬
dication de la saignée dans le cas où ce système est engourdi et
demande à être réveillé. L’expérience clinique, en vétérinaire,
en a, du reste, dém.ontré les incontestables avantages.,
Le froid sur la peau donne lieu à des actions réflexes qui se
traduisent par une plus grande activité des contractions de l’ap¬
pareil abdominal. Même effet produit par les douches rectales.
Des injections intravasculaires d’un liquide même indiffé¬
rent, comme l’eau froide ou tiède, et à plus forte raison, de
substances douées de propriétés spéciales, émétiques ou purga¬
tives, peuvent aussi être efficaces à mettre enjeu les contrac¬
tions de l’estomac; mais il ne faut pas oublier que cette pra¬
tique est périlleuse et qu’elle l’est d’autant plus que les matières
stomacales sont dans un état de plus grande compacité. Que si
INDIGESTION.
137
donc on croyait devoir y recourir, ce ne serait pas d’emblée
qu’il faudrait le faire, c’est-à-dire à la première période des
manifestations de l’indigestion, mais plus tard après l’adminis¬
tration des breuvages délayants et dissolvants, alors que les
chances sont plus grandes pour que les pâtes de l’estomac se
trouvent actuellement dans un état de plus grande ductilité.
Et, à moins qu’on ne veuille faire des expériences, mieux vaudra,
en pareil cas, au point de vue réellement pratique, faire usage
des injections seulement aqueuses, plutôt que de celles qui sont
douées de propriétés électives, comme les émétiques, de peur que
les vomissements déterminés par leur action ner donnent lieu
à des effets excessifs. Qu’on y réfléchisse bien, en effet : ce qu’il
faut, en pareil cas, c’est coordonner les forces et les propor¬
tionner, dans leur action, à la nature des résistances qu’elles
doivent surmonter. Si on veut les faire agir, alors que ces résis¬
tances sont encore insurmontables, il ne peut en résulter que
de grands dommages pour les instruments par l’intermédiaire
desquels elles manifestent leurs effets.
La promenade continue est un des moyens du traitement ap¬
plicable à l’indigestion stomacale. Le va et vient que les mou¬
vements plus accélérés du diaphragme impriment à la poche de
l’estomac ne peut être que favorable à son évacuation. Mais
cette promenade doit toujours être faite au pas; les secousses des
allures plus vives ne peuvent qu’aggraver les sensations doulou¬
reuses que la plénitude de l’estomac détermine ; elles peuvent
aussi avoir pour conséquence la rupture de ce viscère et même
celle du diaphragme contre lequel la masse s’appuie. De fait, on
conçoit que si, à l’intensité dé la pression, s’ajoutent les effets
de la quantité de mouvement qui résulte des oscillations plus
étendues des allures rapides, la résistance de la cloison dia¬
phragmatique peut en être surmontée.
Gilbert, dans son mémoire sur la variété d’indigestion du
cheval qu’il a appelée vertigineuse, ou vertige abdominal, re¬
commande tout particulièrement l’usage du tartre stibié, à la
dose d’une demi-once dans deux pintes d’une infusion de ca¬
momille, ou de mélilot. « L’émétique remplit à la fois plusieurs
indications, dit-il; non-seulement les secousses qu’il donne à
l’estomac tendent à le débarrasser des aliments qui le surchar-
- gent, mais elles y déterminent la bile retenue dans ses réser-
voirs qu’elles forcent à l’exprimer. Elles tirent les organes de
y ^ l’état d’atonie et de stupeur dans lequel ils sont tombés et
tendent à diminuer les affections soporeuses. «
138
INDIGESTION.
Gilbert combinait l’usage de l’émétique avec celui des stoma¬
chiques aromatiques, tels que les infusions de menthe, d’absin-
the, de petite centaurée, des fleurs de camomille et de mélilot.
Enfin, il prescrivait de recourir aux bains froids et, dans l’im¬
possibilité d’emploi de ce moyen, aux douches d’eau froide qui,
dit-il, produisent des effets admirables.
La maladie à laquelle Gilbert conseillait d’appliquer ce trai¬
tement n’est pas l’indigestion avec surcharge immédiate d’ali¬
ments, comme celle que nous avons eu particulièrement en
vue, dans la description de ce paragraphe ; mais bien une indi¬
gestion à marche lente, n’ayant pas son siège exclusif dans l’es¬
tomac et ne résultant pas de sa surcharge. On comprend que,
dans ces conditions, l’émétique puisse produire les bons effets
que Gilbert a obtenus de son administration. Mais dans l’indi¬
gestion d’emblée avec surcharge de l’estomac , ce moyeu ne
constituerait qu’un nouveau danger et doit être proscrit. Nous
reviendrons, du reste, sur ce sujet, à propos du vertige abdomi¬
nal qui demande une étude à part. {Voy. ce mot.)
Quand les symptômes de l’indigestion stomacale ont disparu,
ce qui implique l’évacuation de l’estomac, en plus grande par¬
tie, par la voie pyiorique, les purgatifs minoratife peuvent être
employés avantageusement pour débarrasser le canal intestinal
des matières en excès qu’il peut contenir.
Il convient de soumettre, pendant quelques jours, à un ré¬
gime diététique, les animaux qui ont échappé aux dangers de
l’indigestion stomacale et d’en prévenir le retour par un ra-
' tionnement méthodique qui les empêche d’absorber trop ra¬
pidement leurs aliments. On atteindra ce résultat, avec les
chevaux voraces qni boivent leur avoine plutôt qu’ils ne la
mangent, en ne leur donnant que du foin pour satisfaire leur
premier appétit lorsqu’ils reviennent du travail. Le foin ne
pouvant être dégluti qu’ après une mastication suffisante, force
est bien à, l’animal de prendre le, temps de le mâcher avant de
l’avaler et de n’emplir son estomac qu’avec une certaine len¬
teur, qui permet l’exécution graduelle de sa. fonction propre.
Une fois que l’ingestion d’une certaine ' quantité de foin a sa-
. tisfait le premier et le plus impérieux sentiment de la faim,
la ration d’avoine peut alors être donnée sans danger; l’animal,
au lieu de la dévorer trop -rapidement, la soumettra. à une tri¬
turation suffisante et les bols alimentaires se succéderont
dans l’estomac avec assez de lenteur pour qu’il ait le temps de
les brasser, de les imprégner de ses sucs, et enfin de les diri¬
ger graduellemement vers l’intestin.
INDIGESTION.
139
§ «. — Indigestion ccecale.
L’indigestion cœcale résulte le plus ordinairement de la tri¬
turation insuffisante que les matières alimentaires ont subie
sous les meules dentaires, par suite, soit de l’irrégularité des
dents, soit de la mauvaise disposition de leur table, soit de l’al¬
tération maladive de l’une ou de plusieurs d’entre elles. En un
mot, tout cheval qui mâche mal ses aliments est prédisposé et
exposé aux indigestions cœcales. Aussi sont-elles fréquentes sur¬
tout sur les vieux chevaux, et principalement sur ceux d’entre
eux dont les dents sont usées au ras des gencives, ou très-irré¬
gulières. La carie d’une dent est aussi une condition très-effi¬
cace de l’indigestion cœcale. Condamnant l’animal à ne mâcher
que d’un côté, elle détermine sur la rangée dentaire opposée
cette profonde déformation dont nous avons parlé à l’article
Dents [maladie des), et a pour conséquence fatale une tritura¬
tion et même une insalivation toujours insuffisantes.
Mais la condition de l’indigestion cœcale peut se- trouver
aussi dans la nature des aliments sur lesquels l’action des
dents peut rester imparfaite, en raison de la prédominance,
dans leur trame, de la cellulose lignifiée, comme c’est le cas
pour les fourrages qui proviennent des prairies basses, surtout
lorsqu’ils ont été récoltés tardivement. L’altération des four¬
rages par la rouille, la vase ou la moisissure peut aussi être
une cause favorable à l’indigestion cœcale, parce que leur
mauvaise saveur détermine les animaux à les mâcher moins
longtemps et à les avaler plus vite.
Lorsque, par le fait de l’une ou l’autre de ces circonstances,
les aliments fibreux ont été déglutis dans un état de trituration
insuffisante, de telle sorte que leur trame ligneuse reste pres¬
que complète, comme c’est le cas surtout chez les vieux che¬
vaux, et qu’ils sont déglutis à l’état de brins, au lieu d’être ré¬
duits en particules menues, leurs parties ligneuses se montrent
réfractaires à l’action de l’estomac. Dans cet état,’ils franchissent
le pylore et parcourent le détroit de l’intestin grêle^ sans que les
liquides' dont ils sont pénétrés aient pu exercer sur eux d’autre
action que de les ramollir et de leur donner le degré de ductilité
nécessaire pour que la barrière de l’iléon ne leur soit pas un ob¬
stacle. Arrivées dans le cæcum, ces matières s’y accumulent,
s’y tassent ; les contractions de l’organe leur impriment des
mouvements continus d’où résulte une sorte de feutrage qui
les agglomère en une première pelotte résistante, à laquelle
140
INDIGESTION.
s’ajoutent graduellement de nouvelles couches ; et successive-
ment ainsi, jusqu’à ce que la poche entière du cæcum se
trouve remplie d’une masse condensée, qui en occupe toute la
capacité, et se moule sur elle comme le pain de sucre dans son
récipient. Tel est le mécanisme de la formation de ces grandes
pelottes cœcales que l’on rencontre si communément chez les
vieux chevaux dont l’appareil masticateur trop usé est impuis¬
sant contre les aliments trop ligneux, et les laisse passer avant
qu’ils aient été suffisamment atténués par le broiement.
SYMPTOMES DE L’INDIGESTION GŒGALE.
L’indigestion cœcale ne se manifeste pas, comme celle de l’esto¬
mac, immédiatement ou peu de temps après l’ingestion des ali¬
ments. Ce n’est au contraire qu’àla longue, et graduellement, que
ses symptômes se produisent et s’accentuent de plus en plus. Il
faut, en effet, du temps pour que la pelotte cœcale acquière les
dimensions qui la rendent gênante d’abord, puis douloureuse.
L’animal chez lequel cette pelotte est en voie de se former
accuse sa présence par quelques coliques sourdes qui se mani¬
festent quelques heures après le repas, lorsque de nouvelles
couches de matières feutrables viennent s’ajouter à celles qui
sont déjà amassées dans la partie déclive du cæcum. Ces coliques
se traduisent par un certain degré d’abattement de l’animal, qui
gratte le sol des membres antérieurs, piétine du derrière, regarde
son flanc droit, se couche, se relève; et tout cela d’une manière,
peut-on dire, modérée qui n’exprime pas encore une grande
intensité de souffrances. Puis les coliques se calment d’elles-
mêmes, ou sous l’influence des médications auxquelles on
a pu recourir, ce qui implique que les nouvelles matières ajou¬
tées, réduites de volume par le tassement qu’elles ont subi, ne dé¬
terminent plus pou r le moment de sensations douloureuses. Mais
elles reparaissent après un nouveau repas, plus intenses si ce
sont des fourrages qui ont été ingérés ; moindres si ce sont des
grains, des farines, ou des racines, ou des pulpes ou du vert.
Peu à peu, les coliques se manisfestent plus fortes et se
prolongent plus longtemps après chaque repas ; puis elles de¬
viennent presque continues; puis elles n’ont plus de cesse et
finissent par s’exprimer avec la violence qui est propre aux
douleurs abdominales extrêmes.
A ces symptômes s’ajoutent ceux qui résultent objectivement
de la plénitude du cæcum. Le ventre est lourd et tendu. Son
exploration du eôté droit fait percevoir sa tension plus
INDIGESTION.
U\
grande. Les parois ventrales, de ce côté, opposent une résis¬
tance plus forte à la pression et à la foulée avec le poing. Leur
percussion donne un son tout à fait mat. Et enfin l’exploration
rectale permet de reconnaître l’état de plénitude extrême et de
distension de l’arc cœcal.
L’ensemble de ces symptômes, déjà suffisamment caractéris¬
tique, est rendu plus significatif encore quand on le rapproche
de l’âge de l’animal et de l’état de son appareil dentaire. Si l’a¬
nimal est vieux ou si, pour une cause ou pour une autre, son
appareil dentaire irrégulier ne fonctionne que d’une manière
imparfaite et insuffisante, les douleurs abdominales, dont nous
venons d’indiquer le mode d’expression, peuvent être ratta¬
chées, avec une presque certitude, à l’indigestion cœcale.
Pronostic de l’indigestion cœcale. — L’indigestion du cæcum
constitue toujours une maladie de la dernière gravité lors¬
qu’elle est arrivée à sa période extrême, c’est-à-dire lorsque,
grâce aux alluvions successives de matières nouvelles, la pelotte
cœcale a acquis ses plus grandes dimensions et comble la ca¬
pacité du réservoir. Il n’est plus possible alors de rendre à la
pâte composante de la pelotte assez de ductilité pour que les
contractions des parois de la cavité qui la contient puissent la
faire remonter vers le côlon et lui faire franchir la filière de
l’ouverture de communication entre cet intestin et la crosse du
cæcum. Mais il n’en est plus de même lorsque l’obstruction du
cæcum n’en est qu’à son début et s’accuse par de premières
douleurs intermittentes. Si, dans ce cas, on prend des précau¬
tions pour empêcher la pelotte cæcale de s’accroître, et si l’on
a recours à des moyens, convenables pour en dissocier les brins
et permettre aux courants liquides de les entraîner vers le
côlon, les conséquences de l’indigestion cæcale peuvent être
prévenues, et il est possible de ramener les animaux à la santé.
La gravité du pronostic est donc subordonnée, on le voit, à la
masse de la pelotte cæcale, ce qui revient à dire à l’ancienneté
de la maladie, car il faut un assez long temps pour que cette
niasse acquière les grandes proportions qui la rendent dange¬
reuse.
Anatomie pathologique. — Le fait principal que l’on constate
à l’autopsie des animaux morts d’une indigestion du cæcum,
c’est le volume énorme de ce réservoir, distendu dans la me¬
sure extrême que comporte sa capacité et pesant de 30 à
3^5 kilog. Les matières qu’il renferme sont des fourrages à
longs brins, constituant par leur feutrage une masse conique
INDIGESTION.
U2
dense, compacte, pénétrée d’uné assez faible humidité, et d’une
odeur à peine acide. La face externe de cette masse est modelée
exactement sur la face intérieure du cæcum dont elle reproduit
inversement toutes les dispositions, comme fait le plâtre pour
le moule où on le coule. La muqueuse cœcale est plutôt déco¬
lorée qu’injectée. Il n’est pas rare de trouver les parois du sac
rompues dans un point ou dans un autre, bien moins sous la
pression intérieure des matières accumulées, que par l’effort
des contractions de la membrane charnue sur la masse résis¬
tante contre laquelle ces parois s’appliquent en se resserrant;
mais malgré cette rupture, en quelque point qu’elle ait lieu,
les matières alimentaires contenues dans le cæcum ne se ré-,
pandent dans le péritoine qu’en très-faible quantité , parce
qu’elles sont trop peu ductiles, et trop enchevêtrées les unes
aux autres, pour qu’il s’en détache beaucoup de la masse totale.
Les liquides seuls que l’animal a pu boire ou qui lui ont, été
administrés en breuvages s’échappent par l’ouverture, entraînant
avec eux des parcelles de fourrage, et se répandent dans le péri¬
toine ; d’où la péritonite qui coïncide d’ordinaire avec la déchi¬
rure du cæcum, plus ou moins accusée suivant la durée du
temps pendant lequel la vie s’est prolongée après l’accident. •
TRAITEMENT DE L’INDIGESTION GŒGÂLE.
Dans les premiers moments que l’indigestion cæcale com¬
mence à se caractériser par les douleurs sourdes qui lui sont pro¬
pres, se manifestant par intermittence après l’ingestion des ali¬
ments, l’indication première qui se présente à remplir est de
supprimer les aliments fibreux et de mettre les animaux à un
régime très-délayant, légèrement laxatif. Il faut que les ma¬
tières qui tendent à s’accumuler dans le cæcum soient inces¬
samment pénétrées par des liquides qui les délaient et les en¬
traînent dans leurs courants. On ne doit nourrir les animaux
qu’avec les aliments de facile digestion, qui ne laissent pas de
résidus susceptibles de s’agglomérer en masse trop compacte.
Les racines, le vert, les farineux, les infusions nutritives, comme
le thé de foin, les mâches d’avoine cuite et de graine de lin, etc.,
voilà les substances qui conviennent en pareil cas; et leur
usage devra être continué et même constituer à l’avenir le
régime des animaux, lorsqu’il sera constaté que l’indigestion
cæcale, dont les premiers symptômes ont pu être observés,
se rattache à une altération irréductible de l’appareil dentaire,
comme celle qui est la conséquence de l’âge.
INDIGESTION.
143
Si cette altération est de celles auxquelles on peut remé¬
dier, comme une carie dentaire, ou bien l’inégalité des tables
résultant des reliefs, des aspérités, des saillies qui rendent
la mastication difficile, imparfaite et donnent lieu à des
blessures douloureuses des gencives et des joues, il y a
indication de procéder aux opérations réparatrices de ces états
anormaux et de rétablir ainsi l’appareil de la mastication
dans les conditions d’un fonctionnement plus régulier. C’est
le moyen le plus efficace de prévenir le retour des indigestions
du cæcum.
L’emploi des purgatifs drastiques est absolument contre-
indiqué, lorsque les signes de l’indigestion du cæcum impliquent
l’existence dans sa cavité d’une pelotte alimentaire déjà volu¬
mineuse. Les purgatifs, en pareil cas, ont souvent .pour con¬
séquence la déchirure du cæcum, déterminée par l’énergie
des contractions dont la membrane musculaire est le siège sous
l’excitation de l’agent drastique. La résistance que la masse de
la pelotte oppose par son poids et par sa compacité étant supé¬
rieure à l’effort de la contraction, les fibres musculaires se
rompent et, lorsqu’elles ont cédé, la déchirure des deux autres
tuniques s’ensuit nécessairement. Que cette interprétation des
faits soit exacte ou non, toujours est-il que, dans les cas où le
cæcum est surplein, l’on voit trop souvent les déchirures de ses
parois se produire à la suite de l’administration dé purgatifs
énergiques, pour qu’on ne soit pas autorisé à rattacher cet
accident à l’action de ces médicaments. Il est donc toujours
sage, suivant nous, de s’abstenir de les employer contre cette
forme spéciale de l’indigestion du cheval, tout au moins avant
qu’on soit parvenu, par l’usage longtemps continué d’un régime
délayant, à donner à la masse cæcale la ductilité nécessaire
pour qu’elle puisse céder aux efforts de la contraction des parois
cœcales, et s’accommoder à l’étroitesse de l’ouverture par la¬
quelle elle doit s’introduire dans le gros côlon.
I 3. — îudigestioit du gros intestin.
L’indigestion du gros intestin peut résulter, d’une part, soit
de la trop grande quantité des aliments ingérés, soit de leurs
mauvaises qualités, soit des préparations imparfaites qu’ils ont
subies, soit de ces conditions réunies ; et d’autre part de l’in¬
suffisance des actions digestives ou musculaires que l’organe
lui-même est destiné à exercer sur les matières renfermées dans
sa cavité; enfin il est possible que ces causes de différents
INDIGESTION.
Mi
ordres soient concertées entre elles et que, chez un même sujet
l’indigestion résulte et de l’excès de la quantité des matières
ingérées, et de leurs mauvaises qualités, et de leurs préparations
imparfaites, et de l’insuffisance des actions de l’intestin pour
imprimer à ces matières les transformations dernières qu’elles
doivent y subir, et les mouvements de propulsion de leurs
résidus vers le dehors.
L’indigestion par excès de la quantité peut se produire lorsque i
des animaux naturellement voraces, ou affamés soit par des I
privations antérieures, comme c’est le cas pour des convales-
cents soumis à un régime diététique sévère, soit par les déper¬
ditions d’un travail épuisant, trouvent devant eux de quoi
satisfaire leur faim au delà de la mesure qui serait suffisante.
Alors ils engloutissent une quantité excessive d’aliments, et si
l’estomac est assez actif pour s’en débarrasser, à mesure qu’ils
s’y introduisent, ils ne tardent pas à s’entasser dans le gros
réservoir du côlon qui, malgré sa capacité si grande, peut s’en
trouver surchargé. Il faut, en effet, considérer que, dans les
solipèdes, hors les cas anormaux dont nous avons parlé plus
haut, les aliments ne séjournent dans l’estomac qu’un temps
assez court, surtout lorsque les repas sont très-copieux, et que
les premiers entrés sont poussés incessamment par ceu'x qui les
suivent. Deux heures suffisent, d’après les observations de
M. Colin, pour que déjà le cæcum ait reçu la septième partie du
foin ingéré. Or le cæcum se vide lui-même à mesure qu’il s’em¬
plit et son trop-plein est évacué dans le gros côlon qui n’est
jamais vide, hors les cas d’abstinence quelque peu prolongée.
Au contraire, il tient toujours en réserve une bonne partie
des aliments des repas antérieurs, sur lesquels s’exerce son
action absorbante et qu’il tend à épuiser graduellement des
liquides qui les imprègnent et, avec eux, de ce qui leur reste
de principes solubles. Si, à la masse qu’il renferme déjà, dont
le poids peut être de 30 à 36 kilogrammes, vient s’ajouter tout
à coup ou, pour mieux dire, dans un temps assez court, une
masse nouvelle d’un poids égal, on conçoit que cette accunau-
xation puisse avoir pour conséquence de paralyser, dans une
certaine mesure, les contractions de l’appareil musculaire du
gros côlon, car ces contractions, l’expérience en témoigne, sont
d’autant plus énergiques que l’intestin est moins distendu.
Dans cet état d’inertie relative, les matières que renferme le
côlon ne recevant pas, dans la mesure nécessaire pour leur
cheminement régulier, l’impulsion directrice que les contrac-
INDIGESTION.
U5
tipns de Tintestin doivent leur donner, tendent à s’accumuler
dans les parties les plus déclives, c’est-à-dire ajix courbures
sternale et diaphragmatique, les distendent, les obstruent, et
donnent ainsi lieu à un arrêt de la circulation de ces matières,
qui se traduit par des douleurs plus. ou moins intenses, dont es,
coliques sont l’expression.
Si des matières alimentaires, même très-digestibles, peuvent
être efficaces à produire ce résultat rien que par l’action de
leur poids, à plus forte raison les chances seront-elles nom¬
breuses pour la manifestation des indigestions du gros côlon,
lorsque les substances ingérées seront, par leur nature, plus
réfractaires à l’action digestive. Il est clair, en effet, qu’en
pareil cas, le gros intestin sera d’autant plus chargé, après
chaque repas, qu’une plus forte partie des aliments aura pu
échapper à l’action dissolvante des liquides salivaires, gastriques,
et intestinaux. C’est effectivement ce que l’on observe dans la
pratique : les indigestions intestinales sont surtout causées par
des aliments qui, par le fait de leur nature ligneuse, résistent
tout à la fois et à l’action des dents qui ne les triturent que
d’une manière imparfaite, et à l’action des liquides digestifs qui
ne peuvent ni dissoudre ni transformer la partie de leur trame
où la cellulose lignifiée prédomine. Tels sont les foins des prai¬
ries basses et marécageuses où les cypéracées et les joncées à
tiges coriaces remplacent, en trop grande partie, les graminées.
Les graminées elles-mêmesperdentbeaucoup de leurs propriétés
nutritives et constituent un fourrage moins digestible lorsqu’elles
ont été récoltées tardivement, et que la graine s’est formée aux
dépens des principes alibiles de la tige. Elles ne forment alors
qu’une sorte de paille où le ligneux entre dans la proportion
de près de 50 pour 1 00. Le trèfle, la luzerne, le sainfoin, à l’état
de fourrages secs constituent aussi, poür le cheval, des aliments
peu digestibles, lorsqu’ils ont vieilli et qu’ils sont réduits pres¬
que à leur tige. Il faut en dire autant des coupages onhivernages,
dans la composition desquels entrent principalement les vesces
et les j esses. Les feuilles de vigne sont peu digestibles pour le
cheval, de même les tourteaux des différentes plantes oléagi¬
neuses, les châtaignes quand elles sont données avec leur
enveloppe ligneuse ; les pommes de terre quand elles ont germé.
Le son peut être indigeste surtout par sa quantité. Les chevaux
en sont friands et, comme il est facilement dégluti, quand on le
leur donne mouilîé, ils en avalent trop souvent des quantités
excessives qui viennent surcharger le gros intestin et contribuent
X. 10
u& INDIGESTION.
alors à ses indigestions, lorsque l’on n’a pas le soin de donner
cet aliment avec mesure.
Les matières alimentaires peuvent donner lieu à des indi¬
gestions du gros intestin, non-seulement par leur poids ou par
leur nature plus ou moins réfractaire aux actions digestives, mais
encore par leurs propriétés nuisibles, que ces propriétés leur
soient inhérentes au moment de leur ingestion, ou qu’elles se
développent en elles lorsqu’elles sont ingérées. Ainsi il y a des
plantes nuisibles par elles-mêmes, comme les renoncules par
exemple, si abondantes dans les prairies basses. Il y a des ali¬
ments nuisibles par les moisissures dont ils sont couverts et
par les altérations intérieures dont ces végétations parasites
sont l’expression. Ces substances donnent lieu fréquemment à
des indigestions du gros intestin par les fermentations qu’elles
déterminent dans les matières qu’il contient, et par le développe¬
ment des gaz qui procèdent de ces fermentations. Distendu
à l’excès par l’action expansive de ces gaz, l’intestin ne peut
plus réagir sur ce qu’il renferme ; d’autres matières s’y ajoutent
incessamment qui le surchargent davantage et fournissent à
la fermentation de nouveaux aliments, et toujours ainsi jusqu’à
ce que mort s’ensuive, ce qui est fréquent, lorsque les gaz
ne trouvent pas leur voie naturelle d’échappement par le côlon
flottant.
La luzerne, le' trèfle, le sainfoin donnés en vert sont suscep¬
tibles aussi de déterminer des indigestions compliquées de
météorisme du gros intestin. Ces indigestions résultent évidem¬
ment de ce que ces plantes, très-riches en matières sucrées,
sont très-fermentescibles, mais elles ne le sont pas au même
degré dans toutes les conditions où elles peuvent être ingérées.
On admet généralement que lorsqu’elles sont consommées cou¬
vertes de rosée, les chances sont bien plus grandes de leur fer¬
mentation intérieure que lorsque la rosée s’est évaporée sous
l’action du soleil. M. Sanson considère cette manière de voir
comme un préjugé {Hygiène des animaux domestiques, 1 870).
Suivant lui, « l’action malfaisante de la luzerne et du trèfle doit
être attribuée plutôt à la chaleur solaire qui, ayant échauffé la
plante, contenant en abondance des matières sucréesfermentes-
cibles, la dispose à fermenter, une fois arrivée dans l’esto¬
mac. » Il semble que si l’interprétation des faits donnée par
M. Sanson était la vraie, les accidents de météorisme, causés
par l'ingestion de la luzerne, du trèfle et du sainfoin, devraient
être d’autant plus fréquents que leur consommation aurait lieu
INDIGESTION.
\hn
à un moment du jour où ces plantes auraient davantage été
échauffées par les rayons du soleil, c’est-à-dire dans l’après-
midi. Est-ce que c’est là ce que l’on observe dans la pratique
Est-ce que, au contraire, ce n’est pas le matin que l’on voit le
plus fréquemment les animaux se météoriser dans les pâtu¬
rages, alors que les plantes sont couvertes soit de rosée, soit de
givre? Mais nous reviendrons sur ce sujet, à propos des indiges¬
tions des ruminants, dans lesquelles l’usage dés fourrages verts
joue un si grand rôle.
Quoi qu’il en soit des interprétations, un fait reste acquis,
c’est que les fourrages des prairies dites artificielles, consom¬
més en vert, sur pied ou après avoir été coupés, peuvent donner
lieu, chez le cheval, à des indigestions compliquées de météo¬
risme.
L’action des boissons est invoquée aussi comme pouvant être
déterminante des indigestions du gros intestin, et l’expérience
témoigne, en effet, que, les troubles de la digestion surviennent
assez fréquemment après l’ingestion des boissons; mais leur
effet est complexe ét demande à être analysé.
Ce que l’on appelle dans la pratique Yindigestion d’eau n’est
pas toujours, à proprement parler, une indigestion. Souvent, la
maladie abdominale, se traduisant par des coliques d’une inten¬
sité croissante, que l’on voit se manifester à la suite de l’inges¬
tion de l’eau froide dans l’appareil digestif, consiste dans un
déplacement plus ou moins irréductible des organes que le
liquide parcourt. Tel est, par exemple, le volvulus qui<se forme
dans la dernière partie de l’intestin grêle lorsque le flot du
liquide qui se précipite vers le cæcum, rencontrant devant lui
la barrière que lui oppose l’étroitesse de l’iléon, imprime un
soulèvement à la dernière anse intestinale qu’il gonfle, et la
fait retomber de l’autre côté de l’iléon, autour duquel il l’en¬
roule. L’invagination peut aussi se produire sous l’influence de
l’eau froide, par le mécanisme que nous avons rappelé dans les
considérations physiologiques exposées en tête de cet article.
Lorsque le cæcum s’invagine dans le côlon, fait rare, mais dont
il y a des exemples, ce doit être encore sous l’excitation énergi¬
que que le contact de l’eau froide détermine; les grands change-
lûents de rapports du gros côlon, les involutions sur lui-même,
dans sa grande anse pelvienne, se rattachent sans doute aussi,
dans un certain nombre de cas, à la même action stimulante
du froid. Mais les troubles morbides, le plus souvent d’une
intensité extrême, qui surviennent dans ces conditions, ne sont
148
INDIGESTION.
pas, à vrai dire, des indigestions, ce sont des accidents d’un
autre ordre, on le voit, et bien autrement graves.
Les boissons peuvent devenir, cependant, une des conditions
de l’indigestion du côlon lorsqu’on laisse boire à satiété des
animaux très-altérés, après qu’ils ont consommé leur ration de
fourrage, d’avoine ou de son. Dans ces cas, une quantité consi¬
dérable d’aliments se trouve entraînée rapidement par le cou¬
rant des liquides, avant qu’elle ait subi à un degré suffisant
l’action dissolvante des sucs gastriques et intestinaux, et elle
vient s’accumuler dans le côlon qui l’épuise de ses parties
liquides, mais reste sans action sur sa gangue solide ; d’où la
possibilité d’une surcharge dont l’indigestion pourra être la
conséquence.
Maintenant, en dehors des causes directes que nous venons
d’énumérer, l’indigestion intestinale peut-elle résulter d’in¬
fluences généralesperturhatrices, comme l’épuisement d’un tra¬
vail très-énergique, pendant la période même où la digestion
s’accomplit, ou les douleurs des opérations, ou des pertes
de sang, ou l’action du froid sur la peau; etc., etc.? Tout ce
que l’on peut dire à cet égard, c’est que s’il est possible que
ces causes soient efficientes, ce n’est que par exception, car
elles sont pour ainsi dire incessamment actives sur une multi¬
tude d’animaux à la période de la digestion intestinale, et ce
n’est que par exception que l’indigestion se manifeste, et encore
rien ne prouve, quand elle apparaît, que ce soit à l’une ou à
l’autre de ces causes générales qu’elle doive être rattachée.
SYMPTOMES DE L’INDIGESTION INTESTINALE.
L’indigestion du gros côlon est accusée parle symptôme com¬
mun à toutes les douleurs abdominales, les coliques, qui n’ont
rien de particulièrement caractéristique : faibles ou fortes,
suivant l’intensité de la cause qui les détermine, c’est-à-dire
suivant la masse pondérique des matières accumulées dans le
côlon, et aussi suivant leur nature plus ou moins fermentes¬
cible. Ces coliques se différencient, cependant, de celles qui
caractérisent l’indigestion stomacale par l’absence des efforts
de réjection par les voies antérieures. L’animal gratte des pieds
de devant, piétine, se tourmente, regarde ses flancs, se couche,
affecte volontiers, pendant quelques instants, la position dor¬
sale, se roule, se relève pour se livrer immédiatement après aux
mêmes manifestations, mais il n’affecte pas les attitudes spé-
INDIGESTION. U9
claies et nécessaires qui caractérisent les efforts d’éructation et
de -vomissement.
Presque toujours l’indigestion du gros côlon est accompagnée
de ce que l’on appelle la tympanite ou le météorisme, c’est-à-dire
la distension des réservoirs abdominaux, tout à la fois, par les
gaz normaux de la digestion qui, dans les circonstances actuelles,
ne peuvent pas suivre leur cours régulier, et par ceux, en quan¬
tité bien autrement considérable, à la formation desquels donnent
lieu les fermentations du gros côlon. Les gaz développés et arrê¬
tés dans les réservoirs intestinaux les distendent à la manière
d’un ballon qu’on insuffle; et, dans leur état de gonflement, ces
réservoirs réagissent contre les parois de la cavité qui les con¬
tient et les distendent à leur tour proportionnellement à leur
volume accru et à l’effort expansif des gaz qu’ils renferment.
De là le volume exagéré que le ventre acquiert, la disparition
du creux et de la corde des flancs, qui même se mettent en
relief à l’endroit de leur dépression normale, sous l’effort inté¬
rieur que subissent leurs parois; de là encore la sonorité du
ventre à la percussion, qui rappelle celle que donne un tam¬
bour et a valu à la maladie dans laquelle prédomine ce symp¬
tôme l’un des noms sous lesquels on la désigne, celui de
tympanite. Les noms de météorisme et de ballonnement sont
aussi caractéristiques de la présence des gaz.
Ce ne sont pas seulement les parois extérieures de l’abdomen
qui sont distendues par l’effort des gaz intérieurs; le dia¬
phragme aussi le subit et y cède dans la mesure de son exten¬
sibilité, ce qui a pour conséquence une réduction proportion¬
nelle de la capacité de la cavité thoracique, et des manifestations
de troubles, en rapport avec les obstacles que le repoussement -
en avant et l’inertie consécutive du diaphragme opposent à
l’exécution libre de la respiration. De fait, on constate chez les
animaux météorisés une expression faciale particulière, carac¬
téristique de l’angoisse que les empêchements de la respiration
déterminent ; oeil inquiet, narines convulsivement dilatées, face
grippée, tête tendue sur l’encolure. La respiration est courte,
précipitée, interrompue par des temps très-courts de suspen¬
sion, correspondant à des efforts expulsifs. En même temps, la
peau se couvre de sueurs, les vaisseaux extérieurs se gonflent ;
les obstacles opposés à la circulation cardiaque, pulmonaire et
intra-abdominale par l’expansion des gaz intestinaux se tradui¬
sent par la coloration foncée des muqueuses apparentes. Les
conjonctives sont d’un rouge très-accusé; la membrane buccale
150
INDIGESTION.
a une teinte violacée qui frappe d’autant plus que le cheval
menacé d’asphyxie ouvre la bouche pour aspirer par cette ca¬
vité l’air qu’il sent lui manquer, et laisse voir ainsi sa langue
gonflée dont la couleur foncée témoigne de l’imperfection de
l’hématose.
Le ventre, dans l’indigestion du gros côlon, n’est pas seule¬
ment ballonné par les gaz, il est aussi distendu par la masse
des matières que le côlon renferme et dont le poids peut s’élever
à 60 et même 70 kilogrammes. Aussi lorsque, ayant le dévelop¬
pement de la tympanite, on l’explore en le soulevant avec le
genou ou en exerçant sur lui une pression à poing fermé, on
perçoit la sensation de la masse pondérique qui l’allourdit et
oppose sa résistance à l’effort exercé contre elle. L’exploration
par le rectum ajoute à ce symptôme ceux qui résultent des sen¬
sations plus nettes et mieux définies que donne la courbure
pelvienne, dans son état de plénitude, à la main qui s’y applique
à travers les parois rectales.
La défécation est suspendue presque complètement pendant
la durée des indigestions du gros côlon. Si quelques matières
excrémentitielles sont expulsées , avec une petite quantité de
gaz, sous l’influence des efforts que les douleurs abdominales
déterminent, ce sont celles qui étaient déjà engagées dans les
replis du côlon flottant, au moment où les premiers symptômes
de l’indigestion se sont manifestés. Mais, une fois cette expul¬
sion achevée, plus rien ne suit tant que dure l’indigestion, et
l’on peut même considérer comme un signe très-favorable de
sa résolution le rétablissement, par les dernières voies, du cou¬
rant des matières solides et gazeuses : gazeuses surtout, car un
soulagement immédiat suit leur échappement et, dès que l’in¬
testin n’est plus distendu à l’excès, sa contractilité mise enjeu
imprime aux matières solides le mouvement qui doit les faire
cheminer vers le dehors.
Quand l’indigestion du gros côlon ne se termine pas par une
évacuation des matières accumulées dans sa cavité, elle entraîne
la mort : soit immédiatement par asphyxie, lorsque l’expansion
des gaz est telle que la respiration ne peut plus s’effectuer dans
les limites nécessaires pour une hématose suffisante ; soit par
l’excès des souffrances qui résultent de la plénitude extrême
du gros côlon, ou des fausses positions qu’il affecte, ou de la
congestion dont il est le siège ; soit enfin par les déchirures
de cet organe et l’épanchement consécutif dans le péritoine d’une
partie plus ou moins considérable des matières qu’il contient.
INDIGESTION.
131
Anatomie pathologique. — Les faits que ron peut constater à
l’autopsie des animaux morts d’une indigestion du gros côlon
sont d’abord le volume considérablement accru de cet organe,
distendupar des gaz et par les matières pâteuses qu’il renfermé.
Quand on a eu le soin d’ouvrir l’abdomen sans intéresser les
intestins, ils font éruption pour ainsi dire au dehors sous l’effort
expansif des gaz retenus dans leur cavité. Une fois qu’une issue
leur, est offerte, ces gaz s’échappent avec impétuosité, en répan¬
dant une odeur fétide complexe, dans laquelle prédomine celle
de l’hydrogène sulfuré ; l’intestin grêle revient immédiatement
sur lui-même ; quelquefois aussi le cæcum; mais le gros intes¬
tin ne se réduit que dans une mesure en rapport avec la place
que les gaz y occupaient, et le volume excessif qu’il conserve
encore dénonce, comme son poids, la quantité considérable des
matières alimentaires, pâteuses ou déjà consistantes, accumulées
dans sa cavité. Ces matières, indiquent par leur apparence ce
qui les constitue : grains, farines, son, fourrages de différentes
provenances, paille, feuilles, châtaignes, etc., etc. Plus ou moins
mélangées par le brassage de l’intestin, elles sont disposées gé¬
néralement cependant par couches homogènes, assez épaisses
pour qu’il soit facile de reconnaître comment elles se sont suc¬
cédé dans le réservoir qu’elles surchargent, et d’attribuer à celles
qui sont en excès sur les autres le rôle qu’elles ont rempli
comme cause déterminante de l’indigestion.
L’état congestif du gros côlon se reconnaît à sa teinte exté¬
rieure foncée, aux larges ecchymoses sous-séreuses qui se des¬
sinent principalement le long du trajet des gros vaisseaux, et
enfln à l’état de la muqueuse, uoire du sang qui l’inültre, sé¬
parée de la musculaire par l’œdématie du tissu conjonctif sous-
jacent, et couverte à sa surface intérieure d’une couche plus ou
moins épaisse du sang épanché de sa trame, souvent en assez
grande quantité pour former un caillot épais à sa surface. Cette
hémorrhagie intérieure se traduit aussi par l’aspect des ma¬
tières farineuses, transformées en une sorte de bouillie rougeâtre
par le sang qui leur est associé (voy. Coliques).
Il n’est pas rare de constater, à l’autopsie des chevaux morts
d’indigestion du gros côlon, des torsions de cet organe, dues à
tarotaiion sur elle-même de son anse pelvienne si complète¬
ment libre de toute adhérence. 11 paraît probable que cette tor¬
sion s’effectue dans les mouvements de roulis que l’animal im¬
prime à son corps sous l’incitation de la douleur, et que l’anse
pelvienne, allourdie par ce qui la remplit, se tord comme la
132
INDIGESTION.
matrice gravide, dans les mêmes conditions et parle même mé¬
canisme [voy. Matrice (torsion de la)]. Lorsque ce fait s’est pro¬
duit, on le reconnaît à une sorte d’étranglement que l’on cons¬
tate sur le gros côlon, en arrière des courbures sus-sternale et
diaphragmatique et surtout à la couleur noire foncée de toute
l’ange pelvienne, en arrière de cette partie étranglée rcouleur
noire qui résulte de la stase sanguine dont elle est le siège par
suite de l’arrêt de la circulation que la torsion a produit. Cet
arrêt de la circulation se dénonce intérieurement et d’une ma¬
nière encore plus accusée par la coloration d’un rouge presque
noir de la membrane muqueuse, qui tranche très-nettement
avec la teinte presque physiologique que présente cette mem¬
brane de l’autre côté de l’étranglement.
Les ruptures du gros côlon sont des accidents plus rares que
celles de l’estomâc et du cæcum. On les constate le plus ordinai¬
rement aux courbures antérieures et plus particulièrement à la
courbure diaphragmatique, où la déclivité et le courant naturel
des matières tendent à en accumuler ime plus grande masse.
L’état ecchymotique des bords de ces déchirures fait distinguer
celles qui sont antérieures à la mort de celles qui lui sont pos¬
térieures.
Le diaphragme aussi peut être rupturé pendant la vie par
l’effort expansif des gaz abdominaux. C’est encore par l’état
ecchymotique des lèvres de l’ouverture qui s’y est faite que l’on
appréciera si, effectivement,, cette lésion s’est produite pendant
la vie, ou si elle n’est pas plutôt, chose beaucoup plus fréquente,
un phénomène cadavérique, conséquence de la distension ex¬
trême que l’effort élastique des gaz a fait subir à la cloison dia¬
phragmatique.
Pronostic de l'indigestion du gros côlon. —■ L’indigestion du
gros côlon est moins grave que celles de l’estomac et du cæ¬
cum, résultant l’une et l’autre de l’excès de la plénitude. C’est
qu’en effet l’évacuation du gros côlon peut se faire beaucoup
plus facilement que celle des autres réservoirs , soit qu’elle
s’opère naturellement sous l’influence des contractions spon¬
tanées de l’organe, ou qu’elle soit déterminée par l’un ou l’autre
des moyens dont l’on dispose pour aider à son accomplissement.
Mais si les indigestions du gros côlon se terminent plus souvent
par la guérison que celles de l’estomac et du cæcum, il y a à
compter cependant avec une certaine somme de chances de ter¬
minaison funeste, résultant bien moins de l’indigestion en
elle-même, que de ses complications possibles, comme les con-
INDIGESTION.
153
gestions, les torsions, les déchirures ou l’asphyxie par refou¬
lement du diaphragme. Donc il faut toujours aYoir en vue ces
mauvaises chances possibles et, une indigestion intestinale
étant donnée, ne formuler, quant à sa terminaison, un juge¬
ment favorable que lorsque, avec le courant des matières réta¬
bli coïncide ' l’ensemble des signes qui témoignent du retour
à la santé.
TRAITEMENT DE l’INDIGESTION INTESTINALE.
Le traitement que comporte l’indigestion du gros côlon varie
suivant les indications qui ressortent du mode de manifestation
des symptômes. Quand l’indigestion est peu grave, qu’elle ne se
traduit que par des douleurs peu intenses, que le ventre reste
souple, etc., il y a lieu de recourir à l’administration soit des
infusions chaudes, stimulantes, soit des breuvages alcooliques
ou éthérés, soit des élixirs spéciaux, dont l’énumération a été
donnée au paragraphe de l’indigestion stomacale. Les frictions
sèches ou excitantes sur la peau, les' douches froides sur le ven¬
tre, les lavements, la promenade, suffisent pour que le courant
des matières alvines se rétablisse et que tout rentre prompte¬
ment dans l’ordre.
Mais, quand l’indigestion est grave, il faut s’efforcer de con¬
jurer les complications possibles et prévenir les conséquences
redoutables qu’elles peuvent avoir.
La première de ces complications est le météorisme qui peut,
nous l’avons dit plus haut, déterminer la mort par asphyxie.
On peuty remédier par l’action directe de médicaments conden¬
sateurs des gaz ; nous en avon§ donné l’énumération au para¬
graphe de l’indigestion stomacale, inutile donc d’y revenir ici.
On peut aussi recourir à l’application sur le corps de couver¬
tures mouillées d’eau froide, qui peuvent être efficaces par
l’action condensatrice directe du froid sur les gaz développés, et
mieux encore par l’influence excitatrice qu’exerce, d’une manière
réflexe, sur la contractilité de l’appareil musculaire 'de l’in¬
testin, l’impression du froid reçue par la peau sur une grande
surface. Des douches froides agissent dans le même sens. De
même aussi, et d’une manière plus active encore, les lavements
froids à forte dose, donnés par un appareil à douches, comme
nn tuyau à irrigation, par exemple.
Pour administrer avec la prudence convenable ces douches
Intérieures, qu’il faut faire pénétrer le plus loin possible dans
le côlon flottant, afin qu’elles puissent produire leur double
154
INDIGESTION.
effet par réfrigération directe et par action réflexe sur le gros
côlon, il faut se rendre compte de la quantité de liquide que
l’appareil débite dans un temps donné, une minute par exem¬
ple, et Ton mesure alors, par le temps écoulé, la quantité que
Ton injecte par Tanus. Il n’y a rien d’excessif dans une injectioa
d’un seul coup de quatre à cinq litres et même au-delà, si les
animaux sont de grande taille, car le côlon flottant a une capa¬
cité qui varie de dix à dix-neuf litres, quatorze en moyenne,
d’après les chiffres que donne M. Colin. Nous avons vu ce moyen
produire des résultats inespérés dans des cas où Tintensité des
souffrances et la longue durée de la rétention des matières
alvines avaient ôté toute espérance. M. Barry a ‘.communiqué à
la Société centrale de médecine vétérinaire, en 1868, un exem¬
ple de réussite des plus heureuses par l’application de ce moyen.
A défaut d’appareil pouvant projeter Teau sous une pression
convenable, on peut se servir d’une seringue pour faire péné¬
trer coup sur coup plusieurs litres d’eau froide dans le côlon
flottant. Quoique plus imparfait ce mode d’administration peut
cependant être encore efficace.
Mais si les différents moyens que nous venons d’indiquer
peuvent être employés avantageusement pour remédier au mé¬
téorisme, lorsqu’il n’est pas excessif et que conséquemment la
respiration peut encore s’effectuer avec une suffisante liberté,
il n’en est plus de même quand l’asphyxie est imminente. Ces
moyens, dans ce cas, ne sont pas assez prompts à agir et il faut
leur préférer la ponction intestinale, dpnt l’efficacité est tout ,
aussi immédiate et tout aussi grande que celle de la trachéo¬
tomie contre l’asphyxie que peut causer l’obstruction des voies
aériennes antérieures. Tous les développements que com¬
porte cette opération si utile seront exposés à l’article Ponction.
Qu’il nous suffise de dire qu’on se fait trop, aujourd’hui même
encore, un épouvantail de cette opération dont l’innocuité est
absolue, depuis que Bernard, de Toulouse, a eu l’heureuse
idée de rendre le trocart, on peut dire, inoffensif, en rétrécissant
son diamètre dans les proportions qu’il a actuellement. La
ponction intestinale est bien plus innocente que la saignée à la
jugulaire, dont on fait un usage si banal et elle est bien plus
sûre dans ses effets thérapeutiques. Il y a donc indication d’y
recourir, non-seulement dans les cas extrêmes, c’est-à-dire
quand Tintensité du ballonnement rend la mort imminente,
mais même encore comme moyen préventif de ce danger. La
ponction n’a pas seulement pour effet immédiat et certain d’ou-
INDIGESTION.
155
vrir aux gaz une voie d’échappement et de faire disparaître
ainsi instantanément le péril de l’asphyxie; elle a encore cette
autre conséquence des plus heureuses de permettre à la mem¬
brane musculaire de l’intestin, paralysée par la distension
extrême qu’elle subissait, de récupérer sa faculté contractile et
de réagir contre l’inertie des matières accumulées. Sans doute
aussi que le cheminement de ces matières est favorisé par la
faculté de se mouvoir rendue aux anses intestinales que la
compression qu’elles subissaient, sous l’effort expansif de leurs
gaz intérieurs, avaient immobilisées les unes contre les autres-
De fait, on constate très-communément qu’après la ponction
évacuatrice des gaz, les matières alvines ne tardent pas à être
expulsées abondamment par l’anus, et la succession de ces faits
est trop fréquente pour qu’on ne soit pas autorisé à établir du
premier au second un rapport de causalité.
La saignée est aussi indiquée, dans le traitement de l’indiges¬
tion intestinale, lorsque l’intensité des souffrances induit à pen¬
ser que l’intestin surchargé est devenu le siège d’une congestion
saDguine dont son état d’inertie musculaire est, sans doute, une
cause déterminante. On sait, en effet, que la saignée à fortes
doses est un moyen héroïque contre les tranchées rouges du
cheval (Yoy. Coliques), et que l’état de plénitude de l’intestin
n’en est pas une contre-indication, comme on l’admettait au¬
trefois, à pnon, sur la foi des doctrines professées dans la patho¬
logie humaine. Non-seulement la saignée peut être efficace,
comme évacuatrice, contre les congestions qui viennent com¬
pliquer l’indigestion intestinale, mais elle a en outre l’avantage
considérable d’être stimulante de la contractilité de l’intestin,
en ce sens qu’elle le fait sortir de l’état d’engourdissement dans
lequel il tombe, quand son appareil vasculaire est 'congestionné.
A. ce point de vue, la saignée peut être à bon droit considérée
comme un moyèn évacuateur, indirect, mais très-efficace, de
l’intestin. Ne voit-on pas l’expulsion des matières fécales se
produire chez les animaux qui meurent d’hémorrhagies ?
Est-il contre-indiqué d’administrer, dans les indigestions du
gros intestin, les préparations médicamenteuses douées de pro¬
priétés anesthésiques, comme celles dans la composition des¬
quelles entrent l’opium, l’éther, le chloroforme, le chloral, etc.?
Evidemment non, quand les douleurs sont très-intenses et
donnent lieu à des mouvements désordonnés, tumultueux, qui
avoir pour conséquence des déplacements anormaux
ûe 1 intestin, la rotation de l’anse pelvienne sur elle-même, la
156
INDIGESTION.
déchirure du mésentère, etc. Dans ce cas, on doit s’efforcer
par une médication appropriée, de calmer ces souffrances, de
les annnler même si c’est possible et, en immobilisant les ma¬
lades par l’état d’insensibilité dans lequel on les plonge, de
prévenir les conséquences dangereuses de l’agitation à laquelle
ils se livrent en se roulant incessamment. M. Vatel porte la
dose de l’élixir de Lebas à la dose de 150 grammes pour les
chevaux affectés de coliques, même d’indigestion, et il affirme
obtenir de très-bons résultats de cette médication. Les animaux
s’engourdissent dans un état de somnoleùce qui les sauve des
mouvements tumultueux auxquels la douleur les détermine, et
quand ils se réveillent, souvent le courant des matières s’est
rétabli de lui-même et l’indigestion est guérie.
Quand l’évacuation est commencée, il faut y aider par des
lavements et par l’administration de boissons laxatives et
même de purgatifs, qui stimulent les contractions de l’intestin,
et rendent plus rapide l’expulsion des matières accumulées.
Il convient ensuite de maintenir les animaux à un régime ali¬
mentaire modéré, dans lequel, si la saison ou les circonstances
le permettent, on fera une part au régime vert et aux racines.
CHAPITRE II.
INDIGESTIONS CHEZ LES RUMINANTS.
Les troubles morbides de la fonction digestive auxquels on
donne le nom d’indigestions, chez les ruminants, ont presque
exclusivement leur siège dans le rumen et dans le feuillet;
rarement dans la caillette; presque jamais dans l’intestin.
C’est que, effectivement, quand les matières alimentaires par¬
viennent à la caillette, elles sont si bien préparées pour être
digérées, et par la double trituration à laquelle elles ont été
soumises, et par l’imprégnation de la salive deux fois mélangée
à leur substance, et par les fermentations qu’elles ont éprou-
, vées pendant leur séjour dans le rumen, qu’il n’existe plus de
cause, à vrai dire, pour que la fonction de la caillette et celle
de l’intestin puissent être troublées et, à plus forte raison, empê¬
chées dans leur accomplissement.
C’est donc principalement de l’indigestion du rumen et de
celle du feuillet que nous allons avoir à traiter dans ce chapitre.
Un paragraphe spécial sera consacré à l’indigestion de la cail¬
lette, maladie qu’on observe surtout chez les jeunes animaux,
INDIGESTION.
187
pendant la période du régime lacté, et quelquefois chez les
adultes, à la suite de Tingurgitation trop rapide des boissons.
Chabert, dans son mémoire sur les indigestions des rumi¬
nants, en reconnaissait un assez grand nombre de variétés,
qu’il distinguait les unes des autres par des ' caractères trop
incertains pour .que sa classification, longtemps acceptée sur
l’autorité de son nom, puisse être maintenant conservée. D’après
Chabert, les indigestions des ruminants devaient être divi¬
sées en :
Méphitique simple;
Méphitique compliquée, ou avec surcharge d’aliments ;
Putride simple ;
Putride compliquée de là dureté de la panse;
et enfin. Indigestion par irritation de la membrane muqueuse
du rumen.
Il paraît ressortir de quelques-unes des qualifications par les¬
quelles Chabert proposait de distinguer les différentes variétés
des indigestions, qu’il se fondait surtout, pour les différencier
les unes des autres, sur la nature des gaz développés dans le ru¬
men, et qui varient effectivement, suivant le plus ou moins d’an¬
cienneté de l’indigestion, et suivant aussi la nature des matières
que le rumen renferme. Au début de l’indigestion, en règle géné¬
rale, c’est le gaz acide carbonique, le gaz méphitique, comme
on l’appelait avant l’adoption de la nouvelle nomenclature, qui
remplit la panse et la distend plus ou moins. Ce gaz n’est autre
que celui qui se dégage incessamment, dans les conditions
physiologiques, des matières en fermentation contenues dans
le rumen ; et si sa quantité devient considérable pendant l’indi¬
gestion, c’est que la suspension de la rumination empêche ses
réjections intermittentes, coïncidant avec ra,scension des bols.
Quoi qu’il en soit, le dégagement de l’acide carbonique dans le
rumen étant un fait normal, la qualification, par le nom de ce
gaz, d’une variété des indigestions des ruminants ne saurait être
acceptée, parce que cette qualification implique que l’acide
carbonique joue le rôle de cause, tandis qu’il est un des pro¬
duits des fermentations normales du rumen et que, dans l’in¬
digestion de ce réservoir, si sa quantité est excédante, cela
résulte exclusivement de sa rétention accidentelle dans la poche,
d où il est incessamment rejeté, quand la rumination s’effectue
d une manière régulière.
Les gaz putrides ne sont pas plus la cause d’un trouble de la
158
INDIGESTION.
fonction du rumen que le gaz méphitique ; ils sont l’expression
du mode de fermentation des matières de la panse et aussi de
leur composition cMmique. C’est ce qui ressortira des'dévelop-
pements dans lesquels nous entrerons ultérieurement. Si nous
ajoutons, maintenant, que souvent, dans les indigestions du
rumen, les produits gazeux sont un mélange d’acide carbonique,
d’hydrogène sulfuré, de protocarbure d’hydrogène, etpeut-être de
gaz ammoniac, on verra qu’une distinction établie sur la nature
de ces gaz n’est pas admissible. Elle l’est d’autant moins qu’au
point de vue symptomatique, le fait le plus saillant qui caracté¬
rise leur présence, latympanite, est identiquement le même,
quelle que soit leur nature, et que conséquemment rien ne
permet de dire, ce symptôme étant donné, si l’indigestion, dont
il est l’expression, est de nature méphitique ou de nature
putride.
Mais si les indigestions du rumen ne peuvent pas être distin¬
guées tes unes des autres, d’après la nature des gaz qui se
dégagent des matières en fermentation dans ce réservoir, la
quantité de ces matières peut servir à les différencier, car ces
indigestions diffèrent, effectivement, aux points de vue de leur
expression symptomatique, de leurs complications possibles,
de leur gravité, et enfin des moyens propres à y remédier, sui¬
vant que la panse est surchargée d’aliments ou qu’elle n’en
contient qu’une quantité modérée.
L’ancienneté de l’indigestion doit aussi être prise en considé¬
ration dans la catégorisation de ces troubles morbides.
Gela exposé, nous diviserons les indigestions des ruminants,
d’abord suivant les organes qui en sont le siège : indigestion du
rumen ; indigestion du feuillet; indigestion de la caillette.
Dans les indigestions du rumen, nous reconnaîtrons deux
variétés principales : VYJndigestion simple ou sans surcharge
d’aliments ; 2“ Y Indigestion compliquée de surcharge.
L’indigestion du feuillet comporte deux types : le type aig^
et le type chronique.
Enfin, l’indigestion de la caillette ne se manifeste que sous le
type aigu et quand elle se montre sur les très-jeunes animaux,
pendant la période du régime lacté, elle peut être encore appe¬
lée indigestion laiteuse.
Avant d’étudier chacune de ces variétés des indigestions des
ruminants, il nous paraît utile de faire ce que nous avons fait
pour les maladies du même ordre, dans l’espèce chevaline,
c’est-à-dire de résumer dans un paragraphe spécial les notions
INDIGESTION.
159
de physiologie qui peuvent éclairer l’histoire des indigestions
à tous les points de vue où nous aurons à les considérer, de¬
puis leur étiologie jusqu’à leur terminaison.
CONSIDÉRATIONS PHYSIOLOGIQUES PRÉLIMINAIRES.
Nous n’avons pas à revenir ici sur la mastication et sur Tin-
salivation. Tout ce que nous avons dit, dans le chapitre I" de
cet article, de l’importance de ces deux fonctions préparatoires
de l’action digestive principale est exactement applicable aux
ruminants. Nous ferons seulement remarquer que, chez les
animaux de cet ordre, la mastication est plus achevée que chez
les solipèdes, car les aliments sont soumis deux fois à l’action
des molaires : une première fois, après leur préhension. Mais
cette première trituration n’est pas complète ; le bœuf n’em¬
ploie en moyenne, dit M. Colin, qu’un tiers de minute à broyer
un bol plus volumineux que celui que le cheval prépare en une
minute. Et il faut ajouter que les aliments dont on le nourrit
sont en général plus fibreux et plus coriaces que ceux qu’on
donne au cheval : double cause, on le voit, d’iinperfection rela¬
tive de la première mastication chez cet animal. C’est que, dans
ce premier acte de la trituration, les aliments ne sont broyés et
insalivés qu’au degré nécessaire pour qu’ils puissent être dis¬
posés en bols et déglutis. C’est dans la seconde mastication,
celle que M. Colin appelle merycique, que la trituration des
aliments se complète et s’achève. L’action des dents est alors
d’autant plus efficace que les aliments, revenus dans la bouche
déjà une première fois broyés et insalivés, sont remis sous les
molaires dans l’état de ramollissement que leur ont fait éprouver
la macération à laquelle ils ont été soumis dans le rumen et le
mouvement de fermentation intérieure qu’ils y ont subi. Malgré
cela, cependant, l’animal s’applique à les mâcher beaucoup
plus longtemps que la première fois. La durée de la mastica¬
tion mérycique est, en effet, tout aussi longue que celle de la
mastication du cheval : en moyenne une minute environ pour
chaque bol.
Ce n’est pas seulement la mastication qui est plus parfaite
chez les ruminants que chez les solipèdes ; c’est aussi Tinsali-
vation qui s’opère deux fois dans la bouche, pendant les pério¬
des des deux mastications et se continue dans le rumen, on
peut le dire sans interruption, car Tafflux des liquides sali¬
vaires dans ce réservoir est incessant et s’effectue tout aussi
abondant pendant les intervalles des repas et de la rumination.
160
INDIGESTION.
qu’au moment où les aliments se trouvent dans la bouche.
Cette imprégnation, pour ainsi dire incessante, des matières du
rumen par la salive, est la condition nécessaire de l’accomplis-
sement régulier des fonctions de cet organe. M. Colin a prouvé
par ses expériences que lorsqu’on tarissait, par des fistules
extérieures, les deux sources principales de la sécrétion sali¬
vaire, celles des parotides, la fonction de la rumination ne tar¬
dait pas. à se troubler; que l’animal était forcé d’abord à de
plus grands efforts pour faire remonter les bols vers sa bouche;
que ces bols ne se succédaient qu’avec lenteur; puis, que dès le
troisième jour, malgré des efforts violents de réjection, la rumi¬
nation devenait impossible. A l’autopsie, il trouvait le foin
desséché dans la panse et dans le feuillet, oùûl était tellement
tassé et durci, qu’il formait des masses moulées dans les diffé¬
rents compartiments gastriques.
L’insalivation, on le voit d’après ce passage, n’est pas seule¬
ment nécessaire à l’exécution régulière des fonctions du rumen;
celles du feuillet en dépendent également. Une partie de la
salive déglutie dans les intervalles des repas arrive directement
dans le feuillet par la gouttière œsophagienne et, en imprégnant
les aliments interposés entre ses lames, les maintient dans l’état
de ductilité nécessaire pour qu’ils puissent obéir aux contrac¬
tions de l’organe et être dirigés successivement vers le réser¬
voir gastrique.
Ces quelques considérations doivent suffire pour faire com¬
prendre l’importance du rôle de la mastication et de l’insaliva- ,
tion, comme actes préparatoires de la digestion chez les rumi¬
nants, et les troubles de cette fonction qui sont la conséquence
comme fatale de l’imperfection, de l’irrégularité ou des empê¬
chements opposés à l’accomplissement de cos actes.
Considérons maintenant les fonctions propres du rumen.
C’est dans ce premier réservoir gastrique que viennent s’accu¬
muler lés aliments ingérés après la première mastication. Mais
ce n’est pas un réservoir inerte ; au contraire, doué d’une puis¬
sante contractilité, il agite d’un mouvement continu les ma¬
tières qu’il renferme ; en sorte qu’au lieu de rester entassés,
par couches successives, dans l’ordre où ils ont été introduits,
les aliments sont mélangés les uns aux autres et aux liquides
auxquels ils sont associés. C’est une sorte de brassage qu’ils
subissent incessamment et qui a pour résultat de les mettre en
rapport plus intime de contacts et d’imprégnation avec les
liquides organiques que les appareils glandulaires, annexés à la
INDIGESTION.
161
bouche, versent dans le irumen, avec l’abondance et la continuité
que nous venons de rappeler.
Ces mouvements incessants de flux et de reflux, de soulève¬
ments et de secousses que les contractions du rumen impriment
aux matières alimentaires qu’il contient, ont donc une impor¬
tance considérable au point de vue de la régularité et de la
perfection de la fonction digestive, car ils sont la condition né¬
cessaire de la possibilité de la rumination ou, autrement dit, de
la réjection vers la bouche, par bols successifs, des aliments
qui doivent être soumis à la seconde mastication.
Pour que cette réjection s’opère, il faut non-seulement que
ces aliments aient été suffisamment brassés pour que leur mé¬
lange avec les liquides versés dans le rumen, liquides salivaires
et liquides des boissons, les ait transformés en un amas ductile
qui puisse se prêter facilement aux mouvements impulsifs du
rumen, mais encore qu’au moment où ils vont être introduits
dans l’œsophage, ils soient réduits à l’état d’une bouillie demi-
liquide. Cette condition se trouve réalisée, comme M. Colin l’a
démontré par ses expériences, parce que, dans l’étage inférieur
du rumen, il s’opère toujours un dépôt de liquides qui s’y accu¬
mulent en vertu de leur poids, et parce que aussi le réseau en
contient toujours en réserve. « Or, lorsque la panse et le réseau
se contractent ensemble, car leurs contractions sont simultanées,
ils poussent vers l’orifice inférieur de l’œsophage, qui est situé
à peu près entre les deux, l’une des aliments très-délayés, l’autre
des liquides ; l’œsophage se relâche et leur offre une dilatation
infundibuliforme, dans laquelle ils s’engagent; puis, lorsqu’il a
reçu une quantité proportionnée à sa dilatation, il se referme
aussitôt et éprouve une contraction anti-péristaltique qui les
porte de bas en haut vers la cavité buccale. » (G. Colin, Traité
physiologie.) Dès que le bol est dans la bouche, le liquide qui
le délayait est immédiatement dégluti et retourne dans le rumen
où sa présence est nécessaire pour contribuer au délayement
successif de la masse si considérable de matières solides que le
rumen tient toujours en réserve.
Ainsi donc, pour que la rumination puisse s’effectuer, il faut
•lue les aliments soient suffisamment détrempés dans la région
du vestibule cardiaque, car c’est la condition nécessaire pour
Qùe l’impulsion que leur donne le rumen puisse les faire péné¬
trer dans l’œsophage. Quand ils sont trop pâteux, l’œsophage ne
pont pas les aspirer, si l’on peut ainsi dire et leur imprimer leur
Mouvement ascensionnel. «Les aliments, dit M. Colin, peuvent
X. * 11
162
INDIGESTION.
lormer supérieurement une masse dure, peu dépressible, qui
résiste fortement à la pression de la main appliquée sur le flanc •
leur réjection demeure possible, cependant, tant qu’il y a une
notable quantité d’eau dans le réseau et dans la zone maréca¬
geuse de la panse, car c’est par cette eau que la masse est-peu à
peu attaquée dans ses parties inférieures. »
Deux autres conditions sont nécessaires pour que la rumi¬
nation puisse s’établir et se continuer : il faut que le rumen ne
soit ni trop chargé ni pas assez. Quand il est distendu à l’excès
par les aliments solides et liquides qu’il renferme, ses parois
paralysées ne peuvent imprimer à ces matières ni les mouve¬
ments nécessaires à leur mélange intime, ni ceux qui président '
à leur réjection, et la rumination se trouve par ce fait fatalement
empêchée. ^
D’un autre côté, elle ne peut plus s’accomplir quand la panse
est trop vide ; il faut pour que la contractilité de ses parois soit
mise enjeu qu’elles aient à réagir contre un certain poids; un
poids très-faible les laisse flasques et inertes. Ce poids, dans la
mesure voulue, est aussi nécessaire pour que les muscles des
parois abdominales qui sont les coadjuteurs de l’appareil mus¬
culaire du rumen, dans l’acte de la réjection, comme ils le sont
de l’acte du vomissement dans tous les animaux, il est néces¬
saire, disons-nous, que les muscles abdominaux trouvent à ap¬
pliquer leur effort contre une masse qui leur offre une certaine
résistance. Quand la panse est trop vide, cet effort reste ineffi¬
cace, parce qu’il n’est pas transmis à l’organe d’une manière
assez directe.
La rumination est étroitement subordonnée à l’état de santé
des animaux, si étroitement qu’elle peut en être considérée
comme l’expression fidèle, car elle cesse dans l’état de maladie
ou de souffrance pour peu qu’il présente de gravité, et pour
qu’elle puisse se rétablir, il faut que cet état morbide ait cessé
lui-même. Toutefois, il n’est pas rare, quand il s’est prolongé,
que, même après sa cessation, la rumination ne se rétablisse pas
encore et qu’elle reste même assez longtemps suspendue. C’est
qu’ effectivement, quand la condition a été donnée pour que le
rumen cesse de fonctionner, il tombe dans l’inertie ; les aliments
auxquels il n’imprime plus ces mouvements continus, néces¬
saires à leur mélange intime entre eux et avec les liquides, se
tassent, se dessèchent, surtout dans les parties supérieures et
les culs-de-sac de la panse; et quand l’état morbide disparu
permettrait au rumen de reprendre sa fonction, les résistances
INDIGESTION.
163
que lui opposent les masses compactes sur lesquelles il exerce
son action le paralysent de nouveau; de telle sorte que la sup¬
pression de la rumination, qui n’était d’abord que l’effet d’un
état maladif, devient ensuite pour elle-même sa propre cause,
car elle persiste parce que, à mesure qu’elle dure, les conditions
augmentent pour qu’elle persiste plus longtemps encore. C’est
là, comme on le voit, un cercle des plus vicieux dans lequel se
trouve enlacé l’animal ruminant, quand il devient malade.
Malade il ne rumine plus ; et quand la rumination a cessé, sa
suspension même devient une condition qui s’oppose à ce qu’elle
se rétablisse; condition d’autant plus efficace que le temps est
plus long pendant lequel elle a été suspendue.
Dans le réservoir àparois contractiles que représente le rumen,
les aliments ne sont pas seulement brassés et mélangés intime¬
ment entre eux et avec les liquides de différentes provenances
auxquels ils sont associés, ils y subissent aussi de profondes
modifications chimiques. Leurs parties solubles telles que les
sucres, les gommes, le mucilage, les sels se dissolvent dans les
liquides; une certaine partie de leur fécule s’y convertit en dex-
trine et en glycose sous l’action des salives ; la viande elle-même
peut s’y transformer en chyme, dans une certaine proportion,
comme les expériences de M. Colin l’ont démontré. En sorte qu’à
en juger par ces résultats, le rumen paraît être à proprement
parler un organe digestif. Mais il n’en a que l’apparence, car
toutes les transformations qui s’y passent s’effectueraient tout
aussi bien dans un vase inerte. La muqueuse du rumen n’est le
siège d’aucune sécrétion digestive; rien n’en procède consé¬
quemment qui concourt aux transformations des substances
contenues dans la cavité de l’organe. Les agents chimiques de
ces transformations sont les deux ou trois équivalents d’eau
associés aux matières solides ; c’est la diastase des salives ; ce
sont les acides qui se forment sous l’influence de la fermenta¬
tion complexe de ces matières. « Il y a, en effet, dans le rumen
une fermentation des matières sucrées, qui peut s’accomplir en
présence des matières albumineuses et donner de l’acide lacti¬
que. l\ y a une fermentation butyrique, extrêmement marquée
par l’odeur de ses produits, chez les animaux qui reçoivent une
forte ration d’avoine, riche en graisse et en fécule, et chez les
veaux à la mamelle. En effet, l’acide butyrique a été trouvé à
l’état libre dans ces deux conditions. Peut-être même y a-t-il,
dans certaines limites, une fermentation alcoolique dont le pro¬
duit servirait d’excitant capable de corriger l’action débiütante
164
INDIGESTION.
des herbes fades et aqueuses qui font la nourriture exclusive
d’un si grand nombre d’animaux. » (G. Colin.) Si les matières
protéiques sont chymifiables dans le rumen, comme les expé¬
riences de M. Colin en donnent la démonstration, il est admis¬
sible que leurs dissolvants sont les acides, l’acide lactique no¬
tamment, que les fermentations ont produits.
Ces fermentations donnent aussi naissance à des gaz, auxquels
sont associés dans la panse ceux qui proviennent d’autres
sources, comme, par exemple, l’air qui est battu avec la salive
pendant la mastication et celui qui est dissous dans l’eau. Tou¬
tefois, c’est principalement des matières fermentées que se dé¬
gagent les gaz dont on constate toujours l’existence dans le
rumen. Ce dégagement de gaz est donc un fait physiologique, et
qui ne pouvait pas ne pas être, puisque la fermentation, dans
les ruminants, joue un rôle considérable comme acte prépara¬
teur des aliments dont la digestion doit avoir lieu dans la cail¬
lette et dans l’intestin. Mais ces gaz^ dans l’ordre régulier des
choses, ne s’accumulent pas dans la panse. Dès que l’animal
perçoit la sensation de la distension qui résulte de leur présence,
il . s’en débarrassé par des éructations successives qui sont
surtout fréquentes après les repas, et constituent chez les rumi¬
nants un phénomène tout à fait physiologique, car il est la con¬
dition préventive des accidents de météorisme qui se manifes¬
tent d’une manière constante lorsque, pour Une cause ou pour
une autre, les contractions du rumen sont paralysées ou empê¬
chées. La nature des gaz qui se dégagent des matières en fer¬
mentation dans le rumen n’a pas encore été déterminée d’une
manière rigoureuse. Elle varie à coup sûr suivant que les fer¬
mentations restent dans les limites physiologiques ou qu’elles
deviennent anormales; elle varie nécessairement aussi suivant
la nature des substances ingérées. Dans l’état physiologique, c’est
l’acide carbonique qui paraît prédominant. MM. Lameyran et
Frémy, cités par M. Colin, ont constaté dans -un cas de météo¬
risme, survenu à la suite de l’usage du trèfle, que la masse
gazeuse contenue dans le rumen était composée de : 80 d’acide
sulfhydrique, de 18 d’hydrogène carboné et de 8 d’acide* car¬
bonique. Gmelin, cité par M. Lafosse, aurait trouvé identique¬
ment les mêmes chiffres. D’après Pluger, l’oxyde de carbone ferait
partie, dans la proportion de 1 à 2 centièmes, des gaz qui déter¬
minent le météorisme des ruminants et Lassaigne y a trouvé
80 pour 100 d azote, associé à l’acide carbonique, à l’oxygène et
à l’hydrogène carboné. Mon confrère et ami, M. le baron Thé-
INDIGESTION.
16i
nard, que j’ai consulté sur ce point, met fortement en doute la
présence de l’oxyde de carbone dans les gaz qui résultent de la
fermentation des matières de la panse. Suivant lui, l’oxyde de
carbone dont on signale l’existence dans le .rumen n’est autre
que le protocarbure d’hydrogène qui se confond facilement, à la
simple combustion, avec l’oxyde de carbone et ne peut en être
distingué que par une analyse eudiométrique. M. Thénard est
d’autant plus porté à admettre la présence du protocarbure
d’hydrogène dans la panse que ce gaz est un produit de la
décomposition des végétaux, tandis que l’oxyde de carbone ne
se forme pas dans ces conditions.
Quoi qu’il en soit de la nature de ces gaz et des proportions
dans lesquelles ils peuvent se tr-ouver associés dans la panse des
sujets météorisés, ce qu’il faut retenir, au point de vue spécial
où nous devons hous placer ici, c’est que les matières du rumen
sont toujours en fermentation, que toujours des produits gazeux
s’en dégagent, et que la condition pour que ces gaz ne devien¬
nent pas nuisibles, c’èst que leur accumulation soit prévenue
par des éructations en rapport de fréquence avec la rapidité du
dégagement; éructations qui impliquent l’activité contractile
du rumen, car dès qu’il est empêché d’agir, la soupape de sûreté
de l’œsophage ne fonctionne plus et le météorisme s’ensuit im¬
médiatement.
La fonction du réseau est si étroitement associée à celle
du rumen, qu’il n’y a pas moyen de considérer ces deux organes
isolément, au point de vue pathologique. Quand les fonctions
du rumen sont troublées, celles du réseau le sont également, en
sorte que leurs symptômes se confondent et qu’il n’est pas pos¬
sible de distinguer, dans les indigestions du preinier estomac,
les symptômes qui procèdent de lui exclusivement et ceux qui
seraient 'plus particulièrement l’expression des désordres fonc¬
tionnels du deuxième.
Toutefois, il est utile de rappeler ici, surtout au point de vue
des applications thérapeutiques, que le bonnet n’est jamais dis¬
tendu à l’excès par des matières solides, comme l’est le rumen,
dans les indigestions avec surcharge par exemple, et qu’il y a
toujours à compter sur. l’activité contractile du deuxième esto¬
mac pour faire pénétrer soit dans le premier, soit dans le troi¬
sième, les liquides que l’on se propose d’administrer pour opérer
le délayement des substances trop compactes que l’un ou l’autre
peut renfermer. C’est en effet là son office dans l’état physio¬
logique-, situé sous l’œsophage et recevant immédiatement tout
166
INDIGESTION.
ce qu’il verse, le réseau répartit inégalement ce qu’ilreçoit dans
les deux compartiments entre lesquels il est placé et avec les-
quels il est communiquant : au rumen il envoie les aliments
encore incomplètement broyés et qui doivent être soumis à une
seconde trituration ; dans le feuillet il fait passer ceux qui
viennent de la subir et qui sont réduits en pulpe assez ténue
pour pouvoir franchir l’orifice étroit par l’intermédiaire duquel
le deuxième et le troisième estomac communiquent entre eux
Les fonctions du réseau, comme organe répartiteur, varient
donc suivant l’état des aliments qu’il reçoit : ceux de la pre¬
mière mastication sont envoyés par lui dans le rumen et ceux
de la seconde dans le feuillet. Il faut aussi considérer qu’au
moment de la réjection des bols qui doivent être soumis à la
mastication méryoiqüe, il vient en aide au rumen en se con¬
tractant de concert avec lui, de manière qu’au moment où le
bol qui a reçu l’impulsion du rumen s’engage dans l’infundi-
bulum œsophagien, le réseau y envoie simultanément une
ondée de fluide qui le délaye et facilite son ascension.
L’art doit mettre à contribution cette activité contractile du
réseau pour distribuer dans les estomacs, auxquels il est inter¬
médiaire, les substances propres à réveiller la leur et à faciliter
leur évacuation.
Le feuillet, que noùs avons maintenant à considérer, joué
un rôle des plus importants dans les maladies des ruminants,
car souvent, lorsque la rumination reste quelque temps sus¬
pendue, il s’obstrue .par la dessiccation, entre ses larnès, des
substances alimentaires qui y sont interposées. Comment cette
dessiccation s’opère-t-elle? par la cessation du courant qui,
dans l’état physiologique, s’établit incessamment du réseau vers
la caillette à travers le feuillet. Ce courant représente une force
a tergo, qui donne lieu à un mouvement continuel des ma¬
tières demi-fluides que le réseau fait passer dans les interstices
multiples que les lames du feuillet interceptent entre 'elles-
Sans doute aussi l’action impulsive propre des parois de cet
organe contribue à ce mouvement et l’accélère. Mais, lorsque
la rumination est suspendue et que, conséquemment, le réseau
cesse d’envoyer au troisième estomac, de nouvelles matières,
celles qui sont interposées entre ses lames s’y immobilisent; les
parois du feuillet les expriment, en se resserrant, des liquides qui
leur étaient associés; peut-être aussi qu’une partie de ce liquide
disparaît par absorption, et, en résultat dernier, ces matières
éprouvent une véritable dessiccation qui les convertit en
INDIGESTION.
167
sortes de tablettes dures, et si résistantes que les papilles mar¬
quent sur elles leur empreinte, comme font les coquillages sur
les dépôts pétrifiés des anciennes alluvions. Dans cet état de
presque obstruction et d’inertie consécutive du feuillet, les
communications deviennent très-difficiles entre le réseau et la
caillette, et le rumen, ne pouvant plus se vider proportionnelle¬
ment à ce qu’il reçoit, cesse de fonctionner ou ne reprend pas
sa fonction, lorsque l’influence de la cause qui l’avait suspendue
a cessé d’agir.
Les préparations physiques si complètes et les modifications
chimiques déjà si avancées que les aliments ont subies, avant
d’être introduits dans la caillette, expliquent pourquoi les
troubles de la fonction de cet organe sont si rares. L’excès de la
plénitude qui constitue, chez le cheval, dans les indigestions
gastriques, une complication d’une si grande gravité n’est ja¬
mais à craindre. Les aliments ingérés ne peuvent, en effet, arriver
à la caillette que fort lentement, car le feuillet les mesure pour
ainsi dire et ne les" verse que par petites ondées successives,
sous la forme d’une houillie fluide dont toutes les parties cons¬
tituantes sont très-atténuées : ce sont là des conditions pour
que la cavité de la caillette ne puisse pas être engorgée, comme
la cavité de l’estomac du cheval, par les matières ingérées. Grâce
à sa fluidité, la bouillie alimentaire que le feuillet laisse passer
se répand sur toute la surface du quatrième estoniac qui, ne
mesurant pas moins d’un mètre 17 décimètres carrés, chez le
bœuf, d’après les calculs de M. Colin, est quatre à cinq fois
aussi grande que la muqueuse du sac droit de l’estomac du
cheval. On conçoit que l’action dissolvante du suc gastrique,
sécrété par toute l’étendue de cette grande surface, doive être
d’autant plus parfaite que la masse alimentaire sur laquelle elle
s’exerce est, dans un 'temps donné, bien moindre que chez le
cheval, et aussi beaucoup plus atténuée que celle qui, chez cet
animal, est soumise à la digestion gastrique.
Toutes les conditions se trouvent donc réunies chez les rumi¬
nants pour que les indigestions stomacales proprement dites,
c’est-à-dire celles du quatrième estomac, ne soient pas possibles.
Aussi ne les observe-t-on pas sur les animaux adultes. Les jeunes
seuls y sont exposés pendant la durée du régime lacté, parce
que alors le rumen n’a pas encore fonctionné et que l’aliment
^ique.dont les animaux se nourrissent, va directement dans la
caillette où son accumulation peut donner lieu à quelques trou¬
bles morbides.
168
LNDIGESTIOî^.
La perfection de l’action des estomacs met aussi les ru-
minants à l’abri de ces sortes d’indigestions qui résultent,
chez le cheval, de l’accumulation dans ses réservoirs intesti*
naux, dont la capacité est si grande, d’une quantité très-consi¬
dérable de matières alimentaires. Jamais l’intestin chez les
ruminants ne peut être surchargé, car ce que la caillette laisse
passer par son étroit pylore est une pulpe très-diluée et d’une
extrême ductilité, qui ne peut pas causer d’obstructions, comme
les matières, souvent grossières encore, qui franchissent l’esto¬
mac et l’intestin grêle du cheval pour aller s’accumuler dans le
cæcum et le gros côlon. «La quantité des matières de l’intestin
chez les herbivores ruminants, dit M. Colin, y représente le
huitième, le dixième, le douzième du contenu de l’estomac, elle
est toujours faible, aussi bien par rapport aux solides que par
rapport aux boissons, qui demeurent ensemble en dépôt dans le
rumen. Et, chez eux, dès que la rumination se suspend, la di¬
gestion intestinale n’opère plus que sur de très-petites quantités
d’aliments. »
Il faut ajouter que, chez les ruminants, les matières alimen¬
taires parcourent plus rapidement, en raison de leur ductilité
plus grande, les détroits de l’intestin et en sont plus facilement
et plus rapidement expulsées, car, après les préparations stoma¬
cales qu’elles ont subies, l’absorption intestinale peut les épuiser
assez rapidement des principes qu’elles renferment, pour que
leur séjour très-prolongé dans les dernières parties de l’appareil
digestif n’ait pas d’utilité.
Ainsi s’explique, par la différence de la disposition et du
mode de fonctionnement de l’appareil digestif dans les rumi¬
nants et dans les solipèdes, la différence du siège et du mode
de manifestation des maladies de cet appareil, auxquelles ou '
donne le nom d’indigestion.
Ces considérations rappelées, étudions maintenant les diffé¬
rentes variétés des indigestions des ruminants.
I 1®'. — Indigestions du rumen.
Il y a à distinguer, nous l’avons dit plus haut, dans les trou¬
bles digestifs, dont le premier estomac peut être le siège, ceux
qui sont simples, sans complication de surcharge, et ceux dans
lesquels cette très-grave complication intervient. Donc, deux
variétés des indigestions du rumen : Yindigeslion simple, sans
surcharge; el Y indigestion compliquée de surcharge.
Causes des indigestions du rumen. — Nous avons vu, dans lus
INDIGESTION.
169
considérations physiologiques exposées plus haut, que la rumi¬
nation était si étroitement subordonnée à l’état de santé des
animaux, qu’elle cessait quand ils tombaient malades tant soit
peu gravement, pour ne se rétablir qu’après la disparition de
l’état de maladie ou de souffrance qui en avait déterminé la
suspension. Or, comme les matières enfermées dans le rumen
sont dans un état|continuel .'de fermentation, qui donne nais¬
sance à des produits gazeux dont l’évacuation régulière ne peut
s’effectuer que lorsque les animaux ruminent, il en résulte que
toute cause morbide, quelle qu’elle soit, qui fait cesser la rumi¬
nation, peut être considérée comme une cause indirecte d’indiges¬
tion du rumen, car elle se, traduit, en très-peu de temps, par des
phénomènes plus ou moins accusés de météorisme de la panse;
et, si l’action de cette cause se prolonge, les matières immobi¬
lisées dans la panse et, tout particulièrement, les liquides orga¬
niques, peuvent y subir une fermentation putride. Toute maladie,
d’ordre médical ou chirurgical, peut donc donner lieu, chez les ru¬
minants, pour peu qu’elle soit grave, ades troubles plus ou moins
intenses de la fonction du rumen; à plus forte raison ces troubles
se inanifesteront-ils, si c’est l’appareil digestif lui-même qui est
le siège d’une maladie aiguë ou chronique, inflammatoire ou
d’un autre ordre.
Mais si les indigestions peuvent être la- conséquence de l’état
de maladie ou de souffrance des animaux, plus communément
encore elles se manifestent dans les conditions les meilleures
de la santé et même, peut-on dire, proportionnellement à ces
conditions ; car bien souvent elles résultent de la trop grande
avidité avec laquelle les animaux, sous les incitations de leur
appétit trop développé par des privations subies, se repaissent
des aliments qu’ils trouvent à leur portée. Dans les conditions
de nature, ou lorsque les animaux vivent dans les herbages, les
indigestions sont rares, parce que l’appétit n’est jamais dévo¬
rant. « Les animaux ont toujours sous leurs pas, dit Ghabert,
l’herbe nécessaire à leur nourriture, leur pause une fois rem¬
plie, ils se retirent dans un lieu tranquille pour ruminer paisi¬
blement la partie des aliments qu’ils ont pâturée-. Cette première
digestion faite, ils reviennent prendre de nouveaux aliments,
''-'Ont ensuite les ruminer comme la première fois et ainsi de
suite. Et comme ils ne sont pas pressés par la faim, ils ne man¬
gent que la quantité d’herbe qui leur est nécessaire et qui, par
conséquent, n’est jamais à charge à leurs ventricules; ils la
digèrent avec autant de facilité qu’ils en ont eue à la prendre. »
170
INDIGESTION.
Mais quand les animaux ont été exposés à des privations dans I
les étables, les enclos, les bergeries, les parcs où on les tient ren- |
fermés, ou quand leur aijpétit a été surexcité par les déperdi-
tions du travail, ils ne savent plus manger avec mesure, et sou- I
vent alors les quantités d’aliments qu’ils accumulent dans leur
rumen, resté trop longtemps vide et inactif, le surchargent au
point de paralyser son action, tout à la fois par leur poids et par
l’excès de la distension qu’ils font subir à ses parois.
Tous les aliments, quelle que soit leur nature, peuvent donner
lieu à ces indigestions par excès : les bons aussi bien que les
mauvais, ou pour mieux dire les bons plus encore que les mau¬
vais, car leurs qualités mêmes et les appétences qu’elles excitent
sont des conditions pour qu’ils soient ingérés en plus grande
quantité. C’est ainsi, comme le fait observer Gbabert avec raison,
que « lorsque les animaux sont pressés par la faim, si l’herbe
est abondante , succulente , savoureuse , fraîche et surtout
mouillée^ il n’y a pas de doute que l’indigestion qui suivra ce
repas sera d’autant plus forte et d’autant plus active dans ses
effets désastreux que toutes ces dispositions serontplus réunies.»
Ces herbes fraîches et succulentes, et tout particulièrement le
sainfoin, la luzerne et le trèfle, ne sont pas nuisibles seulement
par leur quantité, mais bien plus encore par les propriétés fer¬
mentescibles qu’elles possèdent, et qu’elles doivent à l’abon¬
dance des matières sucrées contenues dans leur trame. Aussi
les indigestions dont elles sont la cause se compliquent-elles
très-rcommunément de météorismes rapides qui, chez les petits
ruminants surtout, peuvent être d’une gravité extrême, en raison
des accidents très-prompts d’asphyxie qu’ils déterminent.
C’est une opinion presque universellement répandue, et qui
semblait être l’expression d’une vérité bien acquise, que les
chances des indigestions, par l’usage des herbes vertes, étaient
plus grandes, quand ces herbes sont mouillées par la rosée ou
couvertes de givre et de gelée blanche. M. Santon, dans son Hy¬
giène des animaux domestiques, conteste que cette opinion soit
fondée. « C’est, dit-il, un préjugé de croire, ainsi que toutes les
personnes étrangères à la science, que la luzerne météorise,
surtout lorsqu’elle est encore couverte de rosée. Avant d’avoir
reçu l’influence de la chaleur solaire, elle est au contraire inof-
fensive; et lorsque coupée, elle est restée sur le sol, exposée au
soleil et ;s’est échauffée, ce qui la rend presque infailliblement
dangereuse, comme nous l’avons déjà dit, le meilleur moyen de
détruire et d’atténuer ses propriétés malfaisantes dans ce cas
INDIGESTION.
171
est de l’arroser avec de l’eau fraîche. La connaissance du mode
de production du météorisme rend parfaitement raison du ré¬
sultat que l’expérience a d’ailleurs bien des fois confirmé. »
Il nous semblait, nous, que ce que l’expérience avait mille et
mille fois confirmé, c’était l’opinion que M. Sanson déclare
u’être aujourd’hui qu’un préjugé, accepté seulement par la
plupart des personnes étrangères à la science. Mais ce préjugé
prétendu, tous les auteurs les plus compétents, tous les prati¬
ciens sont d’accord pour l’admettre comme l’expression de la
vérité la moins contestable qui soit. Gbabert, l’abbé Teissier,
Daubenton, Gilbert, Gasparin, Hurtrel d’Arboval, Lafore, Lafosse
et bien d’autres, expriment tous le même avis. Nous venons de
voir comment Gbabert a formulé le sien; voici textuellement la
manière de voir sur ce point des autres auteurs que nous venons
de citer. « Il y a des circonstances, dit l’abbé Teissier, où les
animaux éprouvent un pareil accident (l’indigestion) sans s’être
gorgés de nourriture; il suffit qu’on les ait menés paître dans
une tréflière ou luzernièré, ou même dans un champ d’avoine
ou de blé mouillés par la pluie ou la rosée. Dans ces cas, l’humi¬
dité dont les aliments sont imprégnés les dispose subitement à la
fermentation ; il s’en dégage des gaz. qui distendent outre mesure
les parois de la panse. .. Ge qui paraîtra peut-être étonnant, c’est
qu’on a vu des brebis météorisées pour avoir été conduites et
avoir séjourné une heure, en hiver, par la gelée, dans un champ
de luzerne. Rien n’est plus exact que -ce fait dont j’ai la preuve
dans mon troupeau. » Et plus loin, l’abbé Teissier ajoute : «Dans
le ci-devant pays de Gaux, on attache les vaches, également su¬
jettes à la météorisation, à des piquets, sur des pièces de trèfle,
la seule prairie qu’on y ait. Elles mangent ce qui est auprès
d’elles. On les change déplacé plusieurs fois par jour ; on a soin
de bien régler ce qu’elles en doivent prendre ; on ne les mène à
ce pacage que par le beau temps ; il est rare qu’il y en ait d’in-
commodées. » (Teissier, membre de l’Institut, Instructions sur
les bêtes à laine, 1810.)
Daubenton, dans son Instruction pour les bergers, insiste .à
plusieurs reprises sur les dangers de laisser manger aux mou¬
tons des herbes chargées de rosée ou de Veau des pluies froides.
« Ces herbes donnent, dit-il, le mal qu’il faut appeler colique de
panse, et qu’on nomme ordinairement ; écouffure, enflure, en¬
flure de vents, gonflement de vents, météorisation, empanse-
«lent, etc. Et, à cette question qu’il pose : Gomment peut-on
prévenir cernai? Daubenton répond : «Il faut attendre qu’il n’y
172
INDIGESTION.
ait plus de rosée ou de gelée blanche sur les herbes avant de
faire paître les moutons .... »
« Les plantes fraîches sont très-dangereuses, dit Gasparin,
particulièrement la luzerne, le trèfle, le sainfoin et un grand
nombre d’autres essences qui causent de terribles météorismes
surtout quand elles sont mouillées par la rosée. » (De Gasparin
Manuel d’art vétérinaire, 1 81 7.) ’
Gilbert, après avoir rappelé que les plantes des prairies arti¬
ficielles possèdent, à un bien plus haut degré que toutes les autres
plantes vertes, la funeste propriété de causer le météorisme, dit
« qu’on peut diminuer la fréquence de ces accidents, en faisant
passer les bestiaux rapidement dans l’herbage, en attendant
sur tout, pour les y faire entrer, que le soleil ait abattu la rosée qui
augmente la disposition qu’ont ces plantes à fermenter. » Plus
loin, Gilbert revient sur l’influence dangereuse de la rosée. « Si
l’on s’obstine, dit-il, à abandonner ces prairies aux bestiaux
(pratique qu’il condamne) .... qu’on fasse choix d'une suite de
beaux jours pour en permettre l’entrée, et qu’on ait bien join d’at¬
tendre que le soleil ait dissipé toute humidité; autrement on court
risque de tout perdre, prairies et bestiaux. »
Enfin Gilbert recommande de ne faucher les plantes des prai¬
ries artificielles que lorsque la rosée sera dissipée; si le temps est
pluvieux et qu’on soit obligé de faucher les plantes mouillées,
il prescrit de les laisser quelque temps à couvert avant de les
donner, de les remuer plusieurs fois, afin de prévenir la fermen¬
tation ; enfin de ne les mettre dans les râteliers que lorsque les
feuilles et les tiges seront bien ressuyées (Gilbert, Traité des
prairies arti^ciellès, 6® édition, 1826). Mêmes opinions sont
soutenues par H. d’Arboval, par Lafore, par M. Lafosse. Ces
auteurs insistent, à l’envi les uns des autres, sur les dangers de
donner les fourrages verts, quand ils sont mouillés par la rosée
ou par la pluie, et sur les précautions à prendre pour éviter les
conséquences de cet état des plantes au moment de leur ingur¬
gitation.
Sur quoi s’appuie M. Sansonpour considérer comme erronées,
sur ce point, toutes les opinions si concordantes des auteurs qui
l’ont précédé? Je sais bien qu’il adopte volontiers pour devise
Yetiam si omnes, ego non; mais en matière scientifique, une affir¬
mation ne suffit pas, si autorisée que soit la bouche qui l’énonce,
surtout lorsque cette affirmation est en opposition formelle avec
ce que l’on pouvait se croire en droit de considérer comme
l’expression vraie de l’expérience et de l’observation des temps
INDIGESTION.
173
antérieurs. Jusqu’à nouvel ordre donc, nous continuerons à
considérer comme fondée l’opinion des Daubenton, des Chabert,
des Teissier, des Gasparin, des Gilbert, et nous attendrons pour
nous rallier à celle de M. Sanson, qu’il ait bien voulu nous dé¬
montrer que la manière de voir de ses célèbres devanciers n’est
qu’un préjugé, que nous devons aujourd’hui rayer de nos pa¬
piers.
Mais est-ce que cette manière de voir unanime des auteurs
que nousvenons de rappeler est en contradiction avec les données'
actuelles de la science sur les fermentations et les conditions né¬
cessaires à leur manifestation ? Loin de là, elle les confirme au
contraire. Si, comme les expériences de M. Pasteur tendent
à le démontrer, les fermentations ne peuvent se produire
que si les liquides fermentescibles sont déterminés à leurs
changements d’état par les germes vivants que l’air tient
en suspension, n’est-il pas admissible qu’au moment où la
vapeur d’eau se condense pour former la rosée des plantes,
elle retient en elle une multitude de ces germes, comme cette
rosée artificielle dont Salisbury déterminait la formation sur
les appareils réfrigérants qu’il disposait au-dessus des marais ou
des terrains palustres, pour recueillir les micropbytes considé¬
rés par lui comme les ferments générateurs des fièvres palu¬
déennes, Si la rosée, comme le givre et la gelée blanche qui
procèdent des mêmes causes et n’en diffèrent que par l’état
solide de la vapeur d’eau déposée, si la rosée, le givre et la gelée
blanche, disons-nous, renferment les ferments dont Pasteur a
démontré l’existence dans l’atmosphère, rien d’étonnant que les
plantes, qui en sont couvertes, soient plus rapidement fermen¬
tescibles que celles qui en sont exemptes, et donnent lieu plus
fréquemment qu’elles à des accidents de météorisme.
Les aliments qui, par leur nature, sont plus réfractaires aux
actions digestives que les fourrages verts, ne donnent pas lieu
cependant à des indigestions aussi fréquentes, par la double
raison qu’étant moins appétissants, ils sont mangés avec moins
d’avidité, et qu’étant moins fermentescibles, ils n’occasionnent
pas des accidents de météorisme aussi rapides et aussi graves,
^ais, lorsque les animaux n’ont pas d’autres resssources que
ces aliments de qualités moindres, et que, pressés par la faim,
ils en mangent de trop grandes quantités dans un temps donné,
es indigestions qui surviennent, dans de telles conditions, sont
bien plus graves que les premières, parce que le rumen sur¬
chargé ne peut imprimer à la lourde masse qu’il renferme que
174
INDIGESTION.
des mouvements de brassage insuffisants; parce que cette I
masse, composée en grande partie soit de matières ligneuses ■
soit de la cellulose plus compacte de la dernière époque de la
végétation, ne se laisse pas pénétrer facilement par les liquides
de la panse, dont la quantité n’est pas en rapport avec le -volume
et le poids des substances solides qui la remplissent ; parce que
enfin, dans de telles conditions, la rumination, d’abord difficile,
ne tarde pas à être complètement empiêchée, tout à la fois par le
défaut de ductilité des matières ingérées, et par la résistance
qu’elles opposent, en raison de léur poids, aux contractions qui
doivent les faire remonter vers la bouche.
Les aliments qui, parles qualités inférieures qu’ils doivent à
leur composition élémentaire, occasionnent le plus communé¬
ment des indigestions avec surcharge sont : les fourrages secs
des prairies basses et humides, dans lesquels se rencontrent en
trop grande quantité les laîches, les roseaux, les joncs, les re¬
noncules ; la luzerne, le trèfle et le sainfoin, quand ils sont secs,
vieux, poudreux, réduits à leurs tiges; les feuilles des arbres,
celles de vigne, les siliques de colza, le son notamment; les
feuilles de choux données en excès, le chaume, les pailles, les
bâles de blé ou d’avoine ; les tiges de vesces, de haricots, les
raclures des jardins, etc., etc.
Les chances de la fréquence et de la gravité des indigestions
augmentent, lorsque les aliments sont non seulement-de qualité
inférieure, de par leur composition première, mais qu’ils ont
subi des altérations produites, soit par les champignons de la
moisissure, soit par la vase, soit par la germination des tu¬
bercules et des graines, soit enfin par des fermentations.
Exemples, les fom’rages vasés, couverts de rouille; les topi¬
nambours et les pommes de terre germés; les tourteaux de
plantes oléagineuses altérés par les moisissures; les châtaignes
vieilles, moisies, remplies d’insectes ; les marcs et les pulpesen
fermentation putride, etc., etc. En résumé, tous les aliments,
quelles que soient leur composition et leurs qualités nutritives,
peuvent causer des indigestions du rumen, soit par leur quan¬
tité, soit par les propriétés spéciales qu’ils possèdent.
Lorsque ce sont des aliments très-fermentescibles, comme le®
fourrages verts, et surtout les fourrages verts mouillés qui don*
nent lieu à une indigestion, les phénomènes prédominants sont
surtout ceux qui résultent de la ferinentation et de la présence
des produits gazeux surabondants dont elle détermine le déga*
gement. La question de surchargé est une question relativemeu^
INDIGESTION.
173
secondaire, car la masse alimentaire, dans ce cas, est tellement
aqueuse, qu’une fois les accidents du météorisme conjurés, le
rumen peut réagir contre elle et lui imprimer, malgré son poids,
les mouvements de brassage et de va-et-vient qui sont la condi¬
tion nécessaire pour que la rumination s’effectue.
Il en est tout autrement dans le cas où les aliments sont secs,
ligneux et plus ou moins réfractaires à l’action digestive, soit
par leur composition, soit par leur état physique, soit par les
altérations spéciales qu’ils peuvent avoir subies. C’est surtout
par leur quantité que ces aliments peuvent causer des indiges¬
tions : conséquemment, c’est la surcharge qui constitue le fait
principal dans le trouble morbide qu’ils occasionnent. Le météo¬
risme n’en est qu’un phénomène accessoire, et quand on le
fait disparaître, les conditions essentielles ne sont pas encore
réalisées pour que le rumen puisse reprendre sa fonction, car
la surcharge continue à le paralyser, et la maladie persiste tant
que cette condition morbide est elle-même persistante.
1“ SYMPTOMES DE L’INDIGESTION SIMPLE DU RUMEN.
C’est à cette variété d’indigestion queChabert donnait le nom
de Météorisation méphitique simple. Déterminée le plus ordinai¬
rement par l’usage des fourrages verts et plus particulièrement
du sainfoin, de la luzerne ou du trèfle, elle se caractérise, dans
le plus grand nombre des cas, par ses premiers symptômes, bien
avant que l’animal ait eu le. temps de surcharger sa panse. Ces
premiers symptômes, dont l’apparition est très-rapide, soot ceux
du météorisme. Le rumen, distendu par les gaz qui se dégagent
des matières en fermentation, qu’il renferme, se gonfle et se fait
une place proportionnelle à son volume accru : d’une part, en
refoulant les parois de l’abdomen, principalement du côté gau¬
che ; de l’autre, en comprimant les intestins et les autres or¬
ganes abdominaux ou pelviens ; en troisième lieu, enfin, en
repoussant devant lui le diaphragm^e qu’il immobilise dans un
état de distension extrême et dont il paralyse l’action. De là, une
série de symptômes physiques ou fonctionnels, procédant tous
de ce fait principal : le gonflement du rumen par les gaz qui le
distendent à la manière d’un hall on.
Cette distension ou ce ballonnement du rumen (expression
usuelle pleine de justesse) se caractérise extérieurement par
1 augmentation générale du volume du ventre, car, en vertu du
principe d’égalité de pression, le refoulement excentrique pro¬
duit par le gonflement du rumen se fait sentir dans tous les
176
INDIGESTION.
sens. Mais, du côté gauche, les parois abdominales, qui sont
immédiatement en rapport avec la panse, cèdent davantage à
sa poussée, et, soulevées par elle, elles laissent se dessiner 'son
relief, sous la forme d’une grosse tumeur saillante qui ne tarde pas
à dépasserle niveau de l’arête dorsale. Cette tumeur de la panse est
très-tendue, élastique et sonore à la percussion comme la caisse
d’un tambour, d’où le nom de tympanite, sous lequel cet état
symptomatique est souvent désigné. La tension et l’élasticité se
remarquent également dans toute l’étendue de l’abdomen;
mais c’est à gauche que la sonorité est le plus marquée, en rai¬
son de la position plus superficielle du rumen.
A ces symptômes, à mesure qu’ils se manifestent et se déve¬
loppent, s’ajoutent ceux qui procèdent de la fonction respira¬
toire. Le diaphragme, refoulé par le rumen ballonné, étant
impuissant à le refouler à son tour, les poumons ne trouvent
plus, dans leur cavité trop rétrécie, le champ nécessaire à leur
dilatation ; d’où une gêne croissante de la respiration, qui se
traduit extérieurement par la physionomie anxieuse de l’animal,
la dilatation extrême des narines dont les lèvres ne font pour
ainsi dire que vibrer, les efforts d’aspiration par la bouche
maintenue ouverte; la couleur rouge foncée de la pituitaire et
de la conjonctive; l’état de plénitude des vaisseaux sous-cuta¬
nés, la tension et la vitessa du pouls, et enfin le peu d’ampli¬
tude des mouvements respiratoires, considérés dans les régions
des côtes et des flancs.
Dans cet état d’angoisse qui résulte d’une asphyxie dont Hm-
minence s’accroît avec le volume du ventre, il va de soi que la
rumination -est suspendue, car elle est tout à la fois empêchée
par l’état nerveux des sujets et par les obstacles mécaniques que
la distension extrême du rumen oppose à son action.
L’intestin lui-même, qui s’est d’abord vidé lorsque sa com¬
pression commençait, est mis bientôt dans l’impossibilité d’ac¬
complir ses fonctions lorsque cette compression devient ex¬
cessive : d’où la suspension de la défécation. Les animaux
s’immobilisent d’instinct, quand ils se sentent sous le coup de
1 asphyxie. Dans les limites étroites où leur respiration peut
encore s’effectuer, elle suffit à peine pour entretenir la vie ; elle
n’y suffirait pas s’ils avaient une dépense de mouvement à faire.
Aussi restent -ils en place, et il est facile de reconnaître deloin,
dans les pâturages, la nature de leur maladie, à leur attitude
immobile, à la tension de la tête sur l’encolure, à l’ouverture
de leur bouche, d’où la langue estpendante, et surtout au volume
INDIGESTION. 177
exagéré de leur ventre, qui déborde le niveau des côtes et de
l’épine dorsale.
Cet état symptomatique se manifeste avec une très-grande
rapidité, et il suffit souvent de quelques heures pour qu’il se
termine par la mort, surtout chez les petits ruminants, dont les
tissus plus extensibles opposent une moins grande résistance
à l’effort expansif des gaz du rumen. Mais tout grave que soit
le météorisme , il n’entraîne pas la mort inévitablement, dans
tous les cas où les animaux ne sont pas secourus. Sur un certain
nombre de sujets, la présence des gaz en quantité surabondante
dans le rumen donne lieu à des efforts éructateurs, comme font
les vomitifs sur les animaux qui sont impressionnables à leur
action. Sous l’action incitatrice de ces gaz, l’appareil muscu¬
laire du rumen et les muscles des parois inférieures de l’abdo¬
men entrent en action synergique, comme au moment de la
réjection des bols alimentaires, et, sous Teffort de leurs con¬
tractions combinées, une véritable éruption gazeuse s’opère,
qui se traduit par des éructations successives, abondantes et
sonores, dont l’odeur acide indique la nature du gaz évacué.
Souvent même, le courant des gaz entraîne avec lui des matiè¬
res demi-fluides qui sont rejetées avec force. Dès que le rumen
s’est dégonflé, les intestins redeviennent libres, récupèrent leur
activité musculaire, et sous l’influence des mouvements qu’elle
détermine, le courant des gaz et des matières se rétablit par les
dernières voies. Grâce à cette double évacuation, tous les symp¬
tômes morbides ne tardent pas à disparaître, et la rumination
se rétablit d’elle -même.
Cette guérison spontanée du météorisme n’est possible qu au¬
tant que les efforts de régurgitation peuvent se manifester avant
que la distension du rumen soit extrême. Quand la chance Veut
que l’impression pénible produite par les gaz, au moment où
leur quantité devient surabondante, détermine, par action
reflexe, des efforts synergiques de réjection de la part du rumen
6t de ses muscles congénères, la condition est alors réalisée
pour que le météorisme soit conjuré par des évacuations suffi¬
santes. Mais, si la réplétion gazeuse du rumen peut s’opérer
sans que la présence des gaz donne lieu, au moment voulu, à
aucune incitation déterminante des efforts expulsifs, le météo-
fisnae sera alors nécessairement mortel, à moins qu’une voie
artificielle ne soit ouverte à l’échappement des gaz, car, lorsque
6 rumen et le ventre sont distendus à l’excès, aucun effort ex-
Puisif ne peut plus se produire, l’appareil musculaire complexe
X. 1-2
178
INDIGESTION.
d’où cet effort peut procéder étant actuellement paralysé par
l’eX' ès même de sadisteusioii.
Anahmiie pathologique. — Le fait principal que l’on constate,
à l’autopsie des animaux qui sont morts des suites du météo¬
risme, est la coloration noire du sang dans tout le système cir¬
culatoire et les stases de ce liquide dans le poumou, dans le
cœur et dans l’appareil nerveux auquel il donne une apparence
conge^tlve qui a fait illusion aux anciens observateurs. Cet état
du sang et des or;. ânes qu’il engoue n’est autre que celui qui
résulte de l’asphyxie, «‘ar c est par l’asphyxie que meurent les
animaux métèorisés. On peut s’eu rendre compte t'acilement à
leur autopsie, lorsque la cavité abdominale, ouverte avec pré¬
caution, laisse voir dans quelle énorme mesure le rumen et le
réseau se sont distendus et combien leur poussée contre le dia¬
phragme a rétréci la cavité thoracique.
En dehors de ces deux faits : la coloration noire du sang,
expression d’une hématose insuflisante ou tout à fait nulle, et
la réplétioü extrême des deux premiers estomacs par des gaz,
rien autre de caractéristique; aucune lésion; l’organisme n’a
subi aucune atteinte physique qui puisse constituer une condi¬
tion morbide irréparable. C’est ce qui explique le retour si
prompt à la santé, lorsque les gaz, cause mécanique de tous les
symptômes, ont pu trouver une voie d’échappement, soit par
les conduits naturels, soit par une ouverture artificielle, comme
celle que l’on pratique dans la région du liane : moyen héroïque,
toujours efficace, jamais dangereux, dont on ne saurait trop
recommander l’application. Nous allons y revenir au paragra¬
phe du traitement.
2" SYMPTOMES DE L’INDIGESTION DU RUMEN AVEC SURCHARGE
d’aliments.
Nous comprenons sous ce titre les trois variétés d’indi¬
gestions que Chabert a désignées sous les noms de ' Méléorisa-
iion méphitique, compliquée de la dureté* de la pansé; d’Indiges-
tion putride simple; et d’indigestion putride accompagnée de lé
dureté de la panse.
L’indigestion avec surcharge est généralement produite par
des fourrages secs: foins naturels ou artificiels, chaumes, balles
de graminées, sons, tiges de vesces, de haricots, feuilles d’ar¬
bre, etc., etc.; tous aliments qui ne sont pas autant fermentes¬
cibles que les fourrages verts, ni surtout aussi rapidement, et
qui peuvent être ingérés en quantité excessive, sous les incita'
INDIGESTION.
179
tions d’un appétit exagéré, avant qiie la fermentation ait eu le
temps de donner lieu à un assez grand dégagement de gaz pour
que les animaux en soient incommodés.,
Les symptômes de l’iudigesiion compliquée de surcharge se
manifestent avecplus de lenteur que ceux de l’indigestion simple.
Dans celle-ci, ils sont soudains, cornrae l’explosion des gaz dont
ils sont l’expression. Dans le cas de surcharge, leur manifesta¬
tion est plus tardive. Les animaux dont le premier estomac est
surchargé éprouvent une sensation de malaise qui se traduit
par l’éloiguemeut de la crèche, la tristesse. da cessation de la
rumination ; leur respiration est un pru accélérée, aes mouve¬
ments sont raccourcis et, de temps en temps, des sortes de
plaintes se font entendre. Le ventre est volumineux, mais non
dans uue mesure aussi grande immédiatement, que lorsque
l’excès de son volume résulte d’un dégagement rapide de gaz, 11
donne, à l’exploration, la sensation de son poids et, au lieu de la
tension élastique et sonore qui est caractéristique du météo¬
risme de l’indigestion simple, on perçoit dans le flanc gauche,
quand on l’explore avec les doigts ou à poings fermés, la résis¬
tance pâteuse de la masse alimentaire accumulée. Cette masse
se laisse déprimer comme une pâte, compacte cependant. On
sent, quand on la presse avec le doigt ou le poing, qu’on y mar¬
que une empreinte comme sur un mastic. Là se trouve, entre
les indigestions simples et celles qui sont causées par une trop
grande accumulation de matières dans la panse, la diffé¬
rence essentielle ; différence très-marquée à la période initiale
et qui persiste, toujours saisissable, même lorsque le météorisme
Tient ajouter ses symptômes à ceux de la surcharge elle-même.
Le météorisme se manifeste, en effet, toujours dans les indi¬
gestions avec surcharge, car les matières accumulées dans le
rumen y subissent nécessairement une fermentation. Si les gaz
qui s’en dégagent sont moins abondants que ceux qui sont pro¬
duits par des fourrages verts, beaucoup plus fermentescibles,
ils n’en constituent pas moins une condition extrêmement aggra-
Tantede l’état morbide dont la surcharge est la cause première,
car ils ajoutent l’effort de leur distension à celui qui est déjà
produit par les matières accurhulées, et exagèrent conséquem-
ïûent les difficultés que le volume, déjà si considérable du
Tentre, opposait à l’exécution de la respiration. Aussi voit-
on s’accroître, avec le développement du météorisme, les symp-
^mes caractéristiques de ces difficultés et de l’imminence de
1 asphyxie.
180
INDIGESTION.
Les gaz qui se dégagent dans le rumen, surplein déjà au mo¬
ment où la fermentation commence, le distendent d’abord jus¬
qu’aux limites extrêmes que permet son extensibilité, puis ils
s’engagent successivement, sous l’influence de la forte pression
à laquelle ils sont soumis dans le réseau, le feuillet, la caillette
et l’intestin qu’ils gonflent à l’excès, en sorte que le ventre tout
entier est distendu comme un ballon. Il n’est pas rare que, sous
l’effort de cette distension, des fissures s’opèrent, qui permet¬
tent aux gaz de s’infiltrer dans le tissu cellulaire et de venir se
répandre sous la peau, où leur présence est accusée par l’état
emphysémateux et les crépitations sèches qui en sont l’expres¬
sion. Dans quelques cas plus rares, la pression intérieure des
gaz est telle qu’ils déterminent la rupture des parois des cavités
où ils sont contenus. On signale aussi la rupture du diaphragme
sous la poussée excessive qu’il subit.
, Le plus souvent, ces accidents de fissures et de ruptures n’ont
pas le temps de se produire et la mort arrive par asphyxie,
comme à la suite du météorisme excessif qui vient compliquer
si communément les indigestions simples.
Toutefois, même dans le cas d’indigestion avec surcharge et
complication de météorisme, la guérison spontanée est possible,
lorsque les animaux sont déterminés, par les sensations pénibles
qu’ils éprouvent, à faire des efforts de réjection qui aboutissent
à la régurgitation, en quantité plus ou moins considérable,
des matières solides, liquides et gazeuses qui distendent le
rumen. Grâce à ce vomissement véritable, les accidents les plus
graves peuvent être immédiatement conjurés. Girard a vu une
vache météorisée vomir une quantité considérable d’herbes et
se trouver immédiatement soulagée. Le vomissement de vint, par
la suite, habituel chez cet animal. D’autres exemples de vomis¬
sement ont été rapportés par Santin, Lecoq (de Bayeux), Cruzel
et Weber.
Mais ces phénomènes de régurgitation ne se produisent
' qu’exceptionnellement sur les animaux dont la panse est sur¬
chargée, et même il est admissible qu’ils ne peuvent pas se pro¬
duire quand leur intervention serait le plus salutaire, c’est-à-
dire lorsque la surcharge est extrême, parce que, dans ce cas, le
rumen paralysé par l’excès de sa charge, et par la distension
gazeuse qui l’accompagne, ne peut pas joindre son action à celle
des muscles expirateurs et concourir avec eux aux efforts de la
réjection. Suivant toutes les probabilités, ce n’est pas lorsque la
panse est gorgée à l’excès que les vomissements interviennent,
INDIGESTION.
181
mais à un certain moment de sa réplétion, quand la mesure de
ce qu’elle doit contenir commence à être dépassée et que les
sensations pénibles qui en résultent, réagissant sur le système
nerveux central, mettent en jeu, par action réflexe, pour les
faire concourir synergiquement à la réjection, les muscles expi¬
rateurs et la membrane musculaire du rumen.
Quoi qu’il en soit, les vomissements, chez les ruminants, ont
toujours une signification favorable, carils constituent un moyen
naturel de guérison des indigestions de la panse, tout aussi effi¬
cace que chez les carnivores et les omnivores. C’est toujours une
chose heureuse quand ils se produisent et, s’il était possible de
les déterminer à volonté par une médication certaine, chez les
ruminants comme chez les carnivores, ce serait là une précieuse
ressource contre les indigestions si graves qui résultent de la
surcharge de la panse.
Mais, malheureusement, si le vomissement est possible chez
le bœuf et le mouton, s’il peut se produire spontanément sous
l’influence des sensations que cause, dans de certaines condi¬
tions, la présence des aliments en quantité excédante dans le
rumen, le système nerveux de ces animaux n’est pas suscep¬
tible d’être impressionné suffisamment par les agents vomitifs
pour que l’on puisse compter sur leurs effets. Daubenton, Gil¬
bert, Huzard ont démontré que l’émétique à haute dose ne fait
pas vomir le bœuf et le mouton, quoique, cependant, l’injection
de ce médicament dans les veines donne lieu à des nausées et à
des efforts de réjection, ainsi que l’a démontré M. Flourens par
ses expériences (G. Colin). Mais ces efforts n’aboutissent à rien.
Pourquoi cela ? Gomment se fait-il que les ruminants soient si
peu aptes à vomir, eux qui sont organisés tout exprès pour que
les aliments qu’ils ont mis en réserve dans leur panse reviennent
à la bouche? Gomment se fait-il que la réjection, qui est chez
eux un acte physiologique, devienne si difficile et même soit
impossible le plus souvent, lorsque le rumen est distendu, soit
par des matières alimentaires en excès, soit par des gaz ? G’est
*Pie, pour que cette réjection s’opère, il faut que le rumen ait
toute la liberté de ses mouvements ; il faut que, par ses contrac¬
tions dans des sens alternés, il puisse, imprimer aux matières
^ il renferme le va et vient nécessaire à leur mélange intime;
Il faut enfin que ces matières soient associées à . une assez grande
fluantité de liquides pour être comme diffluentes dans les ré-
^ras inférieures de la panse, et pouvoir obéir, en raison de leur
^ tfluence même, au mouvement ascensionnel vers l’œsophage
m
mm-mm.
gue leur imprimeut les contractions concertées des parois infé-
rieures de l’alHiomen et des membranes charnues du rumea et
'du réseau.
Or, quand il y a une surcharge alimentaire, tontes ces condi-'
tions manquent à la fois ; le rumen est inerte; les matières
qu’il contient sont immobilisées dans sa cavité et les parois ab¬
dominales distendues sont impuissantes à secouer la maése pe¬
sante qu’elles supportent. Et puis enfin, ce n’est pas seulement
parce qu’il y a des empêchements physiques que, dans ces cir¬
constances, les efforts de la réjection ne s’effectuent pas ou, tout
au moins, restent inefficaces ; c’est aussi parce que l’excitation
nerveuse d’où ils procèdent fait actuellement défaut, ou ne
commande pas avec assez d’énergie et de continuité. On sait
combien les ruminants sont impressionnables et combien la
fonction qui est leur caractéristique essentielle, celle de la ru¬
mination, est facilement troublée soit par les impressions ve¬
nues du dehors, soit par les sensations intérieures, pour peu
qu’elles soient anormales et intenses.
La rumination est tellement subordonnée, en effet, à la régu¬
larité des actions de l’organisme, que tout ce qui les trouble se
traduit iinmédiatement par une suspension plus ou moins du¬
rable de cette fonction. A fortiori, les conditions sont-elles don¬
nées pour que ce résultat se produise, quand c’est le rumenlui-
même qui est le siège et le point de départ de sensations
douloureuses, par le fait même de l’excès de sa plénitude.
L’indigestion de la panse est donc grave en elle-même et par
elle-même, car elle est pour elle-même la condition de sa per¬
sistance et de son aggravation.
Ces quelques considérations suffisent pour faire comprendre
la gravité exceptionnelle de cette maladie.
Anatomie pathologique. — L’indigestion de la panse avec sur¬
charge d’aliments est caractérisée à l’autopsie, d’abord et de la
manière la plus saillante, par cette surcharge elle-même qui
donne au rumen un Volume et un poids excessifs. Il occupe une
si grande place dans la cavité abdominale que les autres or¬
ganes sont réduits par la compression à leur plus petit voluniej
hors les cas où les intestins distendus par des gaz ont opposé
leur résistance élastique à la compression du rumen. —
organe ne s’est pas fait sa place seulement dans l’abdomen, il
s’est développé aussi aux dépens de la cavité thoracique, en re¬
foulant le diaphragme jusqu’aux limites extrêmes de son exten¬
sibilité, et même au delà, car il y a des exemples de ruptures
INDIGESTION.
183
de cette cloison. C’est ce qui explique les complications d’as-
pbyxie qui interviennent si communément à la suite des indi¬
gestions avec surcharge. Aussi constate -t-on, à l’autopsie des
âDimaux morts de cette maladie, la coloration noire de tout lé
sang et ses stases qui ont pour effet d’imprimér une teinte fon¬
cée aux organes et d’injecter leur système vasculaire, dont les
arborisations, fortement dessinées, constituent un caractère
propre sur la signification duquel les anciens auteurs se sont
mépris, quand ils l’ont considéré comme le signe de la conges¬
tion et de l’inflammation, dans le cerveau et ses enveloppes tout
particulièrement.
Lorsqu’on ouvre le rumen, les gaz qui s’en échappent ré¬
pandent une odeur complexe, d’une extrême fétidité, qui dénote
que la fermentation des matières de la panse n’est plus la fer¬
mentation physiologique. Il y a manifestement des phénomènes
de putridité qui sont intervenus dans la masse accumulée de
cêsmatières, et dans les liquides organiques qui leur sont asso¬
ciés, lés liquides salivaires notamment, qui sont si facilement
putrescibles. C’est principalement sur ce caractère que Chahert
s’était fondé pour assigner le nom distinctif d’indigestion pw-
tride, avec ou sans surcharge, à deux des variétés de cette ma¬
ladie qu’il avait reconnues.
Dans les cas de distensions extrêmes, on constate dans les
parois du rumen des infiltrations ecchymotiques, indices des
déchirures interstitielles qui s’y sont produites. Quand ces pa¬
rois sont complètement rompues, ce qui est tout à fait excep¬
tionnel, les lèvres de leur déchirure sont ecchymosées et dé¬
notent par ce caractère que c’est pendant la vie, et non après
la mort, que cette rupture s’est effectuée. Même observation
pour les solutions de continuité du diaphragme.
§ !3. — Indigestion du feniUef.
L’indigestion dû feuillet n’est pas facile à distinguer sur l’ani¬
mal vivaut de celle de la panse, à cause de leur coexistence fré¬
quente, qui résulte de ce que l’une entrciîue l’autre presque
inévitablement et réciproquement. On voit, en effet, d’ordi¬
naire, l’indigestion de la panse consécutive à celle du feuillet, et
celle-ci à celle-là; et cette succession dans la manifestation de
ces phénomènes résulte du mode même de fonctionnement de
1 appareil de la rumination. De fait, on doit concevoir que,
lorsque la fonction du rumen est suspendue, les matières ali-
ûtentaires interposées entre les lames du feuillet s’y arrêtent et
184
INDIGESTION.
s’y dessèchent, faute de recevoir l’impulsion de matières nouvel¬
lement apportées, qui les fassent cheminer devant elles et les
poussent vers la caillette. Mais ce premier effet produit devient
cause à son tour, et si le feuillet s’est obstrué lorsque l’impul¬
sion du rumen lui a manqué, l’obstruction du feuillet devient,
de son côté, une condition très -puissante et très-difflcile à sur¬
monter de l’empansement du rumen, c’est-à-dire de l’arrêt dans
sa cavité, et de l’accumulation des matières alimentaires. Ici
encore nous voyons se reconstituer le cercle vicieux des troubles
digestifs chez les ruminants.
L’obstruction du feuillet n’est pas toujours un fait consécutif
aux indigestions de la panse ; c’est au contraire, dans un assez
grand nombre de cas, un fait primitif qui peut se produire avec
une assez grande soudaineté sous l’influence d’un état fébrile,
procédant d’une cause ou d’une autre; ou s’établir à la longue,
lorsqu’on donne aux animaux pendant toute une saison, comme
la saison hivernale, par exemple, des aliments secs et de qua¬
lités inférieures. L’âge en est aussi, dans ce cas, une condition
prédisposante.
Pour ce qui est de l’influence de l’état fébrile sur les fonctions
du feuillet, elle est rendue manifeste par les résultats des au¬
topsies des animaux qui succombent à des maladies aiguës à
marche plus ou moins rapide. Dans les relations que donnent
les observateurs des lésions qu’ils ont constatées à l’ouverture
des animaux morts de ces maladies, ou voit très-communé¬
ment signalés : l’état de dessiccation des aliments dans le feuil¬
let; les tablettes durcies qu’ils forment entre les lames ; l’adhé¬
rence à la surface de ces tablettes des couches épithéliales qui
y restent attachées quand on les enlève. Dans la peste bovine,
dans la fièvre vitulaire, dans toutes les maladies aiguës à
marche rapide, ce fait se rencontre avec une telle constance
qu’on peut le considérer comme fatal. Maintenant, quelle est la
condition pour qu’il se produise? Est-il toujours la conséquence
de la suspension des mouvements de la panse? Est-ce seule¬
ment parce que le courant des matières est interrompu du ru¬
men vers la caillette que celles qui sont, à ce moment, dans le
feuillet, subissent la dessiccation qui les immobilise sous forme
de tablettes consistantes.? Ou cette dessiccation ne résulte 4- elle
pas de l’état d’inertie dont l’appareil contractile du feuillet est
frappé, en môme temps que celui du rumen, lorsqu’une condi¬
tion est donnée pour que la fonction de la rumination soit in¬
terrompue, comme, par exemple, la condition d’un état fébrile?
INDIGESTION.
185
Il est probable que, dans ces circonstances, l’effet est complexe
et que tout l’appareil de la rumination, subissant en même
temps l’influence de la condition morbide générale, chacune de
ses parties est impressionüée à sa manière, et se trouble dans
la mesure où elle subit l’impression. Il est admissible, par
exemple, que la même action réflexe qui paralyse les contrac¬
tions du rumen, paralyse en même temps celles du feuillet; que
cette action réflexe a pour effet commun l’immobilisation des
matières contenues dans l’un et dans l’autre de ces réservoirs, et
que, tandis que, dans le rumen, les matières immobilisées su¬
bissent un commencement de putréfaction, dans le feuillet elles
se dessèchent sur place, parce que le couraflt des liquides du
rumen est interrompu, et parce que, aussi, leurs liquides propres
s’en échappent, par l’effet même soit de la compression exté¬
rieure à laquelle le feuillet est soumis dans la cavité abdomi¬
nale, surtout lorsque le volume du rumen est démesurément
accru; soit de la situation déclive des ouverturès du feuillet;
soit de l’absorption qui s’effectue à la surface de sa muqueuse ;
soit enfin du retrait sur elle-même de sa membrane contractile,
lorsqu’elle n’est plus distendue par l’apport de nouvelles subs¬
tances. Peut-être y a-t-ü un concours de toutes ces influences
ou de quelques-unes d’entre elles à un moment donné. Quoi
qu’il en soit, un fait reste certain : c’est que le feuillet est tout
autant impressionnable que le rumen ; que les troubles géné¬
raux de l’organisme retentissent sur lui au même degré, et
donnent lieu de même aux troubles propres de sa fonction :
lesquels se traduisent, en résultat dernier, par son obstruction,
conséquence de l’interruption, dans ses rigoles, du courant des
matières qui s’y immobilisent, s’y dessèchent et peuvent y ac¬
quérir une dureté comme pierreuse.
Mais l’obstruction du feuillet n’est pas toujours un fait im¬
médiat, conséquence des troubles fébriles qui accompagnent la
manifestation des maladies aiguës. Elle peut çe produire à la
longue, par des sortes d’alluvions successives, sous l’influence
d un régime alimentaire trop sec et formé de fourrages de qua¬
lités inférieures ; ou bien encore, ayant son point de départ
dans un état fébrile, elle peut persister après qu’il a disparu, et
s’aggraver graduellement, si les conditions du régime sont favo¬
rables effectivement à sa persistance et à son aggravation. C’est
dans de telles conditions, sans doute, que se forment dans le
teuiilet ces accumulations de matières dont le poids, au rapport
de Ghabert, peut s’élever jusqu’à vingt-cinq kilogrammes.
186
INDIGESTION.
SYMPTÔMES DE L’INDIGESTION DD FEUILLET.
L’obstruction du feuillet par des matières accumulées et
arrêtées entre ses lames ne se traduit pas, comme celle de la
panse, par des symptômes objectifs faciles à reconnaître et à
interpréter. Le feuillet échappe à l’exploration directe par sa
situation profonde, et les symptômes qui procèdent des trou¬
bles de sa fonction ne sont que des symptômes rationnels, qui
ne se manifestent pas isolément, et qui n’ont pas de caractères
assez particuliers pour qu’ils puissent servir de base à un diag¬
nostic très-net et très-positif,
La présomption de l’obstruction du feuillet existe, lorsque,
après une maladie aiguë, alors que ses symptômes propres ont
disparu, et que l’animal est, relativement à elle, dans la période
de la convalescence, cependant la rumination ne se rétablit pas
d’une manière régulière ; que l’animal reste triste, sans appé¬
tit; que sa respiration est fréquente, petite et accompagnée de
plaintes par intermittence ; que le mufle est sec; que les yeux
sont ternes et enfoncés ; que le corps est de temps à autre agité
de frissons ; qu’enfin les évacuations alvines sont raïes. Cet état
morbide persistant, après la disparition d’une maladie aiguë,
n’a rien en soi de très-significatif; mais on est autorisé à le rat¬
tacher à l’inertie du feuillet et à son obstruction consécutive,
justement parce que l’expérience enseigne que trop communé¬
ment, à la suite des maladies graves qui ont eu pour effet
immédiat de suspendre la rumination, le feuillet s’obstrue par
l’arrêt et la dessiccation dans ses compartiments multiples des
matières qui y sont interposées. La rumination ne se rétablis¬
sant pas d’une manière régulière lorsqu’à disparu la maladie
qui en avait déterminé la suspension, l’induction autorise à
admettre que l’obstacle à son rétablissement se trouve dans le
feuillet, surtout lorsqu’il n’existe aucune réplétion du rumen,
comme c’est le cas à la suite des maladies graves, et que cet
organe donne la preuve de son activité fonctionnelle récupérée
par les réjections de bols alimentaires qu’il effectue de temps à
autre. Il y a, si l’on peut ainsi dire, comme des tentatives de
rumination qui ne se prolongent pas et ne se répètent pas d’une
manière régulière, parce que toutes les parties de l’appareil ne
sont pas actuellement dans les conditions voulues pour un
fonctionnement régulier.
Si, dans la première' période de cet état morbide mal déter¬
miné, aucun symptôme saillant ne procède du rumen, il n’en
INDIGESTION.
187
est plus de même à mesure que cet.état se prolonge. Quoique
l’appétit ne soit pas très-développé, l’animal ne laisse pas que
de manger quelque peu, et ce peu qu’il mange journellement
finit par remplir la panse, parce que la rumination ne s’effec¬
tuant qu’à de longs intervalles et pendant peu de temps, l’apport
des matières est plus considérable que leur évacuation.
N’étant pas soumises à un brassage continu, comme celui qui
est opéré par les contractions alternées du rumen dans les con¬
ditions physiologiques, les matières qui s’y amassent y subis¬
sent une sorte de tassement qui se traduit par une sensation ■
de dureté que l’on perçoit d’une manière très-nette quand on
explore la région du flanc.
C’est par ce symptôme que Ghabert caractérisait sa qua¬
trième variété d’indigestions, celle qu’il appelle putride, accom¬
pagnée de la dureté de la panse. La dureté de la panse est, en
effet, une conséquence comme fatale de raccumulation des
aliments dans le feuillet. Cet organe, en partie obstrué, ne
laissant plus passer que les matières les plus diffluentes, celles
gui sont plus solides restent entassées dans le rumen, car ses
efforts de réjection sont trop rares et trop incomplets pour
qu’elles en soient évacuées proportionnellement à la quantité
qui y est journellement introduite.
Mais la panse ne donne pas toujours et exclusivement la sen¬
sation de sa dureté. Quelquefois elle devient élastique, par
suite de l’accumulation des gaz entre la masse des aliments
tassés qu’elle renferme et ses parois. Quelquefois aussi, elle
donne la sensation d’une sorte de fluctuation d ue à la présence,
dans sa cavité, des liquides des boissons, qui s’y rassemblent
presque en totalité après leur ingurgitation, parce que l’obs¬
truction incomplète du feuillet fait obstacle à leur passage
immédiat et rapide dans la caillette. Mais si, par moments, lès
gaz et les liquides peuvent dissimuler par leur présence la
dureté de la panse, la condition de cette dureté, c’est-à-dire le
tassement des matières, persiste ; et quand les gaz ont été éva¬
cués par des éructations, et que les liquides ont fini par s’écou¬
ler vers la caillette, la dureté de la panse redevient percevable
par la réapplication immédiate de ses parois sur la masse com¬
pacte des matières alimentaires qui, peu à peu, s’j sont accu¬
mulées, quoique en quantité moindre et sous un plus petit
volume que dans l’indigestion avec surcharge.
L’indigestion du feuillet a généralement une marche lente,
ou, pour parler plus rigoureusement, une fois qu’elle est éta-
188
INDIGESTION.
blie, c’est-à-dire que les aliments se sont arrêtés et desséchés
entre ses lames, l’état morbide qui résulte de son inertie fonc¬
tionnelle et des troubles consécutifs qu’elle entraîne tend à
persister et à s’aggraver des complications fatales que la diges¬
tion empêchée amène à sa suite. La digestion est, en effet, chez
les ruminants, une fonction plus dominante encore que chez les
autres animaux, car on peut dire d’eux que, dans l’état de
nature, et même dans la plupart des conditions de la domesti¬
cité, ils passent leur vie à manger et à digérer. Aussi voit-on
survenir de grands troubles généraux lorsque, par suite de
l’obstruction du feuillet, les fonctions digestives sont empê¬
chées dans leur accomplissement régulier. Ces troubles se rat¬
tachent, suivant toutes probabilités, à l’altération que le sang
éprouve faute d’une rénovation suffisante. Ils sont caractérisés
par des tremblements généraux, signes de la chaleur diminuée,
par l’état hérissé du poil, qui a la même signification, et,
comme à la première période de l’inanition, le mufle est sec,
la bouche chaude et la soif ardente. Presque toujours, lorsque
la digestion est suspendue pendant un certain temps, la mu¬
queuse de l’estomac et de l’intestin devient le siège d’un courant
sanguin plus actif; ses fonctions nutritives se modifient, elle
se dépouille par places de son revêtement épithélial, et même,
quand l’inanition se prolonge, des phénomènes d’ulcérations
s’y manifestent, comme si <son propre tissu subissait l’action
dissolvante des liquides de ses glandes. Chez les rumiuauts
condamnés à une sorte d’inanition par l’obstruction du feuillet,
cet état inflammatoire spécial de la muqueuse de la caillette et
de l’intestin se traduit par la rougeur des muqueuses appa¬
rentes, visible dans la bouche, surtout aux gencives et sous la
langue, par un certain degré de fétidité de l’odeur buccale; par
quelques coliques, la douleur du ventre à une forte pression,
la rareté et la petitesse des matières excrémentitielles. Chez
quelques sujets, on constate des vomissements. Dans le plus
grand nombre des cas, la rumination est suspendue ; quelque¬
fois, cependant, on voit les animaux, si l’on peut dire, l’essayer;
mais il est probable que le bol revenu dans la bouche n’est pas
pour eux un excitant de la deuxième mastication, car ils le
rejettent comme s’il avait fait naître un sentiment de dégoût
Lorsque cet état morbide doit avoir une terminaison favo¬
rable, les matières excrémentitielles se ramollissent et, d’après
M. Lafosse, on peut constater qu’elles entraînent avec elles des
matières durcies, disposées en forme de plaques minces, à la
INDIGESTION.
189
surface desquelles adhéreraient des débris d’épithélium. Ces
plaques dénoncent leur provenance, et leur présence dans les
eicréments doit être considérée comme un signe favorable,
puisqu’elle indique que la désobstruction du feuillet est en voie
de s’opérer. Il est probable que la condition physique et phy¬
siologique nécessaire pour que ce phénomène s’accomplisse est
le détachement de l’épithélium de la surface de la muqueuse.
Il s’opère alors dans le feuillet une sorte de disjonction élimi-
natrice, grâce à laquelle les plaques desséchées de ses rigoles
cessent d’adhérer à sa muqueuse et se trouvent ainsi dans des
conditions plus favorables pour être entraînées par les courants
liquides qui s’effectuent à travers l’organe. La muqueuse,
dépouillée de son épithélium ancien, devient aussi le- siège
d’une sécrétion humide qui facilite et favorise le détachement
des plaques adhérentes. Enfin le feuillet, dans ces conditions,
récupère sans doute sa contractilité èt, en se resserrant sur les
matières qu’il contient et qui ont cessé de lui être adhérentes, il
concourt à leur déplacement et à leur expulsion.
C’est ainsi que l’on peut comprendre le mécanisme de la
désobstruction du feuillet, fait qui doit se produire nécessaire¬
ment à la suite de toutes les maladies fébriles, car elles ont
toujours pour conséquence, lorsqu’elles ont . donné lieu à une
interruption tant soit peu prolongée de’ la rumination, l’arrêt
des matières dans le feuillet et leur dessiccation. C’est ce dont
témoignent les autopsies. Or, comme après ces maladies gué¬
ries, la rumination se rétablit dans le plus grand nombre des
cas, il faut bien que le feuillet se désobstrue, et sa désobstruc¬
tion s’opère par sa desquammation intérieure, condition néces¬
saire pour que les plaques alimentaires adhérentes par le fait
de leur dessiccation deviennent libres et mobiles.
Lorsque le feuillet reste obstrué, la mort doit s’ensuivre iné¬
vitablement. .Tous les phénomènes caractéristiques de l’inani¬
tion se manifestent alors successivement et s’accusent de plus
en plus: émaciation graduelle ; tremblements généraux; sueurs
froides ; effacement du pouls, abaissement de la température ;
faiblesse générale ; impossibilité de la station debout ; décubi¬
tus latéral ; mouvements convulsifs ; mort.
La durée totale de la maladie abandonnée à elle-même peut
être de 25 à 30 jours. Mais, généralement, on fait intervenir le
Loucher assez tôt pour que la valeur de l’animal ne soit pas an¬
nulée par les progrès de l’émaciation.
^^atomie pathologique. — L’indigestion du feuillet est carac-
INDÎGESTÏON.
490
térisée, à l’autopsie, par soo volume accru, par son poids et par
sa corisistani'c. « Celestomac et les matières qu^il renferme pré-
sentent, dit Chabert, une masse d’un poids spécifique égal à
celui de la pierre, dont ils représentent aussi la dureté. Nous
en avons trouvé de trente-deux centimètres (un pied) de dia-
mètre et du poids de vingt-quatre kilogrammes.» Les matières
susceptibles de donner au feuillet des caractères aussi anor¬
maux sorltdi^posée3 entre les lames de cet organe sous la forme
de plaques ou tablettes si desséchées qu’elles ont une dureté
comme pierreuse ; mais elles manquent de ténacité et peuvent
être fac ilement rompues et réduites en fragments ou en pous¬
sière. Leur adhérence avec l’épitbéliura de la membrane est
telle qu’elles eu restent enveloppées quand on les détache. La
muqueuse, ainsi dépouillée, présente une coloration d’uu rouge
assez vif, indice de l’état d’itijeclion de son appareil vasculaire
dont les arborisations se dessinent dans sa trame. Ses papilles
sont également injectées. Mais, à part cet état congestionnel,-le
tissu de la muqueuse du feuillet ne paraît pas avoir subi de
modifications essentielles.
11 n’en est pas de même de la muqueuse de la caillette. — «La
caillette, dit Chabert, ne contient que des matières glaireuses,
saoguiuolentes et si âcres que ses parois intérieures sont corro¬
dées. » Celte corrosion de la muqueuse, que Chabert a pu voir
parce que, de sou temps, on était moins prompt à abattre les
animaux malades qu’on ne l’est aujourd’hui, est une des lésions
caractéristiques de l’inanition, et elle indique, à elle seule, le
genre de mort auquel succombent les animaux dont le feuillet
est obstrué. La muqueuse de l’intestin grêle est injectée, mais
à un moindre degré que celle de la caillette et couverte d’une
couche épaisse de mucosités. Quelquefois, au dire de M. Cruzel,
on y constate aussi des ulcérations. Quant aux gros intestius et
au côlon, ils 'ne contiennent, dit Chabert, que des excréments
noirs, '•desséchés et d’une odeur infecte.
Dans le rumen, le fait principal, qui coïncide avec l’obstruc¬
tion du feuillet, est la présence d’une masse alimentaire for¬
mant par son état de condensation comme une grosse pelotte
d’où les liquides ont été en partie exprimés, mais d’une manière
inégale, les parties inférieures étant toujours plils humides que
les supérieures. L’odeur que les premières répandent dénonce
que la fermentation dont elles sont le siège est une fermentation
putride, ou, tout au moins, que des phénomènes de putridité
interviennent à côté et en même temps que les fermentations
mOIGESTION.
1Ô1
qui restent physiologiques. Les lî-iuides organiques qui pro-
■çiennentde la bouche et les matières fermentescibles auxquelles
ils sont associés, séjournant dans la panse au delà du temps né-^
cessaire pour raccompUssement des fermentations normales,
phénomènes putrides finissent par s’y manifester, ainsi
qu’en témoigne la nature des gaz qui se développent pendant
leur manifestation.
Nous ne sachions pas que l’on ait fait une étude du sang sur
les animaux qui succombent aux suites d’une indigestion du
feuillet. Il n’est pas douteux que les modifications éprouvées
par ce liquide soient identiques à celles que l’on constate chez
lesauimaux qui , meurent d’inanition. (Foy. ce mot.)
TRAITEMENT DES INDIGESTIONS DD RUMEN ET DU FEUILLET.
Plusieurs indications sont communes aux indigestions du
rumen et du feuillet. La première de toutes, celle à laquelle il
estle plus urgent de satisfaire, est de prévenir les conséquences
du météorisme qui peut faire une maladie immédiatement mor¬
telle de l’indigestion la plus simple en soi, et la plus facilement
réductible.
Les moyens à l’aide desquels il est possible de répondre à
cette indication sont de plusieurs ordres. Différents les uns des
autres au point de vue complexe de leur mode d’agir, de leur
efficacité et de la promptitude des résultats qu’ils sont suscep¬
tibles de produire, ils ne sauraient être employés, les uns et les
autres, pour tous les cas indistinctement. Il y a lieu, au con¬
traire, de faire un choix entre eux et de les adapter, pour ainsi
dire, aux circonstances, de manière à parer aux dangers les plus
immédiats par l’emploi de ceux dont l’action est le plus immé¬
diatement efficace.
De tous les moyens propres à prévenir les conséquences du
météorisme, celui qui est le plus prompt à agir et le plus certain
dans ses effets est la ponction du rumen, soit qu’on la pratique
méthodiquement, à l’aide d’instruments appropriés, soit qu’on
l’exécute avec le premier instrument acéré que l’on rencontre
sous sa main. Dès qu’une voie est ouverte par l’artifice de cette
opération aux gaz emprisonnés dans l’outre delà panse, tous les
symptômes redoutables qui résultaient des empêchements qu’ils
opposaient.par leur tension élasti que,à la liberté de la respiration,
s évanouissent à l’instant et, une fois cette ponction faite, l’ani-
otal revient à la vie avec tout autant de soudaineté qu’à la suite
l’opération de la trachéotomie, pratiquée pour prévenir les
192
INDIGESTION.
conséquences de l’obstruction des premières voies aériennes. U
y a donc indication expresse de recourir d’emblée à la ponction
du rumen, de préférence à tout autre moyen, toutes les fois que
soit par les développements qu’il a déjà acquis, soit par la rapil
(lité de sa marche, le météorisme rend l’asphyxie imminente.
Contre un tel danger, la ponction du rumen est héroïque, et
l’on doit d’autant moins hésiter à la pratiquer qu’elle est pres¬
que toujours inoffensive, et que, même dans les cas exception¬
nels où la lésion qu’elle a nécessitée peut être considérée
comme grave, cette opération ne laisse pas encore d’être avan¬
tageuse au point de vue économique, puisqu’elle donné la pos¬
sibilité de sauver la valeur que représente comme bête de bou¬
cherie l’animal de grande ou de petite taille auquel on l’a
pratiquée.
Les règles relatives à cette opération seront indiquées avec
tous les développements qu’elles comportent lans un article
spécial [voy. Ponction) ; nous nous bornerons à rappeler ici que
lorsque la ponction est faite d’une manière régulière, on se
sert, pour la pratiquer, d’un trocart à l’aide duquel on perfore,
d’outre en outre, les parois du flanc gauche, à sa partie supé¬
rieure, dans un point central médian entre la dernière côte,
l’angle de la hanche et le bord des apophyses transverses des
vertèbres lombaires. Quand il y a tympanite, le lieu de l’opéra¬
tion est très-nettement indiqué par le rumen ballonné, qui sou¬
lève le flanc dont il efface le creux, et constitue, par sa tension,
une sorte de tumeur bémisphéroïdale qui dépasse le niveau des
vertèbres, des côtes et même de l’ilium.
Le trocart d’un très-fort calibre, usité pour la ponction du
rumen du bœuf, pourrait être réduit, sans de grands inconvé¬
nients, à celui du trocart dont on se sert pour la ponction intes¬
tinale du cheval ; mais, comme l’expérience a démontré l’inno¬
cuité presque absolue de l’opération faite chez le bœuf avec une
canule à grand diamètre, qui permette dégagement plus rapide
des gaz, est moins sujette à s’obstruer, et peut être utilisée plus
avantageusement qu’une canule étroite pour les injections di¬
rectes, dans la panse, de liquides proprés à modifier les matières
en fermentation qu’elle contient, l’usage du gros trocart doit
être conservé en raison des avantages qui s’y rattachent.
A défaut d’un trocart que l’on n’a pas toujours sous la main,
lorsque l’indication de pratiquer la ponction de la panse est
urgente, soit pour le mouton, soit pour le bœuf, on peut se ser¬
vir ou d’un bistouri, ou d’un couteau à lame aiguë, ou d’un
INDIGESTION.
193
instrument acéré quelconque. — Teissier recommande pour le
mouton remploi du couteau de poche, quand on ne peut pas
disposer d’un trocart, et il prescrit, pour maintenir béant Tori-
flce de la plaie, «d’y introduire un tuyau de roseau ou de
sureau. Mieux vaut, dit-il, recourir à cette pratique que de
laisser périr les bêtes. » De fait, cette opération toute primitive
est encore communément usitée dans bon nombre de pays, et
quand les bergers voient dans les pâtures des bêtes se gonfler,
ils se hâtent de leur ouvrir le flanc gauche d’un coup de cou¬
teau, et grâce à cette pratique, ils sauvent leurs animaux d’une
mort imminente. — M. Cruzel recommande, lorsqu’on fait
usage, pour la ponction du rumen, d’un intrument à lame
tranchante comme le bistouri ou le couteau, de Je faire
pénétrer transversalement et non pas dans le sens de la
direction des fibres musculaires .du petit oblique, afin d’é¬
viter un déchirement considérable provoqué par la force avec
laquelle les gaz emprisonnés dans le rumen font éruption par
le passage étroit qui leur est frayé. Ce conseil est bon à suivre,
car les grandes plaies de la panse peuvent donner lieu à des
accidents inflammatoires soit de cet organe, soit du péritoine,
lorsque des détritus des matières alimentaires, ou des liquides
du rumen se répandent dans la cavité péritonéale. Avec la
canule du trocart qui supporte l’effort des gaz au moment de
leur sortie, les déchirures signalées par Cruzel ne sont pas à
craindre et les chances sont aussi diminuées d’épanchement
dans le péritoine des matières contenues dans la panse.
Si la ponction est le moyen le plus expéditif et le plus sûr de
conjurer des accidents qui peuvent résulter de la présence, dans
les réservoirs gastriques, de gaz en quantité excédante, cela
n’implique pas que ce soit à ce moyen exclusivementqu’il faille
avoir recours dans tous les cas de météorisme, et quel qu’en soit
le développement.
Quand il n’y a pas menace d’asphyxie et que, conséquem-
tnent, on a la liberté du choix des moyens, il y a tout avantage
à essayer d’abord de faire échapper les gaz du rumen par la voie
œsophagienne elle-même, c’est-à-dire par la voie de leur réjec-
tion naturelle,' dans les conditions physiologiques. Pour cela,
plusieurs procédés peuvent être suivis. Il y a d’abord celui que
i on désigne sous le nom de Bâtonnage. Il consiste à exercer, à
1 aide d’un bâton ou d’une baguette, une action excitante sur le
■^oile du palais et sur la muqueuse de l’isthme du gosier, pour
Baettre en jeu, par action réflexe, les muscles qui concourent à
X. 13
19i
INDIGESTION.
produire les efforts de la réjection. On sait que, chez l’homme
la titillation de la luette donne lieu instantanément aux conxul'
sions du yomissement. Ce doit être la connaissance de ce fait,
acquise de tout temps par l’expérience de chacun, qui a inspiré
la pratique, parfaitement rationnelle, de porter une excitation
sur l’arrière-bouche des ruminants ballonnés, pour les déter¬
miner à des efforts de réjection qui aboutissent, dans la plupart
des cas, à des éruptions gazeuses, tellement abondantes, chez les
grands ruminants, que les opérateurs doivent avoir la précaution
de se tenir de côté, au moment où elles-s’ effectuent, pour nepas
recevoir en pleine figure les gaz ainsi rejetés, et qui sont sou¬
vent d’une extrême fétidité.
Pouf pratiquer lebâtonnage chez les grands ruminants, ou se
sert avantageusement d’un manche de fouet commun, qui est
connu dans le langage des cochers sous le nom de Perpignan et
qui, par sa souplesse, s’accommode très-bien à cet usage. L’opé¬
rateur introduit ce manche par le gros bout jusqu’au fond de la
bouche de la bête ballonnée, soulève le voile du palais, touche
sans violence le fond de l’arrière-bouche, et donne lieu, par ces
excitations, aux efforts régurgitateurs dont je viens de parler.
On peut venir en aide à l’action des muscles abdominaux, en
exerçant une' pression sur les parois ventrales, de manière à
soulever et à secouer le rumen; mais cette pression ne doit
avoir rien d’excessif; elle doit être faite par à-coups successifs et
ne pas résulter, comme on a l’habitude de le faire dans le Lau-
raguais, au rapport de M. Lafosse, de la constriction circulaire
du ventre à l’aide d’un câble enroulé dont les tours sont serrés
au moyen d’une barre de bois, de la même manière que l’on
serre un garrot hémostatique. Ce procédé brutal de réduction
de la capacité du ventre, pour en expulser les gaz, doit annuler
l’action synergique des muscles constricteurs de l’abdomen dont
les mouvements combinés sont bien plus efficaces à produire la
réjection que ne peut l’être l’appareil constricteur d’un câble
mû par un tourniquet. C’est là une pratique violente qu’il n’y a
pas lieu de recommander'. ■
Chez les petits ruminants, le bâtonnage se pratique comme
chez les grands à l’aide de bâtons ou plutôt de baguettes mousses
introduites dans la bouche ; mais pour éviter que les animaux
ne coupent ces baguettes avec leurs molaires, et ne soient ex¬
posés à en déglutir de longs fragments, ce qui constituerait ua
accident sérieux, on a le soin de bâillonner les animaux au
moyen d’un billot de bois qui maintient forcément les deux
INDIGESTION.
195
mâchoires écartées. Au dire de Teissier, le bâillonnement com¬
biné avec des frictions faites sur lé dos et le ventre suffirait pour
déterminer la sortie des gaz. Mieux vaut recourir au bâtonnage
des animaux bâillonnés, car on obtient ainsi des effets plus
prompts, surtout lorsque l’opérateur, maintenant l’animal entre
ses jambes, exerce, par leur intermédiaire, des pressions alter¬
nées sur son ventre et vient ainsi en aide à l’action des muscles
constricteurs de l’abdomen.
Le bâtonnage est un procédé très-pratique et généralement
efficace lorsqu’on y a recours avant que la' distension extrême
du rumen et du ventre ait paralysé les muscles que l’on peut
appeler régurgitateurs. Dans ce cas, où l’aspbyxie est immi¬
nente, le bâtonnage serait dangereux, car il peut suffire de la
contention de l’animal ou des premiers efforts déterminés par
l’excitation de l’arrière-bouche pour que la respiration, déjà si
limitée dans ses mouvements, s’arrête et ne reprenne pas. Donc,
dans les cas extrêmes, contre-indication absolue du bâtonnage
qui ne convient que lorsque le météorisme laisse encore la res¬
piration^ suffisamment libre pour qu’il n’y ait actuellement
aucun danger d’asphyxie.
On a préconisé, pour prévenir les effets du météorisme, l’em¬
ploi d’une longue sonde creuse, dont la charpente est constituée
par un fil métallique, de fer ou de laiton, disposé^en spirale très-
serrée. A son extrémité, que l’on peut appeler œsophagienne, se
trouve un renflement olivaire, percé en pomme d’arrosoir, et
son extrémité buccale est disposée en entonnoir. Tout à la fois .
rigide et flexible, cette sonde peut être poussée jusque dans le
rumen, en s’adaptant aux courbures du tube œsophagien dans
lequel on l’introduit. Mais ouvre-t-elle aux gaz une voie d’é¬
chappement toujours libre ? Loin s’en faut dans la plupart des
cas. Elle ne peut être efficace à bien remplir son office que
lorsque -le rumen contient très-peu d’aliments, et que l’olive cri¬
blée de la sonde pénètre d’emblée dans son atmosphère inté¬
rieure. Alors les gaz peuvent s’engager librement dans les ou¬
vertures de l’oliVe et faire éruption au dehors par le canal qui
lew est ouvert. Mais lorsque les aliments contenus dans la panse
s’élèvent au-dessus du niveau de l’ouverture œsophagienne, la
sonde introduite, se plongeant dans leur masse, ne se trouve pas
en communication avec les gaz auxquels elle est destinée à servir
de tuyau de conduite vers le dehors; et, quand bien même cette
communication s’établit, après que l’olive de la sonde a tra¬
versé la masse alimentaire, ses ouvertures, alors presque com-
mOIGESTION.
196
plétement obstruées, ne lui permettent pas de fonctionner
comme tuyau de dégagement. Si la sonde, dans ce cas, pent
rendre quelques services, c’est bien moins par son canal inté¬
rieur que par l’excitation de sa présence et les contractions des
muscles régurgitateurs qu’elle est susceptible de déterminer.
Son action est identique alors à celle du bâtonnage, et quand
une évacuation a lieu, les gaz s’engagent autour d’elle et non
pas dans son intérieur.
Le procédé du sondage du rumen, avec une sonde creuse,
pour en opérer l’évacuation, n’est donc, en définitive, qu’un
moyen infidèle. Aussi est-il peu répandu, à cause de cela sans
doute, et probablement encore parce que la sonde œsophagienne
est un instrument assez coûteux, qui est très-vite détérioré par
les mâchonnements de l’animal quand on s’en sert, et qui s’al¬
tère aussi très-vite par l’oxydation, quand on en a fait usage.
Les moyens d’ordre chirurgical que nous venons d’exposer
conviennent, avons-nous dit, lorsque les indigestions des pre¬
miers réservoirs gastriques sont compliquées, d’un météorisme
excessif, qui constitue un danger immédiat ou très-procham.
Dans ces cas, c’est ce danger qu’il faut combattre avant tout, et
la manière la plus efficace de le conjurer est de vider le rumen
des gaz qui le distendent. Mais quand le météorisme est modéré
et que, conséquemment, il ne constitue qu’un fait secondaire,
c’est à sa cause même qu’il faut s’attaquer, c’est-à-dire à la ma¬
tière fermentescible d’où les gaz se dégagent. Il faut aussi agir
sur les organes dont la fonction est actuellement suspendue, et
tâcher de réveiller et d’exciter leur contractilité, afin qu’ils niet-
tent en mouvement les masses alimentaires immobilisées dans
leur cavité, et qu’ils arrêtent ou, tout au moins, ralentissent en
elles les fermentations qui s’y produisent et dont leur stagnation
est une condition essentielle. Il faut enfin essayer de condenser
les gaz en les combinant avec des substances qui réduisent leur
volume. De là l’indication pour combattre, chez les ruminants^
les indigestions sous leurs différentes formes, de recourir à l’em¬
ploi de substances médicamenteuses douées soit de propriétés
antifermentescibles, soit de propriétés réductrices, et suscep¬
tibles aussi d’exercer sur les organes une action excitatrice.
D’instinct ou, pour mieux dire, sous les inspirations de l’obser¬
vation et de l’expérience, l’ancienne pratique avait su discer¬
ner un certain nombre de substances propres à satisfaire à l’une
ou àl’autre de ces indications ou à toutes à la fois, et il se trouve
que la plupart de ses prescriptions sont conformes aux données
INDIGESTION.
197
actuelles de la science. Ainsi l’ammoniaque, l’eau de chaux,
l’eau de savon, la lessive de cendres de bois, les solutions de car¬
bonate de potasse et de soude sont des moyens usuels pour
combattre les indigestions- des ruminants, quand elles se com¬
pliquent de météorisme; et ce sont surtout les préparations
ammoniacales qui sont le plus répandues. Or, il est aujour¬
d’hui scientifiquement démontré que les fermentations à réac¬
tions acides sont entravées ou complètement empêchées par
l’action des alcalins. M. Dumas a fait voir, par exemple, que
l’on pouvait ralentir la fermentation de la levure par des doses
suffisantes d’ammoniaque et l’arrêter complètement par des
doses plus considérables. En outre l’ammoniaque, en se com¬
binant avec une certaine quantité de l’acide carbonique dégagé
dans la panse, a pour effet immédiat de diminuer proportion¬
nellement la tension produite par l’effort élastique de ce gaz.
La chaux, la potasse, la soude ont le même mode d’action. Si le
borax est antifermentescible, comme l’expérience empirique l’a
démontré depuis longtemps, c’est à ses propriétés alcalines qu’il
le doit. M. Dumas a constaté qu’il neutralisait l’eau de levûre et
l’empêchait de détruire le sucre; qu’il empêchait de même l’ac¬
tion de la synaptase, de la diastase et de la myrosine. La pra¬
tique g donc été bien inspirée lorsqu’elle a eu recours aux
alcalins pour remédier aux indigestions, car les résultats de
l’expérience clinique sont, comme on le voit, rigoureusement
conformes à ceux que donnent les expériences de laboratoire.
La dose de l’ammoniaque, pour les grands ruminants, est de
20 à 30 grammes par litre, et il est possible de faire prendre par
breuvages successifs, d’heure en heure, 60, 90, 120 grammes dé
ce médicament. Des praticiens en ont même administré jus¬
qu’à 90 grammes en une seule fois, et ils assurent avoir obtenu
par cette dose élevée l’affaissement immédiat des flancs. Cette
.manière de faire est excessive, et il nous paraît prudent de pro¬
céder avec plus de mesure et d’éviter ainsi l’action corrosive de
breuvages trop concentrés sur lamembrane buccale. La destruc¬
tion de l’épithélium qui en résulte constitue, en effet, une
complication assez grave, car mettant obstacle à ce que la rumi¬
nation se rétablisse régulière et complète, après la cessation des
troubles du rumen, elle peut être la cause de la réapparition de
troubles nouveaux. Pour les petits ruminants, la dose d’ammo¬
niaque est de 3 à 6 grammes dans une demi-bouteille d’eau.
L’ammoniaque peut être associée à des infusions de plantes
aromatiques comme la menthe, la camomille, mais il est préfé-
198
INDIGESTION.
rable, pour répondre à l’urgence des indications, de l’administrer
dans l’eau froide, sauf, après, à compléter son action propre par
celle des médicaments toniques et excitants, qui ont pour but de
mettre en jeu la contractilité des parois du rumen.
Les doses des autres préparations alcalines sont, les sui¬
vantes :
Eau de chaux, pour le gros bétail : 1 litre.
— pour les petits ruminants : 2 décilitres.
On doit en répéter l’administration d’beûre en heure jusqu’à
ce que les effets soient produits.
Lessive de cendres de bois neuf : Mêmes doses et même mode
d’administration que pour l’eau de chaux.
Carbonate de potasse : 15 à 20 grammes dans un litre d’eau
pour les grands ruminants; un quart de cette dose pouf les
petits. '
Solution de savon : 60 grammes de savon par litre. On doit
en donner un litre aux grands ruminants et deux décilitres pour
les petits.
Il y aurait des expériences à faire pour savoir dans quelle
mesure d’autres sels alcalins, comme le borate ou les acétates
de soude et de potasse par exemple, pourraient être employés
dans le traitement des indigestions des ruminants grands ou
petits.
Les solutions salines: Chlorure de sodium à la dose de 60 à 80
et 1 00 grammes dans un litre d’eau, pour les grands ruminants,
ont aussi été préconisées pour combattre les indigestions; et ici
•encore l’expérience clinique se trouve concordante avec celle
des laboratoires. M. Dumas a constaté que le sel marin était
antifermentescible.
Les chlorures et les bypochlorites sont aussi des agents médi¬
camenteux dont la pratique a su reconnaître et utiliser les pro¬
priétés, pour remédier aux indigestions compliquées de météo¬
risme, Quel que soit leur mode d’action, il est certain qu’ils
sont antifermentescibles et qu’ils peuvent être efficaces surtout
contre les indigestions dites putrides.
La dose, pour les grands ruminants, des hypocblorites de
chaux ou de soude est de 1 5 à 20 grammes par litre d’eau. Celle
du chlorure de chaux est 4e 10 à 15 grammes.
Pour les petits ruminants, ces doses doivent être réduites au
quart.
L’alcool et les liquides dont il forme la base active jouissent
INDIGESTION.
199
de propriétés antifermentescibles qui, de longue date, les ont
fait utiliser pour combattre les indigestions des herbivores et
tout particulièrement celles des ruminants. L’alcool est, en
effet, toxique pour les agents de la fermentation, et c’est à ce
titre qu’il est' antifermentescible. Mais ce n’est pas à ce titre
seulement qu’il convient pour combattre les indigestions; il
convient encore par l’action excitatrice qu’il est susceptible
d’exercer sur là contractilité de l’appareil musculaire du
rumen.
L’alcool peut être administré seul, à la dose de 1 00 à 200 gr.
par litre d’eau froide, pour les grands ruminants. On peut
l’associer au camphre, à la menthe, à la cannelle, aux diffé¬
rentes plantes aromatiques et stomachiques pour en composer
des breuvages tout à la fois antifermentescibles et excitants de
la contraction spéciale du rumen. A ce dernier point de vue; la
noix vomique pourrait entrer avantageusement dans la compo¬
sition des breuvages propres à combattre les indigestions des
ruminants.
Le vin, la bière, le cidre, et en général toutes les liqueurs
alcooliques peuvent être employées, comme l’alcool, -seuls ou
associés comme lui à des substances qui ajoutent aux siennes
leurs propriétés spéciales. Parmi ces substances; il faut placer,
en première ligne, les matières grasses, huiles ou graisses; qui
ont la propriété d’arrêter les fermentations dans les liquides
auxquels on les ajoute. La pratique avait su reconnaître cette
propriété, avant qu’elle ait été scientifiquement démontrée; les
breuvages composés de parties égales d’huile et de vin, ou
d’eau-de-vie, battus ensemble, constituent un médicament
tonique et antifermentescible très-efficace, pour combattre les
indigestions de la panse et enrayer le développement du météo-,
risme.
Les préparations alcooliques conviennent mieux pour le trai¬
tement des indigestions chez les ruminants, que celles dans la
composition desquelles entrent les éthers, à: cause de la saveur
que ces derniers médicaments donnent aux viandes ; saveur telle
qu’il est absolument impossible de livrer les viandes à la con¬
sommation, quand les animaux sont abattu^ peu de temps après
1 administration d’un breuvage élbéré. A ce point de vue donc,,
fi est prudent de ne pas faire usage de breuvages de cette nature,
lorsque les indigestions des ruminants se manifestent avec quel¬
que caractère de gravité. L’éther simple ou nitreux doit toujours
être réservé pour les cas les plus simples. On l’administre pour
200
INDIGESTION.
les grands rnminants à la dose de 30 à 60 grammes dans un
litre d’eau.
Comment agit l’éther? D’abord il est antifermentescible et à
ce titre, il doit avoir le même mode d’action que l’alcool. Mais
il aurait des effets plus prompts et plus complets, d’après les
propriétés qu’on lui attribue ; il ne serait pas seulement préventif
de la formation de nouveaux gaz, il produirait par sa présence
la réduction du volume des gaz déjà formés. S’il en est ainsi, si
l’éther donne lieu à des phénomènes de condensation, son
action, à ce point de vue, reste mystérieuse, car on ne saurait
admettre avec Lafore que « l’éther condense les gaz par l’abais¬
sement subit de la température du rumen qu’il détermine. »
D’autres agents antifermentescibles peuvent être utilisés avec
avantage dans le traitement des indigestions des ruminants.
Tels sont les décoctions de quinquina et le sulfate de quinine,
le tannin, le goudron et les préparations phéniquées, les sub¬
stances aromatiques et les huiles essentielles.
Pour ce qui est du quinquina et de son principe actif, la qui¬
nine, on sait qu’ils ont la propriété de ralentir et même d’em¬
pêcher les fermentations putrides. Il en est de même du tannin.
L’indication de l’emploi de ces substances existe donc particu¬
lièrement dans les indigestions putrides, non-seulement pour
entraver le mouvement do fermentation, mais encore pour mo¬
difier la saveur des matières qui l’ont subie et déterminer les
animaux à les ruminer par la saveur nouvelle que communi¬
quent à ces matières les préparations de quinquina ou les
décoctions de feuilles dans lesquelles le tannin prédomine.
A ce point de vue les substances aromatiques et les huiles es¬
sentielles peuvent être employées plus avantageusement que les
préparations goudronnées et phéniquées qui, très-efficaces à ar¬
rêter la fermentation dans les matières que le rumen renferme,
peuvent avoir le grave inconvénient de communiquer à ces ma¬
tières une saveur qui dégoûte les animaux et empêche la rumi¬
nation de se rétablir aussi complètement qu’il serait nécessaire
pour la prompte évacuation de la panse. Les infusions de mé¬
lisse, de menthe, de camomille, et même simplement le thé de
foin concentré, avec addition d’alcool, sont donc de beaucoup
préférables aux préparations goudronnées ou phéniquées.
Peut-être pourrait-on utiliser avantageusement dans les indi¬
gestions des ruminants lespropriétés antifermentescibles du tar-
trate neutre de potasse qui, d’après les expériences de M. Dumas-
destitue la levûre qui en est imprégnée de la propriété de faire
INDIGESTION.
201
fermenter les liqueurs sucrées. Le tartrate neutre de potasse,
administré dans les indigestions, pourrait remplir un double
office, comme antifermentescible d’abord, et ensuite par son
action purgative.
Suivant M. Dutrocbet, cité par d'Arboval, les breuvages
acides conviendraient dans le traitement de la tympanite causée
par le trèfle, au moment où cette tympanite commence ; il suf¬
firait alors d’administrer une ou deux bouteilles de vinaigre à
un animal de l’espèce bovine pour faire cesser la production du
gaz et mettre fin à l’accident. La tympanite récente des mou¬
tons guérirait également par l’administration du vinaigre à la
dose d’un verre ordinaire. Mais ce traitement ne serait efficace
que dans le début du météorisme par le trèfle et cesse de l’être
lorsque l’accumulation des gaz a décidément produit l’indiges¬
tion. Nous ne saurions dire ce que peut être la valeur de ce
moyen. L’histoire des fermentations est encore assez obscure
pour qu’on ne soit pas en droit de repousser par un a priori un
procédé de traitement, par cela même qu’il paraît en contra¬
diction avec d’autres procédés reconnus efficaces. L’expérience
témoigne de l’efflcacité des alcalins pour combattre les indiges¬
tions du rumen. Si elle témoignait aussi de l’efficacité des acides
à la période initiale, comme l’affirme l’auteur cité par d’Arbo-
val, et dans des cas qu’il a déterminés, il n’y aurait rien autre
chose à faire qu’à accepter le fait et à en bénéficier, en attendant
que son explication soit trouvée. Après tout, est- ce qu’il ne res¬
sort pas des expériences de M. Pasteur qu’un certain nombre de
ferments veulent un milieu alcalin, et que conséquemment leur
action peut être empêchée ou arrêtée par les acides qui suffisent
à éteindre l’alcalinité des liqueurs où ces ferments maoifestent
leur activité ? S’il est vrai que les breuvages vinaigrés soient
susceptibles de faire cesser à leur période initiale les tympa-
oites causées par le trèfle c’est que, suivant les probabilités,
l’alcalinité du milieu où le ferment agit est la condition néces¬
saire de son action.
On voit, d’après cet exposé, que les moyens d’ordre pharma¬
ceutiques, dont la pratique dispose pour combattre les indiges¬
tions, sont nombreux et diversifiés, et qu’on peut les adapter,
d’après leurs propriétés différentes, à la diversité des formes
que les indigestions peuvent revêtir.
L action des médicaments administrés pour combattre les
indigestions doit être aidée par celles que l’on exerce sur la
peau, à l’aide des frictions sèches ou excitantes, et surtout par
202
INDIGESTION.
rapplication de topiques réfrigérants, sous forme de com¬
presses, de douches ou d’immersion dans un courant d’eau
L’eau froide, appliquée sur la peau, par un procédé ou par un
autre, contribue, sans doute, ,,par la chaleur qu’elle enlève à
réduire le volume des gaz intérieurs, mais elle a surtout pour
effet de mettre en jeu, par action réflexe^ la contractilité de
l’appareil musculaire des réservoirs gastriques et de l’intestin,
sans l’intervention de laquelle la circulation des matières ren¬
fermées dans leurs cavités ne peut pas s’effectuer. A ce point
de vue, le froid peut être un adjuvant très-efficace des médica¬
tions, et il faut le faire intervenir non-seulement par des appli¬
cations sur la peau, mais encore au moyen d’injections faites
par l’anus, sous forme de lavements ou de douches ascendantes.
Les différents moyens de traitement que nous venons d’indi¬
quer, chirurgicaux ou pharmaceutiques, ne peuvent rien contre
l’indigestion quand elle est déterminée par une telle surcharge
alimentaire que le rumen est complètement paralysé par la
masse énorme des matières qui le distendent, et que les muscles
constricteurs de l’abdomen sont impuissants eux- mêmes contre
le poids de cette masse. Impossible, dans de telles conditions,
que les mouvements de la réjection physiologique so rétablis¬
sent ; difficultés très-grandes pour que le rumen soit évacué
par des vomissements qui sont, du reste, des phénomènes
toujours exceptionnels chez les ruminants et sur lesquels con¬
séquemment il y a peu à compter ; impossibilité enfin que
l’évacuation soit produite par le courant naturel vers l’intestin,
car ce courant ne peut s’établir qu’à la condition que les ma¬
tières du rumen aient été une seconde fois mâchées, et transfor¬
mées par cette seconde 'mastication en une pâte assez fluide
pour suivre le canal de la gouttière et franchir les rigoles du
feuillet. Le rumen ne pouvant pas être évacué et pas même
désempli, par les voies naturelles, des aliments en excès qui y
sont accumulés, il n’y a plus qu’une seule ressource pour sau¬
ver la vie des animaux, c’est d’ouvrir à cette masse alimentaire
une voie artificielle qui permette' soit l’extraction de la quantité
qui en est excédante, soit son entraînement au dehors par le
courant des gaz qui font éruption, une fois qu’une issue leur
est ouverte.
L’opération qu’il s’agit de pratiquer pour remplir cette indi¬
cation n’est plus seulement une simple ponction, comme celle
qui suffit à l’évacuation des gaz dans le cas de météorisme; A
faut faire à la panse une ouverture assez grande pour que le»
INCUBATION.
203
matières, même solides, contenues dans sa cavité, puissent en
sortir ou en être extraites librement, et dans la mesure néces¬
saire au rétablissement des actions contractiles du rumen et des
parois inférieures de l’abdomen. Or, cette mesure est considé¬
rable, car il y a des cas où il faut retirer de la panse jusqu’à
deux ou trois seaux de ces matières, tant leur masse est
énorme.
Pour pratiquer au rumen cette porte d’évacuation par
laquelle seule il peut être désempli des aliments en excès qui
s’y trouvent actuellement accumulées, Ghabert conseillait de
traverser d’outre en outre les parois du flanc et celles de la
panse avec un bistouri plongé, le tranchant en bas, à trois cen¬
timètres au-dessus du point où la ponction avec le trocart doit
être pratiquée, et de faire, en un seul temps, une incision per¬
pendiculaire, de huit à neuf centimètres de longueur, intéres¬
sant tout à la fois la peau, les muscles de l’abdomen et les
parois du rumen, « parce qu’il est essentiel, dit il, que l’ouver¬
ture de ces différentes parties soit uniforme et qu’elles se cor¬
respondent exactement. Si celle de la pansé était plus grande
que celles de la peau et des muscles, il en résulterait l’épan¬
chement des matières entre ces parties. » Le procédé le meilleur
pour éviter cet épanchement, que Ghabert redoutait avec raison,
est de réunir, comme on fait pour une boutonnière, par une
suture en surjet, les lèvres de la plaie du rumen à celles de la
plaie des parois abdominales, de manière qu’aucune communi¬
cation ne reste libre entre la cavité du rumen et celle du péri¬
toine. G’est le procédé qu’a suivi M. Colin dans ses expériences
physiologiques et que M. Lafosse conseille et pratique.
Au moment même que le bistouri plonge dans la panse, un
sifflement se fait entendre, qui dénonce l’éruption au dehors
des gaz emprisonnés ; puis, quand l’ouverture est agrandie,
des liquides et des solides sont entraînés par le courant
aérien, en quantité plus ou moins considérable, suivant le
degré de la fermentation, et surtout l’état physique de la masse
alimentaire accumulée dans le rumen. Quand la fermentation
est active et que le rumen contient une certaine quantité de
liquides et de matières réduites à l’état de pâte ductile, le
rumen se vide de lui-même, par l’effort éruptif qui se produit
iDamédiatement après l’incision, d’une certaine quantité de cés
substances liquides ou liquéfiées, que le courant aérien entraîne
avec lui. Mais cette évacuation ne peut s’effectuer que dans de
très-petites limites, car, lorsque l’opération dont nous parlons
204
INDIGESTION.
actuellement est indiquée, c’est que justement les fourrages
accumulés dans la panse ont trop de compacité pour se prêter
à un mouvement impulsif quelconque. Il n’y a donc pas à
compter, dans la plupart des cas, sur une évacuation sponta¬
née du rumen, malgré la grande ouverture faite à ses parois, et '
force est bien de recourir à des moyens mécaniques pour en
extraire tout ce qui est en excès. Le meilleur instrument d’ex¬
traction est la main humaine, soit celle de l’opérateur lui-
même, si elle n’a pas, ainsi que son bras, des dimensions qui
excèdent les diamètres de l’ouverture pratiquée, soit celle d’un
aide, homme ou femme, car l’opération est des plus simples et
n’expose à aucun danger, même quand les fermentations de la
panse sont de nature putride. Brogniez a inventé, pour exécuter
cette vidange de la panse, une pince de grande dimension, dont
les 'mors, disposés en cuillers, se rencontrent par leur concavité
et interceptent entre eux, quand on les rapproche, une quan¬
tité de matières de beaucoup inférieure à celle que la main
peut saisir en une seule poignée. C’est là un instrument tout
au moins inutile ; la main lui est infiniment préférable.
« La quantité de matières alimentaires qu’on est forcé d’ex¬
traire ainsi de la panse, dit Chabert, est toujours très-considé¬
rable. On en retire communément deux à trois seaux pleins;
on y est nécessité et par rapport à l’entassement ainsi qu’au
volume réel des matières, et par rapport au degré de fermenta¬
tion qui les enfle sans cesse. Cette évacuation artificielle a encore
pour objet de diminuer le foyer de chaleur qui est excessif et
qui a d’autant plus d’intensité que ces matières sont en plus
grosse masse. » (Chabert, Instruct. vétérin., t. II, 1792.)
Lorsque le rumen est déchargé du poids des vingt-cinq ou
trente kilogrammes que représente la masse des aliments qui
en ont été extraits, l’animal en éprouve un soulagement
immédiat, qui se traduit par l’expression de sa physionomie,
la liberté récupérée de ses mouvements, la régularité de sa
respiration, la cessation de ses plaintes et l’on voit la rumi-
nation recommencer au bout de vingt-quatre ou quarante-huit
heures.
Le traitement qu’il y a lieu d’appliquer, après l’évacuation
mécanique du rumen, doit consister dans l’injection directe
dans cet organe, par la fenêtre ouverte au flanc gauche, de
substances médicamenteuses propres à arrêter la fermentation
putride dans le restant des matières de la panse, car on n’a dû
la vider qu en partie et lui laisser le lest nécessaire pour déter-
INDIGESTION. 205
miner les contractions du rumen qui de’vient flasque quand il
est complètement vide.
Les substances qu’il faut employer de préférence, en pareil
cas, sont les infusions aromatiques, auxquelles on associe des
liquides spiritueux. En se mélangeant à la masse alimentaire,
ces substances lui communiquent leur propre saveur et consti¬
tuent, sans doute, une sorte de condiment qui, peut-être,
détermine Tanimal à ruminer, tandis que les médicaments à
saveur anormale, comme l’ammoniaque, le goudron, l’acide
phénique, les essences, etc., pourraient produire un effet
inverse.
En même temps qu’on agit directement sur la masse alimen¬
taire laissée dans le rumen, il est bon de réveiller les fonctions
de l’organe et de les maintenir en activité, en donnant à l’ani¬
mal, en quantité modérée, les aliments qu’il appète le plus et,
de préférence, les fourrages verts et les racines, dont la masti¬
cation est le plus facile et dont la pulpe, en s'e mélangeant aux
anciens fourrages de la panse, les rend immédiatement plus
ductiles et plus savoureux.
L’excitation produite par la vue et la saveur de ces aliments
sur l’appareil buccale donne lieu, par action reflexe, à des
mouvements plus actifs du rumen et devient ainsi une condition
importante du rétablissement plus hâtif de sa fonction.
La blessure faite à cet organe et l’adhérence qu’il a contractée
avec les parois ventrales ne paraissent pas exercer une influence
bien marquée sur la régularité de la rumination, une fois passés
les moments des sensations douloureuses qui résultent du trau¬
matisme et des accidents inflammatoires consécutifs. On peut
donc mettre à profit l’ouverture faite au rumen pour médica¬
menter l’animal par des injections directes, d’une manière plus
sûre et plus efficace qu’on ne pourrait le faire en administrant
les médicaments par la bouche.
La plaie du flanc tend, du reste, à se rétrécir graduellement,
comme toutes les plaies de bonne nature. On n’a donc qu’à
laisser faire au temps, après avoir enlevé les points de surjets,
en recourant aux soins de propreté et à l’application d’un pan¬
sement approprié à la nature d’une plaie simple, comme l’est
celle du rumen, une fois réunies par adhésion ses lèvres avec
celles de la plaie du flanc. Dans ces conditions, l’ouverture
artificielle faite au flanc revêt presque les caractères d’une
ouverture naturelle, tant Tanimal y paraît indifférent.
L’évacuation du rumen par le procédé opératoire qui vient
206
INDIGESTION.
d’être indiqué, produit une guérison complète lorsque l’indiges¬
tion est exclusivement causée par la réplétion excessive de la
panse. Mais si cette réplétion n’était qu’un effet de l’obstruction
du feuillet, ou si le feuillet s’est obstrué consécutivement, tout
ne rentre pas immédiatement dans Tordre régulier une fois le
rumen évacué. Sous l’influence du soulagement causé par la
décharge de la panse, on voit bien disparaître les symptômes
les plus graves ; l’appétit se réveille ; l’animal prend quelques
aliments, la rumination recommence ; mais, malgré tout cela,
l’état général n’accuse pas le retour franc de la santé. Ce n’es{
pour ainsi dire, là, qu’un essai vers ce retour, et des signes mor¬
bides persistent qui indiquent que l’appareil digestif n’a pas
encore récupéré toutes ses aptitudes fonctionnelles. Dans ces
cas, où la présomption est très-grande que c’est l’obstruction
du feuillet qui entretient ce malaise, la médication doit consister
surtout dans un régime alimentaire délayant, comme celui du
vert, des racines et des aliments cuits, et dans l’administration
de breuvages 'mucilagineux avec addition de matières grasses,
en ayant soin de les alterner avec quelques potions stimulantes,
afin de mettre en jeu l’appareil contractile des réservoirs gas¬
triques. La difficulté à résoudre est de délayer le plus possible,
par une imbibition continue, les tablettes alimentaires dessé¬
chées dans les compartiments du feuillet, et ensuite de faciliter
leur détachement et leur cheminement vers la caillette. Or ce
résultat ne peut être obtenu qu’à la longue ; ce n’est qu’à la
longue que le courant liquide qui s’établit de l’orifice du réseau
à celui de la caillette, en baignant la partie inférieure des ta¬
blettes alimentaires du feuillet, peut pénétrer ces tablettes par
le mouvement d’imbibition qui s’effectue de bas en haut ; ce
n’est qu’à la longue encore que peut s’opérer la desquamma-
tion épilhéliale des cloisons du feuillet, desquammation qui pa¬
raît la condition du détachement des tablettes alimentaires et
de la possibilité de leur cheminement vers la caillette. Il faut
donc compter avec le temps pour arriver à un résultat définitif
lorsque le feuillet est obstrué, et surtout lorsqu’il Test depuis
longtemps.
Ne serait-il pas possible, lorsqu’une ouverture d’évacuation a
été faite au rumen, de la mettre à profit pour introduire la main
jusque dans la partie antérieure du sac droit de la panse, et
pour s’assurer, par le toucher médiat, de l’état du feuillet, de
son poids et de la consistance des matières qu’il renferme? N®
serait-il pas possible aussi, par des secousses imprimées à cet
INDIGESTION.
207
organe et par des pressions exercées sur lui, de malaxer, pour
ainsi dire, dans une certaine mesure, ces matières et de faciliter
ainsi leur détachement et leur expulsion ?
Nous posons ces questions sans que nous. ayons, pour les ré¬
soudre, aucune donnée qui nous soit fournie par notre expé¬
rience personnelle. Mais il résulte évidemment des expériences
physiologiques, dont M. Colin donne la relation dans son livre,
que les explorations dont nous parlons sont possibles; et que,
conséquemment, on peut tenter quelque chose pour arriver à
désobstruer le feuillet par des. actions plus directes exercées
sur lui.
Peut être aussi qu’il y a des substances qui sont susceptibles
de mettre en jeu sa contractilité parleur action propre, comme
fait Tergot, par exemple, sur l’appareil musculaire de la ma¬
trice? Mais, dans cet ordre d’idées, rien n’a été fait, rien n’est
su, tout est à trouver par des recherches expérimentales qui
seules peuvent fournir les éléments delà solution d’une pareille
question. Dans l’état actuel des choses, on ne peut agir que
d’une manière empirique et en invoquant les analogies.
.L’émétique, par exemple, à l’action duquel les ruminants ne
sont pas insensibles, comme les expériences de Flourens l’ont
démontré, pourrait être essayé comme désosbstruant du feuil¬
let, en raison de l’influence qu’il est peut-être susceptible
d’exercer sur l’appareil contractile des estomacs et du feuillet
en particulier. On peut aussi employer au même titre les amers,
la gentiane particulièrement, que Lafore préconise en décoction,
comme le médicament qui produit les effets les plus sûrs ; la
chicorée sauvage, la camomille, la petite centaurée. Les pur¬
gatifs laxatifs constituent une ressource qu’il ne faut pas
négliger. Lafore recommande d’administrer la manne grasse à
la dose de 230 à 500 grammes en solution dans une infusion de
séné et l’huile de ricin à la même dose. D’après M. Lafosse, l’i-
pécacuanha, à petites doses réitérées de quatre à six fois dans
les 24 heures, l’émétique, l’aloès en breuvages, les lavements
purgatifs sont surtout bien indiqués quand il existe une sur¬
charge d’aliments dans le feuillet, sans doute parce que ces
médicaments mettent en jeu tout le système (îontractile de
l’appareil gastro-intestinal, et que les mouvements directs ou
indirects imprimés au feuillet doivent contribuer au détache¬
ment, et, peut-être même, à la brisure de ses tablettes obtura¬
trices.
Tel est, considéré dans l’ensemble de ses modes, le traitement
208
INDIGESTION.
curatif qu’il est possible d’opposer, chez les ruminants, aux
indigestions du rumen et du feuillet, sous les différentes former
qu’elles peuvent affecter, et dans leurs différentes phases.
La connaissance des circonstances dans lesquelles elles se
manifestent trace la ligne de conduite qu’il convient de suivre
pour mettre les animaux à Tabri de ces accidents ou leur eu
éviter le retour.
Voici, sous forme résumée, les précautions que l’expérience
indique de prendre pour garantir de ces indigestions les rumi¬
nants grands ou petits.
1 ” En règle générale, les troupeaux ne doivent pas être con¬
duits dans les prairies, quand les herbes sont couvertes de rosée
ou même seulement mouillées par la pluie. Autant que possible,
il faut attendre que le soleil les ait séchées pour permettre aux
animaux d’y pâturer.
Lorsque cette prescription ne peut pas être observée, les
bergers ne doivent pas laisser leurs bêtes paître à loisir; il
faut, au contraire, qu’ils les maintiennent en mouvement, de
manière qu’elles né mangent que la pointe des feuilles et qu’elles
soient obligées de se rationner elles inêmes par l’impossibilité où
on les met de satisfaire leur appétit. On éyite ainsi les.empan-
sements et les grandes et rapides fermentations qui se mani¬
festent à leur suite.
2“ Les mêmes précautions doivent être prises à l’égard des
bestiaux, grands ou petits, que l’on conduit à jeun dans les
pâturages. Pour éviter quhls ne se gorgent trop des aliments
appétissants qu’ils trouvent à discrétion devant eux, les con¬
ducteurs de ces animaux doivent les obliger à manger en
marchant, de telle sorte qu’ils ne fassent que traverser les
prairies, dont il est prudent même de les faire sortir, sauf à les
y ramener de nouveau, quand la première quantité avalée a
déjà été ruminée.
3“ Au lieu de conduire les animaux à jeun dans les pâtures,
il serait préférable que déjà ils eussent mangé des fourrages
secs, ou même des fourrages verts, fauchés d’avance, de ma¬
nière que déjà leur faim étant en partie apaisée, ils fussent
moins avides des plantes de la prairie et moins exposés consé¬
quemment à s’en gorger avec excès,
4° Lorsque les fourrages sont fauchés pour être donnés en
vert à 1 étable ou à la bergerie, il faut qu’un certain temps
s’écoule entre le moment de la fauchaison et celui de la distri'
INDIGESTION. . 209
bution. Les fourrages donnés le matin doivent avoir été coupés
la veille au soir, et ceux du soir le matin.
Les fourrages verts ne doivent pas être rassemblés en tas
épais après leur fauchaison, de peur qu’ils ne s’échauffent, ce
qui serait l’indice d’un mouvement de fermentation qui s’y
établirait.
Enfin, on ne doit les donner qu’avec mesure, afin de laisser
aux animaux le temps de les digérer.
Les fourrages verts, qué l’on a dû faucher, alors qu’ils étaient
mouillés par la pluie, doivent être étalés et remués pour qu’ils
puissent se sécher. Autant que possible, il faut éviter de les
distribuer humides, et l’on doit être d’autant plus précaution¬
neux, au point de vue de leur quantité, dans leur distribution,
qu’il aura été plus difficile de satisfaire à cette dernière con¬
dition.
5® En dehors du régime du vert, pour les animaux nourris à
l’étable, pour ceux qui travaillent ou qui sont exposés aux
déperditions des longues marches, oh évitera ou, tout au
moins, on diminuera les chances des indigestions, par un ra¬
tionnement mesuré qui empêche les animaux de se laisser aller
aux entraînements de leur appétit et de manger avec excès.
6® Mais l’empansement ne résulte pas toujours des excès d’un
seul repas. Les cas sont nombreux où il se produit à la longue,
sous l’influence d’un régime trop sec, et surtout quand les ali¬
ments sont grossiers, mal conservés, altérés par les poussières,
les vases, les moisissures, laroüille, etc., etc.
Lorsque la fatalité des circonstances impose un pareil régime
alimentaire, il faut pour en éviter ou, du moins, en atténuer
les conséquences, que les fourrages ne soient pas donnés en
grande quantité à la fois ; et il est bon de les arroser d’eau salée
après les avoir secoués pour en séparer, le plus possible, les
poussières et les moisissures. L’usage des pulpes, des aliments
cuits, des racines surtout, et des fourrages verts, quand la saison
le permet, est le meilleur moyen de contrebalancer les effets
d’une alimentation trop sèche et trop grossière. Et, de fait, on
^oit les indigestions d’hiver, si fréquentes autrefois et si graves,
diminuer de nombre et d’intensité à mesure que, par une
hygiène mieux entendue, on fait davantage entrer les racines
dans le régime hivernal et que, par leur association aux four-
l’ages secs, on atténue leurs effets. Dans les fermes où les
pommes de terre, les carottes, les turneps, les betteraves, les
topinambours, emmagasinés pour l’hiver, font partie compo-
X. U
210
INDIGESTION.
santé des rations pendant cette saison, on observe beaucoup
plus rarement qu’autrefois ces indigestions avec dureté de la
panse, qui étaient causées par le régime exclusif des fourrages
secs.
Lorsque ce régime est une nécessité imposée par des circons¬
tances locales ou générales, il est nécessaire, pour en atténuer
les effets, que les animaux soient plus souvent abreuvés que
lorsque des racines ou des pulpes entrent dans la composition
de leurs rations journalières.
7“ Les indigestions pouvant résulter de la trop grande vora¬
cité, on les évitera par une^ distribution mesurée des aliments
aux animaux chez lesquels on aura constaté cette disposition,
qu’elle soit naturelle chez eux, ou qu’elle résulte accidentelle¬
ment des besoins accrus par les déperditions du travail ou par
les privations d’un régime diététique prolongé.
8“ Les animaux âgés étant prédisposés aux indigestions, en
raison même de l’imperfection actuelle de leur appareil mas¬
ticateur, il est indiqué de prévenir les conséquences du fonc¬
tionnement incomplet de cet appareil, en soumettant ces
animaux à un régime alimentaire tel qu’il soit supplée à l’in¬
suffisance de la mastication par la nature des aliments et par
les préparations auxquelles ils auront été soumis. Dans de telles
conditions, les pâtes de son et de gruau, les farineux, les pulpes,
les racines cuites, les fourrages fermentés sont parfaitement
indiqués; mais il faut avoir soin de ne les donner qu’avec
mesure, de façon que l’animal ait le temps de les digérer, car
si on le laissait s’en gorger, l’indigestion avec surcharge pour¬
rait être produite par leur accumulation dans la panse tout
aussi bien que par les fourrages secs mangés avec excès. D’après
M. Gruzel, cette forme d’indigestion est commune à observer
dans le Midi, sur les vieux bœufs de travail réformés, que l’on
soumet au régime de l’engraissement, et auxquels on donne
avec abus des rations considérables de pulpes et de farineux,
dans le but de les faire engraisser plus vite et de réaliser plus tôt
leur valeur de boucherie.
§ 3. ■ — Be l’indigestion de la caillette.
Les indigestions de la caillette ne peuvent jamais être cau¬
sées, comme on le 'constate dans l’indigestion stomacale du
cheval, par l’accumulation de la pâte alimentaire, car ce que
cet organe en reçoit du feuillet ne lui arrive jamais qu’en
petite quantité à la fois, et dans l’état d’extrême ténuité et de
INDIGESTION.
211
diffluence qui résulte des actions préparatoires complexes aux¬
quelles les aliments ont été soumis dans la bouche, dans le
rumen et dans le feuillet.
Mais si, dans l’animal adulte, la caillette est à l’abri des sur¬
charges alimentaires, grâce à l’appareil régulateur du feuillet,
il n’en est plus de même aux premiers mois de la vie, c’est-à-
dire pendant la période du régime lacté, où l’appareil de la
rumination ne fonctionne pas encore et où la caillette, seule en
exercice, reçoit directement de la bouche, par la gouttière
œsophagienne, l’aliment liquide dont le jeune animal se nourrit
exclusivement, c’est-à-dire le lait.
La condition favorable à la réplétion excessive de la caillette
par le lait est une abstinence trop prolongée. Lorsque les jeunes
à la mamelle ont été trop longtemps séparés de leur mère, ou
s’ils sont allaités artificiellement, lorsqu’un trop long temps s’est
écoulé d’un repas à un autre, ils sont exposés à se gorger avec
excès, sous l’excitation de leur appétit trop développé par la pri¬
vation, et l’indigestion laiteuse de la caillette peut s’ensuivre.
L’indigestion de la caillette peut aussi être causée par une
quantité trop considérable de liquides farineux donnés aux
jeunes veaux soumis à l’engraissement.
Enfin les mauvaises qualités du lait, résultant soit de l’état
maladif des mères, soit de leur alimentation insuffisante, soit
de l’excès de leur travail, seraient aussi, d’après les auteurs,
des conditions favorables à la manifestation de cette variété
d’indigestion.
Chez les adultes, l’ingurgitation d’une trop grande quantité
d’eau donnerait lieu, d’après M. Gruzel, à un trouble digestif pas¬
sager, mais très-intense, qu’il appelle Vindigestion d’eau et qui
résulterait, suivant lui, d’une surcharge de la caillette, par l’eau
qui s’y accumule, lorsque les animaux boivent avec trop d’avi¬
dité. Cette variété d’indigestion est une maladie des pays où
les bœufs sont employés aux travaux des champs et aux char¬
rois, et on l’observe assez fréquemment, pendant les saisons
chaudes, sur les bœufs dont la soif a été excitée par les chaleurs
du jour, par la poussière des routes et par les déperditions du
travail.
SYMPTOMES DE L’INDIGESTION DE LA CAILLETTE.
Chez les jeunes animaux, cette indigestion est caractérisée
par le refus de teter ou de boire, et des bâillements fréquents,
ventre est tendu, parfois ballonné, mais sans excès. Le jeune
212
INDIGESTION.
animal fait des efforts de réjection qui aboutissent e plus souvent
à des éructations acides, et quelquefois au vomissement de ma¬
tières caillebottées, d’une odeur aigre. La langue est recouverte
d’un enduit de couleur variable, blanc, gris ou jaunâtre. On
constate le plus ordinairement quelques douleurs ventrales qui
se jugent par une diarrhée fétide, succédant à la constipation.
Chez les adultes, l’indigestion d’eau se traduit, d’une manière
soudaine, par des coliques d’une très-grande intensité et par la
tension du ventre, sans météorisme, puis au bout d’une demi-
heure, survient une diarrhée liquide, à la suite de laquelle les
douleurs ventrales s’atténuent graduellement. Mais elles per¬
sistent quelques heures pendant lesquelles l’animal est triste,
sans appétit et ne rumine pas. Ce temps écoulé tout rentre dans
l’ordre.
Ce qui donne à cette maladie son caractère distinctif, c’est
l’apparition soudaine de douleurs abdominales chez un animal
qui vient de boire avec précipitation beaucoup plus d’eau qu’il
n’en boit ordinairement.
L’indigestion de la caillette est rarement mortelle sur les jeunes
animaux et chez les adultes. Dans le plus grand nombre des cas,
l’évacuation diarrhéique, chez les uns et les autres, est le signe
et paraît être le moyen de la guérison. Chez les jeunes, cepen¬
dant, la diarrhée, en se prolongeant, peut entraîner la mort; et,
dans deux cas où l’indigestion d’eau a. été mortelle chez le bœuf,
M. Gruzel a constaté une déchirure de l’intestin grêle, avec
congestion de la caillette et de la portion de l’intestin où la
déchirure s’était effectuée.
TRAITEMENT DE L’INDIGESTION DE LA CAILLETTE.
Cette variété d’indigestion cède facilenient à l’administration
d’une infusion chaude de camomille, de tilleul ou de thé. Des
breuvages d’eau alcoolisée ou vineuse, avec addition de sucre
ou de miel; une infusion légère de café; enfin tous les médica¬
ments que l’on appelle cordiaux conviennent, parfaitement pour
le traitement de la première période de cette indigestion.
Dans le cas de météorisme avec complication de diarrhée,
Lafore recommande d’administrer la magnésie à la dose de lià
20 grammes, en l’incorporant à du miel. Le sous-nitrate de
bismuth, à la dose de o à 1 o grammes, serait, sans nul doute,
efficace à arrêter la diarrhée. On pourrait aussi la combattre
par le laudanum (10 à 15 gouttes dans un verre d’eau sucrée.)
Dans le cas de constipation, les lavements simples ou d’eau
INDIGESTION.
213
légèrement savonneuse et les purgatifs minoratifs sont indiqués
et produisent de bons effets. La manne, la crème de tartre
(20 à 30 grammes dans une infusion de tilleul), le sulfate de
soude, le sulfate de magnésie (5 grammes) conviennent très-
bien dans le traitement des jeunes veaux.
Pour les adultes, c’est encore aux breuvages cordiaux qu’il
faut avoir recours au début, en ayant soin toutefois de ne les
administrer que quelque temps après la manifestation des
coliques, afin de ne pas distendre la caillette au delà de ses
limites actuelles par l’addition d’une nouvelle quantité de
liquide à celle dont la présence se traduit par les symptômes
d’une douleur extrêmement intense. Le médicament le plus
usité dans la pratique est le vin à la dose d’un litre; on peut
lui substituer le cidre, la bière, l’alcool étendu d’eau, l’éther,
les infusions chaudes d’espèces aromatiques, etc., etc.
En outre, il est indiqué de faire marcher les animaux pendant
tout le temps que durent les coliques. Les bouviers croient
même qu’il est bon de précipiter l’allure, et il est des pays où
l’on force les bœufs à trotter et même à galoper. C’est pousser
les choses au delà de ce qui est utile. La marche au pas
suffit, et au bout d’un certain temps, quand le liquide ingéré
avec excès a parcouru tous les détroits intestinaux, il est évacué
presque en nature, au dire de M. Gruzel, troublé seulement par
des mucosités et entraînant avec lui des parcelles alimentaires
dont il s’est chargé.
Cette évacuation est la fin de la maladie.
Les précautions à prendre pour la prévenir ou empêcher sa
récidive découlent de la connaissance de ses causes. Il ne faut
pas laisser les jeunes trop longtemps à la mamelle, quand c’est
après une trop longue abstinence qu’il leur est permis de la
prendre; il ne faut pas non plus, lorsqu’ils sont allaités artifi¬
ciellement ou nourris avec des farineux, leur permettre de satis¬
faire leur appétit surexcité.
Pour garantir les bœufs de l’indigestion d’çau, il ne faudra
pas les laisser boire au gré de leur soif quand ils reviennent
d’un travail qui lésa épuisés et altérés. Le mieux,, en pareil cas,
est de leur donner quelques poignées de fourrages verts ou de
racines, si l’on en a à sa disposition, ou de mettre devant eux
|ine provende de son mouillé, puis ensuite de leur mesurer
leur boisson, au lieu de les laisser boire à l’abreuvoir.
Avec ces simples précautions, l’indigestion d’eau peut être
tacilement évitée.
214
INDIGESTION.
CHAPITRE III.
INDIGESTIONS DANS LES ESPÈCES PORCINE, CANINE ET FÉLINE.
Les indigestions 'des animaux de ces espèces revêtent bien
rarement le caractère de gravité qui appartient si souvent
aux indigestions des herbivores. Cette différence dépend sur¬
tout de la facilité avec laquelle l’estomac, chez les carnivores
et chez les omnivores, peut être débarrassé par le vomisse¬
ment dés matières qu’il contient, lorsqu’elles donnent lieu à
des sensations pénibles, soit par leur quantité excessive, soit
par l’action spéciale que, en vertu de leur nature propre, elles
exercent sur la muqueuse gastrique. En outre, chez les carni¬
vores, l’intestin étant plus court que chez les herbivores et
bien moins diverticulé, les conditions sont moindres, par ce
fait, pour que les matières ingérées puissent s’y accumuler et y
séjourner, longtemps. A ce dernier point de vue, le porc tient le
milieu par son organisation, entre les carnivores et les herbi¬
vores, se rapprochant plutôt de ceux-ci que de ceux-là par la
longueur de son intestin qui ne mesure pas moins de 20 à 22
mètres. Aussi, chez cet animal, les indigestions intestinales
ont-elles quelqu’ analogie, au point devue symptomatique, avec
celles du cheval.
La facilité du vomissement chez les carnivores et* les omni¬
vores est, on peut dire, corrélative au mode de fonctionnement
de leur appareil masticateur, si différent de celui des herbivores,
au double point de vue du mécanisme et du résultat. Les car-
nasssiers mâchent à peine leurs aliments : quelques coups de
dents sur les morceaux de viandes, et iis sont instantanément
déglutis, en masses volumineuses. Les os eux-mêmes ne sont
que fragmentés, et non pas broyés et triturés en parties ténues
comme les matières ligneuses des végétaux sous les molaires
aplaties des herbivores. La mastication, en définitive, chez les
carnivores et les omnivores n’est qu’un acte secondaire, presque
nul même chez les animaux naturellement voraces ou dont la
faim est exaltée par une longue abstinence. L’aliment ou, pour
mieux dire, la proie n’est pas saisie qu’elle est immédiatement
déglutie, à peine divisée et dilacérée par quelques coups de
dents. Sous l’empire du sentiment prédominant de la faini)
l’animal ne goûte pas ses aliments, il les envoie immédiatement
dans son estomac, et souvent en quantité excessive, dans la m®"
sure même de ce qu’il trouve à prendre et non pas de ce dont
INDIGESTION.
215
il aurait besoin. De là des surcharges alimentaires qui sont pour
lui, la plupart du temps, sans conséquences, en raison de la
faculté qu’ü a de Yider son estomac presqu’aussi librement
qu’il l’a rempli.
Si la fonction de la mastication, comme celle de rinsalivation
qui lui correspond exactement, est relativement imparfaite chez
les carnivores et même chez les omnivores, cette imperfection
se trouve contrebalancée par la puissance digestive de leur esto¬
mac, dont la muqueuse, dans toute son étendue chez les car¬
nassiers, et dans presque toute son étendue chez le porc, contient
des glandes à pepsine, c’est-à-dire participe à la sécrétion du suc
dissolvant des matières animales et de toutes les substances
protéiques.
Cette grande énergie de la digestion stomacale des carnivores
et omnivores donne la raison de la rareté relative des indiges¬
tions chez ces animaux, malgré la masse des matières alimen¬
taires que leur voracité les pousse à ingurgiter lorsqu’ils en
trouvent l’occasion ; et la faculté qu’ils ont de rejeter les ma¬
tières ingérées presqu’aussi librement qu’ils les ingurgitent
explique pourquoi leurs indigestions stomacales sont des acci¬
dents presque toujours sans conséquences, et pourquoi, aussi,
les indigestions intestinales sont peu fréquentes et peu graves
elles-mêmes, surtout chez les carnivores.
Voyons maintenant dans quelles conditions ces indigestions
peuvent se inanifester, et quels sont leurs caractères suivant
leur siège.
§ <— ludigestioxi stomaeale.
L’indigestion stomacale, chez le porc, est le plus souvent cau¬
sée par la surcharge de matières alimentaires de nature végé¬
tale telles que les raves, les betteraves, le son, les fourrages
verts, notamment quand ces fourrages sont couverts de rosée.
Lorsque les porcs, obéissant à leur voracité naturelle, ingurgi¬
tent à la fois une trop grande quantité de ces substances, sans
les avoir soumises à une mastication suffisante, comme font les
herbivores, leur estomac est impuissant à les digérer, faute de
cette préparation nécessaire, et la condition de l’indigestion est
ainsi réalisée. Les matières animales, ingurgitées avec excès,
peuvent aussi donner lieu à des indigestions chez le porc, mais
moins fréquemment que les matières végétales, parce qu’elles
sont plus pénêtrables que celles-ci par le suc gastrique, même
quand elles n’ont été qu’incomplétement mâchées, e ce liquide
•216
INDIGESTION.
exerce sur elles une action dissolvante bien autrement puissante
que sur les matières végétales.
Dans les carnivores, chiens ou chats, l’indigestion stomacale
est causée bien moins par la quantité des matières ingérées que ^
par l’état physique des morceaux avalés. La même quantité de i
viande ou d’os qui serait très-facilement digérée, si elle était di¬
visée en fragments multiples, devient indigeste quand elle est
avalée en masse. C’est qu’en effet, lorsque les morceaux sont
volumineux, le suc gastrique n’a de prise sur eux que par toute
l’étendue de leur surface unique, et que les couches profondes
ne peuvent être pénétrées qu’après la dissolution des couches
superficielles, tandis que, lorsque les surfaces sont multipliées
par la division, l’action du liquide dissolvant s’accroît propor¬
tionnellement au nombre accru de ses points de contact avec la
substance sur laquelle il doit agir. D’où il résulte, en définitive,
que les indigestions stomacales des carnassiers et des omni¬
vores reconnaissent surtout pour cause le défaut ou l’insuffi¬
sance de la mastication et de l’insalivation. Le chat s’indigère
avec une souris qu’il avale tout entière, sans lui donner d’au¬
tres coups de dents que celui qui a été nécessaire pour la tuer.
Le gros chien s’indigère également avec le lapin ou la poule
dont il n’a fait qu’une bouchée, pour employer l’expression
usuelle; njais la même quantité et la même nature de matières,
que représentent ces proies, resterait inoffensive, si au lieu d’être
avalées en un seul morceau, elles avaient été fragmentées en
plusieurs. Cette observation est surtout vraie quand le morceau
dégluti est constitué par le corps d’un animal tout entier, car
la peau, revêtue de ses poils ou de ses plumes, demande plus de
temps que la chair musculaire pour se dissoudre dans le suc
gastrique.
SYMPTÔMES DE L’INDIGESTION STOMACALE.
L’indigestion stomacale, chez le porc, donne lieu à un malaise
profond qui se traduit par la tristesse de l’animal, sa retraite dans
les coins sombres, ses grognements, ses cris, son agitation dans
la litière où il est caché ; il se couche et se roule à la manière du
cheval affecté de coliques ; puis, quand les nausées commencent
à se faire sentir, il se tient debout, la tête tendue, le dos voûté,
les quatre membres rassemblés, les soies hérissées ; enfin, sous
/influence des efforts de vomissements qui succèdent aux nau¬
sées, des éructations se produisent qui sont bientôt suivies delà
réjection de la masse alimentaire que contenait l’estomac. Une
INDIGESTION.
217
fois cette évacuation faite, tous les symptômes de malaise dis¬
paraissent presque instantanément dans la plupart des cas et, si
l’animal trouve des aliments à sa portée, il se remet à manger
comme si de rien n’était. Souvent même il reprend ceux qu’il a
rejetés.
Chez le chien et le chat, les symptômes de l’indigestion sto¬
macale sont à peu près les mêmes que chez le porc. La tristesse
et rabattement des animaux contrastent, chez les jeunes sur¬
tout, avec leur gaîté habituelle et leur tendance à jouer. Ils se
retirent dans les coins sombres, sous les meubles, s’agitent,
font entendre des plaintes ou même des cris; puis, quand vien¬
nent les nausées, ils se tiennent dans l’attitude debout, mar¬
chent, vont, viennent, tournent sur eux-mêmes, jusqu’à ce
qu’enfin les efforts de vomissements se produisent et aboutis¬
sent à la réjection des matières qui remplissaient l’estomac.
Cette réjection ne s’effectue pas toujours sans douleur, si l’on en
juge par les cris que font entendre les animaux, le chat notam¬
ment, à l’instant où les contractions des parois ventrales sont
assez énergiques pour faire franchir à ces matières le passage
du cardia. Ces cris, d’un timbre particulier, témoignent évi¬
demment des sensations spéciales et tout particulièrement pé¬
nibles que les animaux éprouvent au moment où le vomisse¬
ment va s’accomplir, sensations dont nous pouvons nous rendre
compte très-fidèlement par celles que nous ressentons dans des
conditions semblables.
Le vomissement une fois accompli, les signes maladifs dispa¬
raissent presque instantanément, dans la plupart des cas, et les
animaux ne tardent pas à reprendre leurs habitudes anté¬
rieures.
SYMPTÔMES DE L’INDIGESTION INTESTINALE.
L’indigestion intestinale est plus commune chez le porc que
chez le chien et le chat, à cause de la plus grande complexité
de son régime alimentaire, et aussi de la grande longueur
de gon intestin que les matières ingérées sont plus lentes à
franchir.
Ces indigestions se caractérisent par le volume augmenté du
ventre qui tantôt est dur, pesant et douloureux, et tantôt élas¬
tique et sonore à la percussion, suivant qu’il est distendu par
des matières alimentaires accumulées en excès ou par des gaz
résultant de leur fermentation, car chez le porc, soumis au ré¬
gime végétal, latympanite est un accident assez fréquent, comme
218
INDIGESTION.
chez les herbivores et dans les mêmes conditions, notamment
lorsque les animaux sont conduits aux champs trop matin et y
paissent les herbes mouillées par la rosée.
Cette tympanite, poussée à l’excès, peut déterminer des acci-
dents d’asphyxie, comme chez les herbivores, mais le plus sou¬
vent elle se juge par une évacuation diarrhéique, qui devient
le moyen de la guérison, au même titre que le vomissement
mais avec plus de lenteur, car il faut plusieurs heures et même
dans quelques cas, tout un jour pour que les matières, ingurgi¬
tées en excès, aient le temps de parcourir les vingt mètres de
l’intestin et soient enfin expulsées par l’anus.
Dans quelques, cas, la diarrhée persiste après que l’intestin
s’est vidé des matières qui le surchargeaient, et elle peut devenir
alors une très-grave complication, qui se traduit par l’amaigris¬
sement rapide des animaux et se termine par la mort.
Dans le chien, l’indigestion intestinale est assez rare, parce
qué le vomissement débarrasse d’ordinaire les animaux des
matières qui pourraient la causer, si l’évacuation de l’estomac
s’effectuait par le pylore au lieu de se produire par le cardia.
Cependant on en observe des exemples et plus particulièrement
chez les gros chiens, comme les chiens de montagne, les chiens
de boucher, les chiens de garde de grande taille, qui, en raison
des grandes dimensions de leur gueule et sous l’incitation de
leur voracité naturelle, peuvent avaler, quand l’occasion leur
en est offerte, des morceaux très-volumineux, chair ou os, ou
même animaux entiers, volailles ou lapins, par exemple, qu’ils
ne prennent pas le temps de diviser ou de broyer suffisamment
avant de les déglutir. Il peut arriver, l’expérience en témoigne,
qu’une partie de ces masses volumineuses, ainsi dégluties,
franchisse le pylore sans avoir été dissoute par le suc gastrique
et s’engage, à l’état solide, dans l’intestin, et sous un assez gros
volume encore, pour ne pouvoir pas en franchir librement tous
les détroits. Après avoir parcouru, avec plus ou moins de len¬
teur, tout l’intestin grêle où son cheminement est favorisé par
l’abondance des liquides et des matières muqueuses versées
dans cet organe, elle trouve généralement un obstacle dans la
dernière partie du côlon, s’y arrête, et en déternîine l’obstruction
complète. Alors, comme malgré l’état de malaise qui résulte de
cette obstruction, le chien ne cesse pas complètement de manger,
les résidus des dipstions successives viennent s’amonceler en
avant du point où l’intestin est obstrué, s’y amassent et s’y
condensent sous la forme d’une pelotte stercorale qui remplit
INDIGESTION.
219
le côlon dans une étendue plus ou moins considérable, suivant
l’ancienneté de la maladie.
Cette variété de l’indigestion chez le chien se caractérise par
un état profond de tristesse et d’abattement. Les animaux se
retirent au fond de leur niche, ou dans les coins sombres s’ils
sont libres, et restent presque constamment couchés, pelotonnés
sur eux-mêmes, agités de soubresauts et faisant entendre^ par
.moments, des plaintes. De temps en temps, ils se relèvent, se
mettent dans l’attitude de la défécation et se livrent à des efforts
expulsifs qui n’aboutissent qu’à faire bernier la muqueuse anale
etrestentimproductifs. Quand, pour un motif ou un autre, ils
sont déterminés à se mouvoir, ils marchent la tête baissée et la
queue pendante, n’obéissant qu’avec lenteur aux ordres qu’ils
reçoivent, et leur faiblesse se traduit par la promptitude avec
laquelle ils se recouchent quand ils en sont libres. Leur physio¬
nomie si caractéristique exprime leur souffrance. Leur appétit
n’est pas nul, mais ils ne mangent que du bout des dents, pour
employer une expression très-significative, surtout quand on
l’applique au chien qui, dans l’état de santé, dévore à pleine
gueule, A peine l’animal a-t-il pris quelque peu d’aliments, qu’il
se dégoûte immédiatement de sa pitance et la laisse presque
intacte.
A la première période dé cette forme d’indigestion, le^ ventre
est tendu et douloureux. L’animal fait entendre des plaintes
quand on lelui presse, et, s’il est irritable ou agressif, il cher¬
che à se défendre contre les manœuvres de l’exploration.
Il n’est pas toujours facile, à cette première période, si l’ani¬
mal est en bon état d’embonpoint, de reconnaître, par le tou¬
cher, la présence dans l’intestin des matières qu’il contient,
malgné le volume anormal et la consistance qu’elles peuvent
avoir, parce qu’alors les organes abdominaux ne sont pas assez
réduits, ni le ventre assez rétracté pour que les sensations don¬
nées par l’exploration soient bien nettes. Mais la maigreur vient
vite lorsque l’obstruction de l’intestin oblige l’animal à vivre
aux dépens de sa propre substance, et, au bout d’une semaine
ou deux, la tumeur formée par le côlon surchargé et distendu
devient très-nettement perceptible à travers les parois ventrales
retractées. En explorant le ventre à l’aide des deux mains appli-
cpiées sur chaque flanc, et allant à la rencontre l’une de l’autre,
on sent très-distinctement entre elles, dans la partie moyenne
de 1 abdomen, cette tumeur du côlon qui, dans les chiens de
orte taille, est grosse, à peu près, comme le bras d’un jeune
220
INDIGESTION.
enfant, et peut mesurer jusqu’à un pied de longueur, lorsque la
maladie date déjà de plusieurs semaines. Irrégulièrement bos¬
selée, elle donne la sensation que donne un mastic très-compact
dans la vessie qui le contient. On perçoit, en la palpant, que la
matière qui la compose est dépressible, surtout dans sa partie
antérieure, formée de couches plus récemment apportées, et il
est même possible, par une forte pression, de rompre la conti¬
nuité de sa masse et de la diviser en deux ou plusieurs frag- •
ments. Ces caractères sont parfaitement significatifs et ne peu¬
vent pas laisser de doutes sur la nature de cette tumeur
ventrale. Du reste, à supposer qu’après les avoir reconnus, on
ait encore quelques motifs d’hésiter à formuler un jugement,
ces motifs disparaissent immédiatement quand on a recours à
l’exploration par l’anus. Dans un certain nombre de cas, la
masse des matières indigérées ou stercorales qui constituent la
tumeur 1du côlon est engagée jusque dans le rectum, et il est
alors possible d’aller la toucher directement avec le doigt et de
se rendre compte ainsi de la nature de ses parties composantes :
fragments osseux dont on perçoit les aspérités; matières con¬
crètes ou ramollies. Quand le doigt n’est pas assez long, l’explo¬
ration peut être faite avec une sonde ou mieux encore avec une
curette spéciale, au moyen de laquelle il est possible de plonger
jusque dans l’intérieur de la pelotte obturatrice et d’en extraire
des fragments dont l’aspect et l’odeur dénoncent la nature.
Les chiens dont l’intestin est obstrué par un ama^ de matières
indigérées, auxquelles s’ajoutent les matières stercorales, peu¬
vent vivre pendant un assez grand nombre de semaines, grâce
aux boissons dont ils sont avides, aux quelques aliments qu’ils
prennent encore, et à leur propre substance dont ils vivent.
Aussi tombent-ils dans un état extrême d’émaciation et leur
mort, en définitive, est causée par l’inanition. De fait, à leur
autopsie, ce sont les altérations consécutives à l’inanition que
l’on constate partout; et, en plus, dans la partie du côlon où la
masse stercorale est accumulée, un état congestif de la mu¬
queuse et quelquefois même des plaques gangréneuses, surtout
lorsque, pour opérer l’évacuation de l’intestin, on a dû recourir
à l’introduction réitérée des instruments appropriés à cet
usage.
TRAITEMENT DES INDIGESTIONS DU PORC ET DU CHIEN.
Les indigestions stomacales se guérissent d’elles-mêmes, ou
peut le dire, chez ces animaux, puisque d’habitude, quand ils
INDIGESTION.
221
se sentent indisposés par la surcharge des aliments qu’ils ont
déglutis sans mesure, ils en opèrent la réjection et se débarras¬
sent ainsi de ce qui pourrait leur nuire. Que si, cependant,
cette réjection ne s’effectuait pas ou que l’on constatât qu’elle
ne s’accomplit pas, malgré les efforts expulsifs auxquels l’ani¬
mal se livre, il faudrait la déterminer par l’administration d’une
potion vomitive. L’émétique à la dose dé 0,5 à 1 gramme pour
le porc, de 10 à 20 centigrammes pour le chien et de 5 à 10
pour le chat, est le médicament le plus commode à employer,
en pareil cas. L’ipécacuanha (1 à 2 grammes pour le porc, 0,25 à
1 gramme pour les carnivores, suivant leur taille) convient
également pour l’usage qu’on se propose. On le donne en pilule,
et mieux en suspension dans l’eau ou en infusion. A défaut de
médicaments vomitifs qu’on peut ne pas avoir sous la main,
au moment où se présente l’indication de les administrer, on'
pourrait recourir à l’administration de l’eau chaude ou encore
à la titillation du voile du palais et de l’arrière-bouche avec une
baguette.
Une fois l’estomac évacué, l’animal peut être considéré comme
guéri. A supposer cependant que des symptômes de malaise
persistassent encore après cette évacuation, ce qui serait le
signe de quelque embarras intestinal, il y aurait lieu de recou¬
rir alors à quelques potions stimulantes, comme les infusions
de thé, de camomille, de tilleul, d’absinthe, de café, etc., etc.,
avec addition de liquides alcooliques, eau-de-vie, rhum, alcool
ordinaire, eau de mélisse, etc. Enfin le traitement purgatif, à
l’aide de minoratifs, convient très-bien pour terminer la cure.
Chez le porc, dans le cas de météorisme causé par la fermen¬
tation des aliments végétaux, on doit faire usage des mêmes
potions que celles qui sont usitées chez les herbivores, pour
arrêter le mouvement de la fermentation et condenser les gaz.
L’ammoniaque, par exemple, à la dose de 4 à 8 grammes dans
de l’eau froide ou une infusion aromatique froide, est parfaite-
lûent appropriée à cet usage. Dans le cas d’un météorisme qui
deviendrait menaçant par l’excès de son développement, il ne
faudrait pas hésiter à pratiquer la ponction de l’intestin avec un
trocart de petit diamètre ; cette opération peut ne pas être tou¬
jours curative, mais toujours elle peut être préventive de la
iQort immédiate et de la perte de la valeur que représentent les
chairs et la graisse de l’animal.
Dans le cas où, chez le chien, l’indigestion est constituée par
^ présence dans l’intestin de matières volumineuses qui ont
222
INDIGESTION.
résisté à la digestion stomacale, la première indication à rem¬
plir est de recourir à l’administration des purgatifs, pour lubré-
fier l’intestin par l’abondance des liquides dont les purgatifs
déterminent la sécrétion, et précipiter le cours des matières'
dans son canal par les contractions suractivées de la membrane
charnue. Souvent on réussit, par l’emploi de ces moyens, à faire
évacuer par l’anus les matières indigestes, fragments d’os, ten¬
dons, poils, plumes, morceaux de chair, etc., qui auraient pn
obstruer l’intestin si l’on n’avait pas mis en jeu d’une manière
énergique sa contractilité et ses appareils sécrétoires.
Mais souvent on n’est appelé à intervenir que lorsque l’obs¬
truction du côlon est établie depuis plusieurs jours et même
depuis plusieurs semaines. Dans ces cas, les purgatifs sont tout
au moins inutiles et ils peuvent être nuisibles. Il n’y a qu’un
moyen de délivrer l’animal, c’est d’extraire directement du
côlon les matières qui l’engorgent, à l’aide d’un instrument
approprié à cet u^age, que l’on introduit par l’anus jusque dans
la partie postérieure du côlon. Get instrument, auquel on donne
le nom de curette rectale, est une espèce de cuillère allongée,
un peu incurvée dans le sens de sa longueur, dont la concavité,
au lieu d’être lisse, est,.au contraire, irrégulière, comme la sur¬
face d’une râpe à gros grains. Cette cuillère est supportée par
une tyge cylindrique qui se termine par un manche. Le chien
sur lequel il s’agit de pratiquer l’évacuation du côlon à Faide
de cet instrument est placé sur une table, en position latérale;
l’opérateur saisit d’une main la tumeur du côlon à travers les
parois ventrales et la maintient fixe, tandis que, de l’autre, il
introduit dans l’anus la curette rectale, préalablement huilée.
Quand il l’a fait entrer assez avant pour rencontrer la masse
stercorale, il la fait pénétrer dans sa substance, à une plus ou
moins grande profondeur, suivant les résistances qu’elle lui
oppose, puis imprimant à la curette un mouvement de torsion
sur elle-même, il la charge et la retire pour la vider de ce qui
remplit_sa concavité. Cela fait, il l’introduit de nouveau pour la
charger une seconde fois et extraire une nouvelle quantité d®
matières, et successivement ainsi jusqu’à ce qu’on ait extrait
tout ce, que l’on pouvait atteindre. Pendant ces manœuvres, la
main qui fixe la tumeur exerce sur elle des pressions méthodi¬
ques pour malaxer les matières qui la constituent, les rendre
plus ductiles et en pousser une partie vers le rectum. Lorsq'^®
ces matières sont très-dures et contiennent des fragmeol^
osseux, leur extraction ne peut pas être faite sans quelque®
INDIGESTION.
223
dilacérations qui donnent lieu à un peu d’écoulement sanguin.
Il faut, dans ce cas, être très-précautionneux et n’opérer l’éva¬
cuation que par petites quantités à la fois. Quand on a affaire à
une masse stercorale très-volumineuse, il n’est pas nécessaire
d’en extraire la totalité en une seule séance. Les manœuvres
multipliées et répétées coup sur coup, dans un temps très-court,
que nécessiterait cette extraction, pourraient donner lieu à des
accidents inflammatoires et même gangréneux, mortels. Le
mieux donc est de s’y reprendre à deux ou à plusieurs fois dans
des jours successifs, d’autant qu’il suffît souvent de l’extraction
de la partie la plus dure de la masse stercorale, c’est-à-dire de
celle qui estlaplus voisine du rectum, pour que ce qui en reste,
composée de substances plus molles et plus ductiles, soit rejeté
ultérieurement par les seuls efforts expulsifs auxquels l’animal
ne manque pas de se livrer sous l’excitation des sensations dou¬
loureuses que les manœuvres opératoires ont inévitablement
déterminées. Dans les cas où cette expulsion naturelle n’a pas
lieu, il suffît de recourir une nouvelle fois à la curette, soit
pour désobstruer définitivement le côlon, soit pour mettre les
choses dans de telles conditions qu’il suffise ensuite de l’admi¬
nistration de quelques lavements et des efforts de la défécation
pour la délivrance complète et définitive de l’animal. Une fois
ce résultat obtenu, il est indiqué d’administrer un purgatif
pour débarrasser l’intestin, dans toute son étendue, des matières
dont le cours régulier a été empêché par l’obstruction de la
dernière partie du côlon.
Il va de soi qu’après une indigestion, quels qu’en soient le
siège ou la forme, il est indiqué de mettre, pendant quelque
temps, les animaux à un régime qui soit préventif, par sa quan¬
tité et par sa nature, du retour de pareils accidents.
CHAPITRE IV.
INDIGESTIONS CHEZ -LES OISEAUX.
Les gallinacés et les pigeons sont exposés à une espèce d’in¬
digestion que l’on peut considérer comme l’analogue de l’indi¬
gestion avec surcharge de la panse chez les ruminants, car il
existe chez ces animaux un diverticulum de l’œsophage qui
faitl’pfflce pour eux d’une sorte de panse, en ce sens que, comme
eet organe, il sert de réservoir dans lequel les aliments s’accu-
oiulent et subissent une imprégnation de liquides qui les ra-
®iollissent, et facilitent ainsi leur trituration ultérieure par le
224
INDIGESTION.
gésier. Ce renflement œsophagien, que Ton appelle le jabot, est
situé à l’entrée de la cayité thoracique où il se dessine eu relief
saillant sous lapeau, lorsqu’il est distendu par les matières qu’il
est destiné à recevoir. Constitué, comme l’œsophage, par une
tunique charnue doublée intérieurement d’une membrane
muqueuse, le jabot se vide graduellement, par la contraction de
son appareil musculaire, des matières alimentaires qu’il tient
en réserve. Mais ce n’est qu’ exceptionnellement qu’il renvoie
son contenu vers la bouche ; dans l’ordre ordinaire des choses,
il le dirige dans le ventricule dit succenturié qui lui fait suite, et
que l’on peut considérer comme l’estomac véritable de l’oiseau,
car c’est dans sa muqueuse qu’est disposé l’appareil glandulaire,
élaborateur du suc gastrique. Cependant ce n’est pas dans ce
ventricule que s’opère la digestion ; les aliments ne font qu’y
passer pour se rendre dans le gésier qui fait tout à la fois l’office
d’un appareil masticateur et d’un réservoir digestif, car c’est
dans cet organe que les aliments sont écrasés entre les cailloux
qu’il contient et sous la puissante contraction des deux muscles
de ses parois, avec tout autant de force que sous les meules
dentaires; et c’est dans cet organe aussi que le suc gastrique,
incessamment versé par le ventricule succenturié, se mêle à la
pâte alimentaire à mesure qu’elle se forme. Grâce à cette dispo¬
sition qui supplée à l’action si imparfaite des mandibules et des
glandes annexées à la bouche, les aliments passent dans l’in¬
testin tout aussi préparés pour leur dissolution et leur absorp¬
tion que lorsqu’ils ont subi la mastication véritablê et l’in-
salivation qui l’accompagne; et comme leur transit par l’intestin
est extrêmement rapide, ainsi qu’en témoignent les expériences
faites pour en mesurer le temps, il résulte de i’ensemWe de 'ces
circonstances qu’il n’existe pas chez les oiseaux d’indigestion
intestinale. La seule que l’on ait constatée est celle du jabot
qui consiste dans la plénitude excessive de cet organe etdanssa
paralysie consécutive, état morbide parfaitement analogue, on
le voit, à l’indigestion du rumen avec complication de surcharge
alimentaire. ,
Dans les palmipèdes, il n’existe pas de jabot, formant, comme
chez les gallinacés, une poche diverticulée de l’œsophage, mais
ce conduit est renflé dans sa partie cervicale de manière à repré^
senter, quand ses parois sont distendues, une longue cavité
fusiforme, qui fait l’office du jabot des gallinacés et est suscep¬
tible de s’engorger de la même manière.
Dans quelles conditions cette espèce d’indigestion par sur-
INDIGESTION.
225
charge peut-elle survenir chez les oiseaux? Dans les mêmes que
celles qui déterminent chez les autres animaux la surcharge des
réservoirs gastriques. I^orsque les oiseaux sont affamés, ou
lorsque, sans avoir de motifs de l’être, ils trouvent devant eux,
à discrétion, des aliments qu’ils appètent beaucoup, ils peuvent
s’engorger outre mesure; et, comme la membrane charnue
de leur jabot est très-mince et n’a pas une très-grande force de
contractilité, si la masse contre laquelle elle doit réagir est trop
grosse et lui oppose une trop grande résistance, elle devient
incapable de l’ébranler et le jabot reste obstrué, faute de la
propulsion que ses parois frappées d’inertie sont impuissantes à
imprimer aux matières qui l’engorgent. — C’est ce qui arrive,
par exemple, lorsque les jeunes oies sont conduites par bandes,
au printemps, dans les champs et qu’elles mangent en trop
grande abondance les herbes naissantes. Les feuilles du triti-
cum repens, de quelques espèces de carex et du cynodon dacty-
lon leur seraient plus particulièrement nuisibles d’après
M. Dupont, de Plazac, cité par M. Bénion, dans son traité de
YÉlemge et des maladies des oiseaux.
Dans d’autres circonstances, c’est au contraire l’usage des
aliments très-secs, comme les fèves, le son, qui déterminerait la
surcharge du jabot, ou Vindigestion ingluviale, comme M. Du¬
pont l’a très-heureusement dénommée.
Symptômes. — Cette indigestion se dénonce immédiatement
par l’habitude extérieure des malades qui cessent de se mouvoir
avec l’agilité qui leur est propre, restent même immobiles,
tristes, les plumes hérissées, secouant la tête, ouvrant le bec et
faisant des efforts de régurgitation, suivis, dans quelques cas,
du rejet d’un peu de liquide. Quand on constate ces premiers
symptômes, l’exploration directe du jabot ne laisse pas de doutes
sur leur cause. On le sent volumineux, distendu outre mesure
par les matières ingérées qui donnent des sensations différentes
suivant leur propre consistance. Lorsque la réplétion du
jabot date depuis quelque temps, il est le siège d’une sorte de
tympanite, analogue à celle de la panse et produite par la même
cause : la fermentation des plantes vertes qu’il renferme.
Au rapport de M. Dupont, l’indigestion ingluviale par lès
herbes vertes est souvent et rapidement mortelle chez les oies.
Quelques heures suffisent, dit-il, pour faire mourir les deux
tiers d’un troupeau et l’on constate que les bêtes qui succombent
les premières sont les plus gournaandes, celles dont le jabot est
le plus garni d’aliments. Une mort si prompte et sur une
X. 15
226
INDIGESTION.
aussi grande échelle a tous les caractères d’une mort par
asphyxie et il est admissible qu’elle résulte de la compression
du pneumo-gastrique par l’œsophage distendu à l’excès, car
chez les palmipèdes, il ne faut pas l’oublier, le jabot est formé
non par un diverticulum de l’œsophage comme chez les gallina¬
cés, mais par une dilatation du conduit lui-même dans sa
partie cervicale. Est-ce que chez les ruminants, l’obstruction de
l’œsophage par un corps étranger volumineux, comme une
pomme ou un gros tubercule, arrêté dans son trajet cervical, ne
donne pas lieu à. des phénomènes asphyxiques très-marqués?
Quoi d’étonnant qu’il en soit ainsi chez les palmipèdes lorsque
leur cavité œsophagienne est distendue au-delà de la mesure
physiologique.
Chez les gallinacés, l’indigestion ingluviale peut être aussi
mortelle, mais avec beaucoup plus de lenteur, ce qui résulte
probablement de ce que la poche du jabot peut se dilater sans
entraîner la compression ou la distension des cordons nerveux
avec lesquels l’œsophage est dans des rapports très-étroits dans
toute rétendue de son trajet.
TRAITEMENT DE L’INDIGESTION INGLUVIALE.
La régurgitation, chez les oiseaux, s’opère avecfacilité et consti¬
tue même un phénomène physiologique. M. Colin a constaté que
les oiseaux rejettent par régurgitation les aliments qui ne leur
conviennent pas ou les matières indigestes, qui n’ont pas pu
franchir le pilore.Chez les oiseaux carnassiers, par exemple, les
substances indigestes se rassemblent en une pelote régulière’à la
périphérie de laquelle senties poils, les plumes et au centre les
os ou les productions cornées très-dures, et les animaux les
rejettent au bout de 16 à 20 heures, quand toutes les parties
digestibles de leur proie ont été digérées. Les moineaux, ajoute
M. Colin, rendent ainsi fort souvent la viande, les grains d’orge,
' les grains de sel ou les pilules médicamenteuses. Alors il y a
de simples contractions antipéristaltiques du jabot et de l’œso¬
phage, puis une secousse vive de la tête une fois les matières
venues à la bouche. C’est par le mécanisme de cette régurgita¬
tion physiologique que les oiseaux versent, dans le bec de leurs
petits, les matières alimentaires dont ils ont fait provision dans
lenr jabot, ou encore cette espèce de lait qui se produit en
abondance, chez les pigeons, à la surface de la muqueuse de,
leur œsophage et dont Hunter a le premier signalé l’existence.
Chez les animaux qui sont affectés d’une surcharge ingluvialej
INDIGESTION.
m
l’inertie des parois contractiles de la poche du 'jabot s’oppose
à la régurgitation, aussi bien, du reste, qu’à la propulsion des
aliments vers le ventricule. Il y a donc nécessité de suppléer à
cette impuissance actuelle de l’appareil contractile, par une
sorte de massage exercé avec les doigts sur la poche œsopha¬
gienne, dans le but de malaxer les matières qu’elle contient, et
de les feire cheminer, partie vers le ventricule et partie vers la
bouche où on les ramène par une pression de bas en haut. Par
ce moyen, et en provoquant les efforts de la réjection à l’aide
d’an doigt introduit dans l’arrière-bouche, on peut déterminer
l’évacuation du jabot dans un temps assez court. Tel est le pro¬
cédé qui, d’après M. Bénion, est conseillé et pratiqué par
M. Pichon, vétérinaire à Ghateau-Gontier. Mais cé moyen ne
peut convenir qu’au début de la maladie et lorsque les aliments
qui engorgent le jabot sont de nature à se prêter aux mouve¬
ments qu’on tâche à leur imprimer.
Quand ce moyen n’est pas praticable, il en reste un qui est
héroïque, c’est l’ouverture du jabot et son évacuation directe ;
opération des plus simples au point de vue chirurgical, et des
moins compromettantes, car la plaie qu’elle nécessite se cica¬
trise avec la plus grande facilité. Pour pratiquer cette opération,
on se sert soit d’un bistouri, soit d’un canif ou d’une paire de
ciseaux bien tranchants. La tumeur ingluviale est d’abord
ponctionnée directement dans sa partie la plus saillante, puis
• on débride l’ouverture ainsi faite dans le sens de la lon¬
gueur du cou, et dans une étendue qui varie suivant le plus ou
moins de ductilité des matières contenues dans le jabot. Quand
ces matières sont à l’état pâteux, comme la farine, ou compo¬
sées de parcelles très-mobiles, comme les grains de blé ou
d’orge, il suffit d’un débridement d’un centimètre et demi à deux
pour que la poche du jabot puisse être évacuée par une pression
méthodique exercée à sa surface. On la vide alors, comme un
huit mûr, par une sorte d’ énucléation de tout ce qu’elle con¬
tient. Mais la pression ne suffit plus lorsque la poche du jabot
est remplie d’herbes à longs brins, comme les feuilles du chien¬
dent par exemple. Dans ce cas, l’ouverture doit être plus grande,
^t ü faut, soit avec le doigt, soit avec des pinces, comme les
pinces à anneaux des trousses chirurgicales, extraire directe¬
ment du jabot les feuilles et les tiges de fourrages qui y sont
amassées. Une fois la poche vidée, on la déterge intérieurement
par quelques injections aromatiques ou vineuses ; puis les lè-
^es de la plaie cutanée sont rapprochées et maintenues en rap-
ïNBIGSSTiON.
port par une suture en surjet. La cicatrisation est rapide et
s’opère toujours par première intention, comme celles des
parois ventrales après k castration.
Dans le cas où l’indigestion ingluviale vient à se compliquer
de phénomènes de Jaunisse, comme M. [Lerein, cité par M. Be-
nion, Fa observé sur un troupeau de poules, il faut avoir re¬
cours à un traitement laxatif. M. Lerein déclare s’être bien
trouvé, en pareil cas, de l’usage du sulfate de soùde et des bois¬
sons d’eau gommée.
Résumé GÉNÉRAL. — Si, après avoir fait cette étude des indi-
gestrons dans les différentes espèces domestiques, nous Jetons
maintenant un coup d’œil d’ensemble sur ces troubles morbides,
pour les comparer entre eux et établir leurs caractères différ
rentiels, ainsi que les rapports de similitude qu’ils peuvent pré¬
senter, voici, succintement, ce qui ressort de leur étude compa¬
rative.
D’une manière générale, les indigestions sont plus graves
chez les herbivores que chez les carnivores, en raison, d’abord,
de la plus grande complexité de F appareil digestif chez les pre¬
miers que chez les seconds, complexité qui est, du reste, corré¬
lative à la nature des aliments dont les animaux doivent se
nourrir.
Les indigestions des omnivores revêtent un caractère mixte,
mais elles sont toujours moins graves que celles des herbivores.
Dans la catégorie des herbivores, les indigestions présentent,
dans leurs modes de manifestations, des différences qui résul¬
tent des dispositions spéciales et du mode particulier de fonc¬
tionnement de l’appareil digestif, suivant que les herbivores
sont ruminants ou monogastriques.
On peut dire, en effet,^ que cet appareil présente, dans ces
deux classes d’animaux, une inversion ds dispositions qui ex¬
plique ces différences si remarquables des troubles de la fonc¬
tion digestive dans les uns et dans îes autres.
CJhez les ruminants, les gras4s réservoirs alimentaires sont
placés en avant de Festomac,et les aliments ne pénètrent dans
ce dernier ergane que par petites fractions successives,' et après-
avoir été soumis à une double mastication, aux actions dissol¬
vantes des liquides de la panse, aux fermentations complexes
qui s’y passent, à toutes ces influences enfin, si profondément
modificatrices de leur état physique et chimique; en sorte qu&
tout est disposé, chez les ruminants, pour que l’estomac et les
INBIGESTm
intestins, grêle ou côlon, soient mis à l’abri des accumulations
et des surcharges, et puissent exercer une action absorbante,
aussi complète que possible, sur les parties solubles et dissoutes
des matières alimentaires.
Dans le cheval, les choses sont autrement et même, dans une
certaine mesure, inversement disposées. Les aliments qui arri¬
vent dans l’estomac n’ont subi d’autre préparation que la mas¬
tication et l’insalivation. Ils s’y amassent immédiatement, n’y
séjournent qu’un temps assez court, en raison de la petite capa¬
cité relative de l’organe, et passent dans l’intestin grêle dans de
telles conditions physiques qu’ils ne peuvent pas encore céder
à l’absorption toute la matière ahtritive qu’ils renferment. D’où
la nécessité qu’ils soient rassemblés et, un certain temps, con¬
servés dans les réservoirs du cæcum et du côlon, où s’accom¬
plissent les macérations et les fermentations dernières, néces¬
saires pour l’achèvement de leur digestion.
Cette inversion des dispositions de l’appareil digestif donne
la raison, comme nous le disions tout à l’heure, de là différence
des modes de manifestation des indigestions chez les ruminants
et chez les solipèdes. ,
Chez les ruminants, les indigestions ont leur siège presque
exclusivement dans les parties de l’appareil digestif, placées en
avant de la caillette, c’est-à-dire de l’estomac véritable ; rare¬
ment dans la caillette elle-même ou dans l’intestin, parce que
les aliments ne pénètrent dans, ces organes qu’avec une mesure
toujours régulière, et aussi dans un tel état d’élaboration qu’ils
sont parfaitement digestibles.
■Dans le cheval, au contraire, il peuty avoir d’abord des indi¬
gestions de l’estomac, parce que les aliments y arrivent directe¬
ment de la bouche et qu’ils peuvent y être uccumulés avec
excès, quand l’animal est sous le coup d’un appétit exagéré qui
le détermine à se gorger outre mesure. Il peut y avoir aussi des
indigestions des grands réservoirs.placés à la suite de l’intestin
grêle, parce que le cheval, dans les conditions auxquelles il est
asservi, mangeant généralement, à chacun de ses repas, trois et
quatre fois plus que son estomac ne peut contenir et conserver,
il en résulte nécessairement que les matières non encore com¬
plètement digérées, qui ont parcouru les détroits de l’intestin
grêle, peuvent s’accumuler dans le cæcum et le gros côlon
au delà de la mesure de la contenance physiologique de ces
organes, et surtout de. leur puissance d’action digestive.
Les indigestions ne diffèrent pas seulement chez les ruminants
23a
INDIGESTION.
et chez les solipèdes par le siège qu’elles occupent; elles dîfïè^
rent aussi par leur gravité, et c’est chez les animaux de ce der¬
nier ordre qu’elles sont d’ordinaire le plus dangereuses. La pre¬
mière raison de cette gravité prédominante des indigestions des
solipèdes, relativement à celles des ruminants, est dans la très-
grande difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, du vomisse-
meot. Et non-seulement le cheval ne vomit pas, parce qu’il
existe chez lui une disposition toute mécanique qui s’oppose à ce
qu’il vomisse, mais encore parce que, avec cette première dis¬
position, une autre coïncide, qui en est la conséquence toute
logique, c’est le peu d’impressionnabilité de son système ner¬
veux à l’influence des causes déterminantes du vomissement
chez les animaux qui sont aptes à vomir. Presque impossibilité
du vomissement chez le cheval, impressionnabilité très-faible
de son système nerveux à l’influence des causes que l’on peut
appeler vomitives^ voilà ce qui rend les indigestions stomacales
des solipèdes si essentiellement graves et redoutables.
Dans le bœuf, au contraire, et les autres ruminants, la réjec-
tion du contenu du premier estomac est un acte physiologique,
et, par une conséquence nécessaire, son système nerveux im¬
pressionnable répond facilement à l’excitation qui le détermina
à mettre en jeu les forces par le concours desquelles cette réjec-
tion s’accomplit. Sans doute, qu’au point de vue physiologique
pur, il n’y apas parité complète entre la réjectiondu contenu du
premier estomac du bœuf et le vomissement proprement dit,
qui est la réjection de ce que contient l’estomac véritable ; et à
prendre les choses à la lettre, le vrai vomissement, c’est-à-dire
la réJectioD de la caillette est aussi peu possible chez le bœuf
que la réjection de l’estomac chez le cheval. Mais si le bœuf ne
peut rien rendre de ce qui a pénétré dans la caillette, il n’en est
pas de même pour le contenu de sa panse; et, soit spontané¬
ment, soit sous l’action de causes déterminantes que l’on met
en jeu, comme par exemple les excitations portées sur le - voile
du palais avec un bâton, il peut rejeter assez librement les gaz
enfermés dans le rumen, et même aussi les matières fluides ou
formant une pâte assez ductile pour pouvoir être engagées dans
l’infundibulum de l’œsophage, quand les efforts de la réjection
s’accomplissent. Il y a dans cette possibilité d’évacuation de la
panse par les voies antérieures une condition curative de ses-
indigestions stomacales qui manque presque complètement au
cheval.
Une autre raison de la gravité moindre des indigestions sto*r
INDIGESTION.
231
macales du bceuf, relativement à celles du cheval, c’est que
quand il n’y a pas possibilité que la panse soit évacuée par les
voies naturelles, rien n’est simple comme d’ouvrir une voie
artificielle par laquelle on peut donner issue aux gaz et même, '
sinela est nécessaire, à une grande partie de la masse des ma¬
tières liquides ou solides qui peuveot être accumulées dans le
rumen. L’organisme du bœuf autorise ces opérations, toujours
inoffensives si elles ne consistent que dans de simples ponc¬
tions, et qui le restent généralement encore même quand on a
dû pratiquer à la panse un débridement assez grand pour pou¬
voir y introduire la main.
L’estomac du cheval se dérobe, par sa situation profonde et
par sa petitesse relative à toute tentative d’opération évacua-
trice, et son organisme ne se prête pas à une action chirurgi¬
cale qui aurait pour conséquence de déterminer une lésion
péritonéale ou viscérale quelque peu étendue. La ponction
intestinale, chez cet animal, n’a pu être appliquée avec impu¬
nité et devenir ainsi pratique qu’à la condition de réduire à de
petites dimensions le trocart dont on se sert pour la ponction
du rumen du bœuf.
Enfin, pour compléter ce tableau comparatif et faire ressortir
les raisons de la gravité prédominante des indigestions du che¬
val, relativement à celles du bœuf, il suffira de rappeler que ce
dernier animal est à peu près exempt des indigestions intesti¬
nales, grâce à la parfaite digestibilité des matières que le feuil¬
let laisse passer dans la caillette, et à la mesure avec laquelle
ce passage s’effectue; tandis que, chez le cheval, l’estomac
dont la capacité est petite, se vide dans l’intestin d’une grande
masse de matières, non complètement élaborées, dont la diges¬
tion doit s’achever dans les réservoirs du cæcum et du gros
côlon. D’où la possibilité de la surcharge de ces appareils et des
indigestions qui en sont la suite : Indigestions analogues à
celles de la panse par la nature de la cause qui les déterminent,
mais bien différentes au point de vue de leur gravité, car on ne
peut recourir à des opérations évacuatrices qu’à l’aide de ponc¬
tions très-étroites. Les grands débridements, si bien autorisés
chez le bœuf, sont absolument interdits pour le cheval.
Comparées aux indigestions des herbivores, celles des carni¬
vores et des omnivores sont généralement d’une grande béni¬
gnité, grâce à la faculté du vomissement, si complète chez ces
nunaux, et qui leur permet de se débarrasser de ce qui sur¬
charge leur estomac quand la sensation de cette surcharge leur
232
INFECTION.
deTient pénible. Cette faculté qu’ils ont de pouvoir Vomir les met
à Tabri, dans le plus grand nombre des cas, des indigestions intes¬
tinales, qui sont ainsi prévenues par l’évaciiation des matières
qui pourraient les déterminer ; et ces indigestions, quand elles
ont pu se produire, sont généralement sans gravité chez les
carnivores, à cause de la brièveté de leur intestin et de la faci¬
lité avec laquelle il peut être évacué. Chez les omnivores, la
longueur plus grande du tube intestinal devient une condition
pour que les indigestions soient plus sérieuses et participent
un peu, dans leur expression symptomatique, de celles des
herüvores, mais sans jamais revêtir le même caractère de
gravité. ; '■ . -
Exceptionnellement, l’indigestion intestinale des carnivores
peut se présenter avec des caractères très-redoutables, c’est
quand elle est déterminée par l’accumulation de matières indi-
gérées et de résidus stercoraux dans la dernière partie du côloiiv
Mais, même dans ce cas, une condition existe qui atténue sa
gravité, c’est la possibilité d’opérer directement l’évacuation de
l’intestin obstrué par la voie de l’anus et du rectum.
Quant à l’unique indigestion des oiseaux, l’indigestion ingln-
viale, elle peut avoir sa gravité par la soudaineté de sa manifes¬
tation, la rapidité de son développement, et la multiplicité de
ses coups dans un troupeau, comme l’indigestion de là panse^
chez les petits ruminants surtout, à laquelle elle est si; bien
comparable. Mais, considérée en soi, c’est une maladie générale¬
ment bénigne, puisque l’organe surchargé est directement sous
la main des opérateurs, qu’on peut l’évacuer par des pressions
méthodiques, et qu’à supposer ces pressions inefficaces, on a
toujours la ressource d’une opération inoffensive et dont le
succès est certain. H. boüley» ’ •
INFECTION (PATHOLOGIE GÉNÉRALE). — En pathologie, OE
donne le nom d’infection à l’état d’une localité dont l’atmos¬
phère contient des miasmes morbifiques. On s’en sert aussi
pour exprimer l’altération qui résulte, dans l’économie ani"
male, de l’absorption de matières putrides ou de matières viru¬
lentes, que ces matières aient eu pour point de départ une lésion
locale ou qu’elles aient pénétré dans la circulation par les voies
respiratoires, à la suite du séjour de l’individu dans une atmos¬
phère infectée.
C’est en ce sens que les pathologistes ont admis une classe de
maladies infectieuses, parmi lesquelles le typhus des camps
INFECTION.
233
flgure au premier rang, parce qu’il est, de toutes ces maladies,
celle dont le mode de production est le moins douteux.
Il règne, dans les classifications nosologiques, une grande
incertitude, et les auteurs y ont introduit beaucoup de confu¬
sion, à l’égard des applications qui doivent être faites de leurs
définitions diverses de l’infection. Les uns réservent la qualité
d’infectieuses pour les maladies contractées dans un milieu
infecté par- des miasmes, c’est-à-dire par des émanations pro¬
venant de matières organiques en décomposition ou d’indivi¬
dus, sains ou malades, agglomérés en ce milieu; les autres
admettent que toute maladie a eu pour cause l’infection, si elle
résulte de l’introduction d’un agent morbide répandu dans
l’atmosphère, quelles que puissent être d’ailleurs les propriétés
de cet agent, spécifiques ou non.
Dans la dernière doctrine, qui est aujourd’hui la plus généra¬
lement acceptée, les maladies infectieuses peuvent être conta¬
gieuses ou ne l’être pas ; on y admet deux sortes de contagions :
celle par inoculation et celle par infection; ce qui correspond
aux anciennes divisions de la contagion par virus fixe et de la
contagion par virus volatil; d’où il suit qu’il faudrait distin¬
guer les maladies contagieuses inoculables des maladies conta¬
gieuses infectieuses. La rage, la syphilis, dont les éléments
virulents ne se disséminent point dans l’atmosphère, ou du
moins pas de manière à pouvoir se transmettre par soninterméf
diaire, seraient des types du premier genre ; la variole, la cla¬
velée, la péripneumonie et la peste, bovines, la morve, appar¬
tiendraient au second. ^
Cette façon, de comprendre l’infection semble d’abord con¬
forme à la réalité des faits. Lorsqu’on s’en tient à l’observation
très-générale de ces faits, elle peut paraître acceptable. Les
apparences cliniques et étiologiques sont pour elles. Mais, dès
qu’on pousse l’analyse jusqu’ aqx limites de la précision que la
science comporte aujourd’hui, l’on s’aperçoit qu’il y a lieu de
renoncer à ces distinctions superficielles, ainsi qu’aux termes
qui les expriment, parce qu’il faut de même abandonner, dans
beaucoup de cas, celles qui avaient été établies par la clinique
pure entre des états morbides aujourd’hui reconnus comme
ayant un seul et même processus pathologique et ne différant
fiue par des degrés de ce processus.
Ilya , par exemple, des états évidemment dus d’abord à l’in-
uuence des circonstances d’un milieu non virulent, à l’influence
ùe la simple infection par ce que les anciens auteurs appelaient
234
INFECTION.
des miasmes, et qui, par cela seul qu’ils acquièrent une cer¬
taine intensité ou qu’ils se présentent à la fois sur un assez
grand nombre d’individus, deviennent susceptibles d’être trans¬
mis par voie de contagion véritable. Et en fait on ne compren¬
drait pas qu’il en fût autrement, pour le nombre relativement
assez grand de maladies dont la contagion ou la transmissibiüté
est le plus souvent douteuse, les seules, du reste, au sujet des¬
quelles elle ait été controversée.
Dans l’bypotbèse où Ton attribue la virulence à des êtres
déterminés, au lieu de la considérer, ainsi que tout l’indique,
comme une propriété ou un mode de la matière organique, on
estJoien obligé de contester l’existence de ces états gradués.
L’hypothèse doctrinale procède toujours ainsi : elle nie lés faits
qui la gênent, ou elle passe à côté. La réalité de ces faits n’en
subsiste pas moins.
Si les virulences étaient dues à des organites ou corpuscules
virulents de diverses formes, déterminées pour chacune d’elles,
à un parisitisme du milieu intérieur de chaque individu ma¬
lade, il faudrait bien que lés êtres parasites, si infimes qu’ils
fussent dans l’innombrable série, obéissent à la loi commune.
Leur existence remonterait, comme celle de tous les autres, et
notamment de ceux aux dépens desquels ils vivraient, à l’ori¬
gine première de la vie à la surface de notre globe, la générâtion
spontanée, à aucun degré, ne pouvant être admise comme
expérimentalement démontrée, dans l’état actuel de la science.
Pour expliquer les effets différents des causes d’infection,
nuis dans beaucoup de cas, infaillibles ou à peu près dans cer¬
tains autres, on a imaginé de faire intervenir la nécessité de
dispositions particulières chez les sujets soumis à leur influence.
C’est la doctrine de la prédisposition. L’analogie de ce qui se
passe pour la germination des graines, pour le développement
des germes, y a conduit. A ces germes, il faut un terrain appro¬
prié et certaines conditions déterminées. Cela revient à dire,
purement et simplement, qu’un phénomène quelconque n®
saurait se produire en l’absence de ses conditions détermi¬
nantes, et que, par conséquent, un organisme animal ne peut
point être infecté, en dehors des conditions de l’infection.
En présence de la graine et de la plante qui en résulte, il n’î
a pas de difficulté : les deux êtres sont réels, nous les voyons et
nous les touchons ; les circonstances qui les séparent, nous les
pesons et nous les mesurons. Entre l’individu sain et l’individo
malade, rien ne nous montre qu’il y ait autre chose qu’iùi
INFECTION.
235
changement d’état ou un changement de manière d’être, en un
met une différence de propriétés, ou, en définitive, quelque
chose d’analogue seulement à ce qui se passe, au sein de la
graine, pour rendre diffusibles les matières que son germe doit
assimiler pour se développer.
Les conditions qui prédisposeraient l’individu à subir l’in¬
fluence de l’infection, nous les ignorons absolument. La pré¬
disposition qu’on invoque n’est en réalité que purement verbale,
quelque chose comme l’explication des propriétés somnifères
de l’opium par sa « vertu dormitive. » Elle, exprime le fait, elle
ne l’explique pas ; elle n’en met point en évidence les condi¬
tions déterminantes. La faire intervenir n’ajoute rien aux
connaissances, si ce n’est un mot. Il est plus exact et plus franc
de se contenter de dire que l’infection agit en son sens déter¬
miné, lorsque les conditions de son action se trouvent réunies.
La théorie de cette action, qui est celle de l’infection elle-
même, reste encore à faire. Nous ne possédons sur ce sujet que
des hypothèses, indirectement rendues plus ou moins plausi¬
bles par des raisonnements et des expériences dont les résultats
se peuvent également interpréter de deux façons. Elles ne sont
donc point démontrées. Des faits constatés dans ces expériences,
où il a été déclaré que les agents de l’infection considérée n’ont
point de caractères spécifiques, par lesquels ils puissent être
distingués objectivement, et que leur qualité ne se manifeste
pas autrement que par leur activité même, il est permis de
conclure dès à présent que l’existence propre de ces agents est
une pure supposition, l’activité seule ou le mode dé la matière
ainsi désignée, dans un sens spécial ou spécifique, étant une
réalité, qui se manifeste en raison de son intensité, comme
toutes les activités.
En attendant que nous soyons plus éclairés par la science
générale, sur les divers modes d’activité de la matière organi-
*ïue et sur les propriétés nouvelles que les circonstances déter-
uiinéès peuvent lui faire contracter, il faut savoir nous contenter
constater les faits accessibles a notre observation, sans en
chercher l’explication par de simples hypothèses qui, surtout
lorsqu’epgg sont données pour des théories confirmées par l’ex-
Pprimentation, ont l’inconvénient d’arrêter les recherches ulté-
^enres et de retarder ainsi la solution définitive du problème
Vosé.
Ees données de ce problème, en ce qui concerne l’infection et
ce qui est des faits cliniques, sont les suivantes,- dont
INFECTION.
l’exposé va nous permettre de préciser les définitions déjà indi¬
quées :
Lorsqu’une matière organique altérée ou envoie de décom¬
position pénètre dans la circulation générale d’un individu, on
dit qu’il y a infection, que cette matière provienne de l’individu
lui-même ou qu’il l’ait reçue du dehors.
Si l’individu infecté, après avoir subi l’influence de cette ma¬
tière altérée, ne' la régénère pas de façon à la pouvoir trans¬
mettre à son tour dans le même état et avec les mêmés pro¬
priétés, l’infection a pour conséquence un empoisonnement,
auquel l’individu succombe ou contre lequel il réagit efficace¬
ment.
L’infection paludéenne, ou miasmatique, ou tellurique, l’in¬
fection purulente, l’infection septique à certains degrés, sont
des empoisonnements, d’un autre ordre seulement que ceux '
produits par l’absorption des matières vénéneuses d’origine
organique ou minérale.
Quand l’agent infectant se reproduit dans l’économie du sujet
infecté, il y développe ce qu’on appelle une virulence ou une
maladie contagieuse, susceptible d’être transmise à d’autres
sujets, chez lesquels elle se manifeste avec les mêmes caractères,
sinon avec la même intensité.
Les véhicules de la virulence peuvent ou non se disséminer
dans l’atmosphère qui entoure l’individu malade.
Dans le premier cas, cette atmosphère est plus ou moins
infectée. Ces vésicules s’étendent à des distances variables, qui
dépendent probablement de leurs degrés de diffusibilité et
d’activité; et par là l’atmosphère est devenue elle-même plus
ou moins infectante, ou plus ou moins contagieuse, ce qui est
une autre façon d’exprimer le même fait.
, Dans le second cas, la virulence ne peut être transmise ou
communiquée que par le dépôt direct, sur une surface absor¬
bante, de son véhicule solide ou liquide, en un mot que par
inoculation. ^
Les deux modes de transmissibilité de la virulence ont été
exprimés en disant qu’il y a des contagions médiates et des con¬
tagions immédiates ; et, en d’autrés termes, qu’il y a des malO''
dies inoculables et des maladies- contagieuses.
Toutes les maladies contagieuses ne se transmettent point par
inoculation : il en est dont le véhicule de la virulence n’est pas
encore déterminé ; toutes les maladies inoculables ne se com¬
muniquent point par l’intermédiaire de l’atmosphère oupa’^
INFLAMMATION.
237
infection. Si toutes sont yirulentes, en ce sens qu’elles dépen¬
dent d’un état susceptible d’être transmis et de se transmettre
à son tour, il y a donc bien évidemment divers genres de viru¬
lences, ayant des activités et des modes différents, dont les
conditions précises sont à déterminer.
Quant à présent, il ne saurait être permis de conclure de l’un
à l’autre de ces genres et d’établir une théorie générale, soit de
la virulence, soit de la contagion, soit de l’infection. Chacun de
ces mots répond aux idées doctrinales que les pathologistes se
sont faites sur un phénomène dont les véritables caractères et
les véritables conditions déterminantes restent encore à déga¬
ger de l’obscurité qui les enveloppe, pour la plupart des états
morbides auxquels ils se rapportent. Il n’y faut yoir que des
ébauches empiriques ou purement cliniques de là solution d’un
problème que la science expérimentale pourra seule résoudre
avec le temps. Celui-ci amènera sans doute, dans les notions
générales qui doivent à la fois lui servir de point de départ et de
moyens, des progrès dont, la pathologie tirera parti, mais qu’il
ne lui appartient pas de réaliser.
A. SANSON.
INFLAMMATION. Le phénomène pathologique que l’on dé¬
signe sous les noms synonymes àHnflammation, phlegmasie,.
phlogose, va être étudié, dans ce chapitre, à deux points de vue :
Nous le considérerons d’ahord dans ses manifestations exté¬
rieures, telles qu’elles ont pu être observées de tout temps,
avant que l’œil, armé du microscope, ait pu pénétrer plus avant
dans la profondeur de^parties et saisir les mouvements et les
modifications interstitielles dont elles sentie siège, quand elles
sont ce qu’on appelle enflammées. Dans cette première étude,
nous ne nous contenterons pas de l’exposé pur et simple des
faits objectifs par lesquels l’inflammation sé caractérise ; nous
rechercherons les conditions dans lesquelles ces faits se produi¬
sent, et nous essaierons d’en donner la signification physiolo¬
gique. .
Cette étude faite, l’inflammation sera ensuite considérée au
point de vue histologique, et l’on verra par les développements
comprendra cette deuxième partie, que les inductions tirées
de l’observation simple des phénomènes objectifs se trouvent;
grande partie, confirmées par les investigations plus com-
P 6tes et plus étendues que permet l’emploi des instruments
grossissants.
238
EŒLAMMATION.
§ Se l’inllanunatioit eonsidérée au point de voe
symptomatique loeal et général.
Le mot inflammation et ses synonymes phlegmasie et phlogose
sont des expressions métaphoriques, usitées en médecme, de¬
puis ses premiers temps, pour désigner un état pathologique
dont les caractères extérieurs, visibles et tangibles, sont la rou¬
geur, la douleur, la chaleur et la tuméfaction des parties. Comme
ces phénomènes sont ceux qui se manifestent invariablement à
la suite de la brûlure, l’analogie a sans doute conduit à donner
le nom par lequel on avait exprimé les effets du feu sur les par¬
ties aux états pathologiques qui se caractérisent par des appa¬
rences semblables, quoique procédant de causes différentes. '
Pour procéder du plus simple à ce qui l’est moins, dans l’étude
de Finflammation, nous la considérerons d’abord au point de
vue chirurgical, c’est-à-dire alors qu’elle est la conséquence
d’une action traumatique, et nous la suivrons dans son évolu¬
tion, depuis le rnoment où est intervenue l’action de la cause
qui l’a déterminée, jusqu’à celui où, l’action de cette cause
étant épuisée, tout rentre dans l’ordre physiologique. Les phé¬
nomènes caractéristiques de l’inflammation une fois exposés,
sous leur mode le plus simple de manifestation, et dans les cir¬
constances où ils peuvent être suivis depuis leur cause comme
jusqu’à leur disparition, il sera plus facile de se rendre compte
de ce qui se produit dans les circonstances où toutes les con¬
ditions et, l’on peut dire aussi, toutes les raisons du phéno¬
mène ne sont point autant saisissables.
A. Phénomènes objectifs de l’inflammation traumatique.—
Supposons, pour étudier le fait dans'^oute sa simplicité, au
point de vue purement objectif, auquel nous nous proposons
de nous placer, qu’une blessure ait été faite avec un instrument
tranchant, à la région de l’encolure d’un cheval, par exemple,
et que cette blessure intéresse la peau, le tissu cellulaire et les
muscles dans une certaine profondeur. Que va-t-il se passer
dans cette partie blessée ? Nous négligerons ici les phénomènes
immédiats, produits par l’action traumatique, tels que la douleur
résultant de la section des nerfs et l’hémorrhagie, conséquence
de la section des vhisseaux, pour ne considérer que ceux
appartiennent à l’inflammation.
S il n existe pas à la peau de pigmentum qui empêche d®
voir les modifications de sa couleur, on constatera, tout autour
de la partie blessée, une auréole rouge, plus foncée au voisin^®
inflammation.
239
immédiat de la plaie, et dont les nuances vont graduellement
en s’effaçant de ce point central vers une périphérie indéter¬
minée, mais qui est d’autant plus étendue que Faction de la
cause vulnérante a été plus violente.
De concert avec la rougeur, se manifeste la douleur qui lui
est généralement proportionnelle, et qui se caractérise, chez
l’animal, par des signes non douteux, lorsque l’on procède à
l’exploration de la partie blessée. Il fuit les attouchements, cher¬
che à s’y dérober et souvent même il tâche à les prévenir en
attaquant les personnes qui font mine de vouloir le toucher, ou
même seulement qui s’approchent de lui. Le cheval étant géné¬
ralement muet sous la douleur, n’exprime pas d’ordinaire ses
souffrances par des cris ; mais il n’en est pas de même du chien,
et Fon sait combien sont bruyants ses cris et ses hurlements,
lorsqu’on vient à exagérer, par une pression, la douleur qu’il
ressent sur une partie enflammée.
Dans tous les animaux, les attitudes de cette partie et, sui¬
vant les régions, les mouvements qui lui sont imprimés, et par
lesquels s’expriment les lancinations perçues, sont caractéris¬
tiques de la douleur et permettent, pour ainsi dire, à l’observa¬
teur de la mesurer.
La chaleur accrue de la partie blessée marche toujours de
pair avec ces deux premiers phénomènes : chaleur perceptible
à la main d’une manière sensible, perceptible encore plus pour
le malade qui, dans notre espèce, en accuse la sensation et sait
en distinguer les modes, mais que le thermomètre n’indique
pas aussi considérable que semblait l’impliquer cette sensation
donnée à la main de l’observateur ou perçue par le malade lui-
même. Toutefois, une expérience célèbre de Hunter a mis hors
de doute que, dans une partie enflammée, les conditions du
développement de la chaleur locale étaient augmentées, car
«ette partie n’est plus susceptible de se congeler au degré de
froid qui avait déterminé sa congélation avant qu’elle fût en¬
flammée. C’est ce que Hunter a très-ingénieusement démon¬
tré sur l’oreille du lapin. Quand cet organe a été congelé et
Çae l’inflammation s’y est développée consécutivement, exposé
seconde fois à Faction du froid, et dans la même mesure et
pendant le même temps, il y résiste alors et ne subit plus une
^congélation nouvelle : preuve évidente que la chaleur qu’il dé¬
veloppe est plus considérable dans l’état inflammatoire que
<taûs l’état physiologique.
Enfin, tout autour de l’endroit où a porté Faction vulnérante,
240
INFLAMMATION.
une augmentation du volume des parties se manifeste; elles se
gonflent, se tuméfient, proportionnellement aux phénomènes
de rougeur, de douleur et de chaleur, car ces quatre symptômes
que l’on a appelés les symptômes cardinaux de l’inflammation*
procédant d’une même cause, — dans le cas particulier, de la
cause Yulnérante que nous ayons supposée,— se proportionnent
au mode et à l’intensité de son action, et l’expriment, chacun
à sa manière, par des caractères dont l’intensité est en rapport
avec celle de la cause elle-même.
Tels sont les quatre faits , ruhor, calor, dolor, tumor, que
l’on peut appeler extérieurs, par lesquels l’inflammation se ca¬
ractérise. En même temps qu’ils se manifestent, d’autres aussi
se produisent dans la trame des tissus, dont l’étude sera faite
dans la seconde partie de ce chapitre, et sur lesquels consé¬
quemment • nous n’ayons pas à insister ici. Mais il en est un,
cependant, que nous deyons signaler, parce qu’il fait partie de
ces phénomènes tout extérieurs, dont on peut suivre de l’œil
révolution, et qui servent à caractériser l’inflammation chirur¬
gicale, en même temps qu’à en faire comprendre la signification
physiologique : nous voulons parler de l’exsudation qui s’opère,
à la surface et dans la trame des tissus blessés, de ce liquide,
que l’on appelait autrefois lymphe coagulable ou lymphe plas¬
tique, et qui sera considéré, dans le paragraphe de l’histologie,
sous le nom de blastème qu’on lui donne aujourd’hui. Cette
lymphe plastique, quand les deux côtés d’une solution de con¬
tinuité ont été immédiatement affrontés et maintenus en rap¬
port l’un avec l’autre, s’interpose entre eux-, et devient le moyen
physique d’abord, et physiologique ensuite, du rétablissement
de leur continuité, par un mécanisme dont l’étude sera faite à
l’article Plaie. Nous nous bornons donc ici à cette simple indi¬
cation, Mais nous insisterons davantage sur les phénomènes
qui se passent sous l’œil de l’observateur, lorsque les tissus
blessés restent exposés, c’est-à-dire que les plaies demeurent ou¬
vertes ou, ce qui revient au même, qu’un obstacle local ou pro¬
cédant de l’organisme lui-même s’oppose à leur fermeture im¬
médiate. Que se passe-t-il dans ce cas?
Voici les faits que l’on voit successivement se produire : à
l’écoulement sanguin, plus ou moins abondant, qui a été l’effet
irnmédiat de la blessure, succède un suintement de sérosité ci-
trine, qui lubrifie les tissus, comme fait le mucus à la surface
des membranes qui le sécrètent et leur sert de premier revête¬
ment. Le flux de cette sérosité, d’abord assez considérable, di-
INFLAMMATION.
241
minne peu à peu, et l’action de l’air, en la desséchant, la trans¬
forme en une croûte demi-solide qui recouvre les tissus exposés,
et forme à leur surface un plastron, dans une certaine mesure,
protecteur.
Sous cette croûte, plus ou moins adhérente, suivant les espè¬
ces et les organismes, un autre fait s’est produit : c’est la for¬
mation, à la surface de ces tissus mis à nu, d’une espèce de
tapétum, constitué par une matière condensée d’une couleur
jaunâtre qui, sortie de la trame des tissus et étalée à leur sur¬
face, fait corps avec eux, agglutine toutes leurs parties et fait
disparaître leur couleur sous sa teinte uniforme. Cette matière
n’est autre que la lymphe plastique, exsudée de la trame des
parties, et disposée, par-dessus elles, en une couche extérieure,
d’apparence membraneuse. Mais cette couche plastique, véri¬
table fausse-membrane, de la même nature que celles qui sont
exsudées par une séreuse enflammée, ne reste pas longtemps
sous ce premier état : à peine formée elle semble se vasculariser,
et l’on peut voir, à l’œil nu, des arborisations se dessiner à la
surface de la plaie, et transformer rapidement sa teinte jaune
primitive en une couleur rosée, qui se fonce rapidement. Enfin,
en même temps que la surface de la plaie se vascularisé, elle
devient le siège d’une sorte d’éruption de petits bourgeons, d’une
teinte rouge vif, qui, d’abord très- discrets, disséminés çà et là, se
multiplient rapidement, deviennent confluents, et finissent par
recouvrir toute la surface exposée, sur laquelle ils forment un
revêtement granuleux, qui a quelque analogie d’apparence et
même de fonction avec les membranes muqueuses, et remplit
l’office d’un tégument provisoire, protecteur des parties privées
de leur tégument naturel, jusqu’à ce que celui-ci se soit recon¬
stitué.
Ce tapétum granuleux, qui n’a d’une membrane que les ap-
• parences, car il fait corps avec les tissus qu’il recouvre, et ne
saurait en être désuni, constitue une sorte d’appareil sécréteur;
il sépare, en effet, incessamment, du sang, ce liquide jaunâtre,
pins ou moins épais, suivant les espèces et les conditions
organiques, que l’on appelle pus et qui semble être, pour
cette sorte de fausse muqueuse que forme l’assemblage des
bourgeon^ charnus, ce que le mucus est aux muquebses véri¬
tables.
Nous ne suivrons pas plus loin ici le travail de la cicatrisa-
tton, qui sera étudiée, au chapitre des Plaies, avec tous les dé¬
tails qu’il comporte; il nous suffit des faits que nous venons
X.
242
INFLAMMATION.
d’exposer, pour le but que nous nous proposons actuellement.
Considérée au point de xue exclusif du traumatisme, où
nous nous sommes placé tout exprès pour la simplification des
choses, l’inflammation est donc caractérisée, tout à la fois, et
par ses quatre symptômes extérieurs , les symptômes cardi¬
naux, ruôor, calor, dohr, tumor, et par la formation, dans la
trame et à la surface des tissus exposés, d’une matière orga-
nisable. Voilà l’inflammation telle qu’on peut l’observer, dans
l’évolution de ses phénomènes, sans l’intermédiaire d’instru¬
ments grossissants.
Que si, maintenant, pour bien nous rendre compte de sa signi¬
fication physiologique, nous considérons les modifications qui se
produisent dans son expression symptomatique extérieure, à me¬
sure que se constitue et s’achève le travail cicatriciel, dont nous
venons d’esquisser les différentes phases, voici les faits tels qu’ils
se succèdent : La rougeur, la chaleur, la douleur etlatuméfac-
ion revêtent leur caractère de plus haute intensité à la fin du
premier jour et dans la durée du second, après l’action trauma¬
tique ; c’est-à-dire dans la période de temps où lès tissus mis à
nu sont plus immédiatement exposés. Mais à mesure que s’effec¬
tuent, à la surface de la plaie, les suintements, les exsudations
et les organisations qui s’y produisent ; à mesure que se con¬
stitue et s’achève cette sorte de tégument provisoire, que re¬
présente la membrane des bourgeons charnus, encore appelée
pyogénique à cause du pus qu’elle sécrète, on voit décroître,
proportionnellement, les premiers symptômes, dits inflamma¬
toires. La rougeur s’atténue, ainsi que la chaleur; en même
temps la tuméfaction s’affaisse, et la douleur décroît graduelle¬
ment, et dans une mesure si étroitement corrélative aux pro¬
grès du travail cicatriciel, qu’elle est, pour le chirurgien, le
signe infaillible de la régularité de la cicatrisation ou des em¬
pêchements qui lui sont opposés. Lorsque, par exemple, à la
suite d’une opération pratiquée sur la région du pied du cheval,
on voit, dans les jours consécutifs, l’appui s’affirmer graduel¬
lement et dénoter ainsi la décroissance de la douleur, on peut
avoir la certitude que le travail cicatriciel s’effectue régulière¬
ment, ou, en d’autres termes, que le tapétum bourgeonneux
s’est constitué uniformément à la surface de tous les tissus mis
à nu, les os et les tissus fibreux, aussi bien que les parties mol¬
les. Tandis qu’au contraire, lorsque l’appui reste hésité, après
le temps écoulé où ce travail devrait être achevé, on peut ep in*
duire, sans crainte d’erreur, qu’il existe dans la plaie des non-
INFLAMJIATION. 243
Citions de complications ou tout au moins d’empêchement
actuel à ce que la cicatrice puisse se faire.
Il semble, après ces faits, que ce que l’on appelle l’inflamma¬
tion n’est pas autre chose qu’un mode de manifestation de la
fonction nutritive des parties ; et que, de même que les tissus
font leur propre substance dans l’état physiologique, de la même
manière aussi ils la réparent, lorsqu’ils ont subi l’action d’une
cause qui en a interrompu la continuité, comme il arrive dans
le traumatisme, sous toutes ses formes.
Le chirurgien a toujours à compter avec l’açtion inflamma¬
toire, soit qu’elle constitue essentiellement la maladie pour
laquelle son intervention est nécessaire, comme dans le cas
d’abcès, de furoncles, d’étranglement d’organes par des aponé¬
vroses etc., etc.; soit qu’intervenant fatalement, après l’action
opératoire, ou bien elle ne se développe que dans une juste me¬
sure, ou bien il faille ou la contenir, ou l’exciter, ou la mo¬
difier, ou la solliciter, et dans tous les cas, la surveiller et in¬
terroger ses manifestations. Tantôt, en effet, l’inflammation
s’effectue dans de telles conditions de mesure et de participation
simultanée de tous les tissus intéressés dans une plaie, qu’elle
constitue un acte franchement réparateur ; comme, par exem¬
ple, à la suite de l’extirpation du cartilage du pied, chez le
cheval, lorsque tous les tissus, os, ligament, tissu cellulaire,'
tégument, concourent en même temps au travail de la cicatri¬
sation, et malgré la différence de leur structure, se recouvrent,
dans un temps très-court, du tapétum des bourgeons charnus.
Tantôt, au contraire, elle est insuffisante, et tous les tissus ne
subissant pas, au même degré et dans le même temps, les mo¬
difications intérieures nécessaires à la production des éléments
réparateurs, il peut arriver, il arrive trop souvent que les plus
lents dans ces actes perdent leur vitalité. Alors ils se morti¬
fient, et, loin de concourir au travail cicatriciel, ils y devien¬
nent un obstacle, par leur seule présence, car ils constituent
alors des corps étrangers, dont l’élimination est nécessaire pour
fine le travail réparateur puisse s’achever, quand il est encore
possible. Les maux de nuque, d’encolure et de garrot, les diffé¬
rentes fistules, entretenues par des nécroses de tendons, d’os,
fie ligaments ou de cartilages, sont des exemples de l’insuffi¬
sance du travail réparateur et des empêchements qui lui sont
opposés, à la suite de certains traumatismes, par la modifica-
tnm de parties dans lesquelles l’évolution de l’inflammation a
été trop lente à se produire.
244
INFLAMMATION.
Enfin, l’inflammation peut être excessive ; au lieu de rester
confinée dans l’endroit même où s’est exercée sa cause déter¬
minante, il arrive trop souvent gü’elle en déborde, irradie de ce
point central vers une périphérie très-étendue, gagne également
en profondeur et entraîne à sa suite la mortification des parties,
qui peuvent même se putréfier sur place, et d’autant plus vite,
qu’elles sont davantage infiltrées des liquides dont 1-état inflam--
matoire a déterminé l’afflux ou la séparation dans la trame
organique. ' ..
D’où il ressort, en définitive, que si l’inflammation est sou¬
vent réparatrice des lésions déterminées par le traumatisme,
elle peut aussi être insuffisante à ce rôle et que, dans quelques
cas même, loin*de le remplir, elle devient par son excès une con¬
dition de la désorganisation des parties. Ce qui revient à dire-
que les tissus vivants, par cela même qu’ils se nourrissent, ont la.
propriété, dans une certaine, limite, de réparer les lésions qu’ils
ont subies, mais que le mouvement intérieur qui se produit en
eux, sous l’influence de la cause de ces lésions, peut, dans de
certains cas, qui ne sont pas toujours faciles à déterminer,
donner lieu à la destruction des parties au lieu d’être la con¬
dition de leur réparation. Par quel mécanisme ces deux phéno¬
mènes opposés peuvent-ils se produire 2 c’est ce qui sera dit au
chapitre de l’histologie.
B. Phénomènes de l’inflammation dans les organes internes.—
Maintenant y a-tril une différence essentielle entre les phéno¬
mènes inflammatoires qui se manifestent à l’extérieur, sous
l’influence de causes bien connues, telles que le traumatisme,
l’action des caustiques, les violentes contusions, les froissements,
les frottements, tout ce qu’on appelle enfin les causes irritantes,
et ces mêmes phénomènes lorsqu’ils ont pour siège les organes ,
intérieurs comme les muqueuses intestinale du respiratoire,
comme les poumons ou les membranes séreuses? Si l’on con¬
sidère l’inflammation dans ces organes, en se plaçant d’abord
au point de vue des faits objectifs, tels que l’œil peut les saisir, ,
on voit qu’elle s’y caractérise par les mêmes manifestations:,
la rougeur d’abord, si caractérisée sur les muqueuses ; la dou-
leur^ qui -varie sui-vant la structure des organes enflammés et
qui, chose remarquable, devient souvent excessive dans les^
organes dont la sensibilité physiologique est très-obtuse, comme
la plèvre, le péritoine, les synoviales, les appareils fibreux; le
chaleur, dont on peut avoir la mesure par les sensations,
perçues, et aussi par le thermomètre, lorsqu’on explore des
INFLAilMATION. 24S
cavités, telles que le rectum, le vagin, ou même la bouche, dont
les muqueuses sont le siège d’une inflammation; enfin la
tuméfaction, qui est la caractéristique aussi, et même souvent
dans des proportions excessives, de l’état inflammatoire des
organes intérieurs. Le gonflement des muqueuses détermine
communément le rétrécissement et, dans quelques ;cas même,
l’obstruction complète des cavités ou des canaux qu’elles tapis¬
sent. Le poumon enflammé augmente de volume, autant que le
lui permettent les dimensions de la cavité qui le contient; de
même les ganglions. Les séreuses s’épaississent, non pas seu¬
lement par l’addition de couches nouvelles à leur surface, m^is
par leur infiltration interstitielle.
Les quatre symptômes^ cardinaux de l’inflammation se
retrouvent donc partout, aussi bien dans les tissus intérieurs ,
que dans ceux qui constituent les appareils extérieurs.
L’inflammation se caractérise également dans ces tissus
intérieurs par des phénomènes d’exsudation et de sécrétion,
soit à leur surface, soit dans les interstices ^de leur trame. Les
séréuses enflammées se recouvrent, presque toujours, d’un
exsudât de matière plastique, qui s’y concrète sous la forme
d’une couche naembraneuse, plus ou moins adhérente à leur
surface, et susceptible de faire corps ultérieurement avec elles
en s’y organisant. Dans quelques cas, l’inflammation de ces
membranes les transforme même en appareils pyogéniques,
c’est-à-dire qu’au lieu de séparer de leur substance une lymphe
brganisable, c’est un liquide purulent qu’elles en laissent
sourdre.
Les muqueuses enflammées se recouvrent aussi, mais plus
rarement que les séreuses, d’une couche de matière coagula¬
ble, qui se dispose à leur surface sous la forme de membranes,
dont l’épaisseur, en obstruant le canal qu’elles tapissent, cons¬
titue une condition de la gravité suprême des maladies inflam¬
matoires qui se traduisent par cette production accidentelle :
tel est le croup des jeunes animaux, telle encore l’entérite dite
couenneuse, que nos anciens désignaient sous le nom de gras-
fondure. Mais l’inflammation des muqueuses donne lieu plus
souvent à une sécrétion muco-purulente, qui s’effectue à leur
surface, comme à celle de la faùsse muqueuse que représente
ta membrane des bourgeons charnus, et semble être une con-
.tion du retour du tissu enflammé à ses conditions physiolo¬
giques de volume et de fonction; on constate, en effet, qu’à
mesure que s’opère cette sécrétion anormale, la turgescence de
246
INFLAMMATION,
la muqueuse décroît, la douleur dont elle était le siège s’atténue
et que la cavité intérieure, dont cette membrane forme le
revêtement, récupère ses dimensions physiologiques.
Dans les organes dits parenchymateux, tels que le poumon
les appareils glandulaires, les ganglions, l’exsudation interstil
tielle, qui fait suite à l’inflammation, se traduit par une aug¬
mentation considérable de leur volume et surtout de leur poids.
Quelle différence, par exemple, à ce dernier point de vue, entre
le poumon physiologique et celui qui a été transformé par l’in-
flammation, comme c’est le cas dans la péripneumonie conta¬
gieuse des bêtes à cornes, où un seul poumon peut peser jusqu’à
trente et quarante livres ! Dans le cas où l’inflammation est
excessive, ou procède dé causes spéciales ou spécifiques, comme
dans la gourme, dans la morve aiguë, dans l’infection puru¬
lente, ce ne sont pas seulement des matières organisables qui
transsudent de la trame enflammée ; la sécrétion interstitielle,
devenue morbide, peut donner lieu à la formation du pus,
comme à la surface d’une plaie exposée, et alors se constituent,
dans la trame pulmonaire, des collections purulentes, plus ou
moins nombreuses et volumineuses, suivant les conditions orga¬
niques dans lesquelles elles se forment.
Enfin, l’inflammation des parenchymes, comme celle des
muqueuses, et voire même celle des séreuses, mais beaucoup
plus rarement, peut donner lieu à des phénomènes de' mortifi¬
cation, ou autrement dit à des accidents gangréneux, plus ou
moins étendus, dont les conditions mécaniques seront exposées
au chapitre de l’histologie.
Identité des symptômes et des évolutions entre l’inflammation
qu’on voit se produire extérieurement, sous l’influence de
causes déterminées, parfaitement saisissables, et l’inflammation
qui envahit les organes intérieurs, voilà ce qui résulte de l’étude
des faits. La différence entre les phénomènes n’existe que dans
le mode d’action des causes qui les déterminent.
G. Etiologie de l’inflammation. — Dans un grand nombre de
cas, où l’inflammation a son siège à l’extérieur, on peut la rat¬
tacher à des causes directes et la voir se proportionner, dans
ses manifestations, à l’intensité d’action de cette cause- Pas
toujours cependant. Il y a des cas où la cause la plus légère en
apparence donne lieu aux manifestations phénoméniques les
plus extrêmes, tandis que, inversement, des causes d’une grande
violence ne sont pas suivies d.’ effets proportionnés : cela dépend
de l’état de l’organisme sur lequel ces causes exercent lenT
. INFLAMMATION.
247
action. L’opération de la castration, par exemple, pratiquée sur
un cheval de sang n’amène souvent à sa suite presque aucun
phénomène de turgescence et la cicatrisation s’effectue avec la
plus parfaite régularité et dans ün temps très-rapide ; tandis que
exécutée par le même opérateur, avec la même habileté et
suivant le même mode, sur un cheval commun, qui aura été
soumis à un régime alimentaire moins tonique, cette même
opération donne lieu souvent à des engorgements excessifs qui
peuvent se compliquer d’accidents de putridité et de gangrène.
Il y a donc à prendre en considération, dans l’étiologie de l’m-
flammation, et la cause elle-même et l’organisme sur lequel elle
agit; et cela, aussi bien pour les inflammations extérieures que
pour celles qui ont leur siège dans les organes internes, et qui
naissent sans qu’on puisse bien saisir, dans le plus grand
nombre des cas, le rapport qui existe entre leur manifestation
et la circonstance à laquelle on croit pouvoir les rattacher,
comme à leur cause.
L’observation témoigne, par exemple, que l’action du froid,
s’exerçant sur la peau en moiteur, est suivie communément de
phénomènes inflammatoires sur les muqueuses, les séreuses,
ouïes parenchymes. La succession entre ces faits, le froid d’une
part, l’inflammation d’un organe interne de l’autre, se produit
trop fréquemment pour que, de tout temps, on n’ait pas été
conduit à établir entre eux un rapport de causalité. Point de
doute possible à cet égard ; le froid agissant sur la peau en
moiteur, encore plus qu’en sueur, peut donner naissance à des
angines, à des pneumonies, à des pleurésies, ou encore à des
entérites. Mais quel rapport y a-t-il entre cette condition, que
nous sommes bien en droit de considérer comme causale, et ses
effets? Question encore insoluble, parce que l’étude chimique
du sang, dans les différents états précurseurs des manifestations
morbides, n’est pas encore suffisamment faite.
Il est difficile de se satisfaire aujourd’hui, pour expliquer les
pneumonies et les pleurésies consécutives à l’action du froid
sur la peau, de la théorie de la répercussion ou de l’interpré¬
tation des faits par les sympathies, voire même par les actions
Téflexes. — Que, sous l’impression du froid, un reflux s’opère
de la peau vers les. organes intérieurs, et que leur appareil vas¬
culaire se trouve, par ce fait, dans un plus grand état de pléni¬
tude : cela se conçoit. Mais pourquoi l’inflammation résulte-
t-elle de cet afflux tout accidentel et tout provisoire? Evidem-
tûent la théorie ici ne peut rien dire qui soit satisfaisant et elle
248
INFLAMMATION.
se trouve impuissante parce qu’elle ne possède pas l’une des
données essentielles du problème, à savoir : l’état de composition
du sang immédiatement après l’action répercussive du froid sur
la peau. Si nous croyons devoir insister tout particulièrement
sur cette circonstance, c’est que, dans un certain nombre de
cas, parfaitement déterminés, les inflammations internes peu¬
vent être très-nettement rattachées à une modalité particulière
du sang, qui porte vers les parties, où le mouvement inflamma¬
toire se déclare, l’agent matériel d’où ce mouvement procède.
Ainsi l’infection mercurielle donne lieu à un gingivite, qui en
est symptomatique; le principe actif des cantharides, absorbé par
la peau, détermine l’inflammation de la vessie ; l’aloës injecté
dans les veines du cheval, traduit ses effets par une diarrhée,
qui n’est elle-même que la conséquence de l’inflammation de
la muqueuse du gros côlon ; de même l'émétique.
Le mode d’action des agents virulents est analogue; quand ils
ont repullulé dans l’organisme, ils vont traduire eux aussi leurs
effets par des actions inflammatoires particulières à chacun
d’eux : le virus varioleux détermine sur la peau l’inflammation
à forme pustuleuse, et, dans les cas graves, des complications
pulmonaires, sous la forme d’ahcès dits métastatiques. L’action
propre du virus de la morve s’exprime plus spécialement par
l'inflammation ulcéreuse de la pituitaire, souvent aussi de
l’appareil lymphatique général et par la formation, dans les
poumons, d’abcès métastatiques disséminés. L’inflammation en
masse du poumon et de son enveloppe est l’expression de l’in¬
fection du sang par le virus péripneumonique, lorsque la
contagion de la maladie s’est opérée par le mode naturel,
c’est-à-dire par la cohabitation des animaux. La sérosité pulmo¬
naire possède, en effet, de telles propriétés irritantes, quidépen-
. dent de son état virulent, dans cette maladie, que lorsqu’on
l’inocule dans des régions où le tissu cellulaire est lâche, elle
détermine le développement de tumeurs inflammatoires exces¬
sives par leur volume, qui deviennent rapidement gangré¬
neuses. C’est sur l’appareil gastro-intestinal que le virus de la
peste bovine porte plus spécialement son action. Et ainsi de
suite pour chaque virus considéré en particulier.
Tous ces faits donnent la démonstration qu’un certain nom¬
bre des inflammations, dites de cause interne, procèdent de
l’état du sang, ou plutôt des agents qu’il recèle, dont l’action
stimulante met en jeu l’activité nutritive des tissus et déter¬
mine à leur surface ou dans leur trame des exsudations et des
INFLAMMATION.
249
s&rétions, de la même manière et pçir le même mécanisme
organique que lorsque cette activité est sollicitée par un agent
physique, tel que l’instrument tranchant, le feu ou les causti¬
ques. Dans l’un ou l’autre de ces cas, le processus inflamma¬
toire reste le même ; ce qui varie, c’est la nature de la cause
qui le détermine.
Si les inflammations dites de cause interne, que nous venons
d’énumérer, ont leur condition originelle, manifestement, dans
l’état du sang, puisqu’on peut produire expérimentalement un
certain nombre d’entre elles, en constituant le sang dans la
condition voulue pour cela, on peut inférer, ce nous semble,
de la manière dont elles se produisent, que les autres inflamma¬
tions de cause interne, comme celles, par exemple, que déter¬
mine l’action répercussive du froid sur la peau, se rattachent
aussi à une modalité particulière du sang qui reste à détermi¬
ner, et que, dans tous les cas, conséquemment, le mouvement
inflammatoire, que l’on appelle de cause interne, a sa raison
dans un stimulus spécial,- auquel le sang sert de véhicule et
qui agit au point même où ce mouvement se manifeste.
' D’où cette conclusion générale que l’inflammation, quel que
soit son siège et quelles aussi les circonstances dans lesquelles
elle se manifeste, est toujours l’expression d’une action irri¬
tante locale ou localisée, qui met en Jeu, au point où elle
s’exerce, l’activité nutritive des parties et, suivant rmtensité de
la cause irritante et les conditions organiques actuelles, déter¬
mine, à leur surface ou dans leur trame, la production soit de
matières organisables, soit de matières purulentes.
D. Variétés de l’inflammation. — On distingue, dans l’in¬
flammation, deux types principaux : le type aigu et le type
ironique, dont la caractéristique est tirée de l’évolution plus
on moins rapide des phénomènes.
Dans l’inflammation aiguë, les symptômes cardinaux sont
très-accusés, les productions morbides, plastiquesoupurulentes,
se forment rapidement, et il faut peu de jours pour que l’état
morbide, que l’inflammation constitue, ait parcouru toutes ses
périodes. Quand le mouvement inflammatoire s’effectue avec
■une très-grande rapidité, l’inflammation est dite sur-aiguë; elle
«St suh-aiguë, au contraire, lorsque la marche des phénomènes
^st plus lente. Ce sont là des nuances difficiles à bien marquer,
mais que l’on saisit facilement dans la pratique des choses.
Dans l’inflammation chronique, les symptômes de rougeur,
ue chaleur et de douleur sont bien moins accusés que dans
250
INFLAMMATION.
l’inflammation aiguë, tandis qu’au contraire, la tuméfaction,
avec augmentation de la consistance des tissus est ordinaire¬
ment exagérée, et même dans des proportions excessives. L’état
morbide, dans ce cas, a une tendance à devenir définitif ^
lorsqu’il s’accompagne de sécrétions anormales, comme c’est le
cas pour les muqueuses, ces sécrétions sont souvent des plu§
rebelles à tarir, en raison des modifications organiques pro¬
fondes qu’ont éprouvées les tissus dont elles procèdent. L’in¬
flammation peut s’établir d’emblée sous le type chronique; mais
dans la plupart des cas, elle n’est que la conséquence d’une
inflammation aiguë, qui a déterminé dans les parties de telles
modifications de structure, qu’elles ne peuvent plus revenir
spontanément à leurs conditions physiologiques, et qu’elles
continuent leurs sécrétions anormales. Souvent aussi l’in¬
flammation chronique a la cause de sa durée dans la persis¬
tance d’une action irritante locale, qui l’entretient incessamment.
Tel est le cas d’un-corps étranger, restant à demeure dans la
profondeur des parties, et déterminant incessamment, autour
de lui, le mouvement fluxionnaire et l’activité sécrétoire des
tissus.. Les fistules, qui sont un des modes d’expression de l’in¬
flammation chronique extérieure, n'ont pas d’autre cause que
ce stimulus permanent, qu’il soit constitué par un corps étran¬
ger venu du dehors, ou par une partie organique mortifiée,
libre ou encore adhérente, qui en remplit l’office^ (Voy. Fis¬
tules.)
Au point de vue des causes qui sont susceptibles de les engen?
drer, les inflammations sont distinguées en inflammations
simples et en inflammations spécifiques.
On donne le nom d’inflammations simples à celles qui, déter¬
minées par des irritants ordinaires, tels que le traumatisme, les
contusions, les frictions, les corps inertes, ou encore indirecte¬
ment par des causes banales, telles que l’action répercussive
du froid, ne présentent, dans leur mode d’expression, aucuD
caractère distinctif qui puisse les faire différencier les unes
des autres, et permettre, une fois qu’elles sont établies, de les
attribuer à une cause exclusive et toujours la même.
Les inflammations spécifiques ont, au contraire, ce caractère
particulier que, généralement, elles portent, pour ainsi dire,
1 empreinte de leur cause, qui leur donne une forme déterminé
et constante, que l’on peut considérer comme un attribut
à les spécifier y c’est-à-dire à les constituer à l’état d’espèc®^
distinctes. Ainsi, par exemple, l’inflammation du téghm^D-L
INFLAMMATION.
2S1
dans la variole, la clavelée ou le horse-pox, a des caractères
tellement distincts et tellement constants que, lorsqu’on les
toit, on sait immédiatement ce qu’ils expriment, et qu’il est
possible de rattacher avec certitude cette forme de l’inflamma¬
tion cutanée à la cause exclusive dont elle procède, c’est-à-dire
au virus propre à l’une ou à l’autre de ces maladies. De même
pour celui de la morve, marquant son empreinte sur la mu¬
queuse nasale; de même encore pour celui des maladies
diphthéritiques, qui donnent lieu à des exsudations spéciales
des membranes muqueuses. Dans ces différents cas, on peut
remonter facilement des caractères particuliers de l’inflamma¬
tion localisée à sa cause déterminante. Mais il n’en est pas
toujours ainsi : Il y a des cas où l’inflammation localisée, bien
que procédant d’une cause spécifique, c’est-à-dire d’une cause
donnant lieu toujours aux mêmes effets, dans des lieux déter¬
minés, ne diffère pas, cependant, par sa forme, des inflamma¬
tions produites par des causes ordinaires : ainsi l’inflammation
pulmonaire, qui procède d’une infection virulente, comme
celle de la péripneumonie contagieuse, ne diffère pas, objec¬
tivement, de l’inflammation pulmonaire déterminée par des
causes ordinaires. L’entérite, qui est l’expression de la peste
bovine, n’a, dans un grand nombre de cas, rien qui la particu¬
larise et permette, à l’autopsie, d’affirmer sa cause, d’après ses
ap})arences. La gourme du cheval, quand elle n’est pas carac¬
térisée par l’éruption du horse-pox, n’a rien aussi de particulier
dans son mode inflammatoire d’expression. Cependant ces
inflammations sont bien d’essence spécifique, car l’inoculation
de leurs produits donne lieu à la répétition, sur les organismes
inoculés, d’inflammations, par lesquelles s’expriment, soit sur
place, soit à distance et dans des lieux particuliers d’élection,
la transmission de la maladie dont ces produits recélaient le
germe. D’où il faut conclure que la spécificité de l’inflammation
se caractérise de deux manières : par sa forme, qui est très-
nettement déterminée et constante, dans un certain nombre de
cas; etparles propriétés virulentes, inhérentes à ses produits. Ces
deux caractères sont réunis dans les maladies éruptives, qui
sont spécifiées, tout à la fois, par la forme de l’inflammation qui
las exprime et par les qualités virulentes des produits inflamma-
teires. Mais, pour un autre groupe des maladies spécifiques, la
forme de l’inflammation n’a rien qui les particularise ; ce sont
las propriétés virulentes des produits sécrétés qui, seules, leur
donnent leur caractère.
2o2
INFLAMMATION.
Que les inflamniations soient simples ou spécifiques, il y ^
lieu d’établir encore entre elles des variétés, suivant la manière
dont s’opère leur évolution. On a l’habitude de dire qu’une
inflammation est franche, lorsque les matières, exsudées dans
la trame des tissus, s’organisent rapidement et sont rapidement
résorbées, ou bien encore, s’il s’agit de plaies exposées, lorsque
le tapétum des bourgeons charnus se constitue uniformément
et dans un bref délai, à la surface des parties auxquelles il doit
servir de revêtement. L’inflammation est, au contraire, de
mauvaise nature, comme on le dit dans la pratique, lorsque les
liquides sécrétés par les parties enflammées ne tendent pas
franchement à l’organisation, et qu’ils restent infiltrés dans les
tissus auxquels semblent manquer les conditions d’activité
nécessaires pour la formation d’éléments franchement orga-'
nisables. ^ '
E. Symptômes généraux de V inflammation.— L’inflammation,
quels que soient sa cause, son siège et sa forme, ne se carac¬
térise pas seulement par les symptômes locaux de rougeur, de
chaleur, de douleur, de tuméfaction et d’ exsudations super¬
ficielles ou profondes; elle donne lieu aussi à des manifestations
générales, plus ou moins accusées et intenses, suivant les
degrés des manifestations locales. C’est la douleur qui paraît
être la condition de cette irradiation; c’est elle qui, eh reten¬
tissant sur le système nerveux central, donne lieu, par action
réflexe, à l’accélération des mouvements du cœur et de la res¬
piration et à l’ensemble des symptômes que l’on désigué sous-
le nom de fièvre de réaction: tels que la tension et la force
du pouls, l’injection des muqueuses, les sueurs partielles, la
chaleur augmentée, la soif, les sécrétions . intérieures dimi¬
nuées, etc., etc.
Mais l’inflammation ne détermine pas seulement des pbéhO”
mènes généraux, procédant de l’action nerveuse ; elle produit
aussi, dans la composition du sang, des modifications très-
remarquables, qui se rattachent probablement à l’accélération
des mouvements respiratoires et circulatoires, et doivent être,
par cela même, considérées comme une conséquence indirecte
de la douleur inflammatoire. Ces modifications consistent dans
une augmentation très-accusée d’un des principes immédiats
du sang : la. fibrine. Hunter et d’autres auteurs, après lui, avaiefl
déjà signalé cette particularité si remarquable de l’état iiiflnm'
matoire; maisc est a MM. Andral etGavarret, qui s’associerch
plus tard Delafond, que revient le mérite d’en avoir donné la
INFLAMMATION.
2o3
(jefflonstration expérimentale sur l’homme et sur les animaux,
p’après leurs expériences très-multipliées, la proportion de
Alpine du sang, qui ne s’élève pas, dans l’état normal, à plus de
B parties sur i 000, peut atteindre jusqu’au chiffre de 9 à 1 0 dans
l’état inflammatoire et oscille généralement entre 6 et 8. Ces
résultats ont été contrôlés et vérifiés par MM. Becquerel et
Rodier, qui ont reconnu que la fibrine était toujours en excès
sur le chiffre normal, dans l’état pblegmasique, tandis qu’au
contraire, l’albumine et les sels alcalins étaient notablement
diminués. Si l’on considère, maintenant, que l’augmentation
de la fibrine est en rapport avec l’intensité des symptômes
locaux de l’inflammation et de la fièvre de réaction qui lui est
étroitement corrélative, et si l’on rapproche ce fait de celui que
M. Clément, chef de service fie chimie à l’école d’Aifort, a
constaté sur les chevaux d’expériences, dont le sang contient
toujours une proportion plus considérable de fibrine à la fin
d’une journée de souffrances qu’au commencement, on sera
conduit à admettre, avec cet auteur, que la fibrine du sang n’est
qu’un produit d’oxydation de son albumine, et que si elle
croît, dans l’état inflammatoire, c’est que l’inflammation, en
déterminant un mouvement plus accéléré du cœur et de l’appa¬
reil respiratoire, détermine dans tout l’appareil nutritif des
oxydations plus nombreuses ét plus intenses. Sans doute aussi
que l’animal, en état de fièvre de réaction, mangeant moins ou
même refusant toute nourriture, vit davantage de sa propre
substance, et oxyde plus d’albumine pour la production de sa
chaleur que si les aliments fournissaient au sang d’autres
principes combustibles. Quoi qu’il en soit des interprétations,
l’expérience moderne a consacré le fait, reconnu par l’observa¬
tion clinique, de la prédominance dans le sang de la fibrine,
dont la couenne était considérée autrefois comme l’expression
objective.
Une particularité très-remarquable de l’inflammation, no¬
tamment quand elle s’est établie sur une membrane séreuse,
0 est sa tendance à se reproduire sur des tissus du même ordre,
soit après avoir achevé son évolution complète sur le premier
^PPareil qu’elle a envahi, soit, au contraire, en se promenant
d un appareil à un autre, sans avoir de fixité suffisante, sur
im plutôt que sur l’autre, pour y parcourir toutes ses phases.
L interprétation de ce fait singulier est bien difficile à donner
les conditions actuelles de la science. L’identité de struc-
^6 des tissus successivement envahis, qui implique l’iden-
254
INFLAMMATION.
tité de leur mode de nutrition, est sans doute la condition or¬
ganique de leur susceptibilité inflammatoire, et il est admis¬
sible que le stimulus qui la met en jeu est dans le sang im,
même, modifié par l’inflammation. Mais quelle est cette mo¬
dification qui le rend apte à exercer plus particulièrement
sur le système séreux son action irritante ? C’est là une qnes-.
tion actuellement insoluble. Nous ne savons donc, en déft.
nitive, qu’une seule chose, c’est que lorsqu’une séreuse a été
envahie par une inflammation, il y a, dans ce fait, une condi¬
tion, dont les effets sont non pas constants mais possibles,
pour qu’une autre séreuse s’enflamme à son tour. Dans la
pathologie du cheval, par exemple, Bouley jeune a le premier
signalé l’apparition, assez fréquente encore, à la suite de l’in¬
flammation pleurale ou pleuro-pulmonaire, de synovites ten¬
dineuses, particulièrement dans les régions métacarpienne et
métatarsienne. Depuis, ce fait a été bien des fois observé, et
dans un plus grand nombre de régions, et ainsi s’est trouvée
confirmée, par la pathologie comparée, cette grande loi formulée
par M. Bouillaud, que le développement de l’inflammation dans
un des départements de l’appareil séreux peut être une condi¬
tion de la manifestation de l’inflammation dans un autre dépar¬
tement de cet appareil.
_ Dans l’espèce humaine, les furoncles qui, si souvent, se succè¬
dent avec une obstination désespérante constituent sans doute
un phénomène du même ordre ; et peut-être en est-il de même
de ces abcès gourmeux, qui se multiplient souvent avec une si
grande profusion, dès qu’un premier abcès a apparu.
F. Terminaisons de l’inflammation. — Lorsque l’inflammation
s’est établie dans une région, elle peut en disparaître avec une
grande soudaineté, sans laisser sa trace au point qu’elle occu¬
pait, sans reparaître ailleurs et sans que cette disparition donne
lieu, nulle part, à aucun trouble morbide. On donne le nom de
délitescence à ce phénomène, que l’on exprime encore en disant
que l’inflammation a avorté. Mais ce mode de terminaison n’est
possible que lorsque l’inflammation n’en est qu’à ses débuts et
que les tissus qu’elle a envahis ne sont pas encore le siège de
modifications organiques profondes.
La disparition brusque d’une inflammation ne s’opère pas
toujour-s d’une manière inoffensive, comme dans le cas de D
délitescence. Le plus souvent, au contraire, on la voit suivie
d’accidents graves, soit de nature inflammatoire, qui se maid'
testent ailleurs, soit d’un autre ordre et plus généraux,
inflammation.
255
quant l’altération générale du sang et son incompatibilité actuelle
avec la régularité des fonctions nutritives. Ces phénomènes, qui
péuvent-être consécutifs à la disparition brusque d’une inflam¬
mation du lieu où elle avait son siège, constituent ce que l’on
appelle les métastases. On les voit se produire dans les cas de
fièvre éruptive, comme la clavelée par exemple, lorsque, pour
une cause ou pour une autre, l’évolution de l’inflammation
pustuleuse de la peau se trouve tout à coup empêchée. Dans la
gourme encore des faits de cet ordre peuvent survenir. La dis¬
parition brusque d’une inflammation accidentelle, comme celle
d’un vésicatoire appliqué en grande surface dans un but de ré¬
vulsion, peut être également suivie d’accidents métastatiques
les plus graves. De même le tarissement de sécrétions inflam¬
matoires chroniques, comme celles des eaux-aux-jambes.
Quand l’inflammation est ce que l’on appelle franche et que
rien ne met obstacle à ce qu’elle suive son cours régulier, elle
s’éteint peu à peu ; graduellement les teintes rouges s’effacent,
la chaleur décroît, la sensibilité diminue, et les parties tuméfiées
tendent à récrupérer leur volume et leur consistance physiologi¬
ques. Si des phénomènes de suppuration sont intervenus, comme
dans le cas où des solutions de continuité n’ont pas pu se fermer
par adhésion primitive des parties, la sécrétion purulente di¬
minue en s’épaississant, à mesure que se rétrécit la surface qui
la produit. Si la suppuration s’est effectuée dans la trame même
des tissus, comme il arrive dans le cas de tumeurs phlegmo-
neuses extérieures, la matière formée, rassemblée dans une
seule poche, dont la cavité intérieure est revêtue par une sorte
de tapétum, constitué de la même manière que la membrane
des bourgeons charnus, se fraye une issue vers le dehors par
un mécanisme indiqué à l’article Abcès, et, une fois cette eva- ,
cuâtion opérée, la décroissance de tous les phénomènes inflam¬
matoires s’effectue rapidement, comme dans le cas où une plaie
suppurante marche franchement vers la cicatrice. Lorsque l’in¬
flammation décroît graduellement de la manière que nous iq-
*ions de dire, après avoir suivi une marche croissante, depuis le
moment où s’est exercée l’action de sa cause déterminante, jus-
^ à celui où, sous l’influence de l’irritation subie par les parties,
des exsudations de matières organisables se sont opérées à leur
^face et dans leur profondeur, on dit qu’elle s’est terminée
par résolution ; et de fait généralement, ou bien elle ne laisse
uucuûe trace dans les parties qu’elle a occupées, ou bien elle
d marque son empreinte, souvent définitive, que par les carac-
256
INFLAMMATION.
tères qui appartiennent aux tissus de nouxelle formation qui se
sont constituées sous son influence: tissus de cicatrice ou de
réparation interstitielle, qui suivant les systèmes organiques
intéressés, imitent plus ou moins, par leur structure et par
leurs propriétés, ceux dont ils occupent la place.
La résolution peut donc être considérée, d’une manière géné¬
rale, comme une terminaison heureuse de l’inflammation
même quand elle ne peut pas s’achever sans l’intervention d’un
travail de suppuration. Toutefois, à ce dernier égard, il y a à
faire une réserve : La suppuration, dans la trame des parties
peut, même quand elle procède de l’inflammation la plus fran¬
che, devenir une complication des plus graves, lorsque le pus
rassemblé en collection compromet, par sa présence, le fonc¬
tionnement d’organes essentiels, ou ne peut pas être évacué, en
raison de la profondeur de son siège, ou enfin ne trouve son
issue vers le dehors qu’après avoir déterminé, par sa présence,
les accidents locaux les plus graves et les accidents généraux
les plus alarmants. Ainsi, par exemple, l’inflammation très-
franche de la gourme peut donner lieu, dans les, poumons, à
des abcès que l’on peut appeler de bonne nature, en raison de
la qualité du pus qu’ils renferment, mais qui n’en sont pas
moins d’une gravité extrême par le seul fait de leur siège et
souvent aussi de leur étendue. Les abcès qui se forment, sous
l’influence de cette même diathèse gourmeuse, dans le tissu
cellulaire sous-cutané, n’ont généralement pas de gravité; mais
il en est tout autrement quand ils sont situés sous des aponé¬
vroses et qu’ils ne peuvent évoluer vers le dehors qu’après avoir
vaincu ou tourné leur résistance. D’où cette conclusion
que, quand bien même l’inflammation est de bonne nature et
tend à se terminer par une résolution franche, cependalnt la
considération du siège qu’elle occupe peut en faire une mala¬
die des plus graves et des plus compromettantes pour la vie de
l’animal.
L’inflammation peut se compliquer de phénomènes gangre¬
neux, dont la gravité est en rapport avec leur étendue et les
formes que la gangrène peut revêtir. L’histoire de la gangrèQ®
ayant été tracée dans un chapitre spécial {voy. ce mot),
n’avons pas à y revenir longuement ici : Il nous suffira de dire
que, lorsque les accidents gangréneux ne consistent que daûs
la modification de parties peu étendues, ils peuvent être sans
gravité, si ces parties ne remplissent pas de fonctions esseU'
tielles. La considération de l’importance du rôle de l’orgaû®
INFLÂSIMATION.
257
est, en effet, prédominante, car une lésion gangréneuse, même
très-circonscrite, peut, en pareil cas, être un accident mortel :
témoin la nécrose du ligament latéral antérieur de l’articula¬
tion du pied , venant compliquer l’inflammation consécutive à
l’opération du javart cartilagineux. Mais hors ces cas, le peu
d’étendue de la gangrène en réduit beaucoup la gravité. Géné¬
ralement, en effet, les parties mortifiées sont séparées des parties
saines par l’interposition entre elles de bourgeons ■ charnus,
dont celles-ci se revêtent, à mesure que la mortification affai¬
blit et détruit la ténacité des tissus dont elle s’est emparée.
Mais lorsqu’à la suite d’un mouvement inflammatoire très-
intense, la condition s’est trouvée réalisée pour que la vie s’é¬
teigne dans une grande étendue des tissus envahis, cette com¬
plication de l’inflammation est des plus graves, non- seulement
en raison des lésions locales irrémédiables qu’elle implique,
mais à cause aussi des phénomènes généraux qu’une grande
mortification locale entraîne fatalement: phénomènes d’ordre
nerveux d’abord que détermine la douleur extrême qui précède
toujours la manifestation de la gangrène par excès d’inflamma¬
tion; et phénomènes d’infection putride, conséquence de la
décomposition des parties dont la mortification s’est emparée.
Rien de grave donc comme les accidents gangréneux que l’in¬
flammation est susceptible de déterminer,.lorsque ces accidents
ont de grandes proportions, surtout si la gangrène est ce que
l’on appelle Aumide, fait le plus ordinaire, et se complique, par
cela même, de phénomènes de putridité. La putréfaction est, en
effet, une condition des plus considérables de l’aggravation des
accidents gangréneux : condition telle que si elle vient à man¬
quer il devient possible que des gangrènes, même très-étendues,
restent compatibles avec la conservation de la vie, et cela, alors
même qu’elles ont leur siège dans les organes les plus impor¬
tants : témoin ce que l’on observe, si communément, dans la
péripneumonie contagieuse des bêtes à cornes. Souvent il arrive
que la gangrène consécutive à cette inflammation spécifique
occupe une étendue telle du poumon que le poids des parties
mortifiées peut se mesurer par un ou deux kilogrammes. Mais
l’organisme du bœuf est remarquable par la grande activité
■végétative de ses tissus et souvent, quand une partie de son
poumon estfrappée de gangrène, elle demeure enkystée et comme
séquestrée dans la masse du poumon restée vivante, dont elle
^t complètement séparée par une disjonction éliminatrice.
Mais la cavité pulmonaire qui la renferme restant hermétique-
X. 17
258
INFLAMMATION.
ment close, cette partie mortifiée du poumon ne se putréfie pas
et la grave lésion pulmonaire, que constitue un pareil séques¬
tre, demeure compatible, dans l’état de stabulation où vivent
les animaux, non-seulement avec la vie, mais avec la santé,
l’engraissement, et la sécrétion lactée, suffisamment productive
pour que les femelles soient conservées. Des faits du même
ordre peuvent se produire, mais bien plus rarement chez le
cheval, lorsque, par exemple, à la suite de violentes contusions,
qui ont laissé cependant à la peau toute sa vitalité, les condi
tiens sont réalisées pour que des parties musculaires se morti¬
fient, Dans ces cas, des abcès se forment et, quand ils sont arri¬
vées à maturité, on voit sortir de leur profondeur des fragments
plus ou moins considérables de muscles mortifiés, mais non
putréfiés, qui ne constituent qu’un dommage local', et la gan¬
grène, en pareil cas, quoique très-étendue, ne donne pas lieu à
des complications d’infection putride, comme cela arrive si
communément lorsque les parties gangrénées étant exposées,. s '
leur putréfaction intervient et met en rapport les produits de la
décomposition putride avec l’appareil vasculaire des tissus ad¬
jacents qui ont conservé leur vitalité.
L’inflammation caractéristique de certaines maladies spéci¬
fiques, comme la morve, par exemple, revêt, dans des lieux
déterminés, la forme que l’on appelle ulcéreuse, c’est-à-dire que
dans Tes tissus où elle s’est établie, on voit se produire un tra¬
vail inverse de celui de la cicatrisation. Les plaies qui succèdent à
la formation des pustules propres àla maladie, au lieu de tendre
à se fermer comme .dans l’inflammation franche, s’élargissent
au contraire graduellement, comme si leurs bords étaient ron¬
gés par un insecte invisible, en sorte qu’un moment arrive où
des ulcérations multiples disséminées finissent par se con¬
fondre pour ne plus former qu’ùne seule plaie, de nature ulcé¬
reuse également; et comme cette sorte de travail rongeur s’ef¬
fectue en profondeur en même temps qu’en surface,, les cas ne
sont pas rares où, sous l’influence de l’inflammation ulcéreuse,
on voit se détruire tout à la fois et le tissu primitivement en¬
vahi et ceux qui lui servent de support. Dans la morve, la des¬
truction de la cloison nasale ou des os des cornets peut être la
conséquence du travail ulcéreux, dont la muqueuse pituitaire
est le siège.
Le travail de l’ulcération sera étudié et expliqué au chapitre
de l’histologie. Nous pouvons donc nous borner à dire qu’on le
considère aujourd’hui comme l’expression d’une gangrène pour
INFLAMMATION.
239
ainsi dire moléculaire. La -vie s’éteindrait dans les petits bour¬
geons des plaies, au fur à mesure qu’ils se formeraient, et ceus-
ci, frappés de mort, seraient successivement éliminés. Ce peut
être là, effectivement, le mécanisme de l’ulcération; mais
pourquoi les bourgeons de ces plaies se mortiflent-ils à mesure
qu’ils se forment, au lieu d’être les instruments de la cicatrice,
comme dans les inflammations ordinaires ? 11 y a là évidemment
une inconnue que l’étude histologique seule ne saurait dégager.
La condition de la mortification des bourgeons de nouvelle.for-
mation des plaies ulcéreuses doit être dans les propriétés des
liquides qu’elles sécrètent, liquides virulents, on le sait, dont
l’action irritante est dénoncée par les effets des inoculations.
Probablement que, sous l’influence de l’irritation produite par
le contact de ces liquides, les tissus nouvellement formés s’in¬
filtrent d’une trop grande quantité des éléments inflammatoires,
qui, comprimant les, vaisseaux des bourgeons, empêchent la
circulation de s’y continuer et déterminent ainsi leur morti¬
fication.
L’inflammation, quels que soient son siège et sa nature, peut '
donner lieu, enfin, à une dernière modification plus ou moins
persistante de la consistance et de la structure des tissus où
elle s’est établie : c’eSt celle que l’on désigne sous le nom d.Hn~
duration. Comme l’implique ce mot, les tissus enflammés peu¬
vent acquérir, sous l’influence du mouvement interstitiel que
l’inflammation y a déterminé, une plus grande densité qui
donne à la main la sensation d’une sorte de dureté relative.
Avec leur consistance accrue, leur couleur s’est modifiée, ainsi
que leur structure. Quand on les coupe, l’instrument tranchant
rencontre une résistance souvent très-grande ; ils reflètent une
couleur blanche et, examinés à l’œil nu, ils présentent une struc¬
turé qui rappelle les caractères du tissu fibreux blanc. Partout,
dans les poumons, dans le foie, dans la rate, dans les muscles,
dans le tissu cellulaire, l’induration inflammatoire se montre
sous le même aspect extérieur, et elle donne lieu à des transfor¬
mations si semblables des tissus où elle s’est constituée, qu’à
considérer ces tissus extérieurement, il devient difficile de dire
à quel système ou à quel appareil ils appartiennent, si on les a
complètement séparés des parties saines auxquelles ils sont con¬
tinus.
L’induration peut procéder de certaines dispositions orga¬
niques générales qui ne sont pa^ encore déterminées. Pourquoi,
dans un, cas, la pneumonie se résout-elle d’une manière si com-
INFLAMMATION.
plète que le Ipoumon récupère absolument ses apparences, sa
texture et ses aptitudes primitives? Pourquoi, dans un autre
cas, se termine-t-elle par l’induration définitive de la partie du
poumon que l’inflammation a occupée ? Ces questions peuvent
être posées à propos de tous les autres organes.
Mais la cause de l’induration qui fait suite à l’inflammation
n’est pas toujours aussi obscure. A l’extérieur, il est souvent
possible d’établir les conditions dans lesquelles elle se mani¬
feste. Ainsi, par exemple, dans le cas d’inflammation trauma¬
tique, l’induration apparaît, on peut dire, d’une manière cons¬
tante toutes les fois que l’inflammation cicatrisante rencontre
un obstacle à l’accomplissenaent de son œuvre, dans la présence,
au milieu des tissus, soit d’un corps étranger, soit d’une partie
mortifiée, adhérente ou libre, qui en remplit l’office. Toutes les
fistules sont caractérisées par l’induration des parties dans toute
l’étendue de leur trajet et dans une certaine mesure au delà.
L’action irritante des frottements ou des pressions continues
détermine des indurations dans les parties sur lesquelles elle
s’effectue : témoin les tumeurs indurées, si communes chez le,
cheval aux endroits où le collier exerce ses pressions; celles
aussi qui se produisent sur les régions du corps qui subissent
d’une manière continue les pressions du décubitus. Dans ces
cas, c’est la continuité de l’irritation qui est évidemment la
condition de l’induration persistante, et la preuve en est donnée
par ce qui se, produit une fois que cette irritation cesse de sé
faire sentir. Faites disparaître le corps étranger ou la partie :
nécrosée d’un tissu qui entretient une plaie flstuleuse, et au
bout du temps nécessaire pour la complète résolution des par¬
ties, l’induration, qui était demeurée la caractéristique de la
fistule tant qu’existait la condition de sa durée, disparaîtra. De
même pour les indurations déterminées par des pressions, si
toutefois il n’existe pas de collections purulentes au centre des
parties indurées, car, dans ces caSj la présence du pus suffit
pour entretenir l’induration. Mais qu’on lui donne issue, que
les pressions cessent, et l’induration disparaîtra graduellement
par le travail plus ou moins lent de la résorption. D’où il res¬
sort, en définitive, que l’induration inflammatoire n’a souvent
les conditions de sa persistance que dans la persistance d’une
cause irritante qui l’entretient incessamment.
P. Traitement de l’inflammation. — Le traitement de l’inflam¬
mation ne comporte pas qu’une seule formule, comme l’admet¬
tait l’école physiologique, qui n’opposait qu’une seule classe
INFLAMMATION.
261
de moyens, les antiphlogistiques, au mouvement inflamma¬
toire, quelle que fût sa cause et dans quelque région qu’il se
fût établi. Cette formule, évidemment, n’était pas suffisamment
compréhensive : elle avait le grand tort d’impliquer une iden¬
tité de nature des phénomènes, d’après la similitude des appa-‘
rences et de laisser de côté des ressources thérapeutiques dont
l’expérience ancienne avait démontré la puissance.
On doit s’inspirer, pour instituer le traitement d’un état in¬
flammatoire, d’abord des notions acquises sur la nature de cet
état, et ensuite de son expression symptomatique dans l’indi¬
vidu qui en est atteint. Il y a des cas où, étant donnée ce que
l’on appelle une inflammation franche, interne ou externe, le
mieux à faire est de lui laisser suivre son cours régulier et de
la laisser se résoudre d’elle-même, sans qu’il y ait d’autres indi¬
cations que de placer les malades dans les conditions les meil¬
leures pour que les parties enflammées soient soustraites à
toutes les causes d’irritation nouvelle résultant, soit d’influen¬
ces extérieures, soit d’excitations fonctionnelles : le repos absolu
pour les pneumonies, la diète pour les entérites, par exemple,
l’immobilité pour les inflammations de l’appareil locomoteur.
Quelques topiques conviennent en pareil cas, principalement
ceux qui ont pour effet d’imprégner les tissus d’humidité et
d’offrir, à l’absorption, des liquides qui, en pénétrant l’appareil
vasculaire, y soient une condition de plus libre circulation :
cataplasmes, compresses émollientes pour les inflammations
externes; tisanes et lavements de même nature pour l’entérite;
fumigations pour les maladies de l’appareil respiratoire.
La saignée et les déplétions sanguines locales sont indiquées
et peuvent donner d’excellents résultats lorsque la plénitude et
la tension du pouls, la coloration vive des muqueuses, la cha¬
leur générale accrue, les sueurs partielles, l’accélération de la
respiration, l’expression physionomique, etc., etc., dénoncent
l’intensité de la fièvre de réaction. Les médicaments anesthé¬
siques, les opiacés particulièrement, la belladone, etc., etc., ap¬
pliqués en topiques ou administrés, soit par les voies digestives,
soit par la méthode hypodermique, conviennent aussi toutes les
fois que la douleur inflammatoire est un fait prédominant dont
il faut conjurer lès effets locaux ou généraux.
L’expérience a démontré que l’on pouvait recourir aussi, et
souvent avec le plus grand avantage, pour enrayer le mouve¬
ment inflammatoire, à des agents d’un autre ordre, dont le mode
d’action paraît être d’atténuer, d’une manière générale, l’acti-
262
INFLAMMATION.
Tité Tégétative des tissus et, par suite, d’empêcher ou tout au
moins de diminuer les formations inflammatoires là où existe la
condition pour qu’elles se produisent. Telles sont les prépara¬
tions mercurielles si efficaces pour combattre les pblegmasies
des séreuses et, tout particulièrement, celles du péritoine; tels
encore les médicaments dits contro-stimulants ou hypo-sthéni-
sants, dont l’école de Rasori a démontré l’efficacité si puissante
contre les pblegmasies en général et surtout contre les pbleg¬
masies pulmonaires.
Les agents de cette catégorie exercent leur action par leurs
effets tout à la fois sur le système nerveux et sur le sang, dont
ils modifient la composition et qui leur sert de -véhicule vers
les parties enflammées, sur lesquelles ils ne peuvent agir qu’à
l’état de solution extrêmement atténuée, comme celle que lo
sang peut comporter. Mais il y a des cas où les agents modifi¬
cateurs de l’inflammation, quoique, doués de propriétés spécia¬
lement irritantes, sont mis directement en rapport avec les
tissus déjà enflamme's, qu’ils irritent et enflamment à leur ma¬
nière, et l’expérience a prouvé que cette pratique, si fortement
en contradiction avec celles que la doctrine physiologique pré¬
conisait exclusivement, donnait souvent les plus merveilleux ré¬
sultats. C’est ainsi que l’on traite avantageusement les dysen-
téries par l’ipéca, les diarrhées chroniques par le nitrate
d’argent, la péripneumonie contagieuse par le vinaigre sternuta-
toire de Mathieu, d’Epinal, certaines formes de conjonctivites
par les collyres caustiques et même directement par la pierre
infernale, les ulcères en général par la cautérisation actuelle ou
potentielle, les plaies par les topiques alcooliques, par les essen¬
ces, un certain nombre des inflammations du tégument par des
agents vésicants, ou irritants suivant un autre mode, etc. etc.
L’efficacité de cette méthode, appelée SMèsfiiwtiue par Trousseau
et Pidoux, n’est plus à démontrer aujourd’hui. Il est admissi¬
ble, dans ces‘ cas, que l’action irritante nouvelle' substitue un
appareil vasculaire de nouvelle formation à celui qui présidait
à l’action inflammatoire qu’il s’agit de modifier, et que, grâce à
cette substitution, on réussit à donner un nouveau caractère
et aux produits sécrétés et à leur appareil formateur. On con¬
çoit que lorsque cet appareil a une activité excessive, comme
dans certaines diarrhées, ou laisse exsuder le sang en nature
comme dans la dysentérie, ou sécrète un liquide ulcérateur,,
comme dans certaines conjonctivites, etc., ce soit le meilleur
des procédés que de forcer, par une action irritante surajoutée
INFLAMMATION.
263
et d’un autre ordre que celle qui existe, les tissus à se constituer,
pour ainsi dire, dans de nouvelles conditions de circulation et
de végétation.
Enfin, loin d’affaiblir l’organisme par des saignées locales et
générales, souvent excessives, par la diète, par des médicaments
délayants et relâchants, administrés à profusion, comme le
prescrivait impérieusement la doctrine physiologique, qui qua¬
lifiait d’incendiaires toutes les médications excitantes, il est
souvent indiqué de recourir à des méthodes tout opposées, afin
de relever les forces, de tonifier les tissus et d’arriver ainsi a les
mettre dans les conditions les meilleures pour que l’inflamma¬
tion suive la marche la plus régulière possible. C’est surtout
dans le cas du traumatisme et des réparations qu’il nécessite,
que ces prescriptions doivent être rigoureusement observées.
Mais, même pour les inflammations intérieures, elles rencon¬
trent leurs indications. On sait par exemple quels bénéfices on
retire aujourd’hui de l’emploi des médicaments alcooliques
et des huiles essentielles dans le traitement de ces formes in¬
sidieuses de la pneumonie, qui se manifeste dans cet état mor¬
bide encore assez mal déterminé, que l’on appelle la fièvre
typhoïde du cheval.
Telle est l’inflammation, considérée du point de vue purement
clinique, c’est-à-dire, dans celles de ses manifestations extérieu¬
res, locales et générales, que l’observation ordinaire permet de
reconnaître et d’étudier, sans l’intervention d’instruments gros¬
sissants. Nous venons d’en donner l’exposé, comme nous avions
l’habitude de le faire dans nos cours à l’École d’Alfort, et nous
allons maintenant céder la parole à notre collaborateur
M. Trasbot, pour qu’il ajoute, à cette première étude, les dé¬
veloppements histologiques qui donneront , des phénomènes
que nous venons de considérer, tme interprétation plus com¬
plète. ■ ‘ H. BOULEY.
'§ 11. De rinflammation. considérée au point de vue
liistologique.
L’étude des phénomènes intimes de l’inflammation mérite
de fixer au plus haut point l’attention des observateurs, car les
deux tiers au moins des états pathologiques qu’il nous est
donné de rencontrer sont d’ordre inflammatoire et présentent,
par conséquent, malgré leur diversité apparente, dépendante de
la forme, de la texture et du degré de vascularisation des or-
264
INFLAMMATION.
ganes, un trait commun fondamental que l’histologie nous a
révélé en grande partie : le trouble nutritif des éléments anato¬
miques.
Cette opinion que nous formulons dès maintenant montre
déjà que, pour nous, l’inflammation n’est pas, essentiellement
et à plus forte raison exclusivement, un trouble survenu dans
la circulation capillaire ; à nos yeux, ce dernier fait n’est que
contingent, malgré sa grandeur possible, son importance et la
rapidité avec laquelle il s’accomplit dans les tissus très- vascu¬
laires. Il est, en effet, bien constaté aujourd’hui que les tissus
dépourvus de vaisseaux peuvent s’enflammer sous l’influence
d’une action irritante quelconque , bien que cependant les
capillaires n’apparaissent que longtemps après dans le tissu
nouveau produit par l’état inflammatoire.
Avant l’application des instruments grossissants à l’étude des
sciences biologiques, on n’avait que des idées vagues et le plus
souvent erronées sur la nature des changements moléculaires'
qui s’effectuent dans les tissus enflammés.' Les premiers travaux
même, qui furent exécutés dans cette voie, ne portèrent pas le
cachet d’exactitude et de précision auquel on est parvenu à
notre époque. Ayant trop hâte de conclure, les premiers obser¬
vateurs ne considérèrent souvent qu’un des côtés de la question
et édifièrent des doctrines qui tombèrent plus tard, lorsqu’elles
durent être mises à l’épreuve et suffire à l’explication de cer¬
tains faits inaperçus d’abord et constatés ensuite d’une façon
irréfragable.
G’est, peut-on dire, depuis quelques années -seulement que
les chercheurs, très-nombreux du reste, qui ont fouillé le
champ étendu de cette question sont parvenus à jeter sur elle
un jour véritable. Aussi n’aurons-nous, pour 'ainsi dire, qu’à
tenir compte des plus récents travaux pour traiter ce chapitre
important de la pathologie générale. Et, afin d’être intelligible
autant qu’il nons sera possible et d’arriver à formuler nette¬
ment notre opinion sur la nature essentielle de cette déviation
de la nutrition qu’on nomme l’inflammation, nous commen¬
cerons par l’exposition simple des faits d’observation pure, pour
arriver ensuite à leur analyse et à leur synthèse, qui nous per¬
mettront de déduire logiquement le mécanisme de leur produc¬
tion. Une partie comprendra ainsi l’anatomie microscopique et
l’autre la physiologie de l’inflammation.
Dans la première, nous examinerons d’abord les effets résul¬
tant de l’irritation expérimentale dans les tissus non vasculaires
INFLAMMATION.
265
et dans ceux qui sont pourvus de vaisseaux, puis nous étudie¬
rons successivement les modifications anatomiques dépendantes
de la nature et de la forme des tissus, ainsi que celles résultant
de l’intensité des phénomènes inflammatoires.
Dans la seconde partie, noqs ferons, en premier lieu, un
exposé historique sommaire des principales doctrines émises
sur la nature de l’inflammation, puis nous analyserons les faits,
pour ensuite, en réunissant les idées dégagées de leur discus¬
sion rigoureuse, chercher à justifier la définition que nous pla¬
çons au commencement de ce chapitre : L’inflammation est
dans tous les cas une exagération plus ou moins marquée, quel¬
quefois tumultueuse, des phénomènes normaux d’assimilation
et de désassimilation.
ANATOMIE MICROSCOPIQUE.
A. Effets de l’irritation expérimentale sur les tissus dépourvus
de vaisseaux. — Dans les tissus non vasculaires, les effets de
l’irritation sont aussi simples que possible, et, se réduisant à un
seul fait anatomique, ils sont faciles à bien saisir; âüssi nous
paraissent-ils devoir être indiqués en premier lieu si l’on veut
étudier méthodiquement et arriver plus sûrement ç- la décou¬
verte de la vérité.
Si on incise, ou si simplement on pique avec un instrument
aigu quelconque sur un animal d’expérience, un cartilage cos¬
tal ou diarthrodial, comme l’ont fait MM. Gornil et Ranvier, ou
le fibro-cartilage complémentaire de la troisième phalange du
pied du cheval, ainsi que nous l’avons plusieurs fois répété, on
voit, après cinq, six ou huit jours, sur la plaie de cet organe,
un enduit pulpeux d’un blanc grisâtre dont l’épaisseur peut
être de un à deux millimètres.
. En examinant à un grossissement de 250 diamètres environ la
matière de cet enduit, que l’on enlève facilement par un léger
grattage, on la trouve composée de quelques granulations molé¬
culaires rares et de cellules rondes présentant, chez le cheval, de
7 à § millièmes de millimètre de diamètre environ. Les unes sont
pourvues d’un gros noyau et d’un nucléole nettement apparents
lorsqu’on les a colorées par le carmin ou l’acide picrique ; les
autres montrent à la place du noyau trois, quatre, cinq, etc.,
granulations agglomérées en une masse mùriforme, ou même
tout à fait séparées, et donnant à la cellule l’aspect uniformé¬
ment granuleux dans toute sa substance.
Les premières sont des éléments embryonnaires encore intacts
266
INFLAMMATION.
et sans doute récemment formés. Les dernières sont les mêmes
éléments ayant déjà perdu la propriété physiologique de subir
les transformations normales qui doivent aboutir à la produc¬
tion d’un tissu nouveau. Ils sont destinés à être éliminés à la
surface de la plaie sous la forme de suppuration.
La proportion relative des cellules à noyaux et des autres
varie d’ailleurs suivant le point qu’on étudie. La couche la plus
superficielle de l’enduit pulpeux recouvrant la solution de con¬
tinuité pratiquée sur le cartilage contient très-peu de cellules
embryonnaires avec un noyau bien conservé. Dans la partie pro¬
fonde, au contraire, les éléments intacts se rencontrent en
quantité prédominante , ou même existent presque exclusi¬
vement.
Si maintenant, après avoir préalablement plodgé la pièce
pendant deux ou trois jours dans une solution à d’acide
cbromique où une solution concentrée d’acide picrique, on exa¬
mine le cartilage sur une coupe perpendiculaire à la surface de
la plaie, comprenant l’organe et le revêtement qui s’est formé
à la surface du point vulnéré (et nous ferons remarquer que le
tissu cartilagineux se prête merveilleusement à ce genre d’étude,
à cause de la facilité avec laquelle on peut en faire des coupes
fines et transparentes), on observe des modifications qui vont
graduellement en s’accentuant de la profondeur à la surface.
Dans les points les plus éloignés de la plaie, les cellules carti¬
lagineuses sont tout à fait normales. Elles se présentent avec
leur forme plus ou moins ovoïde et montrent, quand on les a
traitées par l’acide picrique, un noyau très-bien dessiné conte¬
nant un nucléole brillant. En approchant du point irrité, on
les voit d’abord devenir plus volumineuses et plus régulière¬
ment arrondies; le noyau est plus gros, lé protoplasma plus
abondant et la capsule est agrandie proportionnellement à
la résorption de la substance fondamentale du’ tissu cartila¬
gineux.
Jusque-là, on ne constate qu’une légère augmentation de la
nutrition; mais à mesure qu’on avance vers la solution de
continuité, on voit d’abord les noyaux divisés, le protoplasma
formant encore une masse unique; un peu plus près, celle-ci
est divisée également pour constituer une enveloppe spéciale à
chaque noyau jeune, résultant de la scissure de l’ancien; bien¬
tôt, chacune de ces cellules jeunes éprouve la même division
pour donner naissance à deux autres, de sorte qu’on voit en
examinant, de la profondeur vers la surface, des cellules nor-
INFLAMMATION.
267
males, puis augmentées de Yolume, puis divisées et alors au
nombre de deiis, de quatre et plus dans une même capsule, gra¬
duellement agrandie par la résorption périphérique de la subs¬
tance fondamentale du tissu.
Jusqu’ici, cbaqup cellule nouvellement formée possède encore
toutes ses propriétés physiologiques et excrète autour d’elle une
mince couche de substance amorphe lui formant une capsule
propre. L’irritation a donc seulement exagéré la nutrition et la
production d’éléments normaux, ayant toujours pour fonction
de former par élaboration autour d’eux la cartilagéïne ou subs¬
tance fondamentale du cartilage. Mais à la surface de la plaie,
là où le tissu a été directement touché par l’instrument vulné-
rant, le cartilage se montre découpé en festons, chaque exca¬
vation représentant une capsule incessamment agrandie, finale¬
ment ouverte et ayant laissé son contenu s’échapper au dehors
pour former la couche pulpeuse dont nous ayons parlé d’autre
part.
' Telles sont les modifications anatomiques que l’on voit se
produire pendant -les premiers jours dans le tissu et à la surface
de la solution de continuité d’un cartilage incisé par un instru¬
ment tranchant.
Dans les jours consécutifs, la marche des phénomènes varie
suivant l’intensité d’action de la cause irritante.
Quand l’irritation a été faible, comme celle qui résulte d’une
incision pratiquée à l’aide d’un instrument tranchant, la surac¬
tivité nutritive et formatrice provoquée expérimentalement s’at-,
ténue graduellement et la solution de continuité se répare d’une
façon parfaite. Si alors on examine, après quinze jours environ,
sur une coupe mince, le point où la phiie avait été produite pré¬
cédemment, on trouve chaque cellule revenue un peu sur elle-
même et entourée d’une capsule de cartilagéïne qu’elle a excré¬
tée autour d’elle et qui la sépare des cellules voisines nées avec
elle, à la suite, de l’irritation, dans une capsule primitive. A la
place de l’enduit, formé d’éléments embryonnaires qui recou¬
vrait le cartilage, on voit un tissu déjà dense et résistant, cons¬
titué par des cellules allongées, fusiformes (cellules fibro-plas-
tiques de Lebert), subissant les métamorphoses qui doivent
aboutir à la production d’une pièce fibreuse. Dans ce tissu, on
trouve en outre de nombreux capillaires nutritifs qui ont été
repoussés graduellement des points circonvoisins, entre les élé¬
ments embryonnaires primitivement formés et leur ont apporté
les matériaux nécessaires à leur évolution complète. Tous les
268
INFLAMMATION.
globules purulents ont disparu. Us ont été entraînés par une
partie du liquide exsudé des vaisseaux et dont l’excès, s’écou¬
lant à l’extérieur, a formé le sérum dans lequel nageaient les
éléments destitués de leur propriété vitale. 11 y a eu ici résolu¬
tion définitive et réparation parfaite.
C’est par un mécanisme identique que certaines blessures
accidentelles d’organes très-denses, cartilages, aponévrose plan¬
taire du cheval, etc., peuvent se cicatriser spontanément ou à
la suite de soins très-simples, ayant pour effet de modérer seule-,
ment l’irritation produite par le corps vulnérant.
Lorsque l’action a été violente, que, par exemple, on a diiacéré;
la surface du fibro-cartilage complémentaire du pied du che¬
val avec un instrument mousse et contondant, les phénomènes^
suivent une marche différente. ;
Le travail de résorption de la substance fondamentale du car¬
tilage, et de prolifération des cellules, s’accomplit fians une plus
grande étendue et avec plus de rapidité; le pus, formé en abon^
dance et séjournant dans la plaie au contact des tissus, agit à
la manière d’un corps étranger, entretient l’irritation à un
degré élevé et l’organe se détruit ainsi progressivement, comme
dans le cas de javart cartilagineux.
Aussi, en cherchant le fait matériel produit dans cette cir¬
constance, trouve-t-on dans la plaie, à la surface de l’organe et
même dans les capsules voisines, une quantité beaucoup plus
grande de tous les éléments que nous avons signalés antérieu¬
rement.
Les épithéliums qui constituent aussi des tissus non vascu-,
laires montrent des choses semblables à la suite de l’irritation
expérimentale. Mais ici, les modifications sont produites beau¬
coup plus tôt, parce que les tissus sont moins denses, que. leur
nutrition est plus active, et qu’ils sont disposés en couches
minces sur des membranes pourvues de capillaires, qui parti¬
cipent immédiatement aux troubles provoqués par l’action
irritante. Aussi, faut-il d’abord étudier ce qui se passe dans les
épithéliums revêtant des membranes dont les capillaires sont
relativement rares, et laissent entre eux des ilôts dans lesquels
il est possible d’examiner le tissu épithélial exclusivement. Le
péritoine répond parfaitement à cette indication. Il forme un
sac clos de toutes parts, portant à sa face interne de nombreux
replis flottants dont les uns nommés épiploons ne présentent
plus, chez les adultes au moins, une toile fibreuse continue,
mais seulement un filet très-fin à mailles inégales, dont les
E^FLÂMMATION.
269
plus gros faisceaux seuls sont pourvus de vaisseaux et de cel¬
lules adipeuses constituant des masses de volume variable
suivant l’état d’embonpoint des animaux. Chez les maigres,
entre les travées fibreuses pourvues ou non de capillaires, il n’y
a plus que deux lames adossées de larges cellules polygonales
plates qu’on peut aisément voir, en immergeant pendant
quelques instants un lambeau de ces replis séreux dans une
solution de nitrate d’argent au ; après quelques instants le
réactif s’étant déposé en plus grande quantité sur les lignes de
soudure dessine très-nettement le contour, en polygones irré¬
guliers, des cellules épithéliales. En rnême temps qu’il imprègne
ainsi le périmètre de chaque élément, il pénètre également le
noyau qui apparaît dans le plan profond entouré d’une faible
quantité de protoplasma granuleux. Suivant l’opinion la plus
répandue, c’est ce noyau et la substance grenue environnante
qui constituent essentiellement l’élément actif et vivant ; tandis
que la pellicule superficielle, moulée sur ce qu’elle recouvre,
n’est qu’un produit d’élaboration analogue à la substance fon¬
damentale du cartilage, et comme elle sécrétée par la cellule
propre.
L’épiploon, en raison de son organisation, permet donc
d’étudier séparément et simultanément ; les effets de l’irritation
sur un tissu non vasculaire mais d’une vitalité assez élevée,
l’épitbélium; ces mêmes effets sur un tissu vasculaire, le
tissu conjonctif formant le réseau de la membrane, et de saisir
la gradation qui relie, sans discontinuité, les phénomènes sim¬
ples que nous avons vus se produire dans les cartilages, et ceux
plus rapides, plus considérables et souvent tumultueux qui
s’accomplissent dans les tissus d’une organisation très-riche ;
phénomènes qui, à première vue, paraissent notablement diffé¬
rents des autres.
Si, en effet, on irrite le péritoine, comme l’ont fait MM. Gornil
et Ranvier, en injectant dans sa cavité une certaine quan¬
tité de teinture d’iode étendue d’eau, une solution faible
d’un caustique métallique quelconque ou d’un acide, l’acide
oxalique par exemple, qu’a employé Delafond 'dans ses études
sur le développement de la pleurésie, on peut, par une série
d’expériences, suivre pour ainsi dire pas à pas, dans toute leur
évolution, les changements anatomiques qui s’accomplissent.
Deux ou trois heures après l’injection, on trouve le péritoine
terne, plus opaque, moins lisse, comme desséché et rude à sa
surface. En examinant, à im grossissement de ^ , les replis
210
INFLAMMATION.
épiploïques après avoir comme précédemment plongé la pièce à
étudier dans une solution à de nitrate d’argent, on observe
une notable augmentation dans le volume des cellules épithé¬
liales qui, de plates qu’elles étaient, tendent à prendre la forme
ovoïde ou sphéroïde. Leurs noyaux très-apparents ont deux ou
trois fois le diamètre primitif, la substance grenue qui les en¬
veloppe a augmenté proportionnellement et paraît s’être subs¬
tituée à la pellicule superficielle qui existe à l’état normal. De
sorte que, déjà à cette époque, les mailles du réseau épiploïque
sont remplies totalement par des- cellules turgides, accolées les
unes aux autres à l’aide d’une substance amorphe et semi-
liquide dans laquelle l’argent, se déposant plus abondamment,
dessine nettement le contour des éléments anatomiques.
Dans le tissu conjonctif, un mouvement identique s’est
accompli. Les noyaux des cellules plasmatiques, très-minces et
à peine visibles dans les conditions ordinaires, sont gonflés,,
ovoïdes et entourés d’un protoplasme abondant, représentant
le corps de cellule, atrophié dans le tissu adulte. Les filaments
au contraire sont à peine visibles, comme nébuleux et obscuré¬
ment granuleux. Dans les cellules adipeuses, la graisse a déjà
disparu en partie ou complètement, et le noyau est, comme
dans les autres éléments, volumineux et entouré d’une masse
épaisse de substance finement grenue. Ainsi les vaisseaux ne
sont déjà plus entourés que d’éléments actifs, revenant plus ou
moins à la forme ronde et d’une substance fondamentale semi-
liquide ou colloïde qui agglutine ceux-ci et remplit les inters¬
tices qu’ils laissent entre eux.
En même temps que ces phénomènes cellulaires se sont pro¬
duits, les vaisseaux capillaires se sont dilatés, ont perdu leur
formfi régulièrement cylindrique et pris une disposition légère¬
ment variqueuse ou moniliforme. Ce dernier fait ne peut être
constaté que si l’on a sacrifié les animaux sans effusion de sang,
et placé immédiatement la pièce à étudier dans une solution
concentrée d’acide picrique, ou une solution à d’acide
chromique qui coagule rapidementle sang dans les vaisseaux et
conserve à ceux-ci l’aspect qu’ils avaient pendant la vie.
Si on laisse vivre un sujet sept ou huit heures de plus, c’est-
à-dire pendant dix heures environ après l’injection irritante,
on trouve à l’ouverture de l’abdomen, dans cette cavité, une
petite quantité de liquide blanchâtre et trouble et par places à
ia surface du péritoine, notamment sur les replis flottants, une
couche mince de matière blanc-jaunâtre coagulée. Douze heures
INFLAMMATION.
271
plus tard, yingt-quatre heures par conséquent après l’injection,
ces deux faits sont beaucoup plus accusés. L’épanchement
liquide est abondant, etl’enduit pseudo-membraneux constitue
un rexêtement de un à deux ou trois millimètres d’épaisseur
sur la plus grande partie de la séreuse.
Examiné à un grossissement de le liquide montre des
éléments ronds renfermant un noyau bien dessiné, comme
toutes les cellules embryonnaires d’une proxenance quelconque ;
d’autres un peu moins gros ressemblant aux globules de pus, et,
entre ces deux extrêmes, des éléments intermédiaires par la
division plus ou moins avancée de leur noyau.
On voit encore dans ce même liquide des granulations molé¬
culaires et de petits caillots de matière fibrineuse, de formes
irrégulières, qui se dissolvent rapidement dans la glycérine..
Sur les travées formant le réseau épiploïque, on trouve une
niasse fiÈrineuse coagulée, emprisonnant des cellules embryon¬
naires plus ou moins grosses, à un ou plusieurs noyaux, qui sont
évidemment en voie de multiplication et n’adhèrent plus aux
capillaires que par une sorte d’agglutination aux parois, à l’aide
de la matière coagulée.
Entre ces fins piliers, les espaces qui étaient primitivement
remplis par les deux couches d’épithélium (ou endothélium)
adossées sont la plupart complètement vides, et les autres,
occupés par un caillot fibrineux retenant sur place les cellules
embryonnaires nouvellement formées, ou déjà passées à l’état
de globules de pus, résultat dernier des néoformations trop
rapides et aboutissant à une production surabondante. A cette
même époque, les parois des capillaires ont suivi le même mou¬
vement de retour vers l’état embryonnaire. Ils ont continué à
se dilater en raison de la mollesse de leur paroi, et les cellules
qui les revêtent à l’intérieur, gonflées elles-mêmes par l’absorp¬
tion exagérée des matériaux nutritifs, forment dans le canal des
renflements obtus qui simulent des resserrements et concourent
à accentuer davantage l’aspect moniliforme de ces conduits.
Bans les jours successifs, la suractivité formatrice que nous
venons de constater se ralentit graduellement. Quand par exem¬
ple on a laissé l’inflammation suivre sa marche naturelle, et
que l’irritation a été peu intense, après cinq ou six jours, le
liquide contenu dans le sac séreux est peu abondant et ne mon¬
tre plus que des globules purulents en dégénérescence grais¬
seuse plus ou moins avancée, et destinés à disparaître par
résorption avec le liquide dans lequel ils nagent, car ils ne sont
272
INFLAMMATION.
plus placés là, dans les conditions nécessaires à la continuation
de leur existence et aux transformations successives qu’ils
doivent éprouver pour arriver à l’état adulte et concourir à la
formation d’un tissu. La matière fibrineuse, sous forme de
granulations et de caillots flottants dans le liquide ou adhérents
au réseau capillaire, a presque complètement ou même absolu¬
ment disparu. Les cellules véritablement vivantes sont restées
appliquées sur les travées fibreuses ou vasculaires, où elles ont
continué à se nourrir régulièrement. Elles se sont aplaties et
élargies, et bien qu’elles présentent encore des ventres renflés,
correspondant à leurs noyaux, elles tendent à revenir à la forme
primitive. Plus tard elles s’aplatissent encore, s’élargissent,
finissent par combler, de la périphérie vers le centre, les vides
formés d’abord, et enfin excrètent ou élaborent à letir surface
la pellicule lisse des épithéliums séreux qui avait disparu en
premier lieu à la suite de l’irritation. En même temps, le liquide
épanché et les corps qu’il contenait ont été résorbés, et il ne
reste que l’humidité favorable au glissement des deux feuillets
séreux l’un sur l’autre. Après douze ou quinze jours, quelque¬
fois moins, le tissu est ainsi revenu à l’état normal parfait. Il y
a eu résolution complète de l’inflammation.
Lorsque l’action irritante a été violente, les sujets succom¬
bent en un temps plus ou moins long, aux suites de lapérilonite.
On constate dans ce dernier cas l’existence de toutes les altéra¬
tions anatomiques commencées déjà au bout de vingt-quatre
heures, qui ont continué à se produire et sont alors agrandies,
quintuplées et même décuplées. '
B. Effets de l'irritation expérimentale sur les tissus vascu¬
laires. — Sous l’influence de l’irritation, des phénomènes
identiques à ceux que nous venons de voir se produire dans les
cartilages et l’épithélium des replis épiploïques, s’accomplissent
dans les tissus vasculaires d’une organisation plus ou moins
riche. Et souvent, c’est avec une rapidité si grande et d’une
façon si tumultueuse qu’ils se succèdent, qu’ils peuvent aboutir
en quelques jours à la désorganisation complète.
Ici, les phénomènes'inflammatoires^ si différents parfois dans
leurs résultats, sont toujours accompagnés de troubles se ma¬
nifestant dans la circulation capillaire immédiatement après
l’action irritante.
Ces faits sont si considérables le plus souvent qu’ils avaient
seuls attiré l’attention des premiers expérimentateurs. On leur
reconnaissait une importance capitale et on considérait les
INFLAMMATION.
273
phénomènes inflammatoires comme essentiellement et, même,
exclusivement circulatoires. Aujourd’hui encore, des auteurs
de la plus grande notoriété soutiennent cette opinion, et lui
prêtent l’appui de toute l’autorité qu’ils ont acquise par des
travaux nombreux et d’une grande valeur sur toutes les ques¬
tions biologiques.
' Quand on place sous l’objectif du microscope une membrane
transparente, la membrane interdigitée d’une grenouille, l’aile
d’une chauve-souris, le mésentère d’un Tat, etc., etc., comme
l’ont fait Warton-Jones, Kaltenbrünner, et depuis eux, tous
les observateurs qui ont étudié la question, on peut suivre sur
l’animal vivant, dans toute leur évolution, les changements
provoqués instantanément par l’irritation dans la circulation
capillaire.
Le premier phénomène que l’on observe est l’existence, sur
les capillaires, de dilatations alternant avec des resserrements
qui donnent aux vaisseaux l’aspect de cylindres bosselés ; quelle
que soit d’ailleurs jla nature de l’irritant, mécanique ou chi¬
mique, le même effet est obtenu. Simultanément, les plus fines
artères qui viennent se terminer au réseau, après avoir éprouvé
un léger mouvement de contraction par l’excitation de leurs
nerfs vaso-moteurs, se relâchent, s’élargissent graduellement
et permettent au sang d’affluer vers le point irrité en quantité
surabondante. La circulation capillaire s’accélère bientôt d’une
façon remarquable ; dans les endroits rétrécis, les globules se
poussent à la suite les uns des autres avec une grande rapidité,
tandis que, dans les ampoules, ils éprouvent un mouvement de
tourbillon qui s’explique facilement par les conditions physi¬
ques dans lesquelles se trouve le liquide, arrivant dans une
partie élargie au sortir d’un passage étroit. Ensuite quelques
globules s’arrêtent contre la paroi vasculaire, surtout au ni¬
veau des renflements, et paraissent s’y agglutiner, pendant que
le mouvement se continue dans le centre du canal avec une
grande activité. A mesure que les globules s’accolent ainsi aux
parois vasculaires, on voit disparaître graduellement la zone
claire périphérique qui existe dans les conditions normales. De
sorte que le diamètre interne paraîtrait augmenté par ce seul
fait, et sans qu’il y ait une dilatation véritable. Aussi • quelques
auteurs pensent actuellement qu’on a beaucoup exagéré la réa¬
lité de cette dilatation brusque des capillaires à la suite de l’ir¬
ritation. Ils prétendent que cette apparence résulte en grande
partie, comme nous venons de l’indiquer, de l’accumulation des
18
X.
274
INFLAMMATION.
globules colorés à la périphérie du tube, là où, dans l’état nor¬
mal, il y a seulement le plasma et quelques leucocytes du sang
qui, par leur transparence, font Toir le calibre plus étroit qu’il
n’est véritablement, puisque la partie colorée centrale est seule
bien perceptible. M. Ch. Robin, qui pourtant considère l’inflam¬
mation comme étant essentiellement un phénomène capillaire,
a lui-même exposé cette manière de voir. {Leçons sur les mis-
seaux capillaires et l’inflammation, p. 66.)
Il est possible en effet, il est probable même, que Warton-
îones, Kaltenbrünner et leurs successeurs n’ont pas distingué
les capillaires que M. Ch. Robin 'a nommés de la première
variété — ayant une paroi formée exclusivement d’une rangée de
cellules épithéliales et d’une couche mince de protoplasma qui
les unit aux partiesenvironnantes— des plus fins vaisseaux arté¬
riels et veineux que le même auteur nomme capillaires de la
deuxième et de la troisième variétés et qui ont, des uns, des fibres
musculaires dans leur paroi, et les derniers une couche de tissu
élastique et de tissu conjonctif en plus. Les premiers senties
vaisseaux essentiellement nutritifs servant aux échanges molé¬
culaires qui s’opèrent entre le sang et les tissus. Ils méritent
seuls, pour beaucoup d’histologistes, le nom de capillaires, les
autres devant être regardés comme les dernières'divisions arté¬
rielles ou les premières veines servant d’intermédiaires entre le
réseau capillaire proprement dit et les troncs visibles à l’œil.
Quoi qu’il en soit, du reste, de cette interprétation, il est bien
évident que les vaisseaux de la deuxième et de la troisième va¬
riétés peuyentseuls,én raison de l’organisation de leurs parois, se
resserrer au moment d’une excitation qui met en jeu la con¬
tractilité de leurs éléments musculaires, et se dilater ensuite
par le relâchefnent musculaire qui suit nécessairement la
contraction. Tandis que les capillaires de la première variété
sont incapables d’éprouver des mouvements actifs, et ne peuvent
se dilater que lentement, par suite de l’effort excentrique que
le sang, affluant dans leur intérieur, exerce sur leurs parois. Il
y a d’abord formation de renflements dans les points les moins
soutenus, puis plus tard l’élargissement se continue sans devenir
jamais bien uniforme. Il est donc vraisemblable que les premiers
expérimentateurs qui ont signalé un mouvement actif de res¬
serrement, suivi immédiatement d’une dilatation, ont eu en
vue surtout les plus fins vaisseaux artériels et veineux. De
fait, dans les plus récentes expériences qui ont été' répétées sur
ce sujet, c’est ainsi que les choses se sont montrées aux yeux
INFLAMMATION.
275
de plusieurs expérimentateurs habiles. Les vaisseaux des
deuxième et troisième variétés ont surtout éprouvé le mouve¬
ment signalé, tandis que les capillaires véritables se sont dila¬
tés graduellement par ampoules fusiformes d’abord, puis peu à
peu, sur toute la longueur, en revenant rarement pourtant à
une forme régulièrement cylindrique.
L’accumulation du sang, que nous venons d’indiquer, dans le
réseau nutritif, explique déjà en grande partie la tuméfaction et
la rougeur vive qui signalent le début de l’inflammation dans
les tissus très- vasculaires, et d’une texture assez lâche pour per¬
mettre une notable ampliation. Si sur la membrane en obser¬
vation, ces deux modifications sont peu apparentes à la simple
vue, c’est qu’elles sont produites sur un seul plan. Mais qu’on
les imagine dans un organe épais comme une muqueuse seule¬
ment, on comprendra que par leur multiplication dans des
plans différents elles produiront un effet très-sensible.- Néan¬
moins, ce n’est encore que la congestion commençante, qui
peut se terminer d’emblée par la délitescence si l’irritation a
été momentanée et peu intense. Le sang cesse d’affluer en excès
dans le point irrité, la circulation se ralentit et se régularise ;
la pression du sang diminuant dans les capillaires, ceux-ci
reviennent sur eux-mêmes et tout retourne bientôt à l’état '
normal. Dans d’autres cas, si par exemple l’action irritante a
été plus puissante, surtout si le tissu ambiant est peu serré,
il peut se faire que le liquide circulatoire affluant avec plus de
force, dilate à l’excès les plus fins vaisseaux qui finissent par se
rupturer. Il se produit une hémorrhagie dans les interstices ou
à la surface de l’organe s’il s’agit d’une muqueuse par exemple.
C’est la terminaison si communément observée dans les cas de
congestion intestinale chez le cheval. Tous ces phénomènes peu¬
vent s’effectuer en quelques instants, et il est possible de les
voir se dérouler en entier dans une seule expérience.
Il peut se faire aussi que les premiers troubles circulatoires
que nous venons de passer en revue ne se terminent pas rapi¬
dement par la délitescence ou l’hémorrhagie. On peut voir,
quelques instants plus tard, les globules sanguins, qui d’abord
stationnaient seulement dans les parties renflées, s’arrêter com¬
plètement et s’empiler dans un ou plusieurs capillaires qui se
trouvent bientôt complètement obstrués, et représentent alors
autant de petits cylindres dans lesquels tout mouvement circu¬
latoire a cessé. Dans les anses contiguës aux portions obstruées
<m voit certains globules éprouver un mouvement rétrograde.
276
INFLAMMATION.
après avoir frappé contre l’obstacle et reprendre leur cours ordi¬
naire par la voie d’échappement la plus voisine.
Pour Kaltenbrünner, qui le premier a décrit tous ces phéno¬
mènes avec précision, et aujourd’hui encore pour M. Charles
Robin, dont le nom fait à si juste titre autorité dans la science
cet état serait la ligne de démarcation entre la congestion sim¬
ple et l’inflammation véritable, c’est-à-dire que, suivant l’avis
du savant maître de la faculté de Paris, il y a réellement in¬
flammation dès que quelques vaisseaux capillaires sont obs¬
trués..
D’autres aufeurs rattachent encore ce fait à la congestion
simple, parce que les globules arrêtés peuvent, dans cette der¬
nière circonstance même, se détacher par blocs d’abord, puis
se séparer complètement et rentrer dans le torrent de la circu¬
lation, et cela, cinq ou six heures après les premières manifes¬
tations. Il n’y a réellement inflammation pour ces derniers, et
c’est l’opinion que nous partageons, comme on le verra plus
loin, que lorsque les troubles s’étendent aux activités élémen¬
taires des tissus.
Dans tous les cas, quand l’irritation a été suffisante par son
intensité et la durée de son action pour provoquer l’évolution
de phénomènes inflammatoires, des effets nouveaux s’ajoutent
à ceux que nous venons d’étudier.
Les capillaires distendus, obstrués de proche en proche, se
montrent en grand nombre après six ou sept heures, comme de
petits boudins solides dont le diamètre peut être deux, cinq et
jusqu’à dix fois le diamètre normal. La circulation ne s’effectue
plus que dans un certain nombre de canaux également très-
dilatés. En dehors des vaisseaux exsude un liquide citrin, rem¬
plissant les aréoles du tissu conjonctif et les distendant plus ou
moins, dont la présence, s’ajoutant à la réplétion du système
capillaire, donne l’explication du gonflement plus accusé, de
l’œdème et de la tension qui suivent de près la coloration rouge
caractéristique de l’inflammation commençante.
D’autres phénomènes coexistent bientôt avec ceux que nous
venons de décrire, savoir : l’accélération de la circulation capil¬
laire, la dilatation et l’obstruction d’une grande partie du réseau
et enfin l’épanchement liquide en dehors des vaisseaux; ce sont
ceux qui résultent de la suractivité nutritive et formatrice des
éléments de la substance conjonctive.
En effet, après sept ou huit heures seulement, la plupart des
cellules plasmatiques du tissu conjonctif se montrent volumi-
INFLAMMATION.
277
neuses, ovoïdes ou arrondies, avec de gros noyaux ronds, uni¬
ques ou divisés, et un protoplasma abondant autour de chacun,
tandis que les prolongements filamenteux ne sont plus recon¬
naissables que dans quelques points ou bien ont disparu en su¬
bissant, d’après Rindfleisch, une transformation muqueuse. On
peut rencontrer déjà à cette époque, à côté des éléments tur-
gides qui restent du tissu primitif, des cellules rondes, présen¬
tant tous les caractères des éléments embryonnaires.
Au bout de vingt-quatre ou de quarante-huit heures, il n’y a
plus autour des vaisseaux que ces derniers éléments, contigus
les uns aux autres, accolés pour ainsi dire par une substance,
amorphe semi-liquide, formant avec eux une masse qui, à la
simple vue, ressemble à une gelée plus ou moins dense. C’est
cette apparence, sans doute, qui a fait dire à tous les observa¬
teurs ayant étudié l’anatomie pathologique sans le secours des
instruments grossissants, que le liquide épanché, nommé lym¬
phe plastique par le grand Hunter, se coagulait avant de s’orga¬
niser. Mais la coagulation de la fibrine ou plasmine concrète de
Denis (de Commercy) n’a lieu dans le blastème que dans des
cas déterminés ; alors, elle forme un produit mort, incapable
de servir à la nutrition des tissus. Elle doit être éliminée à l’ex¬
térieur ou résorbée, comme toutes les matières de désassimi¬
lation, après avoir éprouvé vraisemblablement l’oxydation qui
les transforme en composés solubles, destinés à être rejetés par
les sécrétions. Rien, en effet, n’autorise à croire aujourd’hui
que les caillots fibrineux puissent s’organiser dans aucun cas,
et même, tous les travaux nouveaux en histologie et en chimie
biologique tendent de plus en plus à prouver le contraire.
Après trois ou quatre jours, souvent moins, on rencontre
dans ce tissu nouveau et de consistance demi-solide une multi¬
tude de capillaires à parois simples, dans lesquels la circulation
est très-rapide et qui apportent des matériaux nutritifs abon¬
dants, permettant aux éléments jeunes de compléter leurs méta¬
morphoses et d’arriver à l’état adulte. Aussi, au bout de sept à
huit jours, tout le tissu jeune, de plus en plus densifié, ne con¬
tient que des cellules fibro-plastiques de Lebert. Plus tard en¬
core, ces mêmes éléments anatomiques s’amincissent, le corps
de cellule et le noyau se ratatinent, les prolongements filamen¬
teux se multiplient ; du tissu conjonctif nouveau s’est recons¬
titué. Avec le temps, la suractivité nutritive et formatrice des
éléments s’atténue pour rentrer dans les proportions ordinaires,
es échanges moléculaires reviennent peu à peu à l’état normal
278
INFLMÏMATION.
et le tissu qui restait induré récupère enfin sa laxité et sa sou*
plesse physiologiques, par suite de la rénoyation incessante qui
a pour objet l’entretien de la substance animale dans son inté¬
grité. Toute trace de l’irritation a disparu. La résolution du
mouvement inflammatoire a été dans ce cas aussi simple que
possible. Elle se produit lorsque l’irritation a été très-modérée
et juste suffisante pour accélérer les activités élémentaires.
C’est ce qui a lieu sur les lèvres d’une plaie superficielle pro¬
duite par un instrument bien tranchant. La cicatrisation a lieu
par ce qu’on a nommé la première intention.
Il peut arriver cependant que, au moment de la résolu¬
tion, quelques capillaires primitivement obstrués ne devien¬
nent jamais libres et se détruisent par résorption de leurs
parois. Pendant qu’ils disparaissent ainsi, les globules rouges
du sang qui les remplissaient se , désagrègent en donnant
naissance, ainsi que l’a constaté M. Ch. Robin, à différentes
matières colorantes : une brune ou noire et d’autres ana¬
logues aux matières colorantes de la bile. La première reste
dans les tissus sous forme de pigment, et leur donne une teinta
ardoisée plus ou moins foncée, extrêmement lente à dispa¬
raître ou persistant pendant toute la durée de l’existence, en
s’atténuant d’une façon à peine appréciable. Les autres, dont la
principale est la biliverdine, déterminent par leur présence,,
sous la peau, pendant quelques temps, ces teintes irisées, jaune-
verdâtres, si visibles parfois autour des contusions. Ce sont ces
matières qui, résorbées en raison de leur solubilité, foncent en
jaune la coloration du plasma du sang d’une façon assez mar¬
quée, quand le fait anatomique a une grande importance,
comme dans la pneumonie, par exemple, pour que les mu¬
queuses revêtent une coloration safranée, ne disparaissant que
par l’écoulement dans le foie de ces produits formés en excès.
Les faits d’anatomie microscopique que nous venons de pas¬
ser en revue n’ont jamais été, on le comprend du reste, suivis
tous et dans toutes leurs manifestations sur un seul sujet, ba¬
tracien ou rongeur. Leur connaissance complète résulte de
l’ensemble des recherches expérimentales variées qui ont été
effectuées sur différents animaux et par différents procédés
d’irritation, chimiques ou mécaniques.
Jusqu’à présent, nous avons eu en vue ce qui se produit dans
le tissu conjonctif sous-cutané, lorsqu’il a subi une irritation
faible et momentanée, déterminant des changements modérés^
devant se terminer par la résolution. Mais la cause irritante
INFLAMMATION.
279
peut avoir agi plus violemment ou avoir prolongé son action.
Alors le mouvement inflammatoire aboutit à la suppuration ou
à la gangrène.
La première de ces terminaisons est encore, dans un grand
nombre de cas, comme on va le voir, une résolution par un
mécanisme indirect. La dernière, au contraire, finit invaria¬
blement par la destruction définitive de la portion envahie.
Lorsque la suppuration a lieu, on voit dès le début, dans la
masse de tissu embryonnaire, des éléments dont les noyaux
sont divisés; d’autres ne contenant plus que des granulations.
Plus tard, ces globules ronds et granuleux sont rassemblés en
petits îlots et libres d’adhérence les uns à l’égard des autres, à
cause de l’état liquide de la substance inter-cellulaire. Il n’y a
plus en effet entre eux qu’un sérum granuleux. Plus loin, nous
verrons comment différents auteurs ont expliqué le mécanisme
de production de ces éléments, nommés globules purulents ou
leucocytes, et du fluide dans lequel ils sont en suspension. Ici,
nous nous bornons à indiquer qu’ils existent et comment ils se
présentent.
Au bout de quelques jours, plus ou moins, suivant l’intensité
de l’inflammation et les aptitudes particulières aux diverses
espèces (chez le cheval, par exemple, animal pyogénique par
excellence, la marche des phénomènes est toujours, toutes cho¬
ses égales d’ailleurs, beaucoup plus rapide), chaque îlot s’a¬
grandit périphériqnement, se réunit à ceux qui l’avoisinent
pour constituer un foyer purulent ou abcès. Celui-ci, comme les
points qui l’ont formé par leur réunion, continue à s’étendre jus¬
qu’à une membrane tégumentaire qu’il détruit elle-même pour
laisser son contenu s’écouler à l’extérieur, si c’est la peau ou
une muqueuse, et dans une cavité close, au contraire, si c’est
une séreuse qui se trouve intéressée ; et, dans ce dernier cas,
nous n’avons guère besoin de le faire remarquer, le sujet ne
tarde pas à périr. Quand le pus est évacué au dehors de l’orga¬
nisme, la cavité vidée, s’il n’existe pas en elle d’obstacle à la cica¬
trisation, comme des tissus mortifiés, des corps étrangers, etc.,
se trouve dans les conditions d’une plaie ouverte et, comme elle,
se répare par deuxième intention. D’abord, le pus continue à
être produit abondamment à la surface du tissu qui constitue
les parois de la cavité et qu’on a nommé tour à tour membrane
pyogénique, membrane granuleuse, tomenteuse, des bourgeons
charnus, etc.; puis, dans des proportions graduellement plus
réduites, à mesure que le tissu bourgeonnant remplit peu à peu.
280
INFLAMMATION.
par son accroissement indiscontinu, l’espace resté vide. Aussitôt
que la brèche est totalement comblée, l’exhalation du liquide
purulent cesse et l’épiderme se forme à la surface de la pièce
nouvelle.
Les caractères microscopiques de ces bourgeons charnus,
croissant ainsi pour fermer les plaies, et se produisant aussi au¬
tour des corps étrangers, introduits artiflciellenient ou acciden¬
tellement, sont identiques à ceux du tissu produit par l’inflam¬
mation simple dans un organe quelconque de l’animal. Au
début, ils sont formés d’une masse de cellules embryonnaires
réunies, agglutinées par une substance amorphe semi- liquide
qui remplit les interstices existant entre elles, et de très-nom¬
breux vaisseaux capillaires simples n’ayant qu’une couche épi¬
théliale unique pour toute paroi. Cette richesse vasculaire ex-,
plique bien la coloration rouge vif que présentent, dans tous
les cas, les surfaces suppurantes. A mesure qu’il est plus an¬
cien, ce tissu de réparation montre à l’examen microscopique,
successivement, des cellules ûbro-plastiquesj puis des éléments
adultes à prolongements nombreux, exactement comme celui
que nous avons vu se produire dans l’inflammation non suppu¬
rative.
Les vaisseaux, dont le nombre diminue peu à peu, montrent
des parois d’une organisation d’autant plus complète qu’ils sont
plus volumineux et plus anciennement formés. A l’époque où
la cicatrisation est terminée, on en trouve des trois variétés.
La suppuration dans le tissu conjonctif peut donc être con¬
sidérée aussi comme une résolution indirecte, arrivant finale¬
ment à la réparation. Mais dans cette circonstance, le résultat
est obtenu plus lentement, par un mécanisme secondaire et
après une destruction préalable et partielle de la région irritée.
La gangrène peut être la fin de l’inflammation quand l’irrita¬
tion a été plus intense et plus durable que ne le comporte l’or¬
ganisation du tissu atteint.
Comme nous l’avons indiqué antérieurement, il y a toujours,
ou au moins dans l’immense majorité des cas, pendant le mou¬
vement inflanamatoire, un arrêt de la circulation dans un cer¬
tain nombre de vaisseaux capillaires. Ce fait matériel com¬
mence par quelques anses et s’étend, de proche en proche,
proportionnellement au degré d’irritabilité particulier au
tissu et à l’intensité de l’irritation. Il peut donc arriver un mo¬
ment où le réseau en entier se trouve engoué de globules em¬
pilés et serrés les uns sur les autres. Dès cet instant, le mouve-
INFLAMMATION.
281
ment cesse- et alors, ou bien la circulation se rétablit, ou bien
elle est définitivement arrêtée. Dans le premier cas, la vie se
continue. L’autre alternative n’est pas toujours nécessaire¬
ment une cause de mort. Si l’oblitération a été lente à se
produire, des capillaires nouveaux ont pu se développer dans
la masse demi-solide que représente le tissu embryonnaire ré¬
cent, et les matériaux indispensables à l’entretien de la matière
animale' sont apportés par cette voie nouvelle. Mais si, à un
moment donné, l’obstruction complète et persistante est pro¬
duite rapidement, la mort arrive par la cessation définitive des
échanges moléculaires, qui ne peuvent avoir lieu sans l’apport
continuel des principes immédiats d’assimilation et la résorp¬
tion également incessante des résidus de désassimilation. Or,
ces phénomènes ne peuvent être suspendus que pendant un
temps limité, ne dépassant pas vingt-quatre heures, selon
M. Ch. Robin. Au delà de ce temps, le tissu dans lequel le
mouvement circulatoire a cessé est fatalement destiné à périr.
Si on examine alors, après durcissement préalable, la por¬
tion mortifiée sur une coupe mince, on trouve tous les vais¬
seaux capillaires dilatés à l’excès et remplis de globules san¬
guins, constituant par leur accollement une masse solide, tandis
que les éléments anatomiques sont plus ou moins granuleux,
désagrégés et réduits par places en un magma informe dans
lequel rien n’est plus reconnaissable.
Le degré de destruction est, du reste, plus ou moins avancé,
suivant qu’on étudie le détritus gangréneux à une époque moins
ou plus rapprochée du moment où la vie s’est éteinte en lui.
Dans les premiers temps, les éléments anatomiques, bien que
déjà remplis de granulations graisseuses ou opaques, ont con¬
servé encore leur figure propre; les cylindres formés par les
globules du sang empilés dans les capillaires constituent un
ensemble d’une assez grande solidité. Plus tard, les boudins de
sang ont une teinte brune, puis noire, qui révèle le secret de
la coloration foncée spéciale aux tissus vasculaires mortifiés.
Bientôt le magma gangréneux n’est plus formé que de granu¬
lations informes, et à la place des globules sanguins, il y a des
amas de granulations brunes ou noires, mélangées au résidu
des éléments anatomiques.
Enfin, si ces débris subissent le contact de l’air, ils se putré¬
fient; alors, par la production sur place de gaz irritants, il peut
y avoir exagération du mouvement inflammatoire à la péri¬
phérie et mortification envahissante, comme on l’observe dans
282
INFLAMMATION.
cette affection que l’on désigne en clinique sous le nom de
gangrène traumatique. De plus, ces mêmes ‘gaz peuvent être
résorbés et déterminer l’empoisonnement, nommé infection
septique ou putride, terminaison ordinaire de la gangrène trau¬
matique [voy. ce mot).
Nous venons d’étudier les mutations anatomiques qui amè¬
nent la gangrène par l’obstruction d’emblée du réseau capillaire
d’un tissu, dans un espace plus ou moins étendu ; nous allons
voir maintenant que cette destruction peut être encore la con¬
séquence de la suppuration,
Qufind les petits foyers purulents, en se réunissant, dessinent
un cercle complet autour d’un bloc de tissu, celui-ci, se trou¬
vant isolé de toutes parts, et n’ayant plus aucune connexion
avec l’appareil circulatoire, se mortifie comme si son réseau
capillaire était obstrué. C’est ainsi que se forment les bourbil¬
lons du furoncle, du javart cutané et ceux qu’on trouve au
milieu des abcès métastatiques ou autres, etc., etc. En exami¬
nant ces fragments gangrénés, on les trouve composés de la
trame fibreuse de l’organe, contenant dans ses interstices des
leucocytes, ayant éprouvé à divers degrés la transformation gra-
nulo-graisseuse, et parfois, eiT outre, des globules Touges du
sang également altérés et , plus ou moins désagrégés. Dans les
jours suivants, ces bourbillons se réduisent en pulpe et peu¬
vent se putréfier s’ils subissent le contact de l’air. C’est ce qui
se produit fréquemment dans le poumon après la formation
des abcès.
La suppuration peut encore amener la gangrène par un autre
mécanisme. Si le mouvement inflammatoire est très-rapide, les
parois des vaisseaux peuvent être détruites par la participation
de leurs cellules épithéliales à la prolifération tumultueuse qui
a lieu, et la circulation du sang devient impossible par l’efface¬
ment des conduits. Alors toute la masse ainsi transformée n’est
plus qu’un mélange pulpeux de leucocytes, de globules du
sang, de caillots fibrineux et enfin de filaments brisés, restes de
la trame primitive. Dans certains tissus, cette destruction peut
même aller, de proche en proche, jusqu’à détruire partie ou
totalité d’un organe. Telle est l’altération que, dans les os spon¬
gieux, comme la troisième phalange du pied du cheval, on
nomme carie profonde ou suppuration interstitielle.
Au paragraphe de la physiologie, nous chercherons l’explica¬
tion de ce fait si souvent observé en clinique vétérinaire.
A la suite de l’irritation, on peut observer dans tous les au-
INFLAMMATION.
283
très tissus yasculaires des modifications anatomiques identi¬
quement les mêmes à celles que nous venons de décrire,
dans le tissu conjonctif et les organes qui en dérivent. En irri¬
tant le tissu osseux par incision, ponction ou fêlure, comme
Font fait MM. Gornil et Ranvier, M. Billroth et comme nous
l’avons fait nous-même, on voit, au bout de deux ou trois
jours seulement, les aréoles du tissu spongieux considérable¬
ment agrandies par la résorption de l’osséine ou substance
fondamentale, et remplies demédullocèlesou cellules embryon¬
naires des os. Dans la plupart des vésicules adipeuses, la graisse
a disparu en partie ou en totalité, pendant que le noyau et le
protoplasma qui l’entoure, en augmentant de volume, ont fini
par la remplacer et par occuper toute la cavité. Les plaques à
noyaux multiples, myéloplaxes de M. Cb. Robin, sont en voie
de division ou ont donné naissance déjà à autant de cellules
embryonnaires qu’elles contenaient de noyaux.
La suractivité nutritive est rapidement suivie de la produc¬
tion plus rapide. Les médullocèles préexistants, les éléments
provenant de la division des myéloplaxes et de la moelle grasse
continuent à se multiplier par division. Ainsi, on peut trouver
un véritable nid de cellules jeunes dans la plupart des vésicules
qui primitivement contenaient de la graisse. Bientôt, la paroi
de ces dernières se détruit, et les éléments embryonnaires de¬
venus libres se confondent avec ceux qui sont nés des plaques
à noyaux, des médullocèles et des cellules stellaires préexis¬
tants. Cependant, la transformation dont il s’agit ne porte pas
nécessairement sur toutes les vésicules adipeuses du point ir-
Tité; il en reste presque toujours qui sont englobées au milieu
du tissu embryonnaire nouvellement formé.
Les vaisseaux capillaires ont éprouvé les mêmes change¬
ments de forme que dans le tissu conjonctif. Ils sont un peu
irréguliers et le gonflement des cellules de leurs parois, rede¬
venues fusiformes ou ovoïdes, augmente encore cette disposition,
qui se conserve très-bien, en raison de la coagulation du sang
dans leur intérieur, sous l’influence du liquide durcissant. En
effet, pour bien constater l’existence de tous ces faits, il faut, au
préalable, placer pendant deux ou trois jours la pièce àexaminer
dans un bain d’acide cbromique ou une solution concentrée
d’acide picrique. Cette préparation, en dissolvant la matière cal¬
caire et durcissant les substances organiques, permet de faire
facilement des coupes fines propres à l’étude.
Les phénomènes que nous venons d’indiquer ne sont pas li-
284
INFLAIIMATION.
mités à la substance spongieuse des os ; la partie compacte elle-
même concourt à les produire. On yoit sur la coupe de celle-ci
les canaux de Havers agrandis par la résorption de l’osséine, et
autour des vaisseaux capillaires qui les parcourent, une couche
d’éléments embryonnaires prolongée jusque sous le périoste
circonvoisin, ainsi que l’a démontré Billroth.
Cette résorption partielle de la substance fondamentale qui à
pour premier effet d’augmenter le diamètre des cavités natu¬
relles de l’os dans la substance réticulée, comme dans la subs¬
tance compacte, donne l’explication de la friabilité acquise par
les rayons osseux des membres sous l’influence de l’inflamma¬
tion, à la suite de contusions qui les ont fêlés ou fortement
ébranlés, et des fractures complètes qui se produisent si sou-.,
vent sans causes apparentes, notamment chez le cheval, pen-,
dant les premiers jours ou les premières semaines qui suivent
la commotion.
Avec le temps, si l’irritation a été momentanée et non trop
violente, l’exagération de la production élémentaire peut se
calmer graduellement, les cellules embryonnaires de l’os se res¬
serrent, se ratatinent en grande partie et s’entourent finalement
d’une couche d’osséine. La substance de nouvelle formation se
dépose d’abord à la surface des lamelles conservées, puis s’é¬
paissit peu à peu -en rétrécissant chaque cavité et chaque canal
vasculaire préexistant. A l’extérieur, il y a un dépôt identique
enveloppant les éléments jeunes, qui, s’accroissant sous le pé- .
rioste aussi continuellement, constitue le cal et les végétations
osseuses superficielles. De sorte qu’en examinant le tissu après
quinze jours ou trois semaines, un peu plus tôt ou un peu plus
tard, suivant les cas, on trouve toutes les cavités rétrécies par
la formation de couches osseuses nouvelles qui ont emprisonné
les cellules jeunes revenues plus ou moins complètement à l’état
d’ostéoplastes. C’est cette résolution simple, si bien étudiée au
point de vue clinique par Gerdy, que cet auteur a nommée, à
tort, croyons-nous, ostéite condensante, car la condensation ainsi
produite n’est pas définitive. A mesure que l’équilibre se réta¬
blit entre l’assimilation et la désassimilation qui caractérisent
la vie, la matière formée en excès disparaît très-lentement dans
certains cas, mais toujours, cependant, d’une façon indisconti¬
nue, ainsi qu’on peut s’en convaincre en observant, à des époques
de plus en plus éloignées de l’accident, les chevilles osseuses
et les cals de réparation des fractures. Leur volume ne cesse
pas de diminuer pendant toute la durée de l’existence des sujets.
INFLAilMÂTION.
285
Il est vrai pourtant que par des irritations successives, entre¬
tenues pendant longtemps, il peut se produire dans les os des
condensations très-persistantes, semblables aux indurations du
tissu conjonctif, et résultant comme elles de ce qu’on appelle
inflammation chronique. Mais encore ici l’altération n’est pas
immuable, et bien que la résorption soit infiniment lente, elle
deviendrait appréciable si les animaux vivaient assez longtemps,
et si surtout de nouvelles actions irritantes n’entretenaient les
activités élémentaires à un degré supérieur au degré normal.
Comme dans le tissu conjonctif et tous les autres, du reste,
l’inflammation du tissu osseux, quand elle a été provoquée par
une irritation plus violente, peut se terminer par la suppura¬
tion ou la mort, qu’ici on désigne sous les noms de carie super¬
ficielle et profonde et de nécrose.
Quand un os suppure, on trouve dans les cavités qu’il pré¬
sente, au milieu des cellules de moelle osseuse, des éléments
ronds avec leur noyau en voie de division, ou granuleux dans
toute la masse de protoplasmk. Ce sont les globules purulents
qui, libres d’adhérence, les uns aux autres, sont là [en suspen¬
sion dans un milieu liquide et granuleux constituant le sérum
dù pus. Lorsque les cavités qui les contiennent communiquent
.avec le monde extérieur par une ouverture déclive, le liquide
en excès s’écoule en entraînant les leucocytes, et avec le temps,
l’irritation s’atténuant graduellement, la plaie se cicatrise par
la formation, sous les bourgeons charnus, de nouvelles couches
osseuses analogues à celles que nous venons de décrire. Il y a
donc encore, ici, en résultat dernier, une réparation par réso¬
lution indirecte ; et, comme dans le cas précédent, la texture
normale est précédée d’une condensation passagère et plus ou
moins durable de l’organe.
Mais si l’irritation est plus intense ou entretenue par une
cause quelconque, la mortification dans une étendue, variable
suivant l’intensité de l’inflammation, peut avoir lieu avant la
réparation, ou être la tin des troubles nutritifs. Quand par
exemple la substance compacte d’un os long a subi une violente
contusion, il est possible, et même fréquent, que ses vaisseaux
capillaires, logés dans les canaux de Havers, dont l’élargisse¬
ment par la résorption de l’osséine a lieu lentement, s’obstruent
rapidement par l’afflux et la coagulation du sang dans leur
intérieur, et que la circulation cessant définitivement dans un
fragment plus ou moins large, celui-ci se mortifie d’emblée. Au
bout de quelques jours, il est séparé dans sa partie profonde et
286
INFLAMMATION.
son contour du tissu enyironnant, par l’apparition aux points
de jonction, sous l’influence de l’exagération nutritive et forma¬
trice, d’une couche de tissu embryonnaire suppurant, qui
l’isole à l’état d’esquille. Devenu corps étranger, il est destiné à
être éliminé de l’économie. Après sa chute, la réparation s’ef¬
fectue par les changements anatomiques que nous venons
d’indiquer à propos de la suppuration résolutive. Cette forme
de destruction partielle est celle qu’on nomme spécialement
nécrose en clinique.
• Une mortification identique, par l’obstruption rapide du réseau
capillaire, peut être rencontrée dans le tissu spongieux qui
présente alors une coloration rouge brun, et bientôt une fria¬
bilité anormale. Ici, on désigne le phénomène sous le nom de
carie superficielle. Dénomination qui a une valeur pratique
réelle, car, en effet, la mortification arrivant par ce mécanisme,
reste limitée aux portions extérieures et peut se guérir par les
seuls efforts de la nature.
Il n’en est plus de même de celle qui résulte de la suppura¬
tion abondante dans les aréoles de l’os. Elle tend à gagner con¬
tinuellement et, pour cette raison, est nommée carie profonde.
Quand l’irritation a déterminé la production du pus dans les
aréoles du tissu spongieux d’un os, ainsi qu’omle voit si fré¬
quemment dans la troisième phalange du cheval, si le liquide,
par une cause quelconque, ne peut s’écouler au dehors, il entre¬
tient l’irritation à un degré élevé autour de lui, et augmente
incessamment de quantité jusqu’au moment où il efface et
détruit les vaisseaux capillaires. Alors, la vie s’éteint de proche
en proche par la propagation incessante de l’inflammation sup¬
purative, sous l’influence de l’irritation entretenue par le pus
préformé, agissant à la manière d’un corps étranger.
On voit qu’ici comme dans le tissu conjonctif, et nous pou¬
vons même ajouter, comme partout^ au point de vue anato¬
mique, les phénomènes inflammatoires sont essentiellement
identiques, dans leur apparition, leur marche et leurs diverses
terminaisons.
Maintenant, pour compléter cette étude anatomique, il nous
reste à faire l’examen des épiphénomènes qui peuvent accompa¬
gner ou suivre l’inflammation accidentelle, et qui tous, présen¬
tent des aspects particuliers dépendant de la disposition physique
des tissus, de leur organisation plus ou moins riche et parfois
d’un état spécifique auquel l’organisme est en proie. Ils com¬
prennent les exsudats, les hyperplasies, les dégénérescences, les
INFLAMMATION. 287
ulcérations, et enfin, dans bon nombre de circonstances, les
modifications du sang.
I. ANALYSE ANATOMIQUE DES EXSUDAIS.
Lorsque l’inflammation s’est développée dans une membrane
sous l’influence d’une cause quelconque, il s’épanche bientôt, à
la surface de celle-ci, des produits dont une partie lui forme un
revêtement plus ou moins complet, et l’autre est rejetée au
dehors, ou s’accumule dans le sac clos qu’elle représente. L’en¬
semble de ces épanchements est désigné sons le nom générique
d’exsudat, et suivant les caractères qu’ils présentent, on les
détermine par des qualificatifs variés.
A. Exsudais séreux. — On désigne ainsi les épanchements
liquides, qui ne contiendraient que de l’albumine dissoute sans
aucune trace dé matière fibrinogène. La possibilité de leur produc¬
tion dans les cavités séreuses a été admise sans peut-être qu’on
l’ait jamais constatée chimiquement. Pour notre part, nous n’en
avons jamais observé. Dans tous les cas d’bydropisie inflamma¬
toire d’une séreuse, nous avons vu le liquide se coaguler plus
ou moins. Quelquefois pourtant, nous avons trouvé la sérosité
de l’ascite, chez le chien notamment, absolument incoagulable
spontanément. Mais c’était toujours lorsqu’il existait des tumeurs
dans les viscères abdominaux et, dans ce cas, il n’y avait plus, à
notre, avis, un effet de l’inflammation.
Donc sans nier qu’il puisse se rencontrer des exsudats inflam¬
matoires exclusivement séreux, nous croyons pouvoir affirmer
au moins qu’ils sont extrêmement rares chez nos aminaux
domestiques.
B. Exsudats fibrineux. — Ce sont les épanchements qui lais¬
sent par coagulation, à la surface de la membrane, une couche
de fibrine concrète. Ils se rencontrent toujours sur les séreuses
quand l’inflammation est un peu vive, et souvent aussi, sur les
muqueuses.
Ils représentent des enduits irréguliers, chagrinés et réticulés
qui peuvent avoir depuis une épaisseur à peine visible à l’œil
nu jusqu’à quelques centimètres. En les examinant à un gros¬
sissement de on les voit composés de filaments droits ou
légèrement sinueux d’un diamètre égal sur toute la longueur,
parallèles ou entrecroisés en réseau, et emprisonnant entre eux
des éléments de formes variées, cellules épithéliales et globules
de pus.
Ceux qui existent sur les séreuses splanchniques sont exclu-
INFLAMMATION.
sivement constitués par de la fibrine ou plasmine concrétée
emprisonnant les éléments cellulaires, exactement comme le
caillot de tous les animaux autres que le cheval, et le caillot
rouge de ce dernier, contiennent les globules du sâng. Quelque-
fois la fibrine se coagule rapidement et se dépose couche par
couche, sur la membrane, en masse considérable. D’autres fois,
elle reste plus longtemps en solution ; et on la voit se déposer
sur les parois du vase dans lequel on a recueilli le liquide de
la pleurésie par la tboracentèse.
Avec les produits dont nous venons d’indiquer la composition
anatomique, il existe dans les cavités séreuses une quantité
considérable de liquide, dont les propriétés physiques varient.
Tantôt il est jaunâtre transparent, d’autres fois il est blanchâtre
et trouble, ou rosé, rougeâtre, livide, etc. Caractères qui tous
sont dus à la présence de particules et de matières colorantes
dans le sérum.
Ce que nous venons de signaler montre qu’ici encore l’in¬
flammation ne diffère pas essentiellement de ce qu’elle est dans
les tissus ôù nous l’avons étudiée déjà. En effet, les épanche¬
ments dont il s’agit; constituent au point de vue anatomique
une véritable suppuration, puisqu’ils se composent d’un sérum
tenant en suspension des leucocytes, des granulations molé¬
culaires,- parfois quelques globules rouges du sang plus ou
moins désagrégés et de la fibrine concrète, adhérente ou non à
la membrane. Il n’y a véritablement qu’une différence dans les
propartions relatives des diverses parties constituantes, liquides
et solides. Du reste, une preuve irréfragable à l’appui de notre
manière de voir résulte de la gradation insensible qui existe,
dans les cas de pleurésies, par exemple, entre des épanchements
d’un liquide transparent, pauvre par conséquent en leucocytes
et granulations fibrineuses libres, et ceux, au contraire, qui
sont blanchâtres, troubles, plus épais par suite de l’abondance
de ces mêmes éléments, et qu’en clinique on qualifie de puru¬
lents. A une époque même très-rapprochée de nous, on n’aurait
pas songé à rapprocher, au point de vue anatomique,le liquide
d’un abcès et celui de la pleurésie aiguë, et cependant, aujour¬
d’hui, que les instruments grossissants et la chimie organique
ont permis de faire de chacun une analyse complète, leur iden¬
tité essentielle nous paraît incontestable.
Les exsudats fibrineux n’ont qu’une existence éphémère, et
sont destinés à être, comme le pus, rejetés au dehors, si les
sujets ne succombent pas aux suites de l’inflammation.
INFLAMMATION.
289
Lorsqu'ils recouvrent une muqueuse, ils s’écoulent en
grande partie au dehors en se ramollissant, pour arriver à
l’état de granulations et mettre en liberté les leucocytes qu’ils
retenaient. Dans ces conditions, la plus faible quantité est
résorbée à l’état de produits de désassimilation, comme lorsque
l’épanchement a eu lieu dans le sac clos d’une séreuse.
Dans ce dernier cas, la totalité ne peut disparaître qu’en ren¬
trant dans le torrent circulatoire qu’elle traverse, pour être
expulsée ensuite par les sécrétions normales. Les caillots fibri¬
neux adhérents à la membrane, comme ceux qui flottaient
dans le liquide, se désagrègent pour arriver à l’état granu¬
leux; les globules subissent la dégénérescence graisseuse;
puis le détritus, y compris l’albumine en dissolution dans le
liquide, s’oxyde en donnant naissance à des principes immé¬
diats cristalloïdes qui sont résorbés et éliminés à différents
degrés de combinaison. Aussi, si on ouvre, après quinze jours ou
trois semaines, un animal chez lequel on a fait développer une
péritonite artificiellement, comme nous l’avons ..fait chez le
chien, quand celle-ci ést en voie de guérison, on ne trouve que
peu de liquide et aucune trace de fausses membranes. En
même temps, l’épithélium qui avait disparu en revenant à la
forme embryonnaire et formant les globules de pus s’est repro¬
duit en partie ou en entier. Les cellules immédiatement ap¬
pliquées sur le derme de la membrane se sont aplaties et
durcies à leur face libre, ainsi que nous l’avons indiqué anté¬
rieurement. Plus loin, nous reviendrons sur le mécanisme de
production de ces différents changements anatomiques.
c. Exsudais hémorrhagiques. — On désigne sous ce nom les
hémorrhagies capillaires qui se produisent dans l’épaisseur et
à la surface des tissus enflammés. Ils ne font jamais défaut
quand l’inflammation est un peu vive. Ainsi on ne voit pour
ainsi dire pas d’abcès, dont le pus ne- contienne, dans le début
au moins, quelques globules rouges du sang, ni même de
simple coryza, dont le liquide ne renferme quelques-uns de ces
mêmes éléments. Leur abondance est très-variable. Ils peuvent
ne pas modifier la couleur des liquides exsudés et être à peine
reconnaissables à un examen microscopique attentif, ou bien
ils donnent à l’ensemble une teinte rouge plus ou moins
foncée. Généralement, ces exsudais se produisent à la suite
de rupture de quelques capillaires ; d’autres fois cependant,
ils résultent de la sortie, à travers les parois des vaisseaux, des
globules rouges avec le liquide qui transsude, sans la produc-
X. 19
2SÔ
INFLAMMATION.
tion préalable d’aucune brèche apparente. Ce fait a été constaté
par tant d’observateurs qu’il ne peut plus être mis en doute
aujourd’hui.
Les caractères que présentent les exsudats sanguins sont
variables suivant l’époque pendant laquelle en les étudie. Aus¬
sitôt après leur sortie des vaisseaux, les globules du sang se
montreutintacts, libres dans les liquides pathologiques ou em¬
prisonnés dans le caillot formé par le plasma du sang. S’ils sont
logés dans les interstices des tissus, ils forment les taches
occhynaotiques que l’on rencontre si souvent, et dont la cou¬
leur va en se fonçant avec le temps par suite du défaut d’oxy¬
dation. Plus tard, ees éléments colorés se détruisent en se
réduisant en granulations d’abord brunes, puis noires, et en
cédant aux liquides résorbés les matières colorantes dont nous
ayons parlé. Cette régression, si bien étudiée par M. Oh, Robin,
est, ainsi que nous l’avons dit déjà, la cause de la coloration
ardoisée des tissus qui ont subi l’inflammation et de la teinte
jaune que présentent pendant quelques jours le plasma san¬
guin et les muqueuses apparentes.
D. Exsudât mueo-fihnneux (eroupal des Allemands). — Sons
ce nom, les auteurs d’outreTRhin ont désigné l’exsudât pseudo-
membraneux qui revêt les muqueuses et les synoviales enflam¬
mées. Il diffère, au point de vue anatomique, de l’exsudât fibri¬
neux, par ce seul fait qu’il contient des filaments de mucine
mélangés a la plasmine conerétée et emprisonuant avec elle les
éléments figurés, cellules épithéliales plus ou moins modifiées,
et globules de pus. La mucine, ici, se reconnaît à la résistance
qu’elle présente à l’action de l’aeide acétique.
Beaucoup d’auteurs, notamnaent en Allemagne, ont confondu
cet exsudât, qu’ils ont nommé eroupal, avec celui du vrai croup
et que les Français ont appelé dipbtbéritique. Nous nous rappe¬
lons avoir entendu M. Giraldès, dans une communication qu’il
a faite il y a plusieurs années à la Société de biologie, s’élever
contre cette confusion. Il faisait remarquer que dans la diph-
tbérite, l’épanchement Tibrino-purulent a lieu sous l’épitbélium
et non à sa surface. . ■
E. Exsudât diphthéritique. Les fausses membranes dipb-
tbéritiqnes ne se produisent que sur les muqueuses recouvertes
d’un épithélium complexe, formé de plusieurs couches super¬
posées, dont la plus superficielle est dure et propre à supporter
le contact du monde extérieur comme celles de la bouche et du
pharynx. Contrairement aux pseudo-membranes fibrineuses
liSFLAMMATION.
29i
ijui conservent leurs caractères après la rnort, celles-ci dispa¬
raissent presque ou ne forment plus qu’un endnil pullacé Gpjgj-
plétement différent de ce qui existait pendant la vie. De tous
les animaux domestiques, les seuls chez lesquels nous les
ayons observées sont des poules et un perroquet, affectés de
croup.
1. Wagner, qui le premier les a bien étudiées, a constaté
qu’elles sont composées de cellules épithéliales, soudées les
unes aux autres, et se dissociant facilement quand on les sou¬
met à l’action d’une solution alcaline faible, En les traitant par
une solution ammoniacale de carmim qui les dissocie et les
colore en même temps, il a vu ces pseudo-membranes se sé¬
parer d’abord en blocs, puis en éléments distincts. Ceux-ci se
montraient sous la forme de plaques irrégulières, munies à
leur périphérie 4© prolongements nombreux qui s’engrenaient
réciproquement. Dans tous ces éléments modifiés, les noyaux
avaient disparu ; ils étaient en outre infiltrés d’une substance
albuminoïde leur donnant par place une réfringence très-
remarquable. Wagner les a considérés comme des cellules épi¬
théliales ayant subi )a dégénérescence fibrineuse, car il trouve
entre eux et les cellules épithéliales normales tous les degrés
intermédiaires. L’exactitude de tous ces faits a été vérifiée de¬
puis par MM. Cornil et Ranvier. Cependant, ces auteurs n’ad¬
mettent pas, en raison de la facilité avec laquelle elles fixent le
carmin lorsqu’on les traite par le picro-carminate d’ammo¬
niaque , que les cellules des enduits diphthérifiques aient
éprouvé la dégénérescence fibrineuse. Pour eux, elles auraient
été imprégnées au contraire par une matière se rapprochant
de la mucine.
Sous les fausses membranes du vrai croup, ainsi que l’ont
constaté les deux auteurs que nous venons de citer, on ren¬
contre souvent des exsudats hémorrhagiques et des globules de
pus les séparant du derme de la muqueuse, revenu plus ou
moins à l’état de tissu embryonnaire.
Cette disposition anatomique Justifie bien l’opinion de
M. Giraldès que nous avons rappelée précédemment. En effet,
ici les pseudo-membranes sont constituées par l’épithélium
préexistant qui n’a^pas pris part au mouvement inflammatoire,
mais qui s’est plus ou moins modifié sous l’influence de la péné¬
tration purement physique, dans son épaisseur, de liquides non
encore déterminés, pendant que la prolifération cellulaire et
les troubles circulatoires s’accomplissaient sous lui. L’inflam-
292
INFLAMMATION.
mation, dans ce cas, débute profondément dans le derme mu¬
queux, incontestablement par l’effet d’une cause interne rési¬
dant dans l’organisme même, et non par suite d’une irritation
directe qui aurait nécessairement agi sur l’épitbélium et aurait
occasionné en lui l’exagération nutritive et formatrice que.
nous avons fait connaître d’autre part.
F. Ulcérations. — On nomme ainsi des cavités creusées par
destruction graduelle des membranes tégumentaires, enflam¬
mées sous l’influence d’une cause spécifique externe ou interne.
Comme nous ne pouvons, à cette place, donner la description
pathologique des maladies qui traduisent leur existence par la
formation de plaies ulcéreuses à l’extérieur, nous nous bor¬
nons à la définition ci-dessus.
Les ulcérations ont encore été désignées sous le nom com¬
plexe de gangrène moléculaire successive, et par les Allemands
sous celui d’inflammation diphthéritique. On voit par là que,
de l’un et de l’autre côté du Rhin, le sens de ce dernier mot était
bien différent.
Les ulcérations débutent toujours par un bouton enflammé
ou pustule, qui laisse échapper plus ou moins rapidement, sous
la forme d’une goutte de pus, sa partie centrale ramollie. Une
fois ouverte, la cavité qui résulte de cette élimination tend à
s’agrandir incessamment par la destruction continue des bour¬
geons charnus qui tapissent son fond et ses bords et dont nous
n’avons pas à faire connaître ici les caractères cliniques. L’a¬
grandissement progressif est parfois très-lent, d’autres fois,
dans la morve et le farcin aigus ])ar exemple, il est très-rapide ;
toujours, d’ailleurs, il progresse proportionnellement à l’état
d’acuité de l’inflammation. On l’a considéré comme résultant
d’une infiltration des tissus par de la fibrine et du pus, qui,
comprimant les capillaires, empêchent l’afflux du sang dans les
parties malades; et, comme cette, altération est limitée à la sur¬
face, la couche superficielle seule est privée de vie et éliminée.
Au-dessous d’elle, des bourgeons charnus se reforment qui
pourront eux-mêmes être envahis par un processus identique,
se détruire à leur tour et ainsi de proche en proche jusqu’à la
mort des animaux, ou seulement jusqu’à la cicatrisation des
plaies. Car, cela a “été constaté maintes fois en clinique, les
chancres peuvent s’arrêter dans leur accroissement, rester sta¬
tionnaires et même se cicatriser ensuite.
L’explication que nous venons de reproduire sommairement,
vraie nous n’en doutons pas, lorsqu’il s’agit des chancres pha-
INFLAMMATION.
293
gédéniques de la syphilis, de la pourriture d’hôpital et des pus¬
tules de la variole humaine, ne nous paraît pas complètement
satisfaisante pour donner la raison de la marche des chancres
morvo-farcineux. D’abord, nous confessons n’avoir pas vu l’é¬
panchement fibrineux signalé, dans la couche superficielle des
bourgeons charnus de l’ulcère morveux, lorsque nous avons fait
des coupes transversales après durcissement préalable. Malgré
des examens réitérés et très-minutieux, nous n’avons jamais
rencontré que des globules de pus mélangés aux cellules em¬
bryonnaires formant avec les capillaires la surface suppurante.
Aussi, s’il nous était permis de placer une hypothèse dans ce
chapitre d’anatomie pathologique, nous serions porté à dire
que la gangrène moléculaire successive, qui a lieu à la surface
des chancres morveux, est déterminée par la mauvaise qualité
du liquide nutritif apporté aux éléments anatomiques. Il sem¬
ble effectivement que ce liquide possède, à certains moments,
des propriétés toxiques à l’égard des cellules embryonnaires
qu’il tue et fait passer à l’état de globules purulents. Nous don¬
nons cette supposition pour ce qu’elle vaut et seulement pour
montrer qu’ici, comme souvent, la cause réelle du fait phy¬
sique nous échappe.
IL DÉGÉNÉRESCENCE GRANÜLO-GRAISSEÜSE CONSÉCUTIVE
A l’inflammation.
Pendant l’évolution des phénomènes anatomiques que nous
venons d’analyser, ou à leur suite, une altération matérielle
d’un autre ordre peut s’accomplir, c’est la destruction par dégé¬
nération granulo-graisseuse.
Cette altération qui a pour but défaire disparaître, en résultat
dernier par résorption, les éléments anatomiques envahis, a
été désignée par Werter et Burdach sous le nom de métamor¬
phose régressive. M. Ch. Robin répudie comme inexacte cette
expression, acceptée cependant par beaucoup d’auteurs. Pour
lui, et nous partageons cette manière de voir, ce n’est pas par
un retour en arrière que la disparition a lieu, car les éléments
envoie de destruction ne passent nullement par les phases
successives qu’ils avaient présentées antérieurement. Il nous
paraît plus logique, par conséquent, de nous en tenir à l’expres¬
sion qqe nous avons placée en tête de ce paragraphe. Elle est
d’ailleurs aujourd’hui généralement admise et elle a l’avantage
d’exprimer avec plus de précision le fait matériel essentiel.
La dégénérescence granulo-graisseuse porte toujours plus ou
INFLAMMATION.
tu
meins largeinecit sur les éléments spéciaux caractéristiques dé
cértainé tissus, le mUsdülaire, le neryeiix, etc., etc., qui se
trouvent détruits dans une étendue variable par suite du mou=
véiùent Inflammatoire. Elle peut se manifester, en outré, ulté¬
rieurement, dans ceux qui résultent de la prolifération dés
Cellules de la substance conjonctive.
Il nous faut donc maintenant, pour terminer là description
des altérations locales de l’inflammation, indiquer en quoi elle
consiste dans les uns et les autres.
A. Dégénérescence des éléments spéciaüic. Jusqu’à présent,
nous n’ayons examiné les phénomènes intimes de l’inflammation
que dans les tissus dérivant de la substance conjonctive, vascu¬
laires ou non. Dans ceux qui possèdent en plus un élément
propre caractéristique, comme les muscles, les organes nerveux
et certaines glandes, le foie par exemple, en même temps qu*il
se forme dans la trame conjonctive du point irrité un tissu
embryonnaire plus ôu moins épais, et dont nous avons déjà fait
connaître les caractères, dans les éléments spéciaux, la nutrition
diminue OU cesse complètement, exactement Comme lorsqu’un
muscle a cessé de fonctionner par le fait d’une paralysie. Les
éléments fondamentaux deviennent d’abord granuleux. Ils
montrent dans toute leur masse de fines granulations réfrin¬
gentes, ayant de 1 à 2 millièmes de millimètre de diamètre ; puis
ces granulations se séparent et forment une bouillie athéroina-
teuse; enfin elles disparaissent par résorption et à la place
qu’occupaient les éléments spéciaux, il n’y a plus que du tissu
conjonctif jeune.
C’est ainsi que se constituent dans les muscles qui ont
éprouvé l’inflammation les pièces fibreuses de grandeur va¬
riable qui réunissent, après la résolution directe ou indirecte,
les faisceaux divisés et qui laissent encore au muscle la faculté
de se contracter. C’est de cette façon, également, que se pro¬
duisent les scléroses qui suivent les inflammations lentes de la
névroglie dans la moelle et se caractérisent à l’extérieur par
l’ataxie locomotrice si bien étudiée à tous les points de vue chez
l’homme, par M. le professeur Charcot; et les cirrhoses du foie,
du rein, du poumon, etc.
B. La dégénérescence granulo-grâisseuse peut être également
observée dans les éléments anatomiques produits par l’inflam-
mation, toutes les fois que ceux-ci sont trop nombreux, relati¬
vement à l’apport des matériaux nutritifs. Ainsi, dans tous les
cas de suppuration un peu abondante et surtout ancienne, à la
inflammation.
29o
surface d’une muqueuse ou ailleurs, un certain nombre des
globules purulents deviennent opaques et remplis de granula¬
tions graisseuses. Lorsque le pus est produit lentement dans le
tissu conjonctif, par suite de l’inflammation chronique, qufllest
contenu dans une poche étroite à parois épaisses et indurées,
ainsi qu’on le voit souvent au bord antérieur de l’épaule du
cheval, tous les leucocytes subissent cette même dégénération
et se réduisent en granulations formant ensemble une pâte
caséeuse. Il peut se faire même, si la poche purulente n’est pas
ouverte pour donner écoulement au liquide qu’elle contient,
que les granulations se dissolvent et qu’avec le temps tout soit
résorbé. Il y a alors ce que Virchow a nommé résorption phy¬
siologique du pus.
Non-seulement les éléments du pus, mais ceux mêmes qui
entrent dans la composition du tissu conjonctif nouveau et
constituent les indurations, les chéloïdes, etc., etc., peuvent
subir en partie les mêmes transformations et se détruire, très-
lentement sans doute, mais d’une façon indiscontinue. On
trouve alors dans les points où cette destruction s’effectue, de
petits foyers semi-liquides, qu’on nomme athéromateux et qui
sont fréquemment rencontrés chez l’homme à la suite de l’en*
dartérite chronique.
C’est encore là, un moyen que la nature emploie pour se dé¬
barrasser de ce qui s’est formé en excès dans un point déterminé.
Moyen inintelligent parfois, puisque la dégénérescence athéro¬
mateuse des parois d’une artère, par exemple, peut avoir pour
conséquence, en rendant ces parois plus friables, de permettre
une déchirure et consécutivement des accidents de la plus haute
gravité,— mais qui est toujours, pourtant, l’expression d’un effort
vers le retour à l’état normal.
Peut-être, le lecteur s’étonnera-t-il de ne pas trouver ici un
dernier paragraphe consacré à l’inflammation chronique. La
raison de cette suppression est que la division classique, établie
arbitrairement entre les deux formes de l’inflammation, très-
importante, nécessaire même pour la description complète et
précise des causes, des symptômes et de l’anatomie à la simple
vue, n’est d’aucune utilité dans l’étude microscopique des
altérations anatomiques. Dans tous les cas, elles sont identiques.
Toute la différence réside exclusivement dans la rapidité de
leur production. Du reste, non-seulement entre les- deux ex¬
trêmes, mais même entre l’état normal de la nutrition et l’in¬
flammation tumultueuse, il y a une gradation insensible et sans
296
INFLAMMATION.
aucune démarcation appréciable. Ceci suffit, pensons-nous,
pour justifier l’absence de ce qui d’ailleurs ne pourrait être
qu’une répétition paraphrasée et écourtée de tout ce qui pré¬
cède.
III. Altérations anatomiqüès et chimiques des humeurs.
Pour compléter l’étude des lésions microscopiques de l’inflam¬
mation, il nous faut maintenant indiquer sommairement les
modifications anatomiques èt chimiques qui se produisent dans
certaines humeurs de l’économie, à la suite des phénomènes que
nous ayons examinés. Dans bon nombre de cas, en effet, toutes
les fois que le mouvement inflammatoire s’établit dans un
organe important, avec une certaine activité, et qu’il acquiert
une étendue un peu considérable, le sang et l’urine sont modi¬
fiés dans leur composition d’une façon très-appréciable. Nous
allons passer en revue successivement les altérations qu’ils
subissent.
A. Le sang est composé, comme on sait, dé parties solides :
globules rouges, globules blancs, globulins, granulations
grasses et protéiques ; et de parties liquides : plasmine concres-
cible ou fibrine, plasmine liquide, albumine, matières grasses,
extractives et cristalloïdes. Les premières sont en suspension,
les autres en dissolution dans le sérum ou plasma.
A différentes époques on a dit que les globules rouges aug¬
mentaient dans le sang sous l’influence de l’inflammation, qu’il
y avait une pléthore inflammatoire. Mais jamais on n’a donné
de cette assertion une démonstration physique ou chimique.
Il résulte même des travaux récents, qui ont été faits en physio¬
logie pathologique et en chimie biologique, la preuve que le
sang s’appauvrit en globules rouges. Quand les maladies se pro¬
longent, il arrive qu’après leur guérison les sujets sont plus ou
moins épuisés et anémiques. C’est» là un fait d’observation
journalière contre lequel il est impossible d’élever le moindre
doute. Rien ne justifie donc l’opinion que nous combattons. Elle
a été émise, du reste, à_ l’époque où, n’ayant à leur disposition
que des moyens d’étude et d’analyse insuffisants, les anatomo¬
pathologistes confondaient la coagulabilité du sang avec la
plasticité, la richesse véritable de ce liquide. •
Aujourd’hui, il est bien constaté que la rapidité de la coagu¬
lation de ce liquide, retiré des vaisseaux, n’est pas le moins du
monde en rapport direct avec sa richesse en globules rouges,
ni même en matériaux assimilables et qu’elle est due unique-
INFLAMMATION.
297
ment à l’augmentation de laplasaune concrescible; augmenta¬
tion qu’il n’est plus permis de considérer comme signalant la
pléthore, ainsi que le faisait remarquer dans son cours de thé¬
rapeutique générale M. G. Sée. Hypérinose (1), disait-il, n’est
pas pléthore. Aussi, loin de trouver une plus grande quantité
d’hématies, constate -t-on, dans des cas déterminés au moins,
une diminution très-notable de ces éléments anatomiques.
Cette découverte scientifique fait déjà pressentir combien il
est avantageux, sinon de proscrire d’une façon absolue, au
moins de modérer les émissions sanguines dont on a tant abusé
systématiquement sous la pression des excès de la doctrine
physiologique, pour combattre les inflammations viscérales.
Quant au mécanisme de cette action déglobulisante de l’in¬
flammation, nous aurons à l’étudier dans le chapitre de la
physiologie.
Outre cette modification générale, constatée dans certains cas
déterminés, et portant sur la quantité des éléments essentiels
du liquide circulatoire, ceux-ci subissent, dans le foyer inflam¬
matoire même, une altération particulière qui a été décrite
récemment par M. Vulpian. Ils deviennent visqueux à leur
surface; ce qui explique leur tendance à adhérer les uns aux
autres et aux parois des vaisseaux. Enfin, quand ils s’arrêtent
définitivement dans les capillaires, comme lorsqu’ils sont éli¬
minés sous forme d’exsudats hémorrhagiques, l’hémoglobine
éprouve des transformations successives étudiées par M. Traube,
MM. Ch. Robin et Sée, qui aboutissent à la formation de pig¬
ment noir et de matières colorantes de la bile. Nous avons déjà
signalé antérieurement cette destruction ^ des hématies en
décrivant l’état matériel des tissus.
L’augmentation du nombre des globules blancs a été signalée
depuis longtemps dans certains états pathologiques, notamment
la leucémie, mais nous ne sachons pas que, jusqu’à présent, on
ait parlé d’une modification semblable du sang sous l’influence
de l’inflammation. Nous nous en étonnons presque, car des
observations cliniques, déjà assez nombreuses et encore iné¬
dites, nous ont montré cette augmentation avec des proportions
très-appréciables dans certains cas d’inflammations étendues
du poumon du cheval par exemple.
A l’état normal il y a, comme on sait, environ un leucocythe
pour trois cents globules rouges. Souvent nous avons vu dans
le sang de chevaux atteints de pneumonie une proportion beau-
(1) Mot employé par Virchow pour désigner l’augmentation de fibrine.
298
INFLAMMATION.
coup plus grande, lorsque la maladie était arrivée à la période
d’état et' surtout lorsqu’elle se terminait par la mort. Alors,
dans le sang recueilli à l’autopsie, il nous paraissait y avoir ^
et même ^ de globules blancs. Cette différence de proportion
résultait-elle d’une augmentation totale du nombre des lêuco-
cytbes, d’une diminution des globules rouges ou d’un ralentis¬
sement dans la formation de ces derniers ? Nous ne voulons pas
juger cette question, car la production des éléments anatomiques
du sang est encore un point de physiologie entouré de trop
d’obscurité, et l’on est exposé à tomber dans lès hypothèses
en cherchant une conclusion. Mais le fait physique, d’une dif--
férence notable dans le nombre relatif des uns et des autres,
nous paraît incontestable dans quelques: cas déterminés d’in¬
flammation, sinon dans tous. Nous devons ajouter que cette
différence n’est pas apparente dès le début, qu’elle s’accuse
lentement et devient très-sensible quand, par suite del’étenduè
de la pneumonie, les sujets succombent après un temps plus
ou moins long..
Nous ignorons si les granulations graisseuses et protéiques
augmentent ou diminuent dans le sang à la suite de l’inflam¬
mation. Personne, que nous sachions, n’a jusqu’à ce jour rien
indiqué à ce sujet. On a vu, il est vrai, dans certains cas de
péritonite et d’abcès du sein chez la femme, le sérum devenir
laiteux, altération désignée sous le nom de lipémie; mais on
n’a pas déterminé la relation qu’il pouvait y avoir entre l’in'-
flammation locale et cet état du sang. Il serait peut-être erroné
de rattacher les deux faits l’un à l’autre, car nous avons trouvé
une fois dans le Sang d’un âne, m-ort subitement sous nos yeux
à la consultation, après plusieurs jours de malaise général, une
- modification identique à celle dont il s’agit. Après la coagüla-
tion du sang en nappe, on voyait sur toute la surface du caillot
une couche mince d’un blanc nacré, et le sérum séparé présen¬
tait une teinte laiteuse très-accusée. L’examen microscopique
à montré que cette coloration était due à la présence d’une
quantité considérable de granulations graisseuses, formant une
coucbe continue sur le caillot et nageant dans le sérum.
A l’autopsie, on n’a trouvé aucune trace d’inflammation d’un
organe quelconque. Ici donc, la lipémie était primitive et essen¬
tielle. Aussi, il nous paraîtrait hasardé, dans le cas ôù elle
coexiste avec une affection inflammatoire, de la rattacher à
celle-ci.
Si, en général, les modifications dans le chiffre des éléments
INFLAMMATION.
299
du saüg sont assez limitées et lentes â se produire, il en est tout
autrement pour les principes immédiats en dissolution dans lé
piasinâ. La quantité de ceux-ci éproute toujours des variations
qui peuvent devenir considérables quand un viscère important
est enflammé dans une grande partie de son étendue.
M. ÿirchôw, dans sa théorie de l’hypérinose inflammatoire,
signalé une diminution de l’albumine, où sérine de Denis. Ist-cé
parce qu’il y a une dépense exagérée de cette substance pour
fournir à la prolifération des tissus enflammés que cette dimi¬
nution a lieu? La diminution résulte-t-élle de la transformation
de l’albumine ên plasmine? Le jour n’est pas encore complète¬
ment fait sur ce point. On ne sait pas encore bien même si
cette diminution est toujours sensible. Pour M. Vulpian, il n’éSt
pas bien prouvé que ce principe soit diminué dans tous les
cas. Lorsqu’on s’est occupé de rechercher par des analyses chi¬
miques s’il était moins abondant, c’est que l’inflammation de
l’organe malade s’accompagnait d’un trouble fonctionnel auquel
on attribuait la désalbumination, et alors on constatait souvent
des pertes considérables, dans les cas de dysentérie et de né¬
phrite albumineuse par exemple. Mais la chimie organique ne
nous a pas encore parfaitement éclairés sur cô point, pour tous
les Cas d’inflammation. Il ne faut donc pas se hâter de formuler
une opinion déûnitivé.
Ûüè altération très-importante est celle qui résulte de l’aug-
üientation de la fibrine ouplasmineconcrescible. Cette substance,
que les travaux de MM. Dénis, Al. Schmidt, Robin et Ver-
deil, etc., ont démontré n’être qu’une modification isomérique
de la plasmine liquide, principe dérivant lui -même de l’albu¬
mine ou sérine, a joué un grand rôle dans l’histoire de la sai-
,ghée. Son abondance était si bien constatée dans le cas d’inflam¬
mation, que l’on pratiquait dés saignées exploratrices pour
confirmer ou établir le diagnostic; et l’abondance de la couenne
inflammatoire sur le caillot éliminait immédiatement l’idée de
fièvre. On saignait ensuite pour diminuer la plasticité supposée
du sang, que l’on croyait être exprimée par son excès de fibrine.
Cette idée, émise par des hommes d’une telle notoriété qu’ils
pouvaient, pour ainsi dire, imposer leurs opinions à leurs con¬
temporains, fut acceptée sans conteste jusqu’au jour où MM.Bé-
hier et Hardy constatèrent que la saignée, loin de diminuer la
coagulabilité du sang, rendait ce liquide plus coagulable. Cette
découverte importante fut le signal de la révolte contre l’abüs,
si fréquent au commencement de ce siècle, des émissions san-
300
INFLAMMATION,
guines. Une fois l'erreur renversée, on étudia sans parti pris, et
il fut bientôt établi que l’abondance de la fibrine n’indiquait
nullement un excès de richesse du sang, mais seulement une
modification isomérique de la plasmine liquide. Et, en effet, il
y a interversion dans le rapport de ces deux principes. A mesure '
que la fibrine augmente, la plasmine liquide diminue. Dans
certains cas, on a retiré de la première jusqu’à 10 millièmes
du poids du sang, au lieu de 3, qui est à peu près la propor¬
tion normale. La quantité est d’ailleurs toujours en raison di¬
recte de l’étendue de l’inflammation.
Outre cette augmentation parfois considérable de la fibrine, on
constate encore, dans les cas d’inflammation, un accroissement,
exactement proportionné à l’étendue et la rapidité des phéno¬
mènes inflammatoires, de tous les principes immédiats de la
dénutrition que M. Ch. Robin a désigné sous le nom de produits
de déchet. L’urée, l’acide urique ou hippurique et les autres
substances analogues ont été rencontrés en quantités sensible¬
ment plus grandes qu’à l’état normal, et, bien que la science
ne soit pas encore définitivement fixée sur ce point, les faits
publiés sont déjà assez nombreux pour fournir la preuve qu’il
doit en être ainsi dans tous les cas.
Enfin, on admet généralement qu’il y a accumulation dans
le sang de matières grasses sous l’influence de tout processus
inflammatoire. Mais il faut avouer que, sur ce point encore, les
analyses chimiques manquent un peu de précision. Lorsqu’on
les examine minutieusement, on voit qu’elles confondent en¬
semble tous les principes gras et même des principes extractifs
non déterminés. Il faut donc reconnaître que l’anatomie patho¬
logique présente ici, à combler, une lacune importante.
Nous ne croyons pas devoir être plus affirmatif en ce qui
concerne l’effet glycosurique de certaines évolutions inflamma*
toires. On a admis aussi que, dans quelques cas, la destruction
des produits d’inflammation donnait naissance à du glucose
dans le sang ou les urines. Cette assertion, il nous semble, doit
être corroborée par des démonstrations circonstanciées, avant
d’être acceptée comme un fait ayant un caractère de géné¬
ralité.
B. La composition de l’urine est modifiée, notamment à la
période de résolution des inflammations, c’est là un fait aujour¬
d’hui incontestable, observé depuis longtemps par les cliniciens,
qui ont nommé urines critiques celles qui sont éliminées quand
la maladie entre régulièrement dans la voie de la résolution.
INFLAMMATION.
301
Cependant, sur ce point encore, les recherches chimiques
manquent de précision, de chiffres pourrions-nous dire. On sait
bien que l’urine est plus épaisse, plus chargée d’urée et autres
produits excrémentitiels, mais on ignore, en partie, si la masse
totale de ces produits, formés dans une période de temps donné,
est plus grande qu’à l’état normal, car la quantité du liquide
expulsé est souvent notablement moindre. Aussi, bien que tout
porte à croire qu’il y a augmentation dans l’expulsion des pro¬
duits de déchet, il faut reconnaître que la démonstration irré¬
futable de ce fait n’est pas encore donnée.
Une autre modification de l’urine résulterait de la disparition
presque complète du chlorure de sodium, signalée d’abord par
Redtenbacher pendant la période d’état de la pneumonie aiguë,
et généralisée ensuite parM. L. Beale. Ce dernier auteur a mon¬
tré, en effet, que, dans tous les cas, le sel s’accumule dans les
exsudais et les néoformations, que son chiffre baisse dans le
plasma du sang et qu’il cesse d’être éliminé par le rein.
On a constaté, par exemple, que quand l’exsudât est expulsé
au dehors, comme dans la bronchite, il contient une proportion
énorme, 18 pour 100, de chlorure de sodium. Ceci a inspiré
l’idée qu’il y avait antagonisme d’action entre le chlorure de
sodium et les sels diurétiques, acétates, citrates, azotates, alca¬
lins, etc.; que le premier exciterait le mouvement d’intégration,
d’assimilation elles autres un mouvement de désintégration. Ces
derniers seraient alors résolutifs dans le vrai sens du mot.
' Sans doute, la démonstration expérimentale manque à ces
idées, mais quand on se rappelle les enseignements qu’on peut
tirer de l’effet du sel marin en hygiène vétérinaire ; combien ce
condiment est efficace pour faciliter l’assimilation de la nourri¬
ture chez les herbivores; combien il est puissant pour préve¬
nir et même arrêter l’anémie ou cachexie aqueuse du mouton,
quand cet animal pâture sur des terrains humides, se nourrit de
plantes aqueuses et diurétiques ; on entrevoit dans cette opinion
un trait de lumière pour la ^thérapeutique et l’hygiène. Nous
nous arrêtons, car nous ne voulons pas, à propos de l’inüam-
mation, en nous laissant glisser sur la pente facile qui unit
toutes les branches des sciences naturelles, entrer dans le do¬
maine de l’hygiène, de la physiologie, etc., etc.
Maintenant que notre description, purement anatomique, des
phénomènes inflammatoires, essentiels et contingents, est ter¬
minée, nous allons chercher à saisir le mécanisme de leur pro¬
duction et la relation existant entre l’état anatomique et les
INFLAMMATION.
1
manifestations extérieures. Ce chapitre, nous rintituierons pjiy,
• siologie de l’inflammation. ; J
g J J J. Physiologie pathologique de l’inilauuhatioiî;
A une époque même assez rapprochée de nous, on n’aurait
pas songé à associer deux mots en apparence aussi forteniéut
contradictoires que ceux de physiologie et de pathologie. C’est
que, pendant longtemps, tout état pathologique était considéré
comme anti-naturel; la maladie était regardée comme un hôte
étranger qui était venu se loger accidentellement dans l’écono,
mie en conservant, pour ainsi dire, une entité propre et une
existence à soi. Mais si cette idée de l’ontologie, si forteme^
battue en brèche par Broussais, peut être vraie, lorsqu’il s’agit
des affections parasitaires, si même, elle peut encore être dis¬
cutée et soutenue quand on l’applique à certaines maladies con¬
tagieuses, il n’èn est plus de même lorsqu’on considère celles
qui sont d’ordre purement inflammatoire. Ces dernières, les
seules qui nous occupent dans cet article général, ne sont tou¬
jours qu’une déviation des phénomènes normaux. Aussi, l’ex¬
pression dont nous nous servons et que nous voulions justifier,
acceptée d’ailleurs aujourd’hui par la plupart des auteqrs con¬
temporains, nous semble-t-elle être la plus exacte, la plus pré-,
eise et la plus logique pour désigner Fétude de la nature et du
mécanisme suivant lequel se produisent les changements maté¬
riels des tissus irrités.
Et d’abord, avant d’entrer dans l’analyse et la synthèse des
faits de notre sujet, existe-t-il. plusieurs espèces d’inflamma¬
tion? Doit-on conserver la distinction établie par Boërhaave et
reconnaître l’existence d’une inflammation pléthorique et d’une
inflammation cachectique ? A cette double question on ne peut
plus hésiter aujourd’hui à répondre par la négative. Si l’état
générai des animaux peut, dans certains cas, être, une prédis
position au mouvement inflammatoire, dans d’autres, imprimer
une marche plus ou moins rapide aux phénomènes, toujours
ceux-ci sont identiques dans leur essence, et si au point de vue
étiologique il est possible d’établir une différence, si les muta¬
tions anatomiques que nous avons étudiées peuvent être pro¬
voquées par des causes de nature dissemblable, toujours, ce¬
pendant, ces mutations sont les mêmes. Le mouvement nutritif
peut subir aussi des écarts, des variations qui l’éloignent, plus
ou moins, de l’équilibre normal et régulier et, cependant, on
n’a jamais pensé à décrire des nutritions de nature différente-
INFLAMMATION.
803
C’est que ce mouvement est toujours un dans ses moyens et
dans son but *. l’entretien et la rénovation incessants des tissus.
Or, comme l’inflammation n’est, en réalité, que l’exagération
des phénomènes qui aboutissent à cette fin, ainsi que cela res¬
sortira, nous l’espérons, de la discussion dans laquelle nous
allons entrer, il serait tout aussi irrationnel d’admettre des
Inflammations que des nutritions de plusieurs espèces.
Ce que Ton appelle spécificité, en pathologie, se rattache à des
conditions physiologiques, sous l’influence desquelles l’irrita¬
tion peut être produite sur les tissus ou les organes, indépen¬
damment des agents extérieurs. Mais l’inflammation qui se dé¬
veloppe alors, malgré les variations qui peuvent être imprimées
à son évolution par les qualités spéciales de l’organisme, ne
présente encore à l’examen anatomique aucune différence appré¬
ciable. Tous les phénomènes contingents, qui viennent se grou¬
per parfois autour des faits essentiels et fondamentaux, sous
Tinfluence soit d’une cause spécifique, d’un état morbide anté¬
rieur ou de combinaisons de causes habituellement banales,
ne modifient en rien le mécanisme de ces derniers.
Il y a donc bien une seule inflammation dont nous allons
maintenant chercher à découvrir le mécanisme et Tessenee,
et, sur ce terrain, nous aurons à discuter des opinions bien op¬
posées. Car si tous les auteurs sont d’accord sur l’existence dès
faits matériels, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’inter¬
préter le sens de ceux-ci.
Mais avant de discuter les théories actuellement militantes;
nous croyons devoir indiquer sommairement lés principales
doctrines qui ont été successivement adoptées aux diffé¬
rentes époques de la médecine. Ce coup d’œil rétrospectif
rapide permettra de saisir par quelles phases diverses la
question a passé avant d’arriver jusqu’à nous. Il serait fort
intéressant, sans doute, de donner à cette revue des déve¬
loppements critiques étendus, et de montrer comment, par la
capitalisation lente et indiseontinue des connaissances humai¬
nes, nous sommes arrivés à la découverte de ce qui paraît à
notre raison être la vérité ; mais une analyse aussi détaillée ne
peut s’accorder avec le cadre de cet ouvrage, distribué sur des
rues absolument pratiques, et nous devons pour ne pas donner
fies proportions relativement trop grandes à notre article, nous
bornerèpour ainsi dire, à une simple énumération. Après cette
courte esquisse historique, nous discuterons les opinions sou¬
tenues à notre époque, et synthétisant les faits que nous avons
304
INFLAMMATION.
1
analysés dans le chapitre précédent, nous indiquerons de quel
côté nous croyons voir ridée juste; ensuite, nous chercherons
le mécanisme des épiphénomènes de l’inflammation, comme
exsudations, altérations des tissus spéciaux et des humeurs;
enfin, nous examinerons, en nous appuyant sur les récentes
découvertes de la physiologie, l’influence du système nerveux
sur le développement et la marche des phénomènes inflamma¬
toires. Ce chapitre comprendra donc quatre paragraphes ainsi
distribués : 1“ Résumé historique des théories de l’inflamma¬
tion; 2° Discussion des théories actuelles, détermination du
mécanisme et de la nature des phénomènes essentiels ; 3® Méca¬
nisme des épiphénomènes ; i® Influence du système nerveux
sur te développement et la marche de l’inflammation.
1® Résumé historique des principales théories de V inflamma¬
tion. — Avant l’époque actuelle, préparée de loin par les tra¬
vaux des Leuwenhœck, Malpighi, Haller, Spallanzani, Hunter,
Broussais, etc, etc., et, de près par les découvertes des micro¬
graphes, des chimistes et des physiologistes expérimentateurs,
MM. Virchow, Cl. Bernard, Ch. Robin, Verdeil, Vulpian, Cor-
nil et Ranvier, Chalvet et beaucoup d’autres, on n’avait sur la
nature de l’inflammation, comme sur celle de la plupart des
phénomènes normaux ou pathologiques, que des idées bien
obscures, bien vagues et le plus souvent erronées. A la place de
faits positifs, on se contentait d’abstractions à l’aide desquelles
on donnait une fausse satisfaction à l’esprit.
Pendant une longue période de siècles, en effet, l’analyse ri¬
goureuse manquant de bases solides, faute de connaissances
exactes et de moyens d’étude suffisants, était remplacée par des
théories imaginaires et plus ou moins ingénieuses. Il avait surgi,
à différentes époques, des esprits originaux auxquels le besoin
de tout expliquer, inhérent à la nature humaine , avait fait
imaginer, à la place de déductions logiques, des interprétations
étranges, souvent empreintes des rêves des alchimistes an¬
ciens, ou des doctrines fantastiques du moyen âge. Gela ressort
en toute évidence de la lecture des ouvrages qui traitent de
l’histoire des sciences médicales.
Hippocrate, esprit d’une rare sagacité et d’un bon sens éton¬
nant, n’ayant aucune connaissance de la circulation et des phé¬
nomènes nutritifs, s’arrêta à la minutieuse observation des
choses extérieures. Aussi se borna-t-il à exprimer, dans l’apho¬
risme dont la traduction latine est si souvent citée : übi
stimulus, ibi fluxus, la relation de cause à effet existant entre
INFLAMMATION.
305
raction irritante et la fluxion inflammatoire. Cette idée de
l’afflux sanguin dans la partie enflammée, comme im fait
constant dans l’inflammation et l’une de ses conditions néces¬
saires, a eu cours longtemps dans la science et a même excité
l’admiration de physiologistes contemporains. C’est que réelle¬
ment eUe est juste pour un grand nombre de cas, et paraissait
l’être pour tous, lorsqu’on croyait que l’inflammation ne pou¬
vait se développer que dans les tissus vasculaires. Cependant,
à la suite de cette idée fondamentale, expression vraie de faits
révélés par les sens, le célèbre médecin de Cos plaça aussi l’by-
pothèse.Pour lui les humeurs viciées par les variations de tem¬
pérature, la nature des eaux, des aliments, etc., etc., se por¬
taient sur un organe quelconque et produisaient d’abord la
congestion; puis, ajoutait-il, « les glandes se gonflent, s’enflam¬
ment et la fièvre s’allume. » Cette assertion, qui a le tort d’en¬
tacher d’une supposition ce qu’il y avait de juste dans l’idée
première, renferme le fond de toutes les théories humorales
remises en honneur à différentes époques, et soutenues souvent
par des esprits distingués qui les firent triompher pour un
temps à force d’éloquence.
La plupart des successeurs d’Hippocrate, dominés par le be¬
soin de pénétrer plus avant dans les secrets de la nature, aban¬
donnèrent bientôt sa méthode d’observation si simple et si
sage.
Érasistrate, commençant à étudier l’anatomie, pensa que
^inflammation était le résultat du passage du sang des veines
dans les artères, qu’il trouvait vides à l’ouverture des cadavres
de criminels qu’il obtenait l’autorisation de disséquer. Pour lui,
comme pour Erophile et leurs contemporains, ces vaisseaux
dans l’état normal ne servaient qu’à la circulation de gaz ou
d’un esprit.
Après eux, vint Asclépiade qui, appliquant aux corps orga¬
nisés la théorie d’Épicure sur la constitution des minéraux,
supposa que le corps humain était composé d’atomes, dont les
plus gros formaient les solides, en laissant entre eux des in¬
terstices dans lesquels circulaient les particules plus fines, des¬
tinées à fournir les matériaux de réparation. Quand ces petits
corps mobiles, entre lesquels il établissait des divisions et qui
avaient suivant lui des fonctions distinctes, devenaient trop
grossiers, ils s’arrêtaient dans les interstices et occasionnaient
l’inflammation, la douleur, la fièvre, etc.. On retrouve encore,
dans cette théorie imaginaire, l’idée fondamentale émise par
20
X.
306
INFLAMMATION.
Hippocrate de l’altération préalable du sang précédant l’appa¬
rition des phénomènes locaux des maladies.
C’est dans les ouvrages de Thémison que se rencontre le
premier rudiment des doctrines solidistes. Disciple d’Asclépiade,
cet auteur, au lieu de voir la cause des maladies inflammatoires
dans un épaississement des particules mobiles viciées, les attri¬
bua à la constriction des pores dans lesquels celles-ci devaient
circuler. Ses élèves, qui se donnaient le nom assez élogieux de
méthodistes, développant les idées du maître, ne virent plus
dans les maladies qu’un effet du strictum ou du laxum àes
pores organiques.
Gelse arrive ensuite. Il donne de l’inflammation une défini¬
tion reproduite par le grand Hunter, contenant ce fameux qua¬
drilatère : tumor^ ruhor, calor^ dolor, et justement demeurée
célèbre. Mais sa théorie n’est qu’une reproduction de celle
d’Erasistrate. Si le sang, dit-il, passe dans les vaisseaux destinés
aux esprits, il se produit de l’inflammation.
Un peu plus tard, Galien considère l’inflammation comme le
résultat de la douleur, et place cet autre axiome à côté de celui
d’Hippocrate : übi dolor, ibi fluxus. Be plus, dédaignant les
théories purement spéculatives de ses prédécesseurs, il étudie
avec soin les symptômes, et après avoir constaté que dans toute
partie enflammée ily a un développement exagéré de chaleur,
il donne le nom de phlegmon, conservé jusqu’à nous, à toute
tumeur dans laquelle se font sentir des pulsations et de la cha¬
leur. Il y avait là un véritable progrès par un retour aux judi¬
cieux préceptes du père de la médecine et l’abandon des spé¬
culations hasardées. Pourtant, l’imaginaire se mêle encore ici
au réel. Un disciple de Galien, Paul d’Egine, distingua plusieurs
espèces de phlegmon, suivant qu’ils étaient produitspar l’afflux
du sang de bonne qualité, ou de sang épais, mélangé à la bile,
ou au pus, etc., etc. '
Cependant, les doctrines Galéniques traversèrent, sans subir
de modificationsappréciables, toute la longue période du moyen
âge; car les Alexandrins occupés surtout de mathématiques, et
les Arabistes ignorants, superstitieux et adonnés à ce qu’on ap¬
pelait les sciences occultes, astrologie, magie, divination, etc.,
ne songèrent guère à lire, et encore moins à compléter les ou¬
vrages d’Hippocrate et de Galien. Du reste, les premières addi¬
tions qu’on tenta d’y faire ne furent qu’un reflet des rêves
fantastiques des alchimistes.
Paracelse, partant de l’idée fondamentale de l’altération des
INFLAMMATION.
307
humeurs, attribua l’inflammation à l’effervescence de sels, à la
combustion du soufre, à la présence de vapeurs arsénîcales,
vitrioliques, muriatiques, corrosives, etc., dont étaient com¬
posés , suivant lui , les .éléments du corps. Il est plus que
superflu de' critiquer de semblables élucubrations, qui ont
valu à leur auteur d’être appelé par Alibert le plus insensé des
hommes. •
On ne trouve rien dans les écrits des médecins de la renais¬
sance et du XVI® siècle, qui puisse contribuer à éclairer l’his-
toire de l’inflammation.
Avec le XVII* siècle, commença une ère nouvelle. Harvey, en
1628, découvrit le mécanisme de la circulation, et l’impulsion
fut donnée vers une direction nouvelle pour les théories de l’in¬
flammation.
Van Helmont, éclairé par cette découverte immense, entrevit
dans les capillaires une action tonique qui leur est propre, et
est mise en jeu par l’exaltation de la sensibilité. Dans son lan¬
gage, quand une cause irritante agissait sur les tissus, leur
archée, ou, autrement dit, le principe dynamique qui présidait
à leurs fonctions organiques y appelait la congestion. Cette
opinion, où sous l’obscurité du langage se cache une vérité, fut
bientôt abandonnée, et il se fit un retour vers les idées humo¬
rales, sous les inspirations de' Fernel, Sylvius de le Boë et plu¬
sieurs autres. On professe alors que, sous l’influence des causes
de l’inflammation, le sang s’épaissit, stagne dans les vaisseaux
et s’échauffe : d’où la sensation de chaleur; s’il continue à s’al¬
térer, il se transforme en pus, tandis qu’au contraire s’il re¬
prend sa fluidité, les phénomènes anormaux cessent et tout
rentre dans l’ordre habituel. Jusque-là, comme on le voit, la
découverte de Harvey a porté peu de fruits ; voulant conclure
trop tôt, on est retombé dans le chaos des suppositions.
Il faut arriver à Boerhaave pour trouver des vues plus justes
sur l’inflammation. Il l’attribua à la stagnation du sang dans
les dernières ramifications artérielles, et s’approcha ainsi d’une
théorie aujourd’hui encore défendue par des hommes d’une
notoriété considérable. Mais, comme ses devanciers, il erra en
entrant dans la voie des hypothèses. En effet, il supposa que
des dernières ramifications artérielles naissaient des vaisseaux
séreux communiquant avec des lymphatiques plus petits en¬
core. Gela admis, il prétendit que le sang vivement poussé
par l’impulsion du cœur pénétrait dans les vaisseux séreùx et
lymphatiques, et qu’alors l’inflammation se produisait.
308
INFLAMMATION.
Stahl n’ajouta à cette théorie que son idée de l’animisme.
Pour lui, l’âme était le principe immatériel dominateur de tous
les phénomènes vitaux, et suivant l’intensité avec laquelle il
agissait, ces mêmes phénomènes pouvaient être réguliers ou
troublés.
Un peu après, Fabre, éclairé par la découverte de Haller, dé¬
montra expérimentalement que l’irritation sur une partie quel¬
conque provoque l’inflammation, et bientôt un médecin italien,
Vinterlius, dont parle Borsieri, donna de ce. point étiologique et
sans peut-être avoir connaissance des expériences de son confrère
de Paris, une explication physiologique ayant la plus grande
analogie avec la doctrine de M. Ch. Robin. «Les artères, dit-il, en
conséquence de l’excitation des filets nerveux qui parcourent
leurs tuniques, excitation causée par quelque stimulus, tom¬
bent dans l’atonie et le relâchement, deviennent par là inca¬
pables de résister à l’affluence plus abondante et plus précipi-.
tée du sang. » Il semblerait , en lisant ces quelques lignes,
qu’elles ont été écrites par un de nos contemporains ; et il est
étonnant , au moins, qu’elles aient pu l’être à une époque où
l’on ignorait encore l’existence des nerfs vaso-moteurs, consta¬
tée il y a quelques années seulement.
Avec le grand John Hunter, la médecine entre dans une pé¬
riode nouvelle, celle de l’observation minutieuse, rendue si fé¬
conde en résultats importants par le génie de Bichat, et abou¬
tissant à la doctrine physiologique de Broussais.
Hunter , doué d’une clairvoyance remarquable, d’un jugement
droit et sûr, sentant qu’il ne faut jamais aller au delà des limi¬
tes du possible, se borne à indiquer avec précision les caractères
symptomatiques et anatomiques de l’inflammation, et évite
presque de se laisser entraîner à des déductions théoriques.
Cependant, il dépasse encore le but en disant que le liquide,
qu’il appelle lymphe plastique, baume des cicatrices, après
s’être épanché en dehors des vaisseaux , dans l’épaisseur des
tissus et à la surface des plaies, se coagule avant de s’organiser.
Cette erreur que nous avons signalée dans le chapitre de l’ana¬
tomie, inévitable alors qu’on étudiait sans le secours des ins¬
truments grossissants, s’est propagée jusqu’à nous. Apprise par
cœur, pour ainsi dire, par toute l’école de Paris, elle a formé la
base de presque toutes les théories physiologiques de l’inflam¬
mation.
Bichat, pensant qu’il y a un ordre d’organes où, à l’état nor¬
mal, le sang né pénétrait pas dans les capillaires, dit dans sa
INFLAMMATION.
description de rinflammation , en parlant de ces organes :
« Une partie est-elle irritée d’une manière quelconque, aussi¬
tôt sa sensibilité organique s’altère, elle augmente. Étranger
jusque-là au sang, le système capillaire se met en rapport ayec
lui, il l’appelle pour ainsi dire ; celui-ci y afflue et y reste ac¬
cumulé jusqu’à ce que la sensibilité organique soit revenue à
son type naturel. La pénétration du sang dans le système ca¬
pillaire est donc un effet secondaire de l’inflammation. » Plus
loin il ajoute : a II arrive donc, dans l’inflammation, exacte¬
ment l’inverse de ce que croyait Boerhaave. En effet , le sang
accumulé suivant lui dans les vaisseaux capillaires, et poussé
a tergo par le cœur, comme il le disait, était vraiment la cause
immédiate de l’affection ; au lieu que, d’après ce que je viens
de dire, il n’est que l’effet. »
Brown et Broussais n’ont fait que modifier la forme des idées
de Bichat, sans en altérer réellement le fond. Le premier en
mettant l’expression d’irritabilité à la place de sensibilité orga¬
nique, et le second en employant le mot de sthénie, ont exprimé
une opinion qui rappelle toute la théorie du grand anatomiste
français. Il y a pourtant des variantes dans leur manière d’ap¬
précier les faits de détail. Ainsi, tandis que Brown croit que
l’excitabilité est augmentée ou diminuée dans tout l’organisme,
le professeur du Val-de-Urâce affirme que la modification vi¬
tale qui produit les quatre phénomènes de l’inflammation, « a
son siège dans les vaisseaux capillaires de la partie malade, et
dépend manifestement de l’augmentation de leur action orga¬
nique. » L’inflammation est donc primitivement l’effet d’un
surcroît de cette action (1). En résumé, suivant lui, on doit
considérer comme inflammation : « toute exaltation des mou¬
vements organiques, assez considérable pour troubler l’har¬
monie des fonctions et pour désorganiser le tissu où elle est
fixée. »
Comme on le voit, à part des différences partielles portant plus
encore sur les expressions que sur les idées, ces doctrines sont
sœurs. Elles sont toutes deux empreintes de l’idée anatomique
fondamentale, émise par Hunter et Bichat. La doctrine brous-
saisienne présentée avec un talent immense, soutenue avec une
puissance de démonstration peu commune, triompha sans peine,
fut pendant un temps acceptée par presque toutes les écoles
d’Europe et imprima à la thérapeutique une direction nou-
(1) Examen des doctrines.
310
INFLAMMATION.
velle, souvent trop absolue et conduisant à des pratiques funes¬
tes. Mais elle eut cet avantage considérable de montrer qu’il .
fallait chercher dans l’anatomie pathologique l’explication des
manifestations extérieures des maladies, et mérita, dans une
assez large mesure, la qualification de physiologique que lui
donna son auteur. Et, quoi qu’on en ait dit, elle n’est pas sans
une certaine analogie avec la théorie cellulaire ou de l’irrita¬
tion formatrice. Entre l’une et l’autre, la seule différence qui
existe, mais elle est considérable, c’est que la première est ap¬
puyée sur l’étude des propriétés des tissus, tandis que la dernière ^
est basée sur l’analyse des qualités inhérentes aux éléments de
ces mêmes tissus, et se trouve débarrassée des hypothèses à la
place desquelles l’histologie a mis des données d’une exactitude'
incontestable. Contrairement à l’opinion aujourd’hui générale¬
ment reçue, nous oserions presque affirmer que l’idée fonda¬
mentale, dégagée de la doctrine physiologique, que la maladie
n’est qu’une déviation des lois de l’organisme, a été comme l’em¬
bryon qui, développé par la connaissance des éléments anato¬
miques, a inspiré à Virchow la pathologie cellulaire. En réalité,
l’œuvre du professeur de Berlin est à l’histologie ce qu’était
l’œuvre de Broussais à l’anatomie de Bichat. Nous nous éton¬
nons donc qu’on ait, chez nous-mêmes, repoussé avec un dédain
superbe toute idée de similitude entre le fond de ces deux théo--
ries. La dernière, incontestablement , est épurée de toutes les
hypothèses, avec leurs déductions systématiques, qui entachaient-
son aînée. Mais cela tient peut-être beaucoup à ce qu’elles por¬
tent l’une et l’autre le cachet de leur temps. Dans tous les cas, •
il est indéniable que la doctrine du Val-de-Grâce a eu ce grand
avantage de renverser les vieilles théories purement spécula¬
tives, de poser, en commençant l’anatomie pathologique, l’étude
de la pathologie sur des bases solides, et enfin de faire étudier
la physiologie pathologique à côté de la physiologie normale.-
Cependant l’abus, l’absolutisme de la doctrine qui niait ou tra¬
vestissait les faits qu’il n’était pas possible d’encadrer dans les
travaux d’un solidisme exclusif, provoqua bientôt la réaction. On-
revint un moment aux théories humorales ; et depuis cette épo¬
que, la science a toujours oscillé entre ces deux idées extrêmes,
en se rapprochant plus ou moins de l’une ou de l’autre, suivant
le talent avec lequel elle était remise en honneur, jusqu’au jour
où les micrographes cherchèrent à étudier les phénomènes
intimes du mouvement inflammatoire. Alors, les travaux de
Wilson Philips, Thomson, Grinthuisen, Ch. Hastings, Kalten-
INFLAMMATION.
311
bnmner, Lebert, Warton-Jones, Paget, etc., et ceux des auteurs
contemporains, en se complétant les uns les autres, nous con¬
duisirent à l’époque actuelle où trois théories sont encore en
présence : 1“ La théorie du blastème ou de l’exsudation plasti¬
que; 2“ La théorie cellulaire ou de l’irritation formatrice;
3® Enfin une dernière que nous ne pouvons déterminer que par
le nom de son auteur, M. Gonheim, qui a surtout pour but de
faire connaître le mécanisme de la formation du pus. Ces trois
théories que nous allons maintenant discuter, malgré leur
grande dissemblance apparente, ont pourtant un trait commun,
ainsi que cela ressortira de la courte analyse que nous ferons
de chacune; elles sont solidistes dans leur fond. Aucune d’elles
ne suppose une modification préalable des humeurs de l’écono¬
mie. G’est que toutes les trois sont appuyées sur des faits incon¬
testables, acquis à l’aide de la méthode expérimentale. Mais dans
deux de ces théories, un fait contingent est considéré comme
fondamental à l’exclusion des autres.
EXAMEN DES THÉORIES ACTUELLES DE L’INFLAMMATION.
Avant 1869, la science était déjà partagée en deux camps sur
la question du mécanisme de production des phénomènes es¬
sentiels de l’inflammation, quand M. Gonheim produisit une
troisième théorie qui avait l’intention de remplacer ses deux
aînées. L’une des deux premières est généralement appelée
française, et l’autre allemande, par opposition sans doute, car
les deux réunissent des partisans dans tous les pays. Peut-être
aussi que ces noms leur ont été donnés à cause des deux
hommes considérables qui s’en sont constitués les défenseurs.
La première, en effet, a été reproduite , soutenue et mise en
honneur par M. Gh. Robin dans ses leçons sur les vaisseaux ca¬
pillaires et l’inflammqtion, publiées en 1867; tandis que l’autre
a été développée par M. Virchow dans un mémoire spécial sur
l’inflammation, et dans sa Pathologie cellulaire. Gependant, si
l’on remonte jusqu’à leurs sources, on trouve que toutes les
deux sont d’origine allemande. La théorie française elle-même
a été exposée d’abord par Schwan qui, transportant l’idée de
Schleiden, de la physiologie végétale à la biologie, soutint, le
premier, que. tous les tissus animaux, comme ceux des plantes,
provenaient d’une cellule née au sein d’un blastème. Henle alla
même plus loin. Il refusa d’admettre comme indisf)ensable l’in¬
tervention de la cellule et prétendit encore que certains tissus
peuvent naître d’emblée et directement du blastème. C’était re-
312
INFLAMMATION.
Yenir en partie à l’opinion de Hunter. Le livre de Henle,'dont la .
traduction par M. Jourdan a été publiée en 1843 dans VEncy-
clopédie anatomique, contient toute la théorie qu’on nomme
française, et qui fut acceptée avec une grande faveur par l’école
de Paris, où elle compte encore aujourd’hui un grand nombre
de partisans.
La théorie cellulaire, elle, est purement allemande et personne
n’a jamais songé à en contester la propriété à M. Virchow, qui la
formula en 1859. Jusque-là il avait, avec Paget, Warton-Jones
et tous les premiers micrographes, fait jouer le principal rôle
aux troubles de la circulation capillaire dans le mouvement
inflammatoire. Si quelqu’un pouvait, dans une faible mesure,
revendiquer l’idée de l’irritation formatrice comme fait fonda¬
mental de l’inflammation, ce serait encore un auteur alle¬
mand. Vogel en effet, en 1845, avait déjà publié, dans le Dic¬
tionnaire de physiologie de Wagner, un article dans lequel il
admettait, mais à titre d’hypothèse seulement, que le travail
inflammatoire pourrait être dû à un accroissement d’attraction
que le tissu exercerait sur le sang, et que ce liquide serait vita-
lement retenu dans le point irrité. D’après MM. Behier et Hardy,
cette hypothèse aurait déjà été émise, un an plus tôt, par
Hugues Bennet, d’Edimbourg.
Mais il y a loin de cette idée vague et dubitative à la théorie
cellulaire, si puissamment exposée, si simple et si vraisembla¬
ble, qu’après l’avoir bien étudiée je m’étonne pour ma part
qu’elle n’ait pas rallié tous les esprits. Pourtant elle n’est pas
admise par tout le monde ; et les deux autres théories réunis¬
sent un trop grand nombre de partisans, pour qu’il soit permis
de n’en pas faire l’examen critique. Nous les passerons donc en
revue successivement, en commençant par la plus ancienne et
la plus accréditée, celle de l’exsudation plastique.
A. Pour M. Ch. Robin qui est à nos yeux le représentant le
plus considérable de la doctrine que nous allons discuter :
« L’inflammation serait primitivement et essentiellement un
trouble de la circulation capillaire, survenant dans le transfert
du liquide au travers du système capillaire de tel ou tel tissu. »
Quand un tissu vasculaire est irrité, il se produit d’abord des
resserrements, puis des dilatations fusiformes ou empullaires
des vaisseaux capillaires ; la circulation s’accélère , bientôt les
globules s’accumulent dans les renflements , qui gagnent de
proche en proche, et enfin, dans tous les vaisseaux fortement et
irrégulièrement élargis, le courant se continuant dans le centre
INFLAMMATION.
313
seulement. Ce premier degré est la congestion, qui peut se ter¬
miner par l’hémorrhagie, si la distension des capillaires est
excessive, ou par la résolution. Lorsque celle-ci a lieu, « on
« observe un retour de chaque capillaire à son diamètre nor-
s mal; les globules accumulés sont entraînés et reprennent leur
« cours, et la circulation se rétablit. »
Dans le cas où il y a inflammation, les amas de globules aug¬
mentent rapidement et finissent par obstruer les vaisseaux ca¬
pillaires qui deviennent jusqu’à cinq et dix fois plus volumineux
qu’à l’état normal, et constituent autant de petits cylindres ir¬
réguliers, pleins et demi-solides.
En même temps que les globules s’accumulent ainsi dans les
vaisseaux, le plasma sanguin, qui les tenait en suspension ,
exsude graduellement en dehors et forme le blastème dans
lequel naîtront spontanément les éléments dont nous avons
décrit les caractères au chapitre de l’anatomie. De là la rou¬
geur, l’œdème d’abord et l’induration ensuite, qui augmentent
l’épaisseur des tissus et les rendent plus sensibles par suite de
la compression des tubes nerveux.
Les troubles circulatoires modifient les échanges des maté¬
riaux nutritifs, et déterminent consécutivement la génération
d’éléments anatomiques nouveaux. Telle est en résumé la doc¬
trine de l’exsudation plastique soutenue par M. Gh. Robin.
« La congestion, dit-il, est un premier degré dans lequel il se
« produit des dilatations vasculaires et des accumulations de
« globules; mais le courant sanguin continue. Dans la période
« d’inflammation, au contraire, les capillaires sont remplis par
« des globules qui font que le capillaire au lieu d’être un con-
« duit perméable devient un cylindre irrégulier, plein et demi-
« solide. En même temps a lieu l’exsudation du liquide en
« dehors des capillaires, dans les interstices des éléments ana-
« tomiques . Ce sont là les phénomènes essentiels de l’in-
« flammation ; aussi gardez-vous de les confondre avec les
« phénomènes extra-vasculaires, soit coexistants, soit consé-
« cutifs, tant nutritifs, évolutifs que relatifs à la génération
« d’éléments anatomiques dont il sera question plus tard. »
Deux idées fondamentales forment donc le fond de cetfie doc¬
trine. La première, d’un trouble circulatoire constituant le fait
essentiel ; la seconde, de l’exsudation d’un blastème formateur
en dehors des vaisseaux. Il nous faut maintenant examiner ces
deux faits, et voir s’ils sont bien l’essence même du mouve¬
ment inflanunatoire.
3U
INFLAMMATION.
Le trouble de la circulation capillaire serait , d’après la
théorie, le résultat d’un relâchement, d’une sorte de paralysie
succédant à la contraction exagérée des vaisseaux sous l’in¬
fluence de l’irritation. En tant (pue fait d’observation, le mou-
vement des vaisseaux est incontestable. Mais d’abord , est-il
anormal ? Stricker, de Vienne, a constaté récemment que ees
alternatives de resserrements et de dilatations se produisent
constamment à l’état normal, non-seulement sur les petites ar¬
tères et les veines dont les parois sont pourvues de fibres muscu¬
laires, mais même sur les capillaires de la première variété, dont
la paroi est constituée exclusivement par une couche de proto-
plasma, tapissée en dedans par une rangée de cellules épithé¬
liales plates. Il avait déjà été constaté, du reste, par MaxSchültz ,
et Bruck, que le protoplasma est une substance éminemment
contractile.
Les modifications des vaisseaux capillaires dans l’inflamma- ,
tion ne sont donc qu’une exagération de leurs mouvements
normaux.
Cette exagération est-elle bien l’essence même de l’inflamma¬
tion ? Pour qu’il en fût ainsi, il serait nécessaire que ce trouble
se manifestât toujours au début de l’acte inflammatoire, et ré¬
ciproquement, que toutes les fois qu’il a lieu, il y eût inflam¬
mation réelle. Or, ce n’est pas ce que démontre l’analyse
anatomo-pathologique.
Nous avons signalé antérieurement le développement de l’in¬
flammation dans des tissus non vasculaires, comme les carti¬
lages, à la suite d’une irritation directe. Ce fait fournit, contre ^
la théorie des troubles circulatoires, une objection qu’on n’a
pas jusqu’à présent réfutée victorieusement On a bien dit que
le sang affluait dans le réseau capillaire des tissus circonvoisins;
que, par exemple, à la suite d’aune blessure de la cornée, l’inflam¬
mation se manifestait dans la sclérotique et la conjonctive; et
l’on a cru trouver, dans ce fait consécutif, l’explication des trou¬
bles nutritifs qui se produisent pendant la kératite. Mais il n’y
a pas dans cette assertion la moindre réponse à l’objection que
nous venons de présenter. Et d’abord, il n’est pas exact qu’il,
survienne toujours une conjonctivite à la suite d’une blessure de
la cornée. Nous avons souvent vu, sur le cheval, des kératites
résultant d’éraillures de cette membrane par le contact ou la pé¬
nétration de fétus de paille, sans qu’il y eût simultanément une
conjonctivite véritable. On voit bien une hypérémie de la mu¬
queuse, une congestion légère avec sécrétion plus abondante
INFLAMMATION.
315
de larmes; mais pas d’infiltration ni de suppuration à la sur¬
face, et par conséquent pas d’inflammation véritable. En suppo¬
sant même qu’on considérât l’afflux plus considérable du sang
comme caractérisant à lui seul l’état inflammatoire, ce qui n’est
admis par personne, on ne pourrait pas encore invoquer, pour
en expliquer l’apparition, la mise en jeu de la contractilité vas¬
culaire à un degré excessif, et le relâchement qui en est la suite,
puisque, dans ce cas, les vaisseaux n’ont subi aucune irritation,
l’action irritante du corps étranger ayant porté uniquement sur
la cornée.
La succession des faits que nous venons de rappeler prouve
donc logiquement une seule chose entrevue par Hugues-Ben-
net, et Vogel, savoir : qu’un tissu irrité attire vers lui, dans sa
substance propre s’il est vasculaire, dans les tissus périphériques
s’il est dépourvu de vaisseaux, du sang en plus grande abon¬
dance. La dilatation avec engouement et obstrution des capil¬
laires n’est donc pas le phénomène initial de l’inflammation
dans tous les cas.
Maintenant, les troubles de la circulation capillaire sont-ils
toujours accompagnés des autres phénomènes inflammatoires?
A cette question on peut encore répondre par la négation la
mieux établie.
Lorsqu’on coupe le filet cervical du sympathique dans la par¬
tie moyenne du cou, comme l’a fait M. Cl. Bernard et comme
nous l’avons répété nous-même un grand nombre de fois sur le
cheval, toute la moitié correspondante, de la tête s’hypérémie ;
la peau se couvre de sueur, la conjonctive se montre rouge et
turgescente, des larmes s’écoulent en abondance sur le chan¬
frein, il y a une paralysie et un engouement des vaisseaux,
beaucoup plus complets que ceux qui peuvent succéder à la
mise en jeu exagérée de leur contractilité, et, cependant, il
n’y a pas de troubles nutritifs caraetérisant à l’extérieur les
phénomènes inflammatoires. Qu’on répète l’expérience, si sou¬
vent faite par M. Brown-Séquard et qui consiste en une sec¬
tion de tout le plexus sciatique d’un membre postérieur chez
un cobaye ou un chien, on verra des faits identiques se pro¬
duire : gonflement énorme avec rougeur de l’extrémité ; mais
pas d’induration, pas de suppuration, etc., rien qui se rattache
à l’inflammation.
Nous reviendrons du reste plus loin sur ces expériences en
examinant l’influence du système nerveux. Ce que nous venons
de dire suffit déjà à prouver que l’accumulation du sang dans
316
INFLAMMATION.
les vaisseaux dilatés n’amène pas nécessairement l’ensemble des
phénomènes inflammatoires.
Voyons encore ce qui se passe dans l’anasarque du cheval.:
Au début, il y a afflux considérable du sang dans les capillaires
de la périphérie; sur des points nombreux où se sont constituées
les pétéchies et les tumeurs, il y a paralysie complète des vais¬
seaux, arrêt de la circulation avec infiltration du plasma du sang
dans les interstices des tissus, c’est-à-dire, accusés au plus haut
degré, tous les troubles circulatoires qui accompagnent l’in¬
flammation la plus intense et la plus rapide dans un organe
vasculaire, et pourtant, au début de cette affection, il n’y a pas
même apparence de phénomènes inflammatoires. La sensibilité
des tumeurs indique seulement que les divisions périphériques
des nerfs englobées dans l’engorgement sont comprimées par^
lui. D’ailleurs, le symptôme douleur n’est pas propre à l’inflam¬
mation. Il peut encore se manifester dans d’autres cas, lès né¬
vralgies par exemple. Ce serait donc une erreur dé le considérer,
quand il existe seul, comme caractérisant l’état phlegmasique.
Or, dans le début, et souvent même jusqu’à la fin de l’ana¬
sarque, quand la maladie marche régulièrement vers la réso¬
lution, la plupart des autres font défaut. On ne constate pas de
fièvre, pas d’élévation de la température, pas d’inappétence, etc,,
en un mot rien de l’état général inséparable des maladies in¬
flammatoires un peu étendues.
Enfin dans les paralysies des membres chez l’homme on a
souvent observé des dilatations considérables des vaisseaux
capillaires avec œdème de l’extrémité ; quelquefois même on avu
se former des eschares par obstruction du réseau dans un îlot
plus ou moins large; et ici encore, tous ces faits persistent sans
être accompagnés des signes spéciaux de l’inflammation. Le
membre paralysé est même plus froid que les autres parties
du corps.
Les troubles de la circulation périphérique : dilatation lente
ou rapide des capillaires, avec obstruction par les globules et
épanchement du plasma du sang en dehors d’eux, peuvent se
rencontrer, dans un grand nombre de circonstances, en dehors
de l’inflammation. Telle est la deuxième conclusion découlant,
comme un corollaire irréfutable, de la courte analyse que nous
venons de faire de certains faits expérimentaux ou patholo¬
giques.
Ainsi, il résulte de ce qui précède: 1® que les troubles de la
circulation capillaire peuvent faire défaut pendant le mouve-
INFLAMMATION.
317
ment inflammatoire; 2® qu’ils peuvent exister sans lui. Aussi,
n’hésitons-nous pas à déclarer formellement qu’ils ne consti¬
tuent pas le fait essentiel de l’inflammation. Ces troubles sont,
il est vrai, souvent considérables dans leurs effets, ainsi que
nous l’avons vu en étudiant l’anatomie pathologique, mais en
bonne logique ils n’ont toujours, malgré leur rapidité et leur
grandeur dans quelques cas, que le caractère d’un fait pure¬
ment contingent.
Examinons maintenant la deuxième idée fondamentale de la
théorie que nous discutons : celle de la naissance spontanée
d’éléments anatomiques au sein du blastème.
Cette question touche à l’un des plus grands problèmes qui
s’agitent dans les sciences naturelles, et jugerait, si elle était ré¬
solue affirmativement, la querelle de la génération spontanée.
Ou comprendra qu’il ne peut pas entrer dans notre cadre d’exa¬
miner cette doctrine dans son entier et que nous devons nous
borner à considérer exclusivement les faits qui se relient inti¬
mement à notre sujet.
Suivant M. Ch. Robin, la génération d’éléments anatomiques
peut s’observer dans deux conditions très-distinctes. Dans un
cas, elle portele nom de suppuration, dans un autre elle aboutit
à la formation de néo-membranes ; et toujours les éléments
anatomiques sont de génération nouvelle.
A l’appui de cette opinion, on a fourni un certain nombre de
faits qui, à première vue, paraissent convaincants. Mais pour
nous et beaucoup d’autres ils ne sont rien moins que démons¬
tratifs, et sont même tous faciles à réfuter.
L’expérience que l’on a considérée comme la plus importante
est celle de M. Onimus. Il a renfermé un liquide amorphe dans
une membrane endosmotique, au contact des tissus, sous la peau
é’un animal vivant ; et, examinant ensuite le liquide après un
certain temps, il a trouvé qu’il contenait des leucocythes. Il en
a conclu que ces éléments s’étaient formés spontanément dans
le blastème, ainsi maintenu à la température du corps. M. Lor-
tet a répété ces expériences, il a constaté le même fait, mais l’a
interprété'tout différemment. Pour lui, les. leucocythes auraient
pénétré à travers la membrane endosmotique. L’une dés hypo¬
thèses est aussi admissible que l’autre. Pourquoi la première
' serait-elle la vraie?
M. Onimus a tenté de réfuter cette objection par une nouvelle
série d’expériences, dans lesquelles il a employé une mefnbrane
INFLAMMATION.
318
très-résistante, le papier parchemin qpii, croit-il, ne peut pas
se laisser pénétrer par les leucocythes. Mais à notre avis, il n’y
a encore ici aucune preuve valable et la théorie repose toujours
sur une supposition, à laquelle on en peut opposer une contraire.
Il croit que le papier parchemin ne se laisse pas traverser par
les leucocythes . Il est permis à tout le monde de croire autre¬
ment. Il n’y a là encore qu’une opinion contestable, et pas la
moindre apparence d’une démonstration vraiment logique.
D’ailleurs, plusieurs expérimentateurs ont constaté qu’en em¬
ployant une membrane non endosmotique, on ne voit jamais
de leucocythes au sein du liquide qui pourtant se trouve placé
dans les mêmes conditions de composition et de température.
Ce résultat est déjà, ce nous semble, une forte présomption en
faveur de l’opinion de M. Lortet à savoir, que dans les autres
cas, les leucocythes arrivent tout formés au sein du liquide, en
traversant la membrane endosmotique; et nous verrons, plus
loin, que les expériences de M. Gonheim donnent une explica¬
tion parfaite de la possibilité de cette migration.
M. Ghalvet, qui a fait en 1869, sur la physiologie pathologique
de l’inflammation, une thèse d’agrégation très-remarquable,
avait, avec M. Fabre, pendant leur internat, dans le service de
M. Guersant, cru voir aussi des leucocythes naître spontanément
dans le liquide qui suinte à la surface des plaies et que, il y a
quelques années, on nommait lymphe plastique. Dans une série
d’expériences qu’ils firent , dans le but d’étudier la cicatrisa¬
tion des plaies, ils recueillirent, sur des lames de verre, le blas¬
tème ou lymphe plastique, qu’ils faisaient sourdre des bour¬
geons charnus en approchant un corps chaud. Examinant ce
liquide immédiatement ils le trouvèrent d’abord parfaitement
limpide et n’y découvrirent que quelques fines granulations
moléculaires. Puis, après un certain temps, ils le virent prendre
une teinte légèrement trouble et lactescente, et montrer à un
nouvel examen microscopique un grand nombre de leucocythes.
Ils conclurent de là que ces éléments s’étaient formés sponta¬
nément, par une sorte de cristallisation organique, au sein dü
liquide; car celui-ci ayant été isolé immédiatement sur des
lames de verre, on ne pouvait leur assigner une autre prove¬
nance. Mais d’autres expériences ne tardèrent pas à leur prou¬
ver qu’ils étaient dans l’erreur. En étudiant avec plus de soiu
la lymphe exsudée, ils constatèrent qu’elle contient déjà, au
moment où elle perle à la surface des plaies, des éléments ana¬
tomiques diaphanes, presque transparents, ne devenant bien vi-
INFLAMMATION.
319
sibles que quand la mort précipite sous forme de granulations
opaques leur contenu protéique. Depuis, dit M. Chalvet, n nous
ayons toujours partagé l’opinion de M, Virchow sur la genèse
des néoformations inflammatoires. »
En somme, ni les faits que nous venons de discuter, ni d’autres
moins particulier? à la question, ne fournissent un argument
irréfragable en faveur de l’idée d’une apparition, de novo, d’élé¬
ments anatomiques au sein d’un blastème inflammatoire. Aussi,
ne voyons-nous nulle part, dans la théorie de l’exsudation plas¬
tique, la marque de vérité qui impose la conviction à l’esprit
et, malgré l’autorité de l’un de ses défenseurs, dans l’état actuel
de la science, elle nous paraît inadmissible dans ses deux idées
fondamentales.
B. La théorie cellulaire, ou de l’irritation formatrice, est en
opposition complète avec celle que nous venons d’examiner.
Pour M. Virchow, l’inflammation consiste essentiellement dans
l’irritation formatrice des cellules du tissu conjonctif, qui en¬
trent en prolifération plus active à la suite de l’action irritante.
Et, par tissu conjonctif, il entend non-seulement le tissu cellu¬
laire de Bichat, mais de plus, tous ses dérivés : organes fibreux,
cartilages, os, épithélium, etc. «Chaque élément morphologique,
ditril, provient d’un élément semblable à lui. » Il était possible
d’admettre un développement, de novo, à une époque où l’on
croyait que les parasites entozoaires, animaux ou végétaux, se
développaient spontanément dans l’organisme par une généra¬
tion indéterminée, mais aujourd’hui, que l’on acquiert de plus
en plus la certitude que tous les germes viennent du dehors,
l’analogie ne peut plus être invoquée. Telle est, résumée aussi
succinctement que possible, la théorie cellulaire que nous
admettons sans réserve parce qu’elle nous paraît absolument
conforme à toutes les données de Thistologie. Nous croyons fer¬
mement que la suractivité nutritive et formatrice est le seul fait
essentiel et fondamental de l’inflammation. Elle ne manque ja¬
mais dans l’état inflammatoire, son mécanisme est identique
dans tous les cas, enfin on ne l’observe jamais en dehors de
l’inflammation. Ce sont là, il nous semble, toutes les qualités
fitt’en logique on reconnaît à ce qui doit être considéré comme
l’essence des choses.
Quant aux autres phénomènes, comme les troubles de la cir¬
culation capillaire et l’exsudation du liquide en dehors des
^aisseaux, dont nous avons déjà recherché le sens, et d’autres
•lu’il nous faut apprécier maintenant, ils ne sont que des faits
320
INFLAMMATION.
accessoires, pouvant exister ou faire défaut, et se montrer varia¬
bles même, suivant la texture et la forme des organes.
G. La théorie cellulaire, que nous ne cessons pas de tenir poiàr
absolument exacte, a été presque ébranlée, sur un point, au
moins, en 1869, par les recherches de M. Gonheim qui venaient
donner un poids considérable à une opinion ancienne, exprimé
d’abord par Zimmerman, à savoir: que le pus sortait tout for¬
mé des vaisseaux.
M. Gonheim, en observant le mésentère irrité d’une grenouille
qu’il avait préalablement curarisée, a vu les globules blancs
sortir avec le plasma du sang à travers les parois des capillaires
et se répandre dans les interstices du tissu.
Nous ne relaterons pas ici toutes les expériences variées qui
ont été faites dans le but de contrôler ce fait, il nous suffit dè
dire qu’il est aujourd’hui incontesté. M.Vûlpian, M. Ranvier
et beaucoup d’autres observateurs ont pu s’assurer, de visu,
qu’en effet, les leucocytbes du sang, en raison de leurs proprié¬
tés amiboïdes, peuvent s’infiltrer, en s’allongeant, dans les fins
pertuis que laissent entre elles les cellules épithéliales des capil¬
laires dilatés par l’afflux sanguin, et sortir entièrement de leur
canal avec le plasma du sang.
Mais ce fait a-t-il l’importance que lui a attribuée M. Gonheim?
Tous les globules de pus ne sont-ils que les leucocytbes du sang?
Non incontestablement. L’effet de l’irritation expérimentale sur
les tissus non vasculaires, cartilages, épithéliums, etc., prouve
d’une façon absolument irréfragable que les éléments de ces
tissus, revenant d’abord à l’état embryonnaire et proliférant
ensuite avec une rapidité exagérée, donnent naissance à d’autres
cellules embryonnaires dont les unes meurent physiologique¬
ment et constituent des globules de pus. Dans les tissus vascu¬
laires : os, tissu conjonctif, etc., le même résultat est produit
par les éléments anatomiques de ces tissus. '
La sortie des leucocytbes du sang, à travers les parois des
vaisseaux capillaires, n’est donc qu’un fait accessoire dans la
suppuration, aussi peu essentiel que la sortie des globuies
rouges qui peut avoir lieu également, ainsi que Stricter, de
Vienne, et depuis lui beaucoup d’autres l’ont constaté. Il peut
manquer, il varie beaucoup dans son importance suivant la
texture et le degré de résistance des tissus, et ne possède pas
par conséquent, ou au moins on n’a pas constaté jusqu’à ce
jour qu’il possède les caractères de généralité, de constance et
d’invariabilité qui pourraient le faire considérer comme un
INFLAMMATION.
321
phénomène fondamental. Telle est à notre avis Topinion que,
dans l’état actuel de la science, il conyient de conserver sur la
théorie de M. Conheim.
Maintenant que nous avons terminé cette revue des théories
de l’inflammation, nous allons essayer de faire connaître, dans
un résumé succinct, le mécanisme de production des phénomè¬
nes essentiels de cet état pathologique, et indiquer les relations
qui les relient aux manifestations extérieures.
Résumé synthétique de la physiologie de l'inflammation. — Le
fait essentiel, fondamental et invariable de l’inflammation est la
suractivité nutritive et formatrice des éléments anatomiques
dérivant de la substance conjonctive. Si ces éléments ont
éprouvé des transformations qui les approprient à différentes
fonctions, comme les cellules épithéliales par exemple, s’ils
sont atrophiés comme dans le tissu conjonctif adulte, où les
cellules ne sont plus représentées que par de petits noyaux
ovoïdes existant à l’entrecroisement des filaments , s’ils sont
ratatinés comme dans les cavités de la substance compacte des
os, etc. etc., ils reviennent d’abord à l’état embryonnaire ainsi
que l’ont constaté MM. Cornil et Ranvier. Le retour vers l’état
véritablement actif de la cellule, sans lequel celle-ci paraît inca¬
pable de donner naissance à des éléments nouveaux, a lieu
très -rapidement, par l’absorption des liquides avec lesquels
elle se trouve en contact, et explique la sécheresse que présen¬
tent les séreuses et les muqueuses immédiatement après, et
pendant les premières heures qui suivent l’irritation. Ce rajeu¬
nissement des éléments anatomiques semble si nécessaire, que
ceux d’entre eux qui, comme les cellules nerveuses et muscu¬
laires, ne peuvent revenir à la forme embryonnaire, ne con¬
courent jamais à la production inflammatoire. Elles sont dé¬
truites au contraire, et par un mécanisme que nous tâcherons
de déterminer plus loin.
Aussitôt que les éléments dérivant de la substance conjonc¬
tive ont éprouvé cette première modification, ils se multiplient
par divisions successives et, simultanément, dans les tissus vas¬
culaires, le sang afflue en quantité plus grande dans le point
où cette suractivité a été provoquée par une excitation supé¬
rieure à celle qui entretient l’équilibre de nutrition et de réno¬
vation.
En effet, tous les éléments anatomiques possèdent, entre autres
propriétés, générales ou spéciales, une excitabilité propre, mise
on jeu par le contact du monde extérieur, ou d’agents parti¬
al
X.
322
INFLAMMATION.
culiers introduits dans l’organisme, ou par le fonctionnement des
organes, etc., excitabilité, sous l’influence de laquelle non-seu¬
lement les matériaux qui les composent, mais eux-mêmes eu
totalité, se renouvellent incessamment. Quand cette excitabilité
est influencée d’une façon régulière et à un degré normal, les
tissus se développent, se nourrissent et se renouvellent normale¬
ment, Ils acquièrent à la longue le maximum de volume, de com--
pacité, de puissance, qu’ils étaient susceptibles d’acquérir et
l’équilibre est maintenu dans les limites les plus avantageuses
possibles. Quand l’excitation diminué, la nutrition se ralentit,
et, si cet état se prolonge, l’atropbie se manifeste, ainsi qu’on le
voit à la suite des paralysies. Quand, au contraire, l’excitabilité
est mise en jeu d’une façon exagérée, lentement ou rapidement,
les phénomènes de rénovation moléculaire sont suractivés
d’une manière obscure et plus ou moins persistante, ou d’une
manière brusque et quelquefois tumultueuse-, et il y a alors
inflammation, chronique ou aiguë. Les effets apparents varient,
du reste, depuis l’état ordinaire jusqu’à la suppuration et la
gangrène, aboutissant vite à la destruction du tissu. Lorsque
l’excitation exagérée, et devenue irritation, agit d’une façon peu
prolongée et non supérieure à celle que comporte l’impression¬
nabilité du tissu, les éléments anatomiques nouvellement
formés éprouvent les métamorphoses qu’ils doivent subir ndr-
malement, l’équilibre nutritif se rétablit, tout rentre dans
l’ordre ordinaire, il y a résolution.
Lorsque rirritation est durable, ou répétée et peu intensè, la
suractivité nutritive, entretenue dans l’organe irrité, aboutit à
l’induration. C’est ainsi que se produisentles tumeurs fibreuses,
osseuses, etc,, si fréquentes sur nos animaux employés comme
moteurs, dont certains tissus sont exposés à des irritations très-
obscures mais incessantes, en raison de leur mode d’utilisation.
Lorsque, enfin, l’irritation a été plus puissante, les éléments
embryonnaires se forment en plus grand nombre que ne le
comporte l’apport des matériaux assimilables ; quelques-iins
meurent aussitôt après leur naissance; leurs noyàui se divi¬
sent, mais l’effort vers la multiplication s’arrête là, et ne porte
pas sur le protoplasma ou corps de la cellule, qui ne contient
plus bientôt que des granulations d’abord agglomérées, puis
isolées dans la masse. La cellule embryonnaire est devenue glo¬
bule purulent. Ce deuxième fait établit une ligne de démarcation
entre l’inflammation modérée, se terminant par la résolution
simple, et celle qui aboutit à la suppuration. Dans ca dernier
INFLAMMATION.
m
cas, aux globules purulents résultant de la modification des
éléments embryonnaires, s’ajoutent souvent dans le liquide les
leucocythes sortis des vaisseaux avec le plasma, et quelquefois,
en outre, des grumeaux, restes du tissu désagrégé.
Une fois qu’une gouttelette de pus est formée dans la conti¬
nuité d’un tissu, elle agit comme corps étranger irritant,
exagère autour d’elle le mouvement formateur et détermine,
en entretenant à un haut degré la prolifération des éléments
anatomiques, une sorte de fonte ou de désagrégation du tissu
préexistant et même du tissu embryonnaire formé dans le com¬
mencement de l’inflammation. Il y a d’ailleurs longtemps déjà
que les cliniciens avaient observé ce que nous explique aujour¬
d’hui l’histologie ; que le pus engendre le pus, et qu’il suffit
souvent, pour faire disparaître une tumeur indurée comme
celle qu’on voit fréquemment sur l’angle scapulo-huméral chez
le cheval, de provoquer en elle une inflammation plus vive, par
l’application, à sa surface ou dans son épaisseur, de topiques
irritants.
Quant à la grangrène qui peut, comme nous l’avons dit dans
le chapitre de l’anatomie, se manifester d’emblée par obstruc¬
tion primitive de tout le réseau capillaire, ou plus tard par la
compression que le pus exerce sur lui, ou même par la destruc¬
tion des parois vasculaires qui, formées aussi de substance
conjonctive, concourent parfois au mouvement formateur, elle
résulte dans tous les cas de la cessation complète des échanges
moléculaires, qui ne peuvent jamais s’effectuer sans l’apport
incessant de matériaux nouveaux.
Maintenant un dernier point important se présente à éluci¬
der. Les capillaires des tissus qui en sont pourvus jouent-ils
un rôle actif dans l’accomplissement des troubles circulatoires
qui viennent s’ajouter aux phénomènes cellulaires que nous
venons d’apprécier dans leur mécanisme? Beaucoup d’auteurs,
: d’une notoriété considérable, n’hésitent pas à l’affirmer. Nous
pensons, contrairement à eux, que leur dilatation est tout à fait
passive.
En discutant les doctrines contemporaines, sur l’essence des
phénomènes inflammatoires, nous avons montré que les mou¬
vements primitifs de contraction et de dilatation des capillaires
ne sont que l’exagération de ce qui se produit normalement,
que la dilatation définitive qui succède à ces mouvements s’é¬
tend graduellement et lentement, et d’autre part, qu’elle se
: manifeste également sur les vaisseaux capillaires dont la con-
324
INFLAMMATION.
traction n’a pas été provoquée anormalement, comme ceux de
la conjonctive dans le cas de blessure de la cornée. Or, si le
trouble circulatoire résultait d’un épuisement de la contracti¬
lité des parois vasculaires, le relâchement serait plus rapide ;
ensuite, il n’aurait pas lieu quand celle-ci n’a pas été excitée ;
enfin, dans tous les cas de paralysie des capillaires, il y survien¬
drait de l’inflammation, ce qui n’est pas. Tl nous paraît donc,
irrationnel de considérer comme actif le rôle de ces organes
dans les troubles contingents dont il s’agit, et qui accompagnent
presque immédiatement les phénomènes essentiels de l’inflam¬
mation. 11 nous semble que la rigoureuse analyse des faits
conduit bien plus logiquement à cette idée, que les vaisseaux
capillaires se dilatent sous l’influence de l’effort excentrique
que le sang, attiré avec plus de puissance dans le tissu irrité,
exerce sur leurs parois. En effet, comment comprendre autre¬
ment que la conjonctive s’hypérémie quand on a fait une inci¬
sion à la cornée?
Nous croyons donc, bien que nous soyons assuré de ren¬
contrer sur ce point des contradicteurs assez nombreux, et
puissants, que le sang s’accumule dans le réseau capillaire, non
sous l’influence d’une action propre des vaisseaux, mais bien
en obéissant à une attraction particulière des tissus ; et nous
ajouterons de plus que cette puissance, inhérente à la matière
organique et agissant constamment, est ici exagérée comme le
besoin de matériaux nutritifs, dépendant de l’exagération dans
la production élémentairé. S’il en était autrement, pourquoi le
sang s’arrêterait-il, se fixerait-il aux parois de canaux plus larges
dans lesquels il devrait, semble-t-il, circuler plus librement?
Il s’y arrête sans doute, parce qu’il y est retenu; il y est retenu
parce qu’une force lutte contre la poussée du cœur et des artères
qui tend à le faire mouvoir constamment ; et quand l’effet de
cette dernière puissance est entièrement annulé par l’autre, le
réspau capillaire est obstrué dans une large mesure, l’apport de
matériaux nouveaux cesse et avec lui la vie. Ce qui donne la
raison de la manifestation rapide de la gangrène à la suite d’une
irritation très-violente.
La manière de voir que nous venons d’exprimer est,
nous ne l’ignorons pas, en contradiction avec des opinions
très-répandues; nous connaissons même la plupart des ob¬
jections qu’on y pourrait présenter. Les unes sont des argu¬
ments en faveur des théories que nous avons critiquées anté¬
rieurement, et dont déjà nous avons essayé de montrer le peu
INFLAMMATION.
3îa
de fondement. Aussi, ne reviendrons-nous pas sur elles. Quant
aux autres, qui pourraient surgir encore et que nous prévoyons
d’ailleurs, nous ne jugeons pas opportun de nous les adresser
et de les réfuter nous-Bdêmes, la destination de ce livre ne
comportant pas une plus longue discussion.
Tels sont, croyons-nous, dans l’état actuel de la science et dans
une formule aussi brève que possible, l’essence et le véritable
mécanisme des phénomènes inflammatoires : à la suite d’une
excitation exagérée des éléments anatomiques, déterminant
immédiatement en eux une force d’absorption plus rapide, leur
retour à l’état d’activité, puis leur multiplication et, simultané¬
ment,* un accroissement de l’attraction qu’ils exercent normale¬
ment sur les fluides nutritifs, accroissement nécessité par les
besoins plus grands d’une prolifération plus abondante; tous
ces phénomènes finissant, suivant le degré et la durée de l’irri¬
tation, par le retour à l’équilibre normal, ou par l’induration,
la suppuration ou la gangrène.
Cette conclusion justifie pleinement, nous le croyons, la défini¬
tion que nous avons placée au commencement de cet article.
L’inflammation n’est essentiellement, dans tous les cas,
qu’une exagération plus ou moins rapide, quelquefois tumul¬
tueuse, des phénomènes normaux d’assimilation et de désassi¬
milation.
Pour terminer maintenant ce résumé physiologique des phé¬
nomènes essentiels de l’inflammation, nous devons indiquer en
quelques mots les relations intimes qui les relient aux mani¬
festations symptomatiques extérieures.
L’élévation locale et même générale de température est évi¬
demment le résultat direct de l’augmentation des échanges
moléculaires qui s’effectuent au sein du tissu enflammé. Il est,
en effet, bien prouvé aujourd’hui que la principale, sinon l’u¬
nique source de chaleur animale, réside dans la production de
ces phénomènes chimiques incessants de rénovation des tissus.
Aussi, selon qu’ils sont activés ou ralentis, la température de
tout l’organisme s’élève ou s’abaisse. Sur ce point, il n’est plus
possible de conserver le moindre doute, et il serait irrationnel
au dernier chef de chercher encore à ^pliquer le développe¬
ment de la chaleur dans une région enflammée, en faisant
intei*venir l’effet du frottement plus intense du sang dans les
vaisseaux. Ce sont là de ces hypothèses qui ne reposent sur rien,
et qu’il n’est plus permis de maintenir dans la science.
C’est en vertu du même principe, parce que les réactions
326
INFLAMMATION.
chimiques d’échanges moléculaires ont cessé de s’accomplir
dans un tissu mortifié, que celui-ci se refroidit manifestement.
La température est maintenue à un degré peu inférieur à celui
du reste de réconomie, à cause de la conductibilité de ce tissu
qui lui permet de recevoir constamment la chaleur des parties
vivantes qui l’enyirjonnent.
Pour ce qui est des autres symptômes pathognomoniques de
l’inflammation, l’explication de leur existence est donnée par
les différentes altérations anatomiques que nous avons fait
connaître antérieurement et sur lesquelles il nous paraît su¬
perflu de revenir.
Mécanisme des épiphénomènes de l'inflammation. — Sous cette
rubrique, nous allons chercher à déterminer rapidement le
mode de production des phénomènes accessoires, locaux et
généraux, qui viennent s’ajouter parfois aux phénomènes primi¬
tifs et fondamentaux du mouvement inflammatoire.
Les exsudats hémorrhagiques peuvent résulter de la sortie
directe des hématies à travers les parois capillaires, ainsi que
Stricker et beaucoup d’autres Font observé ; mais, le plus souvent,
ils sont formés par du sang en nature qui s’est infiltré dans les
tissus, à la suite d’une déchirure des plus petits vaisseaux, sous
l’influence de l’afflux trop rapide du liquide. Ce mécanisme de
production, bien constaté aujourd’hui, est une preuve nouvelle
contre l’opinion qui attribue aux capillaires un rôle actif dans
la production des troubles circulatoires.
Les exsudats fibrineux et diphthéritiques à la, surface des
membranes, des plaies et dans les aréoles des tissus, ou sous
l’épithélium des muqueuses, sont le résultat de la séparation
du blastème en deux parties: l’une liquide, qui s’écoule à
l’extérieur ou dans les sacs séreux, ou qui constitue les œdèmes
déclives des abcès, etc., l’autre solide, qui forme, en se concré-
tant, les fausses membranes recouvrant les séreuses, les mu¬
queuses, les plaies, ou constitue les caillots fibrineux obstruant
plus ou moins complètement les organes parenchymateux et
aréolaires.
Cette séparation est identique à celle qui se produit sur le
plasma du sang sorti des vaisseaux ou qui s’y trouve arrêté.
La plasmine concrescible, une fois qu’elle a cessé d’être agitée
dans le torrent circulatoire, se prend en masse filamenteuse, et
chasse de son intérieur, en revenant sur elle-même, l’eau et
tous les principes que ce liquide tient en dissolution.
Toutes les circonstances dans lesquelles cette coagulation
INFLAMMATION.
3«7
peut avoir lieu sont aujourd’hui bien connues, et cependant sa
raison véritable et certaine est encore à trouver. Denis, de
Commercy, Alex. Schmidt et M. Ch. Robin qui ont longuement
étudié cette question ont été réduits en somme à imaginer des
hypothèses pour l’expliquer. Le premier a admis que la plas-
mine existe d’abord en dissolution dans le sang et les exsudais
et qu’elle se concrète sous l’influence d’une substance agissant
comme un ferment.- Mais quel est ce ferment? On ne l’a pas
déterminé. Schmidt a pensé qu’il existait en solution une subs¬
tance fibrinogène, capable de se concréter lorsqu’elle se combi¬
nait avec une autre qu’il nomme fibrino-plastique, laquelle
existerait dans la globuline et dans les cellules des tissus. Il n’y
, a encore ici rien qu’une supposition. Enfin, M. Ch. Robin, dans
son livre sur les humeurs, a émis l’idée que la plasmine se
coagulait après sa sortie des vaisseaux parce qu’elle n’était plus
protégée par les parois vasculaires.
En réalité, on sait aujourd’hui que la fibrine exsude à l’état
liquide, avec le blastème dont elle est un des principes consti¬
tuants, et qu’elle peut se solidifier ensuite quand celui-ci est
épanché en quantité considérable, mais on ne sait rien de plus.
Aussi nous pensons qu’il vaut mieux signaler une lacune de la
science et ne pas expliquer, que d’accepter des explications in¬
certaines et hypothétiques qui peuvent toujours être erronées et
renversées d’un jour à l’autre.
Les exsudats n’ont qu’une durée limitée. Ils disparaissent en
se réduisant à l’état granuleux et sont éliminés à l’extérieur
avec le pus, ou bien ils sont résorbés, après avoir éprouvé une
dissolution complète par /une suroxydation qui transforme la
fibrine en produits excrémentitiels.
Pendant longtemps on a admis, avec Hunter, que la fibrine
pouvait s’organiser. Aujourd’hui il est bien établi qu’elle est un
produit mort, comme les éléments du pus, et qu’elle, est desti¬
née à être rejetée directement, ou par les sécrétions normales,
après avoir éprouvé au préalable les transformations que nous
venons de signaler. C’est sous l’enduit qu’elle forme, et non
dans sa substance même, que les bourgeons charnus se déve¬
loppent, aussi bien à la surface des plaies que sur les membra¬
nes. Il n’est plus permis maintenant de répéter cette vieille
erreur si souvent reproduite de l’organisation des fausses mem¬
branes.
Nous ne reviendrons pas sur le mécanisme de formation des
hyperplasies ou indurations. Elles sont toujours l’effet de la
328 INFLAMMATION.
continuation lente et prolongée des phénomènes essentiels de
l’inflammation.
Les dégénérescences graisseuses des éléments spéciaux, cellu¬
les nerveuses,, musculaires etc, sont attribuées à la compres-:
sion qu’exerce sur elles le tissu embryonnaire qui se forme, les
englobe de toutes parts, et empêche leur nutrition. Sous cette
influence ils meurent, et, comme tous les éléments morts, ils se
désagrègent par le dédoublement de leurs principes immédiats'^
constituants. La graisse, qui était combinée avec la matière azo¬
tée, s’isole sous forme de très-fines gouttelettes, enveloppées dans :
la matière azotée dont elle s’est séparée. Si ces granulations for¬
ment par leur ensemble une masse dense demi-solide, il y a
ce qu’on a nommé transformation caséeuse ou athéromateuse.
Plus tard, dans ces résidus, il peut se déposer des sels de chaux.
Il y a alors transformation crétacée.
Enfin, avec le temps, le tout peut se redissoudre, suivant
M. Virchow, dans un liquide sucré, et constituer ce qu’il a nom¬
mé le lait pathologique, qui se résorbe graduellement;
Tous ces phénomènes peuvent s’accomplir lorsque les résidus
sont à l’abri du contact de l’air. Dans le cas contraire, la fer¬
mentation putride s’empare des éléments anatomiques aussitôt
qu’ils ont cessé de vivre, et alors il survient toute la série des
accidents qui caractérisent la gangrène septique.
Le mécanisme de production des altérations physiques et chi¬
miques du liquide circulatoire est loin d’être aujourd’hui com¬
plètement élucidé. Du reste, la physiologie normale de ce liquide
est encore en partie à faire. Il est impossible, par conséquent,
que sa physiologie pathologique soit complète.
On ignore absolument pourquoi, dans certains cas d’inflam¬
mation, le nombre des globules rouges est diminué. On suppose,
avec beaucoup de vraisemblance sans doute, que cette modifi¬
cation est due à un ralentissement général de la nutrition, tou¬
tes les grandes fonctions viscérales étant plus ou moins gênées
dans leur exécution pendant le cours d’une phlegmasie grave.
Mais comme on ne sait encore rien sur le mode de formation et
de destruction normales des hématies, il est bien difficile, on le
comprend, de découvrir la raison de la diminution de l’une ou
de l’exagération de l’autre.
Quant à l’augmentation relative dans le nombre des leucocy-
thes, est-elle due à une suractivité dans la formation de ceux-ci
ou à un arrêt, une diminution dans leurs transformations en
globules rouges? Ou n’est encore pas plus éclairé sur ce point.
INFLAMMATION.
329
On ne sait même pas quel est le rôle des globules blancs dans
le sang, ni s’ils servent à la production des autres.
Il est admissible, cependant, que les leucocythes sont produits
en excès pendant l’inflammation. Leur abondance, coïncidant
avec la sortie d’un certain nombre à travers les parois des capil¬
laires dans quelques cas, donne à cette idée une valeur quel¬
que peu probative. Mais pourtant, ce n’est pas encore là une
opinion basée sur un fait bien déterminé. On ne sait pas où, ni
comment sont formés les leucocythes. Quelques-uns arrivent
dans le sang avec la lymphe; mais viennent-ils exclusive¬
ment par cette voie? On l’ignore. On admet qu’il s’en forme
aussi dans là rate par exemple, sans l’avoir bien constaté. En
somme, l’obscurité la plus profonde règne encore sur toutes ces
questions;
On n’est pas beaucoup plus renseigné sur les causes des alté¬
rations chimiques du plasma. Pourquoi la fibrine est-elle aug¬
mentée? Comment se forme-t-elle?
Est-ce une matière assimilable ou un produit de déchet? Au¬
tant de questions dont on n’a pas jusqu’à présent donné de solu¬
tion satisfaisante.
Pendant longtemps on a considéré la fibrine ou plasmine
concrescible comme un produit formateur. Aujourd’hui, on a dé
plus en plus de la tendance à la regarder comme un produit de
déchet, et comme représentant un ^premier état des matériaux
de désassimilation, destinés à être éliminés par les sécrétions.
Son augmentation, quand les échanges moléculaires sont, exagé¬
rés par le fonctionnement actif des organes ou l’état inflamma¬
toire, donne beaucoup de vraisemblance à cette idée. Mais
comme nous ne voulons pas entrer dans le domaine des hypo¬
thèses, nous n’insistons pas sur cette interprétation.
L’augmentation des produits excrémentitiels, comme l’urée,
résulte bien sans doute de la suractivité des échanges m.olécu-
laires. Ceux-ci étant plus rapides dans les tissus enflammés, il
doit y avoir rejet plus considérable de produits usés; cela paraît
incontestable. Cependant, leur accumulation dans le plasma
peut dépendre aussi, en partie, d’un ralentissement dans leur
élimination par les sécrétions normales qui sont toutes plus ou
moins diminuées, pendant la période d’augmentdesphlegmasies
■viscérales.
Un dernier fait contingent de l’iDflammation se présente en¬
core à examiner, au point de vue de son mode de production,
c est celui du développement des vaisseaux nouveaux. Cette néo-
INFLAMMATION.
formation abondante, surtout à la surface des plaies en voie de
réparation, ne fait jamais défaut dans les tissus vasculaires en¬
flammés. Aussi, quoique son étude complète soit mieux placéa
dans celle de la cicatrisation, nous croyons devoir en. dire quel¬
ques mots.-
Les capillaires de la première variété de M. Ch. Robin, vais¬
seaux nutritifs par excellence, sont formés d’une couche de cel¬
lules épithéliales ou plutôt de plaques, tapissant à l’intérieur
les noyaux de la paroi. Sous l’influence de l’irritation, les cellules
se gonflent, reviennent à l’état embryonnaire comme tous les
éléments de substance conjonctive, puis leurs noyaux se divi¬
sent pour donner naissance à des cellules nouvelles, et bientôt
les vaisseaux sont revenus à l’état qu’ils présentaient immédia¬
tement après leur formation dans le fœtus. Ils représentent des
pertuis dans lesquels le sang circule, et qui sont limités par des
cellules embryonnaires, accolées Iqs unes aux autres, sans adhé¬
rence intime. De sorte que, dans ces conditions, les parois molles
et peu résistantes peuvent facilement se laisser déchirer ou être
distendues et refoulées en différents sens sous la pression du
sang. Alors, des bourgeons se forment sur elles par différents
mécanismes.
Tantôt une anse est refoulée dans son ensemble, à travers la
masse demi-solide que constitue le tissu embryonnaire inflam¬
matoire; d’autres fois, du sommet de l’anse naît un prolonge¬
ment qui s’infiltre entre les éléments anatomiques sous l’actioii
du sang, dont la pression est plus grande sur la paroi excen¬
trique de la courbe. On démontre en effet, en physique, que lors¬
qu’un liquide circule dans un tube recourbé, la pression est
plus forte par l’effet de la force centrifuge, sur la paroi excen¬
trique que sur l’opposée. C’est donc par une action purement
mécanique que les anses s’allongent dans leur ensemble et que,
de leur sommet, naissent des bourgeons qui croissent graduel¬
lement. Bientôt, les anses allongées et leurs prolongements en
rencontrent d’autres émanant de capillaires voisins, se soudent
avec eux, un nouveau réseau dans lequel le sang circule se
trouve creusé dans le tissu jeune, y apporte les matériaux
nécessaires à la continuation de la prolifération et rachèvement
de l’organisation. Tel est le mode de production des capillaires
nouveaux suivant Wiwodzoff et Billroth,
D’après Rindfleisch, il pourrait se faire encore que les cel¬
lules ernbryonnaires se disposassent en séries parallèles pour
laisser pénétrer entre elles le sang venant d’un capillaire voisin-
fNFf.AMMATION.
.331
'Mais c’est là une opinion hypothétique qui ne nous paraît pas
encoïe suffisamment étayée par les faits.
■ Nous en dirons autant du mécanisme décrit par Kôlliker et
“féproduit par Meyer et Plattner. Ces auteurs ont pensé que les
prolongements des cellules plasmatiques du tissu conjonctif
pourraient être pénétrés par le sang et former, en se dilatant,
des canaux anastomosés, tandis que les noyaux de ces cellules
resteraient appliqués contre les parois.
Cette théorie basée entièrement sur une hypothèse nous
paraît inadmissible.
En effet, à l’époque où des vaisseaux nouveaux se développent
dans un tissu enflammé, les cellules plasmatiques sont reve¬
nues à l’état embryonnaire et leurs prolongements filamenteux
anastomosés ont disparu par une sorte de dissolution. On ne
comprend pas, par conséquent, qu’on ait songé à les faire
intervenir dans l’accomplissement des phénomènes.
En somme, aujourd’hui, il nous paraît certain que tous les
capillaires nouveaux sont produits suivant le mécanisme que
nous avons indiqué plus haut.
Nous allons maintenant, pour terminer cette étude de phy¬
siologie pathologique, rechercher quelle peut être l’influence
qu’exerce le système nerveux sur le développement et la
marche des phénomènes inflammatoires, tant essentiels que
contingents.
INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LE DÉVELOPPEMENT ET
LA MARCHE DES PHÉNOMÈNES INFLAMMATOIRES.
Le problème qui est posé ici est un de ceux dont la so¬
lution définitive présente actuellement le plus de difficul¬
tés. Comment en effet déterminer d’une façon absolue l’in¬
fluence du système nerveux sur l’exagération de la nutrition,
puisqu’on ne sait pas encore exactement quelle action il
exerce sur l’exécution des phénomènes normaux de cette fonc¬
tion? Nous avons déjà, à propos de la physiologie patholo¬
gique, signalé plusieurs lacunes de la physiologie normale.
Celle-ci est une des plus considérables, malgré les travaux
nombreux par lesquels on a essayé de la combler. Aussi,
comme dans tous les cas où le jour n'est pas complètement fait
. sur une question, les opinions les plus opposées ont été for-
niulées à son sujet. Tandis que quelques auteurs attribuent au
système nerveux une influence déterminante de la nutrition,-
par Vîntermédiaire de cordons spéciaux qu’ils nomment nerfs
INFLAMMATION.
trophiques, d’autres, beaucoup plus nombreux aujourd’hui,
ne lui reconnaissent qu’une action régulatrice qui pondère
révolution des différentes parties constituantes de l’orga¬
nisme.
Pendant longtemps on a cru que le système nerveux présidait,
pour ainsi dire, à l’accomplissement des phénomènes de nu¬
trition. Certains faits mal interprétés paraissaient même jus¬
tifier cette croyance. De ce nombre sont les résultats fournis
par l’opération de la névrotomie plantaire, que l’on pratiques!
fréquemment, en vétérinaire, dans le but de pallier les effets de
la maladie naviculaire. A l’époque où, en pratiquant cette
opération au-dessus du boulet, on annulait complètement
l’action nerveuse dans l’extrémité du doigt, on voyait très-
souvent la gangrène survenir; on en concluait qu’elle résultait
de la suppression de l’innervation, et que, par conséquent,
l’influence nerveuse était indispensable pour que les phéno¬
mènes de nutrition pussent s’effectuer. Aujourd’hui une sem¬
blable interprétation n’est plus acceptable. Personne n’ignore’
que la mortification des tissus, en pareille circonstance, est le
résultat des contusions violentes qu’ils subissent pendant la
marche. L’animal, n’ayant plus aucune conscience des contacts,
frappe le sol avec force, les tissus sous-ongulés sont irrités,
s’enflammènt, suppurent et meurent par suite de la compres¬
sion qu’exerce sur eux la boîte inextensible qui les renferme.
Telle est incontestablement la succession des faits qui amènent
en un temps très-rapide la chute du sabot.
Il serait donc illogique de chercher dans les conséquences de
la névrotomie, comme on la pratiquait autrefois, un argument
en faveur de l’idée qui accorde au système nerveux une [action
trophique.
Samuel, en 1 860, admettant comme certaine l’existence des
nerfs trophiques accompagnant les filets sensitifs, a cependant
encore fait une théorie exclusivement nerveuse de l’inflamma¬
tion. Suivant cet auteur, quand les nerfs trophiques sont
excités, il y a hypernutrition, hyperplasie, et si les éléments se
multiplient au delà d’une certaine limite, les produits em¬
bryonnaires, ne trouvant plus les moyens d’existence suffisants
pour devenir adultes, subissent les transformations que l’on
observe dans les cas d’inflammation. Si l’irritation a été très-
vive, la prolifération est très-rapide et aboutit à la suppuration;
si elle a été lente et durable, la prolifération se termine par
l’induration, la sclérose, la cirrhose, etc. D’après la même
INFLAMMATION. 333
théorie, l’atrophie résulterait d’une paralysie des nerfs tro¬
phiques.
Cette doctrine, acceptée d’abord avec la faveur que rencon¬
trent toujours des idées nouvelles, défendue avec ardeur par
M. Duchêne, de Boulogne, qui déclarait ; a que si les nerfs
« trophiques n’existaient pas, il faudrait les inventer pour expli-
« qüer l’inflammation, » à maintenant perdu toute son
apparence de vérité .
En effet, elle a le tort de reposer, entièrement sur un fait
très-contestable, l’existence de nerfs trophiques, qui n’est rien
moins que démontrée. Les résultats d’une expérience, souvent
faite par M. Cl. Bernard, paraissaient pourtant dans une cer¬
taine mesure venir à l’appui de la théorie de Samuel.
En excitant le nerf facial, l’illustre expérimentateur du Collège
de France a constaté que la circulation s’accélère dans la glande
sous- maxillaire et que lasécrétion salivaire est plus abondante,
ce qui ne saurait avoir lieu sans une dilatation des vaisseaux
capillaires. Il s’est demandé, en présence du résultat constant
qu’il a obtenu, si l’excitation du filet cérébral n’avait pas pour
effet de paralyser le sympathique. M. Vulpian, qui a bien des
fois vérifié le fait expérimental, ne croit pas à l’action para¬
lysante d’un nerf sur l’autre.
II a pensé, au contraire, que l’irritation se transmettait de la
corde du tympan aux éléments anatomiques, qui exerçaient
alors sur le sang une attraction plus grande. M. Brown-Séquart
partage entièrement ce dernier avis. Il pense aussi que l’exci¬
tation d’un nerf cérébro-rachidien a pour effet d’exciter les
éléments anatomiques, d’augmenter leur attraction sur le sang,
et que la dilatation des capillaires est purement passive. Quoi
qu’il en soit, une donnée physiologique ressort de cette expé¬
rience : sous l’influence de l’excitation d’un nerf cérébro-spinal,
la circulation s’accélère dans le point où il se distribue. Mais,
et c’est là le fait considérable, cette excitation n’aboutit jamais à
l’inflammation. Pour que celle-ci se manifeste, il faut, comme
nous allons le voir, que les tissus aient subi directement les
effets d’une action irritante. Aussi, bientôt des expériences con¬
tradictoires, exécutées par Otto-Weber, Jones-Simon, de Lister,
prouvèrent que la galvanisation d’un filet nerveux ne détermine
pas d’inflammation des tissus dans lesquels celui-ci se distribue,
et que Samuel avait été induit en erreur par l’extension des phé¬
nomènes consécutifs au traumatisme. Nous avons nous-même
répété ces expériences d’excitation d’un cordon nerveux à l’aide
334
INFLAMMATION.
d’un courant galvanique, en plaçant par exemple l’un des
pôles sur le plexus sciatique d’un chien et l’autre sur l’extré¬
mité du membre correspondant, et jamais nous n’avons déter¬
miné la moindre trace d’inflammation ailleurs qu’au point
mutilé.
Rien donc aujourd’hui ne démontre l’existence de nerfs tro¬
phiques; et à supposer que ceux-ci existent, leur excitation ne
suffit pas pour déterminer l’ensemble des phénomènes inflam¬
matoires. La théorie de Samuel doit être, pensons-nous, reléguée
dans l’histoire de l’art.
Il y a quelques années, non-seulement on ne croyait plus à
une influence positive du système nerveux, mais de plus, on
pensa avoir découvert que la suppression seule de cette influence
suffisait à déterminer l’apparition de l’inflammation. Ainsi
que cela s’est vu souvent, à la suite d’une importante expé¬
rience de M. Cl. Bernard, répétée par MM. Schiff, Budge, Wal¬
ler, Brown-Séquart, etc.,etc., on se porta d’un extrême à l’autre.
En coupant dans la région du cou le filet cervical du sym¬
pathique, ainsi que l’ont fait les expérimentateurs que nous
venons de nommer, les nerfs vaso-moteurs étant paralysés, les
vaisseaux capillaires se dilatent, la circulation devient plus ac¬
tive, et l’on constate, après quelques instants, sur le côté corres¬
pondant de l’encolure et de la tête, une congestion de tous les
tissus avec sueurs abondantes à la peau, rougeur de la conjonc¬
tive et écoulement de larmes sur la face.
Si, après avoir observé tous ces phénomènes, on excite le bout
périphétique du nerf, les vaisseaux capillaires se contractent, le
sang est chassé de leur intérieur et tout disparaît. Il peut se faire
même, si l’excitation est un peu intense et prolongée, que la
conjonctive devienne beaucoup plus pâle que celle du côté
opposé et que la température de la région s’abaisse au-dessous
du chiffre normal.
Conservant ensuite les animaux d’expériences, on voit, au bout
de quelques jours, s'établir un véritaÙe travail inflammatoire
dans les tissus et notamment sur les muqueuses, qui suppurent
si abondamment parfois, particulièrement quand les animaux
sont mal nourris, que ceux-ci meurent presque toujours en peu
de temps. Beaucoup d’autres expériences dotit nous ne citerons
que quelques-unes ont donné des résultats semblables à ceux
que nous venons de relater. Ainsi, on a pu occasionner l’in¬
flammation du globe oculaire en pratiquant la section du triju¬
meau; la pneumonie, par celle du pneumo-gastrique; la pleuré-
INFLAMMATION.
331»
sie, parrarrachement du ganglion cervical inférieur et surtout
du premier thoracique ; la péritonite, par des lésions des gan¬
glions semi-lunaires, etc., etc. De tout cela, il semblait bien ré¬
sulter que l’annulation complète de l’influence nerveuse était
une cause provocatrice directe des phénomènes inflammatoires,
ce qui donnait une grande vraisemblance à la théorie des trou¬
bles circulatoires que nous avons combattue d’autre part. Ce
fut, en effet, l’opinion que se formèrent certains auteurs. Mais
une analyse plus rigoureuse du fait ne tarda pas à montrer que
cette conclusion était erronée,
M. Brown Séquart démontra par des expériences très-nom¬
breuses, que la simple paralysie des capillaires n’est pas sui¬
vie d’inflammation. En coupant le plexus sciatique sur des
chiens, des cobayes, des lapins, etc., en coupant même l’une
des moitiés de la moelle, l’influence nerveuse était complète¬
ment supprimée, il vit le membre correspondant se gonfler,
devenir rouge, et même un peu œdémateux à son extrémité. Si
dans cet état il était exposé au contact des corps extérieurs, il s’y
manifestait ultérieurement un travail inflammatoire très-vif, se
terminant le plus souvent par la gangrène et la chute complète
des doigts. Mais si, au contraire, ce membre était enveloppé
dans du coton, il se conservait indéfiniment sans être envahi
par l’inflammation. Il conclut de là, avec raison, que ce n’était
pas la paralysie vaso-motrice, mais bien l’irritation produite par
le contactée corps durs et irritants, contact dont l’animal n’a¬
vait plus conscience puisque le membre avait perdu toute sa
sensibilité, qui déterminait le développement des phénomènes
pathologiques.
D’un autre côté, MM. Donders et Snellen constatèrent que la
conjonctivite ne se manifeste pas sur les animaux dont on a cou¬
pé le filet cervical du sympathique, ou le trijumeau, lorsqu’on
prend la précaution de clore les paupières pour empêcher la pé¬
nétration de corps étrangers dans l’œil. (Béclard, P%st‘o%te,
1862, p. 931.)
M. Traube a démontré, en outre, que la pneumonie, consé¬
cutive à la section du pneumo-gastrique, doit être attribuée à
l’introduction de corps étrangers dans les bronches pendant
la respiration et la déglutition. Par suite de l’insensibilité de
la muqueuse laryngienne, la contraction des muscles n’est plus
provoquée au moment du passage des aliments; des liquides,
<ifis poussières, etc., tombent en grande quantité dans l’appa-
' reil respiratoire. Quant aux pleurésies et péritonites qui suivent
INFLAMMATION.
les lésions des ganglions intra-thoraciques et intra-abdominaux,
leur développement est suffisamment expliqué par l’irritation
directe que Ton ne peut éviter de produire sur ces séreuses
pendant l’opération.
Ainsi, il résulte bien clairement de toutes les expériences que
nous venons de rappeler que la paralysie vaso-motrice, qu’elle
soit directe ou réflexe, ne produit que l’engouement du réseau
capillaire et jamais, à elle seule, l’acte inflammatoire. Il faut
toujours, pour que celui-ci se manifeste, qu’une irritation
quelconque exerce son action sur les éléments anatomiques.
Cette conclusion, on le comprend, renverse définitivement la
théorie névro-paralytique de l’inflammation, qu’on avait tenté
d’édifier il y a quelques années, et réfute non moins victorieu¬
sement celle des troubles circulatoires ou de l’exsudation
plastique.
Est-ce à dire, maintenant, que la suppression de l’influence
nerveuse soit sans effet? Non, loin de là; elle détermine sûre¬
ment une prédisposition locale qui rend les tissus plus accessi¬
bles aux causes d’irritation en les privant du gardien protecteur
que constitue la sensibilité, et en permettant la dilatation per¬
manente de leurs capillaires paralysés.
En effet, en coupant un cordon nerveux mixte, composé de
filets cérébro-rachidiens et sympathiques, on produit ces' deux
effets : la perte de la sensibilité et la paralysie vasculaire. Alors
les tissus, sans communication avec les centres nerveux, peu¬
vent être irrités incessamment par leur contact avec le monde
extérieur, sans que l’animal en soit, pour ainsi dire, informé, et
sans qu’il cherche à soustraire les portions insensibles aux causes
d’altérations agissant sur elles à chaque instant. De là l’in¬
flammation qui s’accroît indéfiniment par l’action d’irritations
nouvelles, exagérant bientôt les phénomènes jusqu’aux der¬
nières limites.
D’autre part, la paralysie vaso-motrice a pour effet, en per¬
mettant l’afflux du sang en quantité plus grande, de détremper
en quelque sorte les tissus, et de les rendre plus impressionna¬
bles aux causes d’irritation. Une expérience de Snellen prouve
du reste, d’une façon irréfutable, que si les altérations du sym¬
pathique ne sont pas seules une prédisposition certaine à
1 inflammation, elles eiggravent au moins sa marche d’une façon
très-notable. Après avoir coupé le filet cervical du système
ganglionnaire sur un lapin,' il a constaté qu’à la suite d’une
INFLÜENZA. 337
même irritation exercée sur les deux oreilles, l’inflammation
était beaucoup plus intense du côté paralysé.
De tous ces faits, et de beaucoup d’autres tirés d’observation
cliniques nombreuses, publiés par MM. Charcot, Barensprung,
Cotard, Mitchell et autres, il résulte évidemment:
1® Que Texcitation galvanique d’un cordon cérébro-spinal ne
détermine pas l’inflammation;
â® Que la section -d’un nerf ganglionnaire, bien que para¬
lysant les capillaires, n’èst pas plus déterminante du phéno¬
mène;
3“ Que l’excitation du bout périphérique du nerf coupé
détermine la contraction de ces mêmes vaisseaux, et fait cesser,
pendant son action, l’engouement dont ils sont le siège ;
• 4° Que la suppression de la sensibilité par la section d’un
cordon cérébro-rachidien est sûrement une prédisposition à
l’inflammation;
^ fl® Que la paralysie vaso-motrice prédispose probablement
aussi à l’apparition du travail inflammatoire, et dans tous les
cas, l’aggrave certainement d’une façon notable.
Telles sont les conclusions qu’il est permis de formuler, dans
l’état actuel de la physiologie, sur le sujet que nous venons
d’étudier.
,, Elles donnent la raison d’un grand nombre de faits cliniques
dont l’apparition et la marche étaient restées longtemps inex¬
plicables, et justifient entièrement, pensons-nous, la théorie
cellulaire de l’inflammation, que nous avons résumée anté¬
rieurement.
Elles laissent encore quelques points obscurs sans doute.
Mais il faut espérer que la méthode expérimentale, qui a déjà
donné de si nombreux et importants résultats, fournira aux
physiologistes expérimentateurs de notre époque le moyen de
les éclairer tous. En attendant, nous croyons toujours raison¬
nable de nous en tenir rigoureusement à ce qui est bien acquis,
et d’éviter les raisonnements a priori qui ont si souvent pro¬
pagé l’erreur. l. trasbot.
INFLÜENZA, On est assez peu d’accord sur la signification
du mot influenza, par lequel les vétérinaires italiens et alle¬
mands désignent une maladie épizootique de l’espèce chevaline ;
pour beaucoup d’entre eux, ce mot, qui est aussi adopté par
les Anglais, les Suisses, les Danois, etc., est complètement syno¬
nyme de cet autre terme très-vague par lequel nous désignons,
22
X.
338
INFLÜENZA.
chez nous, les maladies typhoïdes du cheval . C’est donc souvent
le terme par lequel on désigne toutes les maladies régnantes
du cheval : la gastro-entérite épizootique, la pneumo- entérite
la fièvre catarrhale, la typhose, etc. Pour quelques vétérinaire!
le mot influenza sert à désigner toute maladie mal définie, à
marche irrégulière, frappant plusieurs systèmes organiques à
la fois, non franchement inflammatoire ; l’on a ainsi cherché à
recouvrir d’un nom savant ce dans quoi l’on n’a pu assez
porter lès lumières de la science ; on a voulu masquer l’empi¬
risme qui ne se mêle que trop à la science médicale ; c’est ainsi
qu’on a même vu de l’infiuenza dans des cas franchement spo¬
radiques.
Il y a eu un abus extraordinaire de ce mot, et l’on a confondu
sous la même dénomination des maladies très-disparates, qu’il
s’agit, pour la science, de séparer. Nous croyons qu’il y a lieu,
dans ce travail, de rendre au mot influenza sa signification
propre, telle qu’elle a été donnée par les vétérinaires de la fin
du siècle passé et du commencement.de celui-ci, qui oht em¬
ployé ce terme pour désigner une maladie épizootique en tout
semblable à la grippe de l’espèce humaine. C’est Niemann qui
paraît, le premier, avoir employé le mot influenza en médecine
vétérinaire, et il s’en est servi pour désigner une maladie de
1786 qui sévissait sur l’espèce chevaline, en même temps que
la grippe se montrait chez l’homme. Hurtrel d’Àrboval, dans
son Dictionnaire (t. II, p. 784), a préféré la dénomination de
grippe ; il s’agit surtout de ne plus confondre l’influenza avec
les maladies typhoïdes.
C’est M. Faite, de léna, qui, le premier, a appelé l’attention du
monde vétérinaire sur cette distinction radicale à faire entre
l’influenza et les maladies typhoïdes, distinction dont on appré¬
ciera l’importance en examinant les diverses parties de ce tra¬
vail. Aujourd’hui, ces idées commencent à être adoptées en
Allemagne, et je suis heureux de leur ouvrir le chemin dans
la science vétérinaire de France; cependant elles trouvent en¬
core de fortes oppositions; beaucoup de vétérinaires préfèrent
maintenir la confusion, et c’est ainsi que, dans son traité tout
récent de police sanitaire, M. Haubner admet encore, à peu de
choses près, les idées de M. Spinola, qui voyait de l’influenza
dans toutes les maladies régnantes du cheval ; ce sont aussi ces
idées que nous trouvons dans l’ouvrage de M. Lafosse, t. ül,
777. — Tandis que dans les maladies typhoïdes il y a altération
évidente du sang, l’on ne trouve dans l’influenza proprement
INFLÜENZA.
339
dite que de rinflammation; il y a ordinairement du catarrhe
hronchique avec fièvre, brisement et courbature, et surtout un
affaissement remarquable qui n’est pas en rapport avec les
souffrances ni avec les lésions locales qu’on observe. Cepen¬
dant, si l’influenza se rapproche des maladies franchement
inflammatoires, elle ne se confond pas cependant avec elles.
C’est à tort que M. Rœll, et en général l’école de Tienne, ainsi
que nombre de vétérinaires français, contestent un caractère
spécial aux maladies régnantes que nous appelons l’influenza ;
ils la considèrent comme une simple bronchite, comme une
pneumonie ou une pleurésie ordinaire; les troubles nerveux
qui accompagnent l’influenza et la disproportion qui existe
entre les symptômes thoraciques et les autres phénomènes
.morbides indiquent suffisamment l’action d’une cause générale
«encore inconnue dans son essence et dans son siège.
Historique. — B'si^vès la définition qui précède, l’on comprend
que nous ne pouvons admettre, comme étant de l’influenza,
toutes les maladies qu’on a décrites sous cette dénomination ;
beaucoup d’entre ces épizooties sont des maladies typhoïdes, ne
différa,nt que peu des maladies de ce nom de l’espèce humaine,
se rapprochant plus ou moins des maladies charbonneuses,
dont le typhus du cheval est le représentant pour l’espèce.
Les épizooties auxquelles le nom d’influenza peut être appli¬
qué ne peuvent donc pc^ être déterminées avec une complète
certitude, mais nous n’avons pas hésité quand elles coïncidaient
avec une maladie régnante de l’espèce humaine, avec la grippe,
que beaucoup de médecins ont d’aiUeurs appelée du nom d’in¬
fluenza.
Si M. Raige-Delorme a pu démontrer qu’il n’y a aucun docu- '
ment prouvant l’existence de la grippe de l’homme avant le
XV® siècle, et que les premières descriptions ne datent même
guère que de 1880, il est parfaitement inutile de rechercher si
l’influenza du cheval était connue des anciens et des hippiatres,
— La première observation bien faite date de 1729, quoique
M. Spooner parle d’une épizootie de 1714 qui pourrait bien
avoir été de l’influenza ; elle est rapportée par Heusinger dans
ses Recherches de pathologie comparée; elle fut recueillie par
Fréd. Loew, en Autriche ; il s’agit d’une maladie catarrhale ou
d’infiuenza des hommes, qui, depuis le printemps de cette an¬
née jusqu’au commencement de l’année suivante, parcourut
l’Europe de l’est à l’ouest ; or, en Autriche, la même cause
occasionna en même temps des maladies régnantes des ani-
340
INFLÜENZA.
maux ; Loew parle surtout d’une épizootie de l’espèce chevaline,
qu’il cherche à distinguer de celle sévissant en Hoogrie süÿ‘
l’espèce bovine et de celle des porcs.
En 1732, une maladie des chevaux fut observée en Angleterre
et surtout à Londres, par Gibson, et elle paraît en tout point se
rapporter à l’influenza proprement dite. — Huxbamparle de la
même maladie, èt sa description se rapporte fort bien à l’in-
fluenza, en ce qu’il la compare à celle de l’homme. — En 1746,'
dit Ozanam, une maladie catarrhale se manifesta dans toute
l’Allemagne, en Bohême et en Moravie, parmi les chevaux. —
Rob. Whytt observa, en 1758, une maladie du même genre de
l’espèce chevaline pendant qu’une influenza attaqua tout le:
peuple du nord de l’Écosse. — En 1760, dit Heusinger, il y eut
une épizootie des chevaux qui n’épargna presque aucun cheyal
dé la contrée de Gleveland (Angleterre) ce catarrhe épizootique'
ne dura que huit ou dix jours.
Huzard père parle d’une épizootie catarrhale des chevaux qui'
suivit l’influenza des hommes au printemps de 1776 {Journal
de méd., LIV, p. 333).— En 1786, la maladie se montra dans le;
Hanovre, où elle a été étudiée et assez bien décrite par Hâve-I,
mann ; du Hanovre elle se répandit dans toute l’Allemagne, eL'
•c’est là que Niemann l’observa. — Gluge parle d’une influenza '
dés chevaux qui sévit en 1803 en plusieurs parties de l’Angle^ ,,
terre, et en quelques contrées avant l’influenza des hommes, "
en d’autres pays en même temps. — Dans la même année, la^'
grippe était forte en France sur l’espèce humaine, et on l’y ,
observa aussi sur le cheval (Heusinger). '
En 1 805, dit Heusinger, les maladies catarrhales avaient été
fréquentes sur les hommes, et sur les chevaux se développa une .
influenza remarquable par sa marche régulière ; à cette date
une maladie de ce genre était observée par Fiedler à Ham- >
bourg, par Havemann dans le Hanovre, par Naumann à Berlin,
par Vierordt à Garlsruhe, par Hirtzel en Suisse et certainement
aussi en France.
Les épizooties de 1814 à 1816, et surtout la gastro-entérite de
1 825, nous paraissent avoir été de nature éminemment typhoïde,
et ne pas pouvoir être rapportées à de l’influenza, comme plu¬
sieurs auteurs l’ont fait depuis.
En 1833, on constate une forte épidémie de grippe sur l’es¬
pèce humaine, et Heusinger rapporte qu’en même temps la.
maladie sévissait sur les chevaux; les mêmes faits sont rapportés
dans le compte rendu de la clinique d’Alfort {Recueil, X, 520),
INFLUENZA.
341
ainsi que par Hurtrel d’Arboval ; la maladie ne se borna pas
aux enxirons de Paris, mais fut assez générale en France.
Depuis cette époque, Finfluenza a dû être observée plusieurs
fois, car là grippe de l’espèce humaine a été fréquente en ces
dérniers temps; mais l’idée de n’avoir pas reconnu une grippe
de l’espèce chevaline, l’idée surtout dominante de trouver dans
toutes les maladies régnantes du cheval des caractères typhoïdes,
même quand il n’y en avait pas, font qu’il est très-difficile de
reconnaître si, dans les cas relatés, il s’agit réellement d’in-
fluenza. Nous croyons devoir considérer comme' telle l’épizootie
constatée en 1840 par M. Falke au haras de Rudolstadt et en
Saxe, épizootie qu’il a très-bien décrite ; à la même époque on
l’a observée sur les deux bords du Rhin, et dans une bonne
partie de la Prusse. En 1831 , M. Hertwig l’a observée à Berlin.
Nous croyons que les épizooties observées en France, en 1830
et les années suivantes, étaient delà forme typhoïde abdominale
et non de Finfluenza; mais nous accorderions volontiers ce titre
aux maladies observées en 1860, à Lyon, par MM. Rey,Bredin,
et même, quoique avec un peu d’hésitation, à la maladie ré¬
gnante observée à Paris en 1860, et qui a fait l’objet d’une
communication de M. Cbarlier à la Société impériale et cen¬
trale de médecine vétérinaire. Elle fut observée par M. Les-
sona en Italie. N’oublions pas de dire qu’en 1858 Verheyen
observa à Bruxelles une épizootie catarrhale des chevaux qui
marchait de pair avec une épidémie de grippe ; à la même
époque on l’observait dans le nord de l’Allemagne et aussi en
France. C’est à ce propos que Yerbeyen a dû admettre une
communauté entre le catarrhe épizootique du cheval et le ca¬
tarrhe épidémique de l’homme, et a apprécié la valeur propre
dè la dénomination d’influenza, valeur que nous cherchons
à lui faire accepter également. En 1859-1860-, M. Haubner a
observé Finfluenza à Dresde et lui a trouvé des symptôriies
typhoïdes, mais bien à tort, comme l’a prouvé M. Gleisberg
dans un travail de critique remarquable.
Enfin, c’est tantôt à de Finfluenza, tantôt à une affection
typhoïde, qu’il faut rapporter Fépizootie qui régna de 1870 à
1872 sur les chevaux des États-Unis; autant qu’on peut en juger
d’après les descriptions un peu vagues, non assez concordantes,
qui nous sont venues de l’autre côté de l’Atlantique, on peut
au moins rapporter à Finfluenza cette 'maladie peu meurtrière,
mais générale, qui, en 1871, partant de l’Amérique anglaise,
traversa le Canada, arriva par le nord-est dans l’État de New-
342
INFLUENZA.
York, et de l’Ohio, visita Cincinnati, puis, se dirigeant à l’ouest,
parvint jusqu’en Californie, ne se laissant pas arrêter dans sa
marche par les Montagnes-Rocheuses (Meyer) .
Anatomie pathologique. — L’influenza ne tuant les malades
que par ses complications, on n’a presque aucune notion sur
les lésions propres de la maladie ; on sait seulement, qu’à l’au¬
topsie, on trouve communément les muqueuses des fosses na¬
sales, du pharynx et du larynx, rouges, injectées et boursou¬
flées ; cette altération se prolonge souvent bien avant dans les
bronches ; il est rare qu’il y ait inflammation proprement dite
de la région malade, mais bien simple congestion passive; ily a
quelquefois ce que M. Charlier a si bien appelé congestion apo¬
plectique ou irritation hémorrhagique. Souvent on trouve aussi
les lésions d’une pneumonie qui est la lésion concomitante la
plus fréquente de l’influenza, celle qui fait périr ordinairement
les malades lors de complication ; souvent il y a alors aussi de
la pleurésie avec exsudation d’une sérosité gélatineuse ; mais
encore une fois, il est rare que l’influenza fasse périr les ma¬
lades. Les symptômes nerveux feraient supposer une conges¬
tion des centres nerveux, mais celle-ci n’existe pas ou du
moins n’est que peu sensible.
Parce que, dans l’influenza, on trouve généralement de l’hy-
périnose, c’es|-à-dire une richesse extrême du sang en fibrine
avec exsudations faciles, parce qu’il y a de l’aglobulie, on a
voulu y voir un caractère typhoïde' de la maladie ; mais cet état
du, sang caractérise au contraire les maladies franchement
inflammatoires, surtout si elles affectent des organes riches en
tissu cellulaire. Dans les maladies typhoïdes il y a un état du
sang bien différent; s’il y a hypérinose au début, on constate
bientôt de l’altération des globùles rouges et de la fibrine ; les
globules sont ratatinés, ont changé de forme et cèdent de leur
matière colorante au plasma ; la fibrine est molle, gélatineuse;
en un mot il y a tendance à la septicohémie (Rayer, Piorry,
Yirchow, Gleisberg, Lafosse), un état qui ne diffère guère du
• charbon (Roell), et où Ton peut observer des bactéridies si le
mal est un peu avancé. L’état du sang dans les maladies ty¬
phoïdes est presque l’opposé de celui des inflammations et de
l’influenza telle que nous l’entendons.
pa,ns chaque épizootie d’influenza, l’on reconnaît un cachet
spécial à la maladie, qui ést tantôt sthénique, tantôt asthénique,
suivant la plus ou moins grande plasticité du sang ; quelque¬
fois elle est accompagnée de surexcitation nerveuse, d’une sen»
INFLIJENZâ.
343
sLbilité extrême, d’autres fois de torpeur. Mais, malgré ces
nuances, malgré les diverses modifications qu’éprouve encore
une même épizootie, suivant les individus qu’eUe frappe ou
autrement, l’on ne peut s’empêcher de considérer la maladie
comme une affection spéciale, typique, qui diffère autant des
maladies typhoïdes qu’eUe ne ressemble pas à la bronchite ou
à la pneumonie sporadique.
Symptomatologie. — La maladie arrive subitement pour ainsi
dire, sans prodromes, quelquefois d’une manière foudroyante.
L’on trouve bien de suite la tuméfaction des ganglions de
l’auge, la teinte safranée des muqueuses, mais ces symptômes
précurseurs ne frappent pas si l’on n’est pas prévenu. S’il y a
plusieurs chevaux dans la même écurie, on en trouve plusieurs
affectés en même temps, ou à très-peu d’intervalle.
Dès le début, les malades sont très-accablés, courbaturés,
s’éloignent de la mangeoire èt souvent manifestent des symp¬
tômes qu’on ne peut attribuer qu’à une forte céphalalgie;
ils poussent violemment au mur; quelquefois, quoique rare¬
ment, ils ont comme des accès de phrénésie; ils sont tou¬
jours difficiles à déplacer, raides dans leurs membres et
comme immobiles. Il y a des frissons qui reviennent pério¬
diquement, pendant quelques jours, le mâtin et le soir. Il y a
de la fièvre, mais celle-ci est varial3le, tantôt violente, tantôt
légère, pouvant même manquer; elle a généralement une
intensité médiocre et le pouls n’est que peu accéléré, quel¬
quefois un peu difficile, pas trop tendu ; dans quelques cas le
nombre des pulsations arrive cependant à soixante ou soixante-
dix par minute ; les battements du cœur sont très-perceptibles.
La respiration est accélérée, mais courte, avec dyspnée et sen¬
timent évident d’oppression ; l’air expiré est chaud. Les symp-
. tômes de la poitrine ne sont généralement pas en rapport avec
les résultats fournis par l’exploration physique ; la poitrine est
sonore à la percussion ; le plus souvent on constate au début
du râle sibilant assez aigu ; cependant l’animal est sensible à
la pression des doigts dans les espaces intercostaux. La gorge
est très-sensible, la région parotidienne enflée, ainsi que les
ganglions de l’auge. Il y a ordinairement une petite toux courte,
faible, où l’animal manifeste de la douleur et comme une diffi¬
culté de remuer les organes pectoraux ; c’est ce qui a fait ad-
çiettre par quelques auteurs un rhumatisme des plèvres. —
Les troubles des organes de la digestion sont très-variables ;
souvent il n’y a que de l’inappétence ; la langue est sèche ;
344
INFLUENZA.
quelquefois il y a une pharyngite évidente où les animaux ren->
dent les boissons par le nez ; les excréments sont rares, mais de
consistance normale, quelquefois un peu plus foncés et légère¬
ment coiffés, quelquefois d’une odeur fétide; les urines sont
rares, quelquefois incolores, d’autres fois un peu jaunâtres, •
safranées. — Les animaux, ordinairement, ne se couchent pas^?
mais la station, debout, est très-pénible, et ils cherchent dés
temps en temps à soustraire un membre à la fatigue. La tem--
pérature des extrémités est variable ; celle prise par le therma-^s
mètre dans le rectum est un peu supérieure à la moyenne, plus
forte le matin et le soir que dans le milieu de la journée. - 1,;
Vers le deuxième ou le troisième jour l’appétit revient un i
peu, l’animal cherche à manger la paille de la litière ; l’abatte¬
ment est toujours très-fort, l’immobilité extrême ; il y a un fort ;
râle muqueux dans les voies respiratoires, la bouche est moinsii
sèche, quelquefois même remplie de bave abondante; une:;
toux un peu grasse s’établit alors. Alors aussi commence un ::
écoulement par les naseaux ; séroso-muqueux d’abord, il der..i
vient plus consistant par la suite et plus tard floconneux.- Sou-:;,
vent il y a un certain trouble de la cornée avec conjonctivite:;
les yeux sont un peu tuméfiés, et il y a un larmoiement ’mur:i
queux. Souvent les membres se tuméfient œdémateusement;
ainsi que le fourreau, quelquefois il y a tuméfaction de la tête.::
Suivant le caractère de l’épizootie ou les prédispositions ihdi- î;
viduelles, ou voit prédominer dans un cas les symptômes ner-^:
veux; dans d’autres, ce sont les troubles abdominaux; ailleurs,' i'
ce sont les accidents thoraciques. Cependant l’on ne peut ad- :’
mettre pour l’influenza, telle que nous la considérons ici, la
division en plusieurs formes (rhumatismale, gastro-rhumatis¬
male, catarrho-rhumatismale, gastro-érysipélateuse, abdomi-:’
nale ou thoracique, etc.), comme l’ont admise MM. ’Spinola,
Hering et d’autres. Ces formes appartiennent aux maladies
typhoïdes, que ces auteurs ont confondu avec la grippe ; elles;;
font de chacune de ces formes, de chaque cas pathologique ;
même, une maladie essentiellement différente non-seulement :
dans les symptômes, mais encore dans la marche, la durée et :
les terminaisons. Pour l’influenza, il n’y a que des nuances qui
ne font pas éloigner les cas du type principal.
Marche. — Durée. — Terminaisons. — Le plus souvent, l’in-
fluenza suit une marche régulière, continue et assez rapide.
La maladie dure environ sept à dix jours, mais la convalescence
est très-longue. L’animal est plus éveillé, tient la tête en l’air,
INFLUENZA.
343
se remne plus facilement, mais a toujours une certaine cour¬
bature qui reste très-longtemps. Le pouls, moins fréquent, est
plus fort et plein.
Une crise urinaire est la terminaison assez ordinaire de la
maladie; souvent l’urine est épaisse, comme mêlée de muco¬
sités, un peu albumineuse et d’odeur fétide. Quelquefois la
grippe se juge par des sueurs abondantes ou par delà diarrhée.
— Les forces cependant ne reviennent qu’avec une certaine
peine ; la toux persiste longtemps et les organes digestifs re¬
prennent lentement leurs fonctions ; la longueur de la conva¬
lescence n’est pas en rapport avec la longueur et l’intensité de
la maladie.
L’épizootie elle-même a une durée très- variable ; on l’a vu
quelquefois ne durer que deux ou trois mois, quelquefois seu¬
lement deux à trois semaines, d’autres fois se prolonger pendant
toute une année et au delà. Elle frappe d’une manière très-
irrégulière ; dans telle écurie elle affectera tous les animaux
sans exception, dans telle autre elle frappera seulement quel¬
ques individus, ou respectera même toute une écurie envelop¬
pée par l’infectiom Le plus souvent elle frappe le tiers ou les
deux tiers, et laissera des animaux sains qui paraissent rebelles
aux causes du mal. Elle affecte des chevaux de toutes les races,
et se montre dans les écuries populeuses, comme dans celles où
il h’y a que peu d’animaux. Elle va d’un pays à l’autre, en sui¬
vant ordinairement une marche de l’est à l’ouest; celle-ci est
très-rapide, paraît dépendre des vents, et ne se trouve pas arrê¬
tée par les cours d’eau. Les chaînes de montagnes lui font plus
facilement obstacle.
Complications. — Lorsque l’influenza est exempte de toute
complication, il est presque sans exemple qu’elle fasse périr les
malades ; les complications sont très-rares, ce qui différencie
encore la grippe des maladies typhoïdes. On les observe sur des
sujets prédisposés par quelque maladie chronique; les pneu¬
monies, quelquefois de la pleurésie, sont la complication la
plus fréquente ; mais alors ces phlegmasies ont ordinairement
une physionomie spéciale. Rarement on constate la véritable,
crépitation fine, sèche, de la pneumonie franche, c’est plutôt du
râle sous-crépitant qu’on perçoit; il y a plutôt des symptômes
de bronchite rappelant assez la bronchite capillaire du chien ;
la dyspnée est très-intense, très-douloureuse ; la respiration est
abdominale; les exsudations séreuses sont très-faciles; elles
deviennent fortes en très-peu de temps, mais le liquide ainsi
346
INFLÜENZA.
épanché n’est pas de la sérosité ordinaire, c’est un liqui,jg
tenant en dissolution une matière albumineuse se coagulant à
l’air, donnant beaucoup de fibrine; il y a en solution dans l’eau
la substance dite fibrinogène par M. Yirchow, que l’on trouve
d’ailleurs dans la lymphe. , *
, Les nombreuses complications, que les auteurs ont indiqué^
pour l’influenza (Spinola, Hering), s’appliquent aux maladies
typhoïdes et non à la grippe ; dans cette maladie, il n’y a jamais
de complications graves du côté du foie et des intestins, quoique
ces organes souffrent un peu sympathiquement.
Diagnostic. ■— L’accablement, la prostration, les extrême
douleurs qui accompagnent l’influenza, son caractère de frap¬
per plusieurs animaux à la fois, d’être due à l’influence d’une
cause quasi-insaisissable, qui se trouverait dans l’air, feront
facilement distinguer la grippe d’un coryza, d’une bronchite
ordinaire. . , ^
La distinction d’avec les maladies typhoïdes est moins facile,
quoique déjà l’invasion bru sque du mal qui, en quelques heures,
ou en un ou deux jours, arrive au plus haut degré d’intensité
(chose insolite dans l’affection typhoïde, qui a des prodromes
durant parfois huit jours), permette de reconnaître l’inûuenzài
Les symptômes diffèrent essentiellement, sont plus simples,
sans être franchement infiammatoires ; ils n’ont pas ce carac¬
tère complexe, cette tendance à complications qui est le propr^
des maladies typhoïdes; la grippe dure moins longtemps et se
termine ordinairement par la guérison.
L’influenza se distingue nettement de la gourme, et ce serait
presque ridicule que de vouloir s’arrêter aux différences.
Pronostic. — D’après ce qui précède l’inâuenza n’est grave
que sm* les sujets affaiblis, atteints déjà de quelque maladie
sérieuse; elle est grave aussi lorsqu’elle se complique d’une
phlegmasie pulmonaire. Elle est encore grave si elle a le caracr
tère pléthorique ou apoplectique que lui a reconnu M.Charlief,
et qui, d’après Bredin, est aussi celui que revêtait l’épizootie de
Lyon en 1 862. Cependant, la guérison est la terminaison ordi¬
naire de la grippe ; elle survient souvent sans traitement et
avec un simple régime diététique.
La gravité d’une épizootie de. grippe est variable suivant son
caractère dominant; cependant l’inüuenza, telle que nous
1 avons définie, est rarement grave par elle-même ; elle est
dommageable en empêchant le service des animaux qui sont
malades, en embarrassant quelquefois le travail, surtout par la
INFLUENZÂ.
347
loi^e convalescence; mais au moins elle est très-rarement
mortelle. Dansl’épizootie de Cleveland, en 1760, il en périt un
sur quatre cents; sur ce même chiffre, Naumann n’en vit pas
périr un seul en 1805. Pour l’épizootie des États-Unis de 1871,
M. Meyer parle d’une mortalité de 1 poür 100. MM. Spinôla et
Hertwig parlent aussi d’épizooties où la mortalité n’a été que
d’un 1/2 a i pour 100. Si M. Spinola parle d’une mortalité
moyenne de 10 pour 100, c’est qu’il avait surtout en vue les
maladies typhoïdes qu’on a confondues avec l’influenza. — Ce¬
pendant nous devons mentionner la mortalité très-forte, trop
forte même, de un sur trois, qu’a observée M. Rey à Lyon,
pour une maladie que bien des motifs nous forcent cependant
à considérer comme une grippe ; la maladie citée par M. Gbar-
lier avait aussi plus de gravité qu’on n’en reconnaît ordinaire¬
ment à l’influenza.
Étiologie. — L’influenza est une maladie essentiellement épi¬
zootique, dont l’apparition dans un pays ne peut pas encore
être suffisamment expliquée par une condition spéciale; on la
voit sé-nr dans tous les climats et sous toutes les températures,
quoique elle soit surtout fréquente au printemps et en automne.
Bien des causes ont été mises en avant, mais sans qu’on puisse
réellement les appuyer, sans qu’on puisse leur donner une
valeur vraiment scientifique ; l’on a souvent indiqué les causes
les plus opposées.
Il faut, vu la manière rapide dont le mal se déclare, puisque
très-souvent il frappe l’espèce humaine en même temps que les
chevaux, admettre un changement brusque dans l’air ; ordi¬
nairement c’est un changement qui ne s’est pas produit dans
le pays même où se déclare la maladie, mais qui y est amené
par le vent. On a quelquefois attribué le mal à un miasme,
mais bien à tort selon nous; nous sommes plus disposé à croire,
avec M. Gleisberg, à un état électrique spécial de l’air, à une
richesse trop forte dë l’air en ozone ; le vent du nord-est et
celui de l’est, qui, pour l’Elurope, a parcouru les vastes steppes
de la Russie, y a traversé un pays en pleine végétation; l’air de
ces vents se montre très-riche en ozone, en oxygène naissant,
fourni par la respiration diurne des plantes ; peut-être y a-t-il
aussi une influence électrique du globe qui est plus forte vers
les pôles qu’à l’équateur. Cet excès d’ozone est susceptible d’ir¬
riter les voies respiratoires et de produire le catarrhe bronchi¬
que et d’autres affections de poitrine; dans quelques expériences
d’inhalation d’air chargé d’ozone, Schœnhein a produit de la
348
INFLUENZA.
bronchite et de la pneumonie sur des souris et des lapins
L’influence morbide de cet excès d’ozone est d’autant plus pp'ni
bable qu’on voit l’influenza cesser, et surtout ne pas sé déclâi'
rer, par le vent d’ouest qui après son passage sur l’Océan est
pauvre en ozone; c’est dans les pays exposés aux vents du nord
ou de l’est, que l’influenza se montre surtout.
L’on a accusé quelquefois les courants d’air locaux, les éta¬
bles trop basses et mal aérées, mais sans preuve certaine ; tout-
au plus peut-on les admettre comme des causes occasionnelles,
qui rendent les organes respiratoires plus sensibles, plus im¬
pressionnables à l’air vif.
Pour les maladies typhoïdes, que nous tenons essentiellemént
à distinguer de la grippe, les causes sont plus locales et l’inféc-
tion miasmatique en est la cause principale ; nous n’avons gu'à,.
citer l’infection par des émanations miasmatiques, des effluvés.'
organiques, près des marais; l’infection par une alimentation^:
vicieuse avec des fourrages altérés, et enfin cette cause, encore' ;
trop peu connue, où l’infection vient par l’eau salie par deâ '
matières organiques, par des organismes dus à des infiltrations
souterraines de, matières fécales ou autres. L’ozone, que' nouT'
considérons comme une cause de maladie dans la grippe, serait’
du contraire utile dans les maladies typhoïdes. h*-
La contagion de l’influenza, admise par beaucoup d’auteurs,
est plus que douteuse ; M. Hertwig cite de nombreux faits qui
ne permettent guère de l’admettre ; il en est de même de
MM. Haubner, Faite, etc. Si l’on a admis assez généralemëiit_
le caractère contagieux de l’influenza, c’est qu’ici encore otf ;
avait surtout en vue les maladies typhoïdes ; celles-ci sont réelr'';
lement contagieuses. ' '
Traitement. — Lorsque l’influenza est simple, bénigne, il faut ’
se borner à conseiller le repos et la diète; l’on ferà donner ^
d’abondantes boissons (à la température ordinaire) où l’on ajou-;.',
tera du sulfate de soude, un peu de bicarbonate de la mêmè ,
base, ou bien un peu de nitre, mais tout cela à petite dose; on
donnera du vert s’il y a moyen ; en tout cas, l’on couvrira bien
les^ animaux. La saignée est généralement contre-indiquée,
même en cas de complication du côté de la poitrine ; la conges- )
tion de ces organes est plus apparente que réelle, et c’est ce qui
trçmpe les empiriques; cependant, dans des cas comme ceux
cités par MM. Charlier, Rey, Bredin, la saignée nous paraît
indiquée. Généralement la poitrine se trouve bien soulagée par
un vésicatoire, par une friction à l’huile de croton, etc.
INJECTIONS.
34
La médication expectante est indiquée et le traitement
' doit surtout être dirigé selon les conditions indixiduelles
du malade ; s’il y a de Tasthénie, il faut des toniques (la pe-
I tife centaurée, la gentiane et surtout les baies de genièvre);
dans les cas où l’épizootie a plutôt un caractère sthénique, il
I faut les salins et surtout la crème de tartre, plus rarement
j l’émétique ; quand il y a ce qu’on appelle la forme torpide, le
camphre à petite dose (5 grammes)- est très-bien indiqué ; dans
les cas contraires, il faut un calmant comme l’extrait de jus-
quiame ou le cyanure de potassium. Les lavements dérivatifs,
des frictions de la peau seront toujours utiles. — Dans tous les
cas il faut laisser circuler l’air dans l’écurie et ne pas calfeutrer
les portes et les fenêtres.
L’on ne peut pas faire grand’chose pour la prophylaxie, car
l’on voit la maladie survenir, quelquefois tout à coup, dans
dès écuries où les chevaux sont bien soignés, bien nourris, nul¬
lement fatigués, et où ils sont l’objet d’une surveillance régu¬
lière, et intelligente.
Dans la convalescence qui, nous l’avons dit, est longue, il ne
faut jpas oublier les bons soins et un exercice modéré; il faut
veiller au régime, ne donner qu’un fourrage choisi et de facile
digestion ; il faut éviter les constipations ou la diarrhée.
A. ZÜNDEL.
INGUINALES. Voir HERNIE.
INJECTIONS. — INJECTIONS IODÉES DANS LES CAVITÉS SYNO¬
VIALES. — Historique. Depuis longtemps on a constaté en mé¬
decine humaine le succès de la ponction suivie des injections
iodées dans le traitement de l’hydrocèle ; on a voulu appliquer .
au traitement des hydarthroses le même moyen.
C’est à Velpeau et Amédée Bonnet, le chirurgien si regretté
de l’Hôtel-Dieu de Lyon, qu’on attribue l’institution du traite¬
ment de l’hydarthrose par l’injection iodée. Bonnet a fait sa
première injection enI841 , guidé par une opération de Velpeau,
qui pratiquant, en 1839, une injection iodée dans un kyste
synovial poplité, avait injecté par hasard la synoviale articulaire
et aurait constaté que cette opération n’avait pas eu de suite
fâcheuse. Les injections furent répétées depuis par plusieurs
médecins avec des résultats variables ; mais elles sont restées
dans la pratique. Voici les résultats qu’on a obtenus : 1“ des
gnérisons complètes avec conservation des mouvements de l’ar-
ticulatioh (c’est là le cas le moins fréquent) ; des guérisons
3S0
INJECTIONS.
avec tin certain degré de roideur ; 3° souvent on a échoué com¬
plètement; 4” enfin dans certains cas, heureusement très-rares
on a provoqué la suppuration de l’article et aggravé le mal
qu’on voulait combattre. Actuellement cette méthode, malgré
quelques insuccès, constitue une des conquêtes de la chirurgie
moderne.
Suivant bientôt l’exemple donné par la chirurgie humaine, -
U. Leblanc, de concert avec le docteur Thierry, a introduit-
cette pratique en vétérinaire. Il a fait d’abord des expériences
sur des chevaux destinés à être sacrifiés, ensuite sur des ma¬
lades d’une plus grande valeur, destinés à être conservés, pour
prouver l’avantage des injections iodées dans les gaines articu-,
laires et tendineuses.
iCes essais ont donné lieu à des appréciations diverses ; des
faits assez nombreux, recueillis dans les écoles vétérinaires prin¬
cipalement, ont fourni la preuve que ces injections pouvaient^
produire l’inflammation suppurative de l’articulation ou de la
gaine tendineuse et la mort. Ainsi M. H. Bouley à la clinique
d’Alfort, M. Lafosse à celle de Toulouse, et nous-m'ême à celle
de Lyon, nous avons tous signalé ces résultats fâcheux, qui ont-
dû naturellement rendre très-circonspects les vétérinaires pra¬
ticiens livrés à eux-mêmes. Aussi ne nous est-il possible de
citer le nom que d’un petit nombre de ces derniers, qui aient
osé, malgré les revers signalés, employée ce moyen. , Ce sont
MM. Pressecq, Verrier ainé de Rouen, Barry et Festal Philippe;
n’oublions pas le professeur Perosino de Turin, qui s’est occupé
de cette question. ■
De leur côté, les trois Écoles vétérinaires ne-se sont pas laissé,
arrêter par quelques insuccès et leurs travaux doivent concourir-
beaucoup à fixer la valeur de cette découverte moderne, qui
remonte environ à trente ans. 11 en résulte cette certitude que
l’injection iodée est appelée à rendre de grands services. En
proposant son emploi en vétérinaire, et surtout en le défendant
avec persévérance contre les insuccès qu’on a constatés un peu
partout, ü. Leblanc a rendu un immense service à notre chi¬
rurgie.
Procédé opératoire. — Il est le même pour les articulations
comme pour les gaines tendineuses dans lesquelles on fait l’in¬
jection. C’est dans la gaine postérieure du jarret que les vété¬
rinaires font le plus souvent cette opération, pour remédier au
vessigon tendineux ; les détails qui vont suivre se rapportent
plus particulièrement à la guérison de ce dernier.
DEJECTIONS.
3o1
lÆ lieu d'élection est la partié de la synoTiale où la tmneur
fonne le plus de saillie, afin de pénétrer plus directement dans
la poche et éviter qu’une partie du liquide injecté s’infiltre sous
la peau; on choisit aussi ce point parce qu’il rend l’opération
plus facile.
On se sert du trocart proposé par TJ. Leblanc ; ce n’est qu’un
trocart ordinaire, dont la canule a 3 ou 4 millimètres de dia¬
mètre; cette dernière n’est pas munie d’un robinet destiné à
empêcher le passage de l’air. La disposition de la pointe du
trocart ne doit pas être en forme de lancette, parce qu’elle fait
une incision qui peut laisser sortir le liquide injecté et per¬
mettre son infiltration dans les tissus Toisins. Il faut préférer lé
trocart à pointe trifaciée, qui sépare les tissus et ne laisse
qu’une ouverture imperceptible par laquelle aucun liquide ne
peut s’échapper. L’emploi du bistouri droit, lors même qu’il est
bien effilé pour faire la ponction, a des inconvénients ; la plaie
n’est pas assez limitée ; la canule du trocart donne plus de fa¬
cilité pour introduire l’injection.
Relativement à la position qu’il convient de donner au sujet
qui doit être opéré, il y a des dissidences, ü. Leblanc propose
d’opérer sur l’animal debout; il trouve ainsi l’avantage de bien
faire tendre la partie à ponctionner en levant le membre opposé.
Nous préférons agir sur l’animal couché et maintenu sur un lit
de paille, afin d’éviter des mouvements trop désordonnés, qui
rendraient l’opération difficile ou même dangereuse pour l’opé¬
rateur. Au moment où la peau est traversée par l’instrument ,
le cheval se débat toujours avec violence ; alors il peut arriver
que là pointe du trocart pénètre trop profondément, traverse
les surfaces articulaires et laisse l’injection arriver dans les
tissus voisins. Le membre à opérer est placé dans l’extension;
si dans ce cas la poche est un peu relâchée, il faut avoir la pré¬
caution de la tendre avec la main gauche, qui sert de point
d’appui.
Tout étant ainsi disposé, l’opérateur tient de la main droite
le trocart, en plaçant le doigt indicateur à deux centimètres dé
l’extrémité de la canule; pour limiter la partie qui doit pénétrer
dans les tissus. Sans avoir coupé les poils, il fait la ponction
sur la partie la plus saillante, en appliquant la pointe dans une
positionpresque perpendiculaire à lapeau qu’il traverse par une
pression graduée unie à un mouvement de rotation, en pous¬
sant l’instrument jusqu’à ce qu’il n’éprouve plus de résistance.
Ü- Leblanc ponctionne directement la peau et la gaine en fai-
352
INJECTIONS.
sant pénétrer le trocart perpendiculairement par un mouvement
de torsion. La ponction peut être faite un peu obliquement:
mais il faut éviter de faire parcourir un certain espace sous les
téguments avant d’atteindre la capsule, afin que le liquide in-
jecté ne s’infiltre pas dans le tissu cellulaire.
Une fois que le trocart a été introduit convenablement, la
canule est retenue d’une main, tandis qu’avec l’autre on retire
la tige de l’instrument; alors un liquide visqueux et transpa¬
rent s’écoule par l’ouverture qui se présente à lui. Cet écoule¬
ment a lieu ordinairement par un jet, mais souvent aussi d’une
manière lente ; dans ce cas sa sortie doit êti:e facilitée par des
pressions latérales. Quelquefois il est nécessaire de désobstruer
la canule à l’aide d’un stylet pour écarter des flocons fibrineux
qui empêchent l’extraction du liquide. Il ne faut pas chercher
à vider complètement la poche ; il serait du reste impossible de
retirer tout le liquide ; il en reste toujours dans les anfractuo¬
sités de la cavité synoviale.
Faut-il attacher quelque importance à la quantité plus ou
moins grande de synovie qui doit s’écouler? M. Barry a insisté
sur la nécessité de ne donner écoulement qu’à une faible partie
de liquide ; c’est à cette condition qu’il attribue ses succès.
Ainsi, par une légère pression de la main, il n’en fait sortir
qu’une très-petite quantité; il peut par ce moyen diminuer
l’effet de la teinture d’iode par son mélabge avec une plus
grande quantité de synovie {Recueil de méd. vét., 1856, p. 871).
Cette recommandation n’a pas une grande importance, d’abord
parce qu’il n’est pas possible de faire le vide même approxima¬
tivement par des pressions répétées; ensuite nous dirons que
les résultats sont les mêmes, soit qu’on ait cherché à retirer la
synovie autant que possible, soit qu’on ait à dessein laissé une
certaine quantité de ce liquide. Il arrive quelquefois que la
tumeur synoviale se reproduit; c’est justement quand la poche
n’a pas été assez vidée avant d’y faire pénétrer l’injection.
La synovie étant extraite en partie de la tumeur ponctionnée,
l’opérateur injecte dans celle-ci la teinture d’iode plus ou moins
étendue d’eau, après avoir adapté l’embouchure d’une petite
pringue en étain avec la canule du trocart. Quand une première
injection ne suffit pas pour remplir la poche, on en fait une
deuxième et même une troisième jusqu’à ce que les- parois de
plle-ci se trouvent un peu distendues. Ainsi la quantité de liquid®
à injecter varie suivant la quantité de synovie qui s’échappe; ü
n’est pas nécessaire d’en faire pénétrer beaucoup; plusieurs
INJECTIONS.
333
fois il nous est arrivé de ne pas avoir préparé assez de teinture,
et cependant une injection peu abondante a suffi pour donner
de bons résultats. La capacité de la seringue à employer est
d’un à deux décilitres.
Le séjour du liquide dure une minute à peine, rarement deux;
on Ty laisse le moins possible. Pendant ce temps, il faut malaxer
légèrement la tumeur pour bien mettre l’injection en contact
avec les anfractuosités de la séreuse. Enfin on fait sortir par
l’orifice de la canule le liquide injecté en pressant légèrement
dans plusieurs sens les parois de cette tumeur ; le liquide sort
troublé par un précipité floconneux d’albumine. Ce trouble est
un bon indice ; il indique des effets assez actifs sur la synoviale;
au contraire, quand le liquide s'échappe avec sa transparence
première, c’est qu’il était trop étendu d’eau et la tumeur ne dis¬
paraît pas. EnQn la canule est retirée avec précaution par des
mouvements de torsion, pendant qu’une pression modérée est
exercée sur la peau. Il n’est pas utile de retirer tout ce qui a
été injecté; il y a des opérateurs qui ne font aucune manœuvre
pour extraire ce liquide, et qui laissent écouler seulement ce
qui peut sortir sans aucune pression artificielle.
Les bords de la piqûre ' se rapprochent après que la canule a
été retirée ; il y a parfois écoulement de quelques gouttes de
sang, ce qui n’a aucune importance. On verra sur quelques
sujets une partie de l’injection, qui était restée dans la syno¬
viale, s’écouler par la’plaie, lorsque l’opération est finie; cette
particularité n’a aucune importance et n’apporte aucune chance
fâcheuse pour empêcher le succès.
Le choix du liquide à injecter présente une grande impor¬
tance. Bonnet s’est servi d’abord, pour l’homme, de teinture
d’iode pure, et, plus tard, d’une solution composée de 16 gram¬
mes d’eau, 2 grammes d’iode et i grammes d’iodure de potas¬
sium. Velpeau a employé un mélange de teinture d’iode et
d’une ou deux parties d’eau. Barrier préférait un mélange de
parties égales de teinture d’iode et d’eau-de-vie camphrée.— Les
vétérinaires se servent de la teinture d’iode du Codex préparée
en dissolvant à froid une partie d’iode dans douze parties d’al¬
cool ordinaire. Le plus souvent on ajoute, à la teinture qui doit
être injectée, deux fois son poids d’eau distillée; dans des cas
exceptionnels, le mélange se compose d’une partie de teinture
unie à trois parties d’eau. Nous n’employons pas l’injection
étendue de quatre ou cinq parties d’eau ; ses effets seraient sou¬
vent insuffisants. En général, le praticien modifie la prépara-
X. 23
334
INJECTIONS.
tion d’après les données de son expérience, en réservant l’in,
jection la plus faible pour les chevaux de sang, qui sont plug
irritables que les autres.
Le mélange de la teinture avec l’eau fait précipiter une partie
du métalloïde sous la forme de parcelles noirâtres qui tombent
au fond du vase; alors ce liquide peut cautériser trop fortement
ou d’une manière inégale quelques points de la synoviale sur
lesquels se déposent les fragments d’iode. Il est utile de ne pas
injecter ce précipité ; ordinairement on le fait disparaître en
ajoutant une petite quantité d’iodure de potassium pour dis¬
soudre Tiode qui est en excès.
La teinture pure est rarement employée pour Tinjection,
parce qu’elle cause une inflammation consécutive trop intense,
U. Leblanc lui-même admet qu’il vaut mieux employer la tein¬
ture mitigée, parce que celle qui est pure peut amener plus
souvent que le mélange des accidents graves et même mortels,
surtout d’autres circonstances défavorables aidant.
Pour obtenir un bon résultat, il importe de modifier suffi¬
samment la synoviale afin d’éviter le retour de l’hydropisie, et,
d’un autre côté, de ne pas produire un degré d’inflammation
trop intense qui amènerait l’inflammation.suppurative.
Smies. — Elles varient beaucoup suivant les sujets opérés;
en général , on observe les suivantes. Immédiatement après
l’opération, le cheval qu’on vient de relever ne boite pas et ma¬
nifeste tout au plus un peu de roideur pour arriver à son écurie
distante seulement de quelques pas. On évite autant que. pos¬
sible de le faire marcher et surtout de le conduire un peu loin;
aussi nous n’opérons que les Sujets laissés dans les hôpitaux de
l’École et amenés la veille. Au bout de quelques heures appa¬
raît une inflammation locale plus ou moins intense ; la région
opérée devient douloureuse et se tuméfie ; en même temps sur¬
vient la fièvre de réaction. Il y a des chevaux qui n’éprouvent
que l’inflammation locale, mais peu prononcée, et ne deviennent
pas boiteux à la suite de l’opération. Chez d’autres, la sensibi¬
lité et la difficulté de mouvement sont extrêmes ; la réaction
est très-violente. Nous avons vu des chevaux de sang rester
couchés pendant plusieurs jours sur la litière, sans pouvoir se
relever, après une injection de vessigon tendineux.
Du reste, l’inflammation envahit à des degrés divers la partie
opérée suivant les régions. C’est à l’articulation du jarret qu’elle
atteint le plus d’intensité; ses effets sont moindres pour la join-
INJECTIONS. 355
tnre rotulîenne. On les Yoit aussi moins intenses pour les gaines
tendineuses.
Il y a, disons-nous, des chevaux qui n’ont pas de lièvre trau¬
matique et qui boitent à peine après l’injection du vessigon
tendineux : chez les uns et les autres la tuméfaction observée
le premier jour augmente encore le lendemain; sa circonfé¬
rence dépasse de quatre à cinq centimètres celle de la tumeur
synoviale primitive. La chaleur et la douleur diminuent insen¬
siblement; la boiterie disparaît vers le huitième jour. Il reste
encore la tumeur qui a perdu un à deux centimètres de son
pourtour, et qui ensuite demande plus ou moins de temps pour
disparaître lentement. La partie opérée est. molle pendant un
jour ou deux, ensuite elle s’indure. Si la mollesse persiste, il
arrive presque toujours que l’injection n’était pas assez concen¬
trée ; la tumeur synoviale doit persister. Au contraire, quand
sa consistance est dure, la douleur locale n’étant pas trop
exagérée, c’est un signe favorable ; il s’est produit un épanche¬
ment plastique gélatineux.
La tuméfaction causée par l’injection iodée est telle, qu’un
praticien, qui n’a pas eu roccaston de suivre les suites de l’opé¬
ration, éprouve une vive déception et voudrait bien ne pas avoir
osé faire ce qu’il considère comme une énormité chirurgicale.
Il craint d’avoir transformé un vessigon peu grave en une tu¬
meur beaucoup plus forte et incurable, parce que, même dans
les cas heureux, elle persiste longtemps. Nous, qui avons opéré
un grand nombre de sujets, nous avons longtemps éprouvé
cette crainte. Le temps nécessaire pour la résorption est très-
long : il faut pour le moins quatre ou cinq mois. Il y a des che¬
vaux chez qui le gonflement paraît stationnaire et dure pendant
plus d’une année. Il est très-important de donner au propriétaire
la mesure de la circonférence de la région opérée, du jarret par
exemple, prise avant l’opération et huit jours après qu’elle a été
faite, la vue seule ne permettant pas de constater les change¬
ments de volume qui plus tard se produisent d’une manière
presque insensible. La confrontation de cette mesure, faite de
temps en temps, dénote chaque fois une diminution.
Après les opérations de vessigon tendineux, nous avons tou¬
jours vu le gonflement disparaître et le jarret devenir aussi net
que dans l’état normal, sans que la ponction ait laissé les moin¬
dres traces. Dans les cas rares où la tumeur a persisté conser¬
vant de la mollesse, nous avons réitérù l’injection avec une
liqueur plus forte au bout de trois à quatre mois. Mais nous
336
INJECTIONS.
avons toujours attendu quand la partie opérée était restée dure
et toujours la guérison a été complète.
Effets. — La teinture d’iode, introduite dans les synoviales |
produit une inflammation exsudative qui adhère aux parois du
sac séreux; ensuite elle est absorbée à la longue et détermine
plus ou moins l’oblitération du sac, là où le mouvement est peu
étendu. La capacité de la membrane ne s’efface pas même dans
les parties éloignées du centre du mouvement; du reste, les
résultats heureux prouvent que la mobilité est conservée.
U. Leblanc a constaté, sur plusieurs animaux mis en expé^
rience, qu’il y avait une exsudation plastique adhérente aux
parois du sac, qui se rétractent et reviennent à leurs dimensions
ordinaires à mesure que l’absorption de ce produit a lieu. Mais
il n’a pas constaté cela chez tous ; il n’a pas trouvé d’exsudation
plastique bien marquée sur les sujets qui n’avaient pas beau¬
coup souffert après l’opération. Il se croit fondé à soutenir qué
les chevaux peuvent guérir sans formation de fausses mem¬
branes. ' ■
De son côté, M. H. Bouley a fait des expériences pour recher¬
cher anatomiquement la nature des modifications déterminées
dans les gaines synoviales par les injections iodées. Il a fait sâ-^
criûer les animaux opérés, à différentes époques après l’opéra¬
tion, afin d’étudier les phases de l’inflammation. Ses expériences
ont porté sur les gaines tarsienne, carpienne, tibio-astragp
lienne, radio-carpienne. D’après lui, les modifications détermi¬
nées varient suivant que l’inflammation reste modérée et consé¬
quemment thérapeutique, ou suivant que, dépassant ces limites;
elle injecte l’appareil vasculaire et le rend apte à la pyogénie/
Si l’inflammation reste dans les limites de l’action thérapeu¬
tique, il se passe, dans le tissu de la synoviale -enflammée, un
travail d’organisation qui a pour résultat « de diminuer sana-
« pacité par.la formation d’adhérences dans les replis et diver-
« ticulums de la synoviale les plus éloignés du centre du mou-
« vement;— de modifier en partie son appareil vasculaire, et
« de substituer, à la disposition anormale qui présidait à une
« sécrétion exagérée, une disposition nouvelle, plus dense, plus
<i serrée, moins développée, moins active conséquemment à la
« sécrétion synoviale. — L’inflammation produit cette seconde
« transformation de texture ; en déterminant l’organisation à
« la surface libre de la membrane séreuse de ces couches plas-
« tiques, dont elle a produit l’exhalation ; — en faisant dispa-
« raître, comme le démontre l’observation microscopique des
INJECTIONS.
337
« vaisseaux capillaires anciens, par la stagnation, la coagula-
B tion et l’organisation du sang dans leur canal intérieur, et
« en donnant naissance à des vaisseaux nouveaux, différents
« de diamètre et de disposition, qui offrent au sang une nou-
« velle voie de parcours pour suppléer aux anciens canaux
« oblitérés; — en organisant, dans le tissu cellulaire extérieur
« à la membrane, le liquide séro-gélatineux qui s’y est épanché,
« et en donnant, par cette organisation, à la trame de ce tissu
« qui double la membrane et la soutient, une densité et une
« rigidité plus grandes. » (Rec. de méd. vét., 1 847, p. 1 3.)
Soins après l’opération. — Le cheval qui vient d’être opéré
doit être mis à la diète pendant quelques jours pour éviter une
lièvre de réaction trop intense. Ordinairement on n’applique
rien sur l’orifice de la piqûre; cependant si Ton craint l’intro¬
duction de l’air, il y a lieu de le recouvrir avec un petit emplâtre
de poix ou de térébenthine.
U. Leblanc considère avec raison l’emploi d’un bandage com¬
pressif après l’opération comme une mauvaise pratique; elle
favorise rinûltration des liquides, apporte de la gêne dans la
circulation et devient une cause d’inflammation exagérée. Gé¬
néralement les bandages sont abandonnés; il n’y a pas lieu
d’approuver soit les éponges humides, soit des plumasseaux
imbibés d’eau froide destinés à recouvrir le jarret pour arrêter
les progrès de l’inflammation. Si la fièvre de réaction est in¬
tense, l’appui douloureux, difficile, il suffit de faire de temps
en temps des lotions avec l’eau froide blanchie par l’extrait de
Saturne. La saignée et les boissons nitrées sont quelquefois
utiles.
Il importe de prescrire un repos absolu pendant les premiers
jours,- les mouvements de la locomotion ne pouvant qu’être nui¬
sibles, en fatigant l’articulation ou la gaine tendineuse injectées.
En évitant de conduire le sujet opéré dans une écurie éloignée
du local dans lequel l’opération a été faite, on ne voit pas se
produire une aussi grande intensité dans la douleur et la tu¬
méfaction qui surviennent. Cependant M. Verrier n’a pas vu de
complication se montrer sur deux chevaux qui, après avoir été
opérés pour un vessigon tendineux, furent conduits le même
jour à une distance de huit à dix kilomètres; mais il a noté
qu’après avoir parcouru quatre kilomètres, un de ces sujets fut
atteint d’une douleur telle qu’il ne voulait plus marcher ; le
propriétaire insista, et le malade parvint à sa destination; mais
ses souffrances persistèrent plus longtemps.— Après un repos
358
INJECTIONS.
de dix jours, le cheval de trait peut reprendre son travail.-.
On attend quelques jours de plus pour un service au trot; les
opérés travaillent ensuite sans interruption jusqu’à la gué¬
rison.
Causes des insuccès. — L’étude de ces causes a une grande
importance; leur détermination apprend à les éviter et à assurer
le succès.
Ventrée de Vair dans la cavité synoviale exerce-t-elle une in¬
fluence fâcheuse? En chirurgie humaine on se préoccupe beaur
coup plus que nous des] effets nuisibles que l’introduction de
l’air peut produire. Ainsi la canule du trocart présente un ro¬
binet l’on ferme pour éviter la pénétration de l’air après
l’écoulement de la synovie. Quelquefois on combine l’aspirar
tion avec la ponction; dans cé but, le chirurgien se sert d’une
seringue aspirante et foulante à la fois, qui permet l’issue du
liquide en empêchant l’entrée de l’air dans l’articulation ou la
gaine ponctionnée. Quand ce liquide est assez séreux pour
couler par la canule facilement, l’entrée de l’air est évitée plus
sûrement, si l’on a muni la canule d’une chemise en baudruche
légèrement mouillée. En vétérinaire, on ne s’inquiète pas de
l’action de l’air ; l’entrée de ce fluide dans la plaie ne paraît
offrir aucun danger.
Le choix de l’injection n’est pas indifférent. La teipture d’iode
- pure ne cause pas toujours des accidents; mais il est des cie-
constances dans lesquelles son emploi est dangereux ; c’est ce
qui arrive pour les sujets irritables. Il est prouvé que la teinture
étendue d’eau produit à peu près toujours des effets suffisants :
pourquoi ne pas la préférer? M. Tabourin conseille de ne pas
se servir de la teinture iodique préparée depuis quelque
temps, parce qu’elle contient une certaine proportion d’acide
iodhydrique, qui ajoute à ses qualités irritantes, de telle sorte
que le degré d’activité du mélange n’est plus le même. [Nouveau
Traité de matière médicale,
Il est une cause d’insuccès et d’accident qui est incontestable,
c’est le passage d’une partie de l’injection dans le tissu cellu¬
laire. Nous avons constaté deux fois sur le cheval une tumé¬
faction énorme du jarret, qui s’est terminée par des abcès à la
suite de l’injection faite dans un vessigon tendineux. Les ma¬
lades n’ont pas succombé ; mais l’engorgement a persisté long¬
temps et il a fallu recommencer l’opération. Pour éviter défaire
fausse route en injectant, il faut attendre que le vessigon soit
suffisamment développé, et pratiquer l’injection sans faire par-
INJECTIONS. 3S9
courir par rinstrument un trajet trop oblique entre la peau et
la ra.vité à ponctionner.
Le séjour trop prolongé de l’injection doit ayoir des inconyé-
nients. Ceux qui la laissent dix minutes constatent des inflam¬
mations purulentes plus souvent que d’autres qui laissent le
liquide moins longtemps. Un séjour de deux à trois minutes
est encore trop long; il est préférable de retirer le liquide im¬
médiatement après qu’il vient d’être injecté, c’est-à-dire au bout
d’une demi-minute tout au plus. L’effet produit est instantané,
résultant du simple contact; qu’on considère la coloration jaune
foncée des doigts de l’opérateur qui sont maculés par l’injec¬
tion, et l’on pourra penser qu’une action semblable a. eu lieu
sur la synoviale. L’évaporation enlève au bout de quelque
temps cette coloration de la main, qui doit persister un peu
plus dans la synoviale. Nous n’approuvons pas le modus faciendi
qui consiste à répéter plusieurs fois l’injection dans le but de
la rendre plus efficace.
Le repos est nécessaire pendant les premiers jours. Il ne faut
pas oublier que les médecins condamnent à l’immobilité pen¬
dant quelque temps l’articulation injectée. Pour les animaux
cela est impossible; notons encore que le repos est incomplet
pour eux ; ils se tiennent rarement couchés, quand ils restent à
l’écurie, et la station debout doit être une cause de fatigue pour
la région opérée.
On a attribué les accidents qui se sont produits à ce qu’on a
le plus souvent réservé les injections iodiques pour des tumeurs
synoviales trop anciennes, qui avaient résisté à tous les autres
moyens, même à l’action du feu. Ce n’est pas là une influence
à signaler; le succès a également été obtenu dans ces cas-là.
Nous pensons, au contraire, qu’il y a plus d’inconvénient à
opérer une tumeur trop récente, parce qu’elle n’est pas assez
développée pour permettre une injection méthodique. Ensuite
il arrive que, dans les cas récents, l’inflammation devient plus
forte, parce que la membrane à modifier est le siège d’une
pblegmasie aiguë, ce qui est indiqué par la teinte rougeâtre de
la synovie qui s’écoule.
Enfin, une condition de succès existe toujours dans l’expé¬
rience de l’opérateur, dans l’habitude contractée pour cette
opération, qui comme beaucoup d’autres est très-simple, mais
qui exige néanmoins du savoir-faire. Celui qui fait des injec¬
tions iodées plusieurs fois dans l’espace d’une année connaît
bien mieux les précautions à prendre, que le vétérinaire pour
360
INJECTIONS.
qui cette occasion ne se présente que très-rarement. En opérant
souvent on s’habitue à faire plus vite et l’on finit par se créer
un modus faciendi qui diffère peut-être de celui qui est adopté
par d’autres, et tout finit bien.
Accidents. — Des accidents divers ont été observés à la suite -
des injections iodées faites dans les articulations, dans les gaines -
tendineuses et les bourses séreuses. Il en est qui ont Une gra-- :
vité extrême et qui, ayant été constatés par plusieurs praticiens,
ont dû naturellement jeter une grande défaveur sur l’emploi de
ce moyen dans les synoviales articulaires.
MM. Leblanc et Thierry n’ont vu survenir aucun accident à
la suite de trente-cinq injections iodées sur le cheval, dont ,
quinze dans les articulations, sept dans les bourses muqueuses,
dix dans les gaines tendineuses et deux dans les plèvres. Per-.
sonne n’a été aussi heureux que ces deux expérimentateurs.
L’accident le plus grave qui ait été constaté, consiste dans;
l’inflammation suraiguë, qui est devenue suppurative dans les
surfaces articulaires du jarret, du genou, du grasset, dans la
gaine inférieure des tendons fléchisseurs à la suite des mo-.
lettes. Alors il se produit dans l’articulation des désordres sem-. I
blables à ceux de l’arthrite purulente, qui font périr l’animait
ou qui se terminent par l’ankylose.
Sur les sujets irritables, principalement sur les chevaux
de sang anglais, l’inflammation des gaines tendineuses prend:
des proportions plus grandes, qui se traduisent par une fièvre
traumatique très-intense et une douleur extrême dans le memr
bre opéré. Mais au bout de quelques jours ces caractères fâcheux
disparaissent, et la tumeur formée par l’injection suit sa marche :
ordinaire.
Des abbés se développent dans le tissu cellulaire quand ime
partie de l’injection a passé entre la peau et la capsule , synov
viale. Gela se voit quelquefois pour le vessigon tendineux, assez
souvent pour l’hygroma du boulet. Il en résulte des douleurs,
très-intenses, qui se calment dès qu’on a ouvert l’abcès qui a
suivi cette infiltration de la teinture d’iode.
Cas dans lesquels on emploie les injections iodées. — Ce sont
les hydarthroses, principalement celles du jarret, du genou, du
grasset, qu’on a essayé de traiter par la ponction et les injec¬
tions iodées. On les a également prescrites contre les hydropi-
sies des gaines tendineuses, connues sous le nom de vessigons
et de molettes, contre les hygromas ou hydropisies des bourses
•séreuses et les kystes séreux de diverses régions.
INJECTIONS.
361
Les faits mallieureux • signalés en quelque sorte de toutes
parts pour l’articulation du jarret ont nécessairement causé un
temps d’arrêt pour la propagation du traitement dont il s’agit,
ü. Leblanc seul a persisté pour les cavités articulaires, ce qu’on
comprend aisément, puisqu’il assure n’avoir jamais observé
d’accident grave. Mais depuis l’époque où ces accidents ont été
constatés, les autres observateurs n’ont publié que des faits re¬
latifs aux gaines tendineuses et aux poches séreuses.
Cependaut tout ce temps n’a pas été perdu ; il y a un fait
acquis, incontestable, c’est qu’on réussit pour les gaines tendi¬
neuses tarsiennes à peu près constamment, sans constater ja¬
mais des accidents mortels. Cette opération est entrée dans la
pratique ordinaire d’un petit nombre de praticiens, il est vrai ;
mais elle tend de plus en plus à se propager.
Relativement aux molettes, les succès sont également fré¬
quents ; mais quelques revers sont venus de temps en temps
maintenir notre réserve pour des cas exceptionnels. Il y a des
vétérinaires qui ont eu l’occasion de faire tout au plus deux ou
trois opérations de ce genre; ils disent qu’ils ont réussi, ce qui
est possible, mais ils s’étonnent que nous ayons eu des insuccès.
Nous n’avons qu’une réponse à leur faire : c’est qu’ils auraient
tort d’employer avec trop de confiance les injections iodées dans
le traitement des molettes, parce qu’ils s’exposeraient à d’a¬
mères déceptions.
Les bygromas ou hydropisies des bourses séreuses, qu’on
observe au boulet, au genou, au coude, à la pointe dû jarret,
sont guéris par les injections iodées presque toujours. Enfin ce
moyen offre aussi des avantages contre le mal de garrot et le
mal de nuque quand ils se présentent à l’état de kyste séreux.
Nous allons entrer dans quelques détails sur les résultats
obtenus par les vétérinaires qui ont expérimenté sur l’emploi
des injections iodées et qui ont cherché à les introduire dans
leur pratique usuelle.
Résuttats obtenus. — Ils sont variables: on peut dire qu’il n’y
a pas eu de sucçès sans revers. Mais quelle est en chirurgie
l’opération, même la plus simple, qui ne peut pas, dans des cir¬
constances données, produire des accidents mortels ?
Les insuccès signalés, quoique compensés par des résultats
heureux, ont eu une fâcheuse influence pour la propagation de
ee traitement. U. Leblanc lui-même, qui a eu la gloire d’avoir
introduit en chirurgie vétérinaire cette opération énergique, a
«té d’abord un peu ébranlé, à ce point qu’il n’aurait pas appli-
INJECTIONS.
qué les injections iodées toutes les fois que l’indication s’est
présentée. Quoiqu'il ait constamment réussi, ce sont les reTers
des autres, qui, dit-il, l’ont empêché d’agir suivant ses croyances
parce qu’il lui est impossible d’affirmer que le moyen qu’il â
toujours reconnu bon ne sera pas suivi de conséquences dan¬
gereuses, puisqu’ en d’autres mains ces conséquences sont sur¬
venues ; il ajoute que, par ces motifs, il doit se maintenir dans
la plus grande réserve. [Société centrale de méd. vétr, Jîec. isge
p. 879.) Dix-buit ans se sont écoulés depuis que U. Leblanc
tenait ce langage ; sa conviction n’a pas été ébranlée. Il n’a pu
que s’applaudir d’avoir été persévérant; la solution de la ques¬
tion , tout en n’étant pas encore définitive, a néanmoins fait
un pas très-satisfaisant.
En 1 846, Bouley jeune a fait, devant l’Académie de médecine,
l’bistoire de plusieurs chevaux, qui avaient succombé à la suite
d’inflammations suraiguës causées par des injections de teinture
d’iode dans les grandes articulations du jarret et du genou.
De son côté, M. H. Bouley a signalé plusieurs faits semblables
à la suite d’injections iodées dans la capsule synoviale du jarret
et dans les gaines tendineuses. Ces accidents ont portél’émineât
professeur de clinique d’Alfort à dire que, si des faits nombreux
militent en faveur de cette méthode, on ne doit l’introduire
dans la pratique ordinaire qu’avec la plus grande circonspec¬
tion; qu’il faut, avant de se prononcer sur sa valeur définitive,
la soumettre encore à une longue expérience (Bec. de méd. mU,
18S0, p. 69). Il recommande de faire Une distinction entre les
affections des gaines tendineuses et celles des gaines articu¬
laires. Enfin il émet cette opinion, qui a été confirmée par le
temps, que la méthode nouvelle a de l’avenir, et qu’elle devien¬
dra, entre les mains des praticiens, un moyen précieux de trai¬
tement.
Des revers ont été également constatés à l’École de Bruxelles
par Delwart, à celle de Turin par M. Perosino, à Toulouse par
M. Lafosse, à Lyon par nous dans la clinique de l’École. Ces
insuccès se rapportent généralement aux injections faites dans
l’articulation du jarret; ils sont assez nombreux. Quelques-uns
ont été produits par le traitement des molettes.
Il y a peu d’expérimentateurs qui aient eu, comme U. Leblanc,
une réussite constante, et, sous ce rapport, nous ne pouvons
guères citer que M. Gambron, médecin vétérinaire du gouver¬
nement à N amur. Après avoir répété un grand nombre de fois
cette opération, sur des sujets placés dans des conditions di-
INJECTIONS.
363
perses, il a, dit-il, atteint à peu près constamment le but désiré
et jamais de résultats fâcheux {Ann. de méd. véL, publiées à
Bruxelles, 1832, p. 19). Mais les faits qu’il signale ne se rap¬
portent pas aux articulations.
, De son cété, M. Verrier aîné, xétérinaire fort estimé â Rouen ;
dit qu’il a fait des injections iodées dans les synoviales environ
deux cents fois, qu’il ne les compte plus, qu’elles sont pour lui
l’objet d’une application usuelle. Il considère cette opération
^opame une très-heureuse conquête pour la thérapeutique vété¬
rinaire; cependant il ajoute qu’elle n’est pas toujours suivie de
résultats avantageux, qu’il l’a vue rester sans effets aggraver le
mal, faire mourir même, mais que ces cas sont rares, excep-
tionnels {Rec. de méd. vét., 1837, p. 338, 398). Son mémoire
contient l’exposé de vingt observations, relatant des faits mal¬
heureux pour le vessigon articulaire et les molettes ; viennent
ensuite un grand nombre de faits heureux pour le vessigon
tendineux et l’hygroma. ■
M. Festal Philippe a publié aussi quelques succès obtenus
avec les injections dans les synoviales tendineuses, mais il ne
dit rien des articulations {Recueil, 1838, p. 243). La Clinique a
donné des observations recuéillies par M. Abadie ; les résultats
sont favorables pour les gaines tendineuses ; un accident est
mentionné pour le jarret (janvier 1863).
11 y a vingt-cinq ans, la question des injections iodées se trou¬
vait dans une mauvaise phase. Le découragement causé par des
cas malheureux n’a pas empêché de nouvelles tentatives, qui
ont été plus heureuses, en démontrant toutefois que ce moyen
ne devait être employé qu’avec une grande réserve pour les arti¬
culations. On n’est pas plus avancé aujourd’hui, les injections
ayant été peu employées dans les jointures, l’expérience n’est
fixée définitivement que pour les gaines tendineuses, avec les
résultats les plus favorables.
Ainsi M. Lafosse dit qu’il a constaté pour les articulations
des accidents tels que l’inflammation suppurative avec une
réaction mortelle ; il conclut que l’injection iodée si utile dans
le cas d’hydropisie des bourses tendineuses, contre lesquelles
son emploi peut et doit même précéder l’application du feu, doit
être proscrite ou du moins n’intervenir qu’a titre de ressource
extrême, après les autres méthodes, lorsqu’il s’agit de l’hydro-
pisie des articulations. {Traité de pathologie vétérinaire, 1 861 ,
t. II.)
De notre côté, nous sommes arrivé à des conclusions analo-
364
INJECTIONS.
gués, après avoir eu également des revers dans nos premiers
essais. Ainsi, en 1847, nous rapportions quelques 'expériences
relatives aux injections dans les articulations, qui ont amené
l’inflammation suppurative et la mort. Quant aux gaines tendu
neuses, nous disions qu’elles n’avaient pas produit d’accident
mortel, qu’il en était résulté un engorgement considérable, qui
s’était ensuite dissipé plus ou moins rapidement {Journal de
méd.vét., 1847, p. 127). Plus tard, nous avons publié un grand
nombre de faits favorables aux injections iodées dans le vessi-
gontendineux (Journal de méd, née,! 857, p. 481); enfin 200 faits
heureux observés à la clinique de Lyon, sur 21 0 cas opérés, nous
font considérer ce moyen comme le seul à mettre en usage;
Pour les molettes, nos essais ne s’étaient pas montrés aussi
favorables; ils avaient été nuis ou malheureux. Nous avons con¬
tinué et nous avons constaté que, sur dix opérations de ce genres
trois insuccès avaient été causés par la suppuration de la gaine;
synoviale injectée.
Conclusions. — Il résulte des travaux nombreux que nous
avons cités et des nôtres, qu’il y a lieu d’être très-prudent lors¬
qu’il s’agit des articulations, notamment de celle du jarret.-
Alors il faut, sinon proscrire les injections iodées, du moins ne-
les employer que comme un moyen extrême, exceptionnel, très-
dangereux, en prévenant le propriétaire de l’animal à opérer
que des complications graves sont à craindre.
Pour la gaine tendineuse du jarret, le moyen est excellent,
il ne cause jamais d’accident grave ; les insuccès sont très-rares;
le vessigon tendineux guéri par les injections iodées ne se re¬
produit pas.
Dans le traitement des molettes, il y a à craindre la suppura¬
tion et des accidents mortels ; mais ils sont rares relativement
aux succès. La réserve doit être ici moins grande que pour les
articulations.
Enfin, la ponction suivie des injections iodées est entrée pour
nous dans la pratique ordinaire, non-seulement pour le vessi¬
gon tendineux, mais encore avec le même succès pour les hy-
gromas, surtout pour ceux du boulet et du jarret (capelet).
{Voy. l’art. Hygroma.) a. rey.
INOCULATION. Foir VIRULENCE.
INSALIVATION. Voir DIGESTION.
INSECTES.
3^5
EVSECTES. Groupe d’animaux constituant dans l’embran-
chement des Articulés une classe que l’on peut caractériser
succinctement de la manière suivante : Animaux annelés offrant
un corps nettement partagé en trois régions distinctes, la tête,
le thorax et l’abdomen; toujours pourvus à l’état parfait de trois
paires de pattes, et le plus souvent de deux ou d’une seule paire
d’ailes; à respiration le plus ordinairement aérienne, se faisant
constamment par des trachées ; à circulation lacunaire; à sexes
séparés ; à reproduction ovipare ou très-rarement ovovivipare ;
et présentant le plus souvent pendant leur développement une
succession de changements de formes qui portent le nom de
métamorphoses.
Les Insectes très-nombreux et très-répandus partout jouent
dans l’économie générale de la nature un rôle considérable.-
Beaucoup d’entre eux exercent une influence marquée sur
l’homme et sur les animaux domestiques, qu’ils inquiètent ou
qu’ils tourmentent de diverses manières, et dont ils altèrent
parfois les aliments ; plusieurs sont causes de maladies graves
ou d’accidents sérieux, et quelques-uns sont même utilisés en
médecine à titre de médicaments. Nous aurons à traiter parti¬
culièrement, dans le cours de cet ouvrage, des espèces ou des
familles qui intéressent le plus le vétérinaire. Le but que noua
nous proposons ici est uniquement de faire connaître d’une
manière générale l’organisation des Insectes, afin de faciliter à
nos lecteurs l’intelligence] de ce que nous aurons à dire dans
d’autres articles. Nous nous efforcerons d’ailleurs d’être aussi
concis que possible, et nous laisserons entièrement de côté
beaucoup de détails qui, malgré l’intérêt qu’ils peuvent offrir,,
nous entraîneraient trop loin des objets auxquels cet ouvrage-
est consacré.
L’histoire naturelle des Insectes porte le nom à’ Entomologie..
Tous ces animaux ont le corps revêtu d’un tégument durci, im¬
prégné d’unè substance particulière à laquelle les chimistes ont'
imposé le nom de chitine, et qui protège les organes intérieurs
contre les agents extérieurs. Les pièces de ce tégument sont arti¬
culées les unes avec les autres de manière à être plus ou moins
mobiles. Elles sont d’ailleurs mises en mouvement par des
muscles relativement puissants qui s’insèrent tous à l’intérieur
des pièces qu’ils déplacent. Le tégument durci des Insectes est
appelé squelette tégumentaire, bien qu’il n’y ait point à établir
d’analogie entre lui et le squelette des animaux vertébrés. Les
pièces qui le composent varient dans leur nombre, dans leur&
INSECTES.
. Mactoirês.
• Mandiboli
^Prothorax.
2. — Tête d’un insecte coléoptère
vue en dessus. ’ '
Fig. 3. — Mâchoires portant
I Tarse.
1. — Corps d’un insecte divisé de
manière à en faire distinguer les
principales parties.
Fig. 4.— Lèvre inférieure
ses palpes.
formes, dans leur disposition et dans leur force de résistancé-'
suivant les Insectes que l’on étudie, et suivant les régions od
elles se trouvent. ^ ,
Le corps des Insectes est, comme nous l'avons dit déjà, nette¬
ment partagé à l’extérieur en trois régions distinctes qui sont r
la tête, le thorax et V abdomen.
La tête (%. 2), formée par un assez grand nombre de pièces plus
ou moins distinctes ou soudées, porte les yeux, sur lesquels nous
aurons à revenir à propos des organes des sens, les pièces de U
bouche àmi nous parlerons quand noms nous occuperons de
l’appareil digestif, et les antennes. Celles-ci sont des appendices
plus ou moins allongés en forme de cornes, insérés à la partie
antérieure de la tête. Elles sont constituées par un nombre va¬
riable d’articles qui sont unis bout à bout et en général très-
mobiles les uns sur les autres. Leurs formes et leurs dimensions
sont très-différentes suivant les familles, les genres et les espèces.
Elles sont par exemple plus longues que les corps et effilées de
INSECTES.
367
la base à leur extrémité libre dans les Sauterelles, plus courtes
que le corps, mais cependant assez longues encore, chez les Pa¬
pillons diurnes où elles se terminent par un renflement en forme
de massue, pectinées chez plusieurs Papillons nocturnes, plu¬
meuses chez les Cousins, courtes et pourvues d’une soie placée
en travers de leur dernier article chez lesOEstrides et beaucoup
d’autres diptères, coudées et terminées par un appendice formé
de lames disposées comme les feuillets d’un livre chez les Han¬
netons, etc., etc.
Les antennes, qui reçoivent chacune un nerf émanant du gan¬
glion cérébroïde sus-œsophagien, paraissent être pour les in¬
sectes des organes de tact. Il est même assez probable que c’est
en se touchant d’une certaine manière avec leurs antennes, que
les espèces sociables, comme les Abeilles et les Fourmis, par¬
viennent à se transmettre quelques-unes des indications qui
les guident dans les actes surprenants que nous leur voyons ac¬
complir en commun. Quelques entomologistes placent le siège
du sens de l’ouïe à la base des antennes. Dans cette hypothèse
le nerf antennaire deviendrait un nerf auditif. TMous devons nous
hâter de faire observer cependant que cette opinion n’est pas
généralement adoptée.
Le thorax [fig. 1), qui fait suite à la tête, est formé'de trois an¬
neaux qui peuvent se subdiviser en un certain nombre de pièces
ou de régions plus ou moins distinctes; auxquelles on donne des
noms particuliers. Le premier anneau appelé prothorax porte en
dessous la première paire de pattes. Le second que l’on désigne
sous le nom de mésothorax porte en dessous la seconde paire de
pattes, et en dessus la première paire d’ailes chez les Insectes
tetraptères, et l’unique paire d’ailes chez les Insectes diptères.
Enfin le troisième, que l’on nomme métathorax, porte en dessous
la troisième paire de pattes, et en dessus la seconde paire d’ailes
quand elle existe.
Chez les Insectes à l’état parfait, les pattes sont constamment
au nombre de six disposées par paires. Elles présentent toutes
le même nombre de pièces articulées, et dans chacune d’elles
on trouve la hanche par laquelle la patte s’articule sur l’anneau
du thorax auquel elle appartient, le trochanter pièce très-courte
qui unit la hanche à l’article suivant, la cuisse allongée souvent
renflée, la jambe et le tarse. Cette dernière région se compose
d’un nombre d’articles variable, mais on n’en compte jamais
plus de cinq et rarement moins de trois ou de deux. A son
368
INSECTES.
extrémité libre la patte se termine le plus souvent par deux
ongles, ou plus rarement par un seul.
Il existe beaucoup d’insectes chez lesquels les pattes sont
semblables ou à peu près semblables entre elles dans les trois
paires. Chez quelques-uns cependant, on observe des différences
très-marquées dans la configuration et dans les dimensions dés
diverses pièces qui appartiennent aux pattes antérieures, aux
pattes intermédiaires et aux pattes postérieures. Chez plusieurs
Papillons diurnes par exemple, les pattes antérieures impropres
à la marche sont repliées en avant et en dessous du thorax et
reçoivent le nom de pattes en palatine, en raison de ce qu’elles
dessinent sur le thorax quelque chose qui ressemble à un vête¬
ment de l’homme; chez la Courtilière, le premier article du
tarse dans les mêmes pattes offre un remarquable développe¬
ment et constitue une pièce robuste et dentée, , dont l’insecte
se sert pour fouir le sol et creuser des galeries à la manière de
la taupe; chez les Insectes sauteurs comme les Sauterelles, les
Criquets, les Puces, les Altises, les pattes postérieures beau¬
coup plus longues que les quatre autres sont remarquables
encore par le développement de la cuisse qui renferme dans
sou intérieur des muscles puissants. Chez les Abeilles neutrés,
la jambe et le premier article du tarse forment par leur mode
d’articulation une pince et constituent par les poils dont ils
sont revêtus une brosse et une corbeille qui permettent à l’ani¬
mal de recueillir le pollen des fleurs ; enfin chez les Poux pro¬
prement dits, Pediculus, Hematopinus, Phtyrius, l’ongle articulé
sur la pièce qui le supporte forme avec elle une pince puis¬
sante dont le parasite se sert pour saisir les poils ou les che¬
veux au milieu desquels il est appelé à vivre. Les modifica¬
tions que présentent dans leur nombre, leurs formes, et leurs
dimensions, les diverses pièces des pattes sont très-importantes
à bien caractériser pour arriver à la distinction et à la classifica¬
tion des Insectes.
Dans l’immense majorité des Insectes, il existe des ailes, tan¬
tôt au nombre de deux, comme chez les Mouches ordinaires,
les OEstres,les Cousins, tantôt au nombre de quatre comme chez
les Abeilles, les Hannetons, les Sauterelles. Ceux qui sont dans
le premier cas sont appelés diptères, les autres portent le nom
de tétraptères. Quant aux Insectes comme les Poux, les Ricins,
les Lepismes, qui n’ont point d’ailes, ils reçoivent la qualifica¬
tion d’aptères.
A part quelques faits exceptionnels dont nous n’avons pas à
INSECTES.
nous occuper ici, les ailes lorsqu’il n’en existe qu’une seule
paire sont membraneuses, c’est-à-dire qu’elles sont formées
d’une membrane transparente soutenue par des côtes résis¬
tantes dans l’intérieur desquelles rampent des trachées. Dans
les Insectes de l’ordre des Diptères, ces côtes peu nombreuses
et peu ramiûées partagent Faile en un certain nombre de
grandes cellules dont les dispositions variées fournissent des
^jcaractères pour la distinction des familles, des genres et des
espèces.
Lorsqu’il existe deux paires d’ailes, l’aspect et l’organisation
que peuvent présenter ces organes sont susceptibles de varier.
Chez les Hyménoptères et les Névroptères, les quatre ailes sont
membraneuses et servent toutes au vol. Elles sont transparentes
et soutenues par des côtes qui ne dessinent qu’un petit nombre
de grandes cellules dans les premiers de ces Insectes, tandis
qu’elles forment, chez les seconds, un réseau à mailles petites
et multipliées.
Chez les Coléoptères et les Orthoptères, les ailes postérieures
sont seules membraneuses et destinées au vol ; les antérieures
coriaces, imprégnées de chitine et parfois revêtues de brillantes
couleurs, constituent des espèces d’étuis protecteurs auxquels
on donne le nom à’élytres.
Chez une partie des Hémiptères, les ailes antérieures, appelées
kémélylres, sont coriaces à la base et membraneuses au sommet,
et les postérieures sont entièrement membraneuses.
Enfin, chez les Lépidoptères, les ailes, toutes quatre membra¬
neuses et destinées au vol, ne sont pas transparentes, mais elles
sont revêtues, sur leurs deux faces, de nombreuses petites
écailles de formes variées, implantées dans la membrane par
de courts pédicelles. C’est à la présence de ces écailles que les
ailes des papillons doivent les belles couleurs et les dessins élé¬
gants dont elles sont ornées.
Il est des ordres entiers d’insectes qui sont dépouvus d’ailes.
Ce sont ceux des Aphaniptères^ des Parasites ou Ânoploures, et
dès Thysanoures. Mais à part ces exceptions, qui s’étendent à des
groupes contenant des espèces assez nombreuses, il en est d’au¬
tres encore qui doivent être signalées dans les ordres où l’on
ne trouve ordiüairement que des Insectes ailés. Telles sont celles
des Carabes, qui n’ont que des élytres et point d’ailes membra¬
neuses, des Meloés, qui n’ont que des élytres rudimentaires et
point d’ailes membraneuses, de la femelle du Lampyre, entiè¬
rement dépourvue d’ailes, de la Punaise des lits, qui est dans le
X. 24
370
INSECTES.
même cas,, et beaucoup d’autres encore que nous ne saurions <
rapporter sans dépasser les bornes qui nous sont assignées.
V abdomen est la troisième région du corps des Insectes. Il est
ordinairement formé par neuf anneaux ; cependant, par suite ^
de soudures, il arrive assez souvent que le nombre de ces pièces
est moins considérable que celui que nous venons d’indiquer.. ■
Les anneaux de l’abdomen sont constamment dépourvus d’ap- ’
pendices quelconques. Le dernier seul fait exception. Il porte '
quelquefois, chez certains Diptères, par exemple, et chez les "
Tbysanoures,. des filaments articulés qui ont nnrôle à jouer dans '
la locomotion. Chez les Forficules, il est muni d’une pince cornée
d’un aspect très-singulier qui a valu à ces Insectes le nom de .
perce-oreiïles, sous lequel ils sont vulgairement connus. C’est à
lui que se fixent les pièces de l’aiguillon chez les Insectes qui -
sont armés de cet appareil. Enfin il porte encore les pièces de
l’armure copulatrice chez les mâles, et celles de l’oviscapte chez,:
les femelles quand elles en sont pourvues.
L’appareil digestif des Insectes est un tube qui présente deux
ouvertures et divers renflements. L’ouverture antérieure ou la
bouche est munie de pièces cornées qui se modifient beaucoup- r
dans leurs formes suivant les mœurs des espèces, mais que Toq v ;
peut toujours reconnaître par la position qu’elles occupent. C’est
chez les Insectes broyeurs que ces pièces sont le plus com-plètes ; ,
et le plus nettement, séparées. Chez ces Insectes, qui comprennent ;
les Orthoptères, les Coléoptères, les Névrop,tères,lesThysanoures, '
on trouve d’abord, au-dessus de la bouche, une pièce impaire qui
s’avance à la manière de la visière d’une casquette et qui porte
le nom de labre. Au-dessous du labre et un peu sur le côté sont
situées les mandibules {fig.2)^ au nombre de deux, l’une droite •
et l’autre gauche. Ce sont des espèces de dents ou de crochets
cornés qui s’écartent et se rapprochent l’un de l’autre dans le
sens latéral, et non plus de haut en bas ou de bas en haut comme .
les mâchoires des Vertébrés. Elles sont, d’ailleurs, souvent pour¬
vues de dentelures ou de tubercules particuliers qui, de même
que les dents des Mammifères, dénotent le régime de l’animal .
qui les porte. En dessous des mandibules sont les mâchoires ou
maxilles (fig. 2, .3), également an nombre de deux, et destinées à
se mouvoir latéralement et de la même manière que les pièces
dont nous venons de parler. Leur partie libre est souvent terminée
par un- ongle corné simple, bifide ou plus compliqué, et leur
bord interne est garni de soies ou de poils raides, qui achèvent
de diviser les aliments déjà déchirés par les mandibules. Sur '
INSECTES.
371
le l)ord externe de chacune des mâchoires s’implantent les palpes
maxillaires {fig.i). Ce sont des appendices qui ressemblent â de
petites antennes et qui sont formés par des articles unis bout à
bout et très-mobiles les uns sur les autres. Les mâchoires des Co¬
léoptères portent deux de ces appendices, l’un externe plus long,
l’autre interne plus court. Chez beaucoup d’Orthoptères, le palpe
maxillaire interne se transforme en une pièce particulière à
laquelle on donne le nom de galette, et qui semble destiné à
protéger la mâchoire en dehors. Les palpes maxillaires, ainsi
que les palpes labiaux dont nous aurons à parler tout à l’heure,
sont des organes de tact et peut-être même de goût. Ils parais¬
sent aussi avoir pour fonction de ramener et de maintenir les
aliments entre les mâchoires et de n’en laisser échapper aucune
parcelle.
La dernière pièce de la bouche est la lèvre inférieure{p,g.l),
qui porte ce nom par opposition à celui de lèvre supérieure, qui
est parfois attribué au labre. La lèvre inférieure a pour base le
menton, pièce cornée impaire, placée à l’opposé du labre et limi¬
tant la bouche en dessous, comme celui-ci la limite en dessus.
Au menton se fixe la languette, généralement rudimentaire
chez les insectes broyeurs, mais que nous verrons acquérir des
proportions considérables chez les Insectes destinés, comme les
abeilles, à se nourrir du suc des fleurs. Enfin, c’est à lui encore
que se fixent les palpes labiaux, au nombre de deux, très-sem¬
blables aux palpes maxillaires et très-probablement aussi des¬
tinés aux mêmes usages.
Les Insectes, dont la bouche est organisée suivant le type que
nous venons de décrire, sont destinés à se nourrir de substances
solides, dures, molles ou pulpeuses, qu’ils doivent diviser à
l’aide de leurs mâchoires et de leurs mandibules. Quant à ceux
qui sont appelés à vivre du suc des plantes, de liquides de dif¬
férentes natures ou de substances qu’ils doivent en quelque
sorte dissoudre ou délayer avant de les déglutir, la bouche se
modifie en eux de manière à constituer une trompe ou un su¬
çoir. Seulement on ne passe pas brusquement de la bouche des
Insectes broyeurs à celle des Insectes suceurs, et des intermé¬
diaires qui se font observer permettent d’établir la nature des
pièces delà bouche, alors même qu’elles semblent s’éloigner des
formes dont nous avons parlé. Dans les premières familles de
l’ordre des Hyménoptères, le labre, les mandibules, les mâ¬
choires, la lèvre inférieure, s’éloignent à peine des pièces de
mêmes noms chez les Névroptères, et ce n’est guère que dans
372
INSECTES.
les deroières familles que des différences tranchées se mani¬
festent. La bouche des Abeilles et des autres Insectes mellifères
est, sous ce rapport, une des plus curieuses à étudier. On y ob-
serve encore un labre et des mandibules conformes au type gé.
néral, mais les mâchoires sont déjà profondément modifiées
Elles sont allongées, falciformes, concaves en dedans, convexes
en dehors, et forment en se rapprochant une sorte de conduit
qui protège la languette. Celle-ci est charnue, mobile, très-
longue, revêtue de poils, et propre à recueillir dans les fleurs
ou dans la pulpe des fruits les sucs qui servent à la nourriture
de ces petits animaux et à la préparation du miel.
La modification est plus profonde encore chez les Papillons
qui sont munis d’une trompe allongée enroulée en spirale au-
dessous de la tête. Ici les mandibules sont tout à fait rudimen¬
taires et de nul usage, et la trompe est uniquement composée
par les mâchoires qui sont grêles, d’une longueur considérable,
et constituent en se rapprochant un triple canal, ne servant
d’ailleurs à l’ascension des liquides que par le conduit médian.
Ces mâchoires ainsi transformées offrent encore ceci de remar¬
quable, que leurs palpes sont à peine perceptibles à l’aide delà,
loupe, tandis que les palpes labiaux au contraire qui naissent:
d’un menton plus ou moins développé acquièrent en général
d’assez grandes proportions.
Le suçoir des Hémiptères présente dans les pièces de la bouche
un autre genre de modification qui les rend propres à pénétrer
dans les tissus animaux ou végétaux où doivent être puisés les
liquides nécessaires à la nutrition. Chez ces Insectes, les mâ¬
choires et les mandibules prennent la forme de stylets très-fins,
très-aigus à leur extrémité libre. Le labre qui demeure quelque¬
fois court s’allonge d’autres fois de la même manière, de sorte
qu’il résulte de cette disposition un faisceau de quatre ou cinq
stylets aigus. Ceux-ci sont reçus et se meuvent dans un conduit
formé d’articles creux placés à la suite les uns des autres et ré¬
sultant d’un développement spécial de la pièce médiane du
menton. On donne à l’ensemble de l’étui et des stylets qu’il
renferme le nom de bec des Hémiptères. Dans l’état de repos, il
est replié en dessous du corps et se loge entre les pattes. H est
des hémiptères chez lesquels ce bec atteint la longueur du corps-
L’animal le redresse et l’appuie contre la partie qu’il veut piquer
et dans laquelle il fait pénétrer ses stylets. Les liquides s’intro¬
duisent ensuite dans la bouche a la faveur du conduit. Parfois
naême 1 insecte peut verser dans la petite plaie qu’il a faite une
INSECTES.
373
salive irritante qui est la cause de la douleur ou des déman¬
geaisons que l’on éprouve à la suite des piqûres de certains
Hémiptères.
Mais de toutes les modifications que peuvent éprouver les
pièces de la bouche chez les Insectes, il n’en est point de plus
profondes et de plus variées que celles qui se font observer dans
les diverses familles de l’ordre des Diptères, où néanmoins elles
constituent toujours un suçoir. Seulement le nombre de pièces
qui entrent dans la composition du suçoir n’est pas toujours le
même. On en compte six par exemple chez les Cousins, lesGécy-
domies et les autres Némocères, où le labre, les mandibules, les
mâchoires et la lèvre inférieure affectent la forme de lancettes
allongées. Il n’en existe que quatre chez les Tanystomes et les
Notacânthes, où le labre et la lèvre inférieure ne s’allongent
pas en stylets , et deux seulement chez les Athéricères où la
mandibule et la mâchoire de chaque côté semblent se souder en
une pièce unique. Nous verrons même que, chez les OEstrides,la
bouche ponctiforme n’est plus accompagnée que de petits tu¬
bercules qui, placés sur ses bords, sont les derniers vestiges
des pièces que nous avons vues si distinctes chez les Insectes
broyeurs.
Les pièces du suçoir, quel que soit leur nombre chez les dip¬
tères, sont rétractiles et protractiles. Elles sont souvent accom¬
pagnées d’appendices particuliers qui dérivent d’un développe¬
ment spécial du labre, de la lèvre inférieure et surtout des palpes
labiaux ou des palpes maxillaires. Il en résulte des types d’or¬
ganisation assez différents dont l'étude demanderait des déve¬
loppements dans lesquels nous ne pouvons entrer. Dans d’autres
articles, lorsque nous nous occuperons des Taons, des Hippo-
bosques, des Mélophages, des OEstrides, des Mouches et des
autres Diptères qui tournàentent les animaux, nous insisterons
«ur les détails qui intéressent le plus le vétérinaire, et cela avec
d’autant plus de raison que dans ces derniers temps on a fait
jouer un rôle important au suçoir des diptères dans la propa¬
gation du charbon et d’autres maladies de même nature.
La cavité buccale, située en arrière des pièces de la bouche,
«e continue par un pharynx qui n’en est en définitive que l’ar¬
rière-fond. C’est là que viennent aboutir les canaux des glandes
salivaires. Ces glandes, dont l’existence a été constatée chez un
certain nombre d’insectes, particulièrement chez les Hémip¬
tères, sont le plus ordinairement sous forme de petites am¬
poules, et se terminent en avant chacune par un canal plus ou
374
INSECTES.
laoins long qui Yient s’ouvrir dans le fond de la bouchevî^
salive imprègne les aliments, commence à les attaquer et les
prépare aux modifications qu’ils doivent subir dans les autres
parties de l’appareil digestif. Mais, indépendamment de cette
action qui est générale, ce liquide est quelquefois appelé à jouer
un rôle spécial. C’est ainsi que, chez les Papillons et beaucoup
de Diptères, la salive est souvent versée par la trompe sur les
substances solides qu’elle ramollit, qu’elle délaye et qu’elle
dissout, afin de rendre possible leur introduction dans la bouche
où les aliments’ ne peuvent arriver qu’à l’état liquide. G^st
ainsi encore que, chez les -Cousins, la Punaise des lits et beau¬
coup d’autres Hémiptères, elle jouit de propriétés irritantes gui
expliquent la douleur ou les démangeaisons que l’on éproure
après avoir été piqué par ces Insectes. , - —
Un œsophage simple fait suite au pharynx et aboutit dans la
première poche stomacale. Le nombre des estomacs est,' en
effet susceptible de varier. Chez les Insectes où ce nombraest
le plus élevé, on rencontre d’abord un jabot, dans lequel les
aliments s’accumulent, puis un peu plus loin un gésier à parois
musculeuses -épaisses souvent garnies à l’intérieur de pièces
cornées qui achèvent de broyer les aliments, et enfin un wn-
tricule chylifique. Ce dernier est le véritable estomac, celui où
est sécrété le suc gastrique. Il est des Insectes dans lesquels cet
estomac est pourvu de papilles saillantes à l’extérieur et à la
faveur desquels s’accomplit cette sécrétion. Le ventricule çhy-
lifique, on le comprend, ne manque jamais, mais les autres
estomacs peuvent ne pas exister. Le gésier par exemple, est
inutile aux Insectes qui vivent de substances liquides, et
quelques-uns d’entre eux sont même dépourvus de jabot. . i
L’intestin qui fait suite au ventricule chylifique varie beau¬
coup dans sa longueur suivant que l’animal est phytophage,
carnivore ou omnivore. On le divise en deux régions, l’intestin
grêle et le gros intestin dont le point de séparation est d’ailleurs
plus ou moins nettement indiqué.
Le foie existe chez les Insectes sous forme de tubes biliaires.
Ceux-ci, variables en nombre, sont fins, grêles, plus ou moins
longs et plus ou moins repliés dans la cavité du corps. Us
viennent s’ouvrir dans la partie postérieure de l’estomac ou
dans la portion antérieure de l’intestin grêle. C’est par l’analys®
de calculs que l’on a trouvés dans ces tubes chez des Insectes
de grande taille que l’on a jugé qu’ils 'sont destinés à la sécré¬
tion de la bile. Toutefois, comme on y a trouvé aussi de l’acide
INSECTES.
375
urique, on pense assez généralemen!; que leur sécrétion est
complexe et qu’ils versent dans l’intestin tout à la fois de la
bile et de l’urine. Quelques entomologistes admettent que chez
certains Insectes au moins les tubes antérieurs représentent le
foie, tandis que les plus postérieurs sont seuls appelés à jouer
lerèle que les reins remplissent chez les animaux supérieurs.
Chez les Insectes le produit de la digestion parait transsuder à
travers les parois du tube digestif, et venir se mêler au sang
qui est répandu partout dans les lacunes que les organes
laissent entre eux. La circulation des Insectes est en effet la¬
cunaire. Le sang est incolore ou blanchâtre, et renferme des
globules qui ressemblent beaucoup aux globules blancs des .
animaux supérieurs.
L’organe central de la circulation est le vaisseau dorsal au¬
quel on donne quelquefois le nom de cœur parce qu’en effet il
remplit un rôle analogue à celui du cœur chez les animaux
supérieurs. Le vaisseau dorsal est situé au-dessus du tube
digestif, et le long du dos ainsi que l’indique son nom. Il est
formé par une succession d’articles ou chambres qui sont pla¬
cées les unes en avant des autres, la première étant la plus
postérieure,' Il est maintenu dans sa position par des ligaments
dans la composition desquels entrent des fibres musculaires.
Ces ligaments, laissent autour du cœur une cavité qui constitue
une sorte de péricarde qui est en communication par divers
points avec la cavité générale du corps dans laquelle le sang
afflue après avoir circulé dans les lacunes et baigné les orga¬
nes. Chacune des chambres du cœur communique avec la
cavité péricardiaque par une ouverture située à la paroi infé¬
rieure et fermée par un repli ou valvule qui s’ouvre de bas en
haut. Chacune d’elles communique aussi avec celle qui est
antérieure par rapport à elle par une ouverture pourvue d’une
double valvule dont les replis s’écartent d’arrière en avant et se
rapprochent d’avant en arrière. Enlîn dans la partie antérieure
du corps la dernière chambre du vaisseau dorsal se continue
par un tube vasculaire, sorte d’artère qui se divise en avant en
un petit nombre de branches courtes par lesquelles le sang est
versé dans les lacunes. '
Le mécanisme de la circulation est facile à comprendre.
Quand l’une des chambres du vaisseau dorsal, la postérieure
par exemple, se dilate, la valvule de l’ouverture inférieure se
soulève et le sang passe du péricarde dans la chambre dilatée.
Lorsque, au contraire, celle-ci se contracte, la valvule inférieure
376
INSECTES.
est abaissée, la double valvule antérieure est ouverte et le sang
passe d’une chambre dans celle qui se trouve immédiatement
en avant par rapport à elle. Les mêmes contractions se produi¬
sant successivement de la partie postérieure à la partie anté¬
rieure du vaisseau, le sang est poussé jusque dans les lacunes
antérieures et de là dans toutes les régions du corps où il
baigne les organes, pour revenir ensuite dans la cavité viscé¬
rale et être repris par le vaisseau dorsal et recommencer son
trajet.
Le sang des Insectes rencontre sur son trajet l’air par lequel
il doit être hématosé. La respiration de ces animaux est aérienne
et se fait par des trachées. Les trachées sont des tubes qui se
ramifient à la manière des vaisseaux sanguins des animaux
supérieurs dans toutes les parties de l’économie. Elles, sont
constituées par deux membranes entre lesquelles se trouve un
fil cartilagineux enroulé en spirale à tours très-rapprochés. Le
fil est évidemment destiné à maintenir la lumière du vaisseau
constamment béante pour permettre la circulation de l’air. Il
existe dans tous les points où la trachée est cylindroïde; il
manque au contraire dans certains points où, par suite de la
làxité des membranes, la trachée devient vésiculeuse. Il adhère
intimement à la membrane interne, mais il ne contracte, que
de faibles adhérences avec la membrane externe. Il résulte de
là qu’il y a, entre les deux membranes des trachées, un espace
lacunaire dans lequel le sang pénètre et circule.
Les trachées communiquent avec l’air extérieur par des ou¬
vertures qui sont situées sur les côtés du corps et que l’on
désigne sous le nom de stigmates. Chaque stigmate qui corres¬
pond à une trachée principale possède un appareil formé d’un
cadre corné, de poils, de fibres musculaires, destinés à lui
permettre de s’ouvrir ou de se fermer d’ûne manière plus ou
moins complète suivant les besoins de la respiration, et sui¬
vant les conditions particulières dans lesquelles les animaux
peuvent être placés. L’acte de la respiration s’accomplit d’une
manière très- simple. L’insecte, en dilatant son corps, introduit
Tair dans les trachées, et l’expulse par un mouvement de con¬
traction générale. Le contact médiat du sang et de l’oxygène a
lieu par l’intermédiaire de la membrane interne de la trachée,
et il doit s’opérer surtout sur la portion du liquide nourricier
qui circule, comme l’a démontré M. Blanchard, dans l’espace
intermembranulaire des trachées.
Chez tous les insectes la respiration est aérienne, et se fait paï
INSECTES.
377
des trachées. Il y a cependant un assez grand nombre de ces
animaux qui pendant une partie ou pendant la totalité de leur
existence doivent vivre dans l’eau. La nature a recoims alors à
des artifices particuliers pour permettre l’introduction de l’air
dans l’appareil respiratoire. Nous signalerons comme exemples
les larves des Cousins qui, plongées la tête en bas dans le liquide,
respirent par un tube qui émane de leur partie postérieure et
élève à la surface de l’eau l’orifice respiratoire; les Hydro¬
philes qui puisent l’air à la surface de l’eau à l’aide de leurs
antennes, et le ramènent à la faveur des poils dont le corps est
revêtu jusqu’aux orifices des stigmates; et les nombreuses
larves aquatiques pourvues de branchies membraneuses qui
iaignent dans l’eau et dans l’épaisseur desquelles les trachées
viennent se ramifier. Chez ces larves, l’air respiré est comme
pour les poissons celui qui est dissous dans l’eau: mais en
passant à travers la membrane il se sépare du liquide qui le
tenait en dissolution, et c’est à l’état de gaz qu’il arrive dans
les trachées, de telle sorte que pour elles la respiration reste
aérienne, bien qu’elles soient appelées à vivre au fond des eaux.
Toutes les expériences démontrent que, dans l’acte de la res¬
piration, les Insectes consomment relativement à leur petit
volume d’énormes proportions d’oxygène, et produisent beau¬
coup de chaleur. On en trouve la preuve dans une des phases
de la vie» des Abeilles. On a constaté plusieurs fois en effet que
lorsque ces insectes s’agitent dans la ruche avant le départ d’un
essaim, la température s’élève souvent de quelques degrés au-
dessus de la température extérieure, par suite de la chaleur que
produisent ces petits animaux dont la respiration est alors en
quelque sorte suractivée.
Quelques Insectes, indépendamment de la chaleur qu’ils dé¬
veloppent dans l’acte de la respiration, produisent aussi de la
lumière. L’exemple le mieux connu en ce qui concerne ce fait
remarquable est celui du ver luisant assez communément
répandu presque partout en France. Le ver luisant n’est autre
chose que la femelle non ailée d’un Coléoptère, le Lampyris
noctiluca Fahïi. Cette femelle jouit de la propriété de rendre
lumineux dans l’obscurité, à l’époque des amours, les trois ou
quatre derniers anneaux de son abdomen. C’est pour elle un
moyen d’appeler l’attention du mâle qui doit la féconder. La
lumière qui brille d’un éclat assez prononcé pendant les belles
nuits du printemps et de l’été semble résulter de la combustion
lente d’un produit de sécrétion particulier. On a constaté qu’elle
378
INSECTES.
s’éteint raiiidement dans un gaz impropre à la combustion. Du
reste la femelle peut à volonté rendre plus vive ou moins vive,
ou même suspendre tout à fait cette singulière lumière. Eu
Italie, il existe une espèce voisine, dont le mâle et la femelle
tous deux ailés, sont phosphorescents, et remplissent l’air d’étin¬
celles pendant les belles nuits d’été.
Dans toute la classe des Insectes, les sexes sont séparés. Le
mâle est pourvu de deux testicules qui sont placés dans la
cavité générale du corps. Leur forme varie. Ils sont quelquefois
constitués par de longs tubes plus ou moins repliés, et d’autres
fois ils, affectent la forme de masses arrondies, ovoïdes, allon¬
gées dans un sens ou dans l’autre et plus ou moins lobées qui
résultent elles-mêmes de la réunion de faisceaux de tubes ou
de capsules sperma gènes, autour de canaux excréteurs. Chacun
d’eux donne naissance à un canal déférent sur le trajet duquel
on rencontre une ou plusieurs vésicules séminales. On én
compte jusqu’à quatre dans la Cantharide ordinaire. Après un
trajet variable dans sa longueur, les canaux efférents se réunis¬
sent en un canal éjaculateur qui se dirige vers la partie posté¬
rieure et se termine par la verge. Celle-ci, enveloppée d’une
sorte de fourreau produit par une invagination du tube qui la
constitue, est renfermée, dans les temps ordinaires, dans la por-:
tion postérieure de l’abdomen où se trouve souvent une cham¬
bre cloacale à la partie supérieure de laquelle débouche l’anus.
Dans l’acte de la copulation elle sort par l’oriflce postérieur
et devient turgide. Le dernier anneau de l’abdomen porte géné¬
ralement- chez le mâle un ensemble de pièces cornées qui
constituent ce que l’on appelle l’armure copulatrice, et qui
servent à maintenir l’animal fixé à la femelle pendant la copu- .
lation. Les pièces de cet appareil varient beaucoup dans leur
nombre, dans leurs formes et dans leurs rapports suivant les
genres et les espèces. Le plus, souvent cependant on y trouve
une pièce impaire destinée à faciliter l’introduction de la verge,
et deux paires de crochets qui constituent les externes, le for¬
ceps, et les internes la volselle.
Chez la femelle, il existe deux ovaires qui sont tantôt sous
forme de poches arrondies, ovoïdes ou allongées, recevant cha¬
cune de nombreux tubes ovigènes que l’on voit faire saillie à
la surface de l’organe, tantôt sous forme d’un ou plusieurs tubes
ovigènes en petit nombre, convergeant vers un point commun.
De chacim de ces ovaires émane un oviducte particulier qui,
après un trajet plus ou moins long, se réunit à celui du côté
INSECTES.
379
opposé pour former iin oviducte commun. Celui-ci se dirige en
arrière et vient s’ouvrir au dernier anneau de l’abdomen, sa
partie terminale pouvant être considérée comme un vagin et
son ouverture comme la vulve. Sur son trajet Toviducte pré¬
sente une poche copiüatrice et une ou plusieurs vésicules glan¬
duleuses. La poche copulatrice est une dilatation plus ou moins
nettement séparée de Toviducte ou du vagin, et dans_ laquelle
le sperme est lancé par le mâle dans l’acte de la copulation.
Parfois elle forme comme un réservoir dans lequel la liqueur
fécondante se conserve avec ses propriétés pendant fort long¬
temps. D’autres fois, au contraire, elle communique avec une
autre, poche eu vésicule, dans laquelle le sperme se rend et
s’accumule pour se mélanger à des produits de sécrétion qui
l’entretiennent avec toute son activité, ou qui même la com¬
plètent. Cela explique comment il se fait qu’après une seule
copulation une femelle peut demeurer féconde pendant toute
une saison et même pendant plusieurs années. Les œufs des
Insectes, qui sont d’ailleurs pourvus d’un micropyle, ne sont,
en effet, fécondés qu’au moment où, en passant par Toviducte,
ils arrivent auprès de Torifice de la poche copulatrice ou du
réservoir qui s’y trouve annexé. C’est alors seulement qu’ils
reçoivent la petite quantité de sperme nécessaire au développe¬
ment ultérieur de leur vitellus en embryon, et ce n’est ensuite
qu’après cette imprégnation qu’ils se revêtent de la coque qui
se forme autour d’eux aux dépens des produits sécrétés par les
vésicules glanduleuses dont nous avons signalé l’existence sur
le trajet de Toviducte. Indépendamment des diverses parties que
nous venons de décrire, le dernier anneau de l’abdomen porte
souvent chez la femelle des pièces cornées qui constituent un
appareil propre à permettre ou è faciliter la ponte et le dépôt
des œufs ou des larves dans des conditions favorables à leur
développement ultérieur. Cet appareil, qui porte le nom
d’oviscapte, présente des formes très-variées. Il est en formé de
sabre chez les Sauterelles, en forme de tarrière chez les Cynips,
et la plupart des autres Insectes gallicoles, et constitué par des
tubes rentrant les uns dans les autres à la manière des pièces
d’une lunette ou d’un télescope chez les Hypodermes dont les
larves sont parasites de nos animaux domestiques.
En règle générale, la copulation est nécessaire chez tous les
Insectes pour que les œufs, lorsqu’ils sont pondus, soient aptes
à faire naître des larves. Cependant, il y a à cette règle quelques
exceptions qui sont excessivement remarquables. Il est en effet
INSECTES.
des femelles qui peuvent pondre des œufs féconds sans avoir
jamais subi le contact du mâle. Ce mode de reproduction, dont
on trouve aussi des exemples dans d’autres classes du règne
animal, est désigné sous le nom de Parthénogenèse. Il se fait
observer chez les Pucerons et chez les Abeilles, dans des condi¬
tions que nous devons signaler.
Tout le monde sait que les Abeilles vivent en société dans les
ruches que l’homme leur prépare, ou dans des habitations
qu’elles savent construire elles-mêmes lorsqu’elles vivent à
l’état sauvage. Une association d’Abeilles, bien qu’elle compte
plusieurs milliers d’individus, ne présente jamais qu’une seule
femelle à laquelle on donne le nom de reine. C’est cette femelle
qui pond, dans les cellules préparées par les neutres ou ou¬
vrières, les œufs d’où sortent les larves qui doivent entretenir
la population de la colonie, et même lui permettre de produire
des essaims. Or, des observations nombreuses ont démontré
que la reine peut pondre des œufs féconds sans avoir jamais
subi de rapprochement sexuel. Seulement, il se passe alors un
fait bien remarquablé tous ces œufs, pondus sans une fécon-:
dation préalable, sont exclusivement des œufs de mâles, et,,
nomme ceux-ci sont incapables de prendre part aux travaux de
la ruche, la colonie ne manquerait pas de périr bientôt si la
reine n’était fécondée. Le rapprochement sexuel est donc ici
nécessaire à la conservation de l’espèce, en dépit du pouvoir ,
que possède la femelle d’enfanter sans accouplement. Du reste,
l’existence de la parthénogénèse dans l’espèce des Abeilles a
permis de se rendre compte de la propriété que possède la reine
de pondre à volonté des œufs d’où doivent sortir des mâles, des
femelles ou des neutres. Les œufs, comme nous l’avons dit plus
haut, ne sont fécondé qu’au moment où ils passent près de
l’oriOce de la poche copulatrice. Chez la reine-abeille, cet ori¬
fice est pourvu d’une valvule qui s’ouvre ou se ferme sous l’in¬
fluence de la volonté. Il suffit donc que la femelle ait la volonté
de ne pas permettre la fécondation pour pondre un œuf de
mâle, et qu’elle ait la volonté, au contraire, de permettre cette
fécondation pour assurer la ponte d’un œuf de femelle qui,
suivant les conditions dans lesquelles il se développera, fera
naître une reine ou une ouvrière. C’est encore par suite de cette
merveilleuse organisation qu’on observe que, dans les croise¬
ments de l’Abeille de nos contrées avec l’Abeille ligurienne, les
mâles sont entièrement de la race de la mère, tandis que les
femelles et les neutres sont de véritables métis.
INSECTES.
38t
La parthénogénèse n’est pas moins curieuse à étudier chez
les Pucerons que chez les Abeilles. Au printemps, les Pucerons,
dont les diverses espèces sont de véritables fléaux pour l’agri¬
culture, naissent par suite de Téclosion d’œufs qui ont été pon¬
dus vers la fin de l’automne précédent et qui se sont conservés
pendant Thiver. Cette première génération est exclusivement
composée de femelles qui, peu de temps après leur naissance
et sans copulation préalable, font naître des petits vivants.
Ceux-ci sont encore des femelles qui, de même que leurs mères,
produisent sans rapprochement sexuel de nouvelles femelles^
Les choses se continuent ainsi pendant toute la durée de la
belle saison, et l’on peut, de cette manière, voir naître succes¬
sivement les unes des autres jusqu’à six, huit ou dix généra¬
tions de femelles de Pucerons. Mais, vers la fin de l’été ou au
commencement de l’automne, suivant les espèces, il naît une
dernière génération qui se compose tout à la fois de mâles et de
femelles. L’accouplement a lieu alors, et les femelles fécondées
pondent des œufs qui se conservent pendant tout l’hiver pour
reproduire l’espèce au printemps, suivant la curieuse succession
de phénomènes que nous venons d’indiquer.
Indépendamment des individus sexués dont nous avons fait
connaître succinctement l’organisation, il existe encore, dans
diverses espèces de la classe des Insectes destinées à vivre en
société, des individus neutres qui sont appelés à jouer un rôle-
particulier. De ce nombre sont les ouvrières et les nourrices
parmi les Abeilles et les Fourmis, et les ouvriers et les soldats
parmi les Termites. Ces neutres, privés de la faculté de concou¬
rir à la reproduction de l’espèce, ne sont en définitive que des
individus sexués, mâles ou femelles, dont les organes génitaux
ont avorté ou sont incomplètement développés. Chez les Abeilles
et chez les Fourmis, par exemple, les neutres sont des femelles
imparfaites qui ne possèdent que des organes génitaux rudi¬
mentaires. On sait que chez les Abeilles cet état d’imperfection
résulte des conditions dans lesquelles les larves se sont déve¬
loppées dans l’intérieur d’alvéoles d’une médiocre étendue, et
sous l’influence d’une nourriture moins alibile que celle qui est
destinée aux larves royales. Ce qui le prouve, c’est que lorsque
les Abeilles sont menacées de manquer de reine, il leur suffit
d’agrandir les alvéoles où sont renfermées quelques larves do
neutres, et de distribuer à ces larves la pâtée royale pour les
faire développer en véritables reines.
Chez les Termites, dont les ravages sont tout à la fois si eu-
382
INSECTES.
rieux et si effrayants, les neutres sont de deux sortes : les uns
connus sous le nom de soldats, chargés de pourvoir à la sûreté
de la colonie, sont des naâles avortés ; les autres, appelés ou¬
vriers, sont des femelles avortées et ont pour mission de cons¬
truire les divers travaux dans l’habitation commune, et d’élever
les larves jusqu’à ce qu’elles aient acquis un développement
suffisant pour se rendre utiles à l’association.
Dans la classe des Insectes, la reproduction est ovipare; quel¬
ques espèces, cependant, sont -ovovivipares; dans ce dernier cas
les femelles sont pourvues d’une chambre incubatrice qui, le
plus ordinairement, est constituée par une dilatation del’ovi-
ducte commun dans laquelle les œufs éclosent et où les larvés
acquièrent un premier développement. En général, les femelles,
guidéeS'par un instinct admirable, pondent leurs œufs dans les
conditions où leurs larves trouveront le plus facilement à s’ali¬
menter et à se développer. Les œufs éclosent après un temps
très-variable suivant les espèces, et suivant que les circonstances --
extérieures sont plus ou moins favorables. Dans la plupart des.
cas, le Jeune animal qui sort de l’œuf ne ressemble en aucune^
façon au père et à la mère qui lui ont donné naissance. Il esL
alors sous forme de larve, et il doit nécessairement, avant
d’atteindre son complet développement, passer par diverses^
phases que l’on désigne sous le nom de métamorphoses et que'
nous avons maintenant à étudier.
Le premier état dé l’insecte au sortir de l’œuf est celui de
larve: Le plus souvent les larves sont vermiformes et formées,
de plusieurs anneaux. . Leur tégument est généralement moins
résistant que celui des Insectes parfaits. Un grand nom.bre,
comme celles des Abeilles, des Fourmis, de beaucoup de Dip¬
tères, etc., sont dépourvues de membres. D’autres, au contraire,
comme les larves de Hannetons et d’un grand nombre de Coléop¬
tères, sont pourvues de pattes assez semblables à celles des-
Insectes parfaits^ Il en est niême comme les chenilles des
Papillons, qui, indépendamment des pattes écailleuses, présen¬
tent encore des pattes membraneuses. Nous n’avons pas besoin
d’ajouter que jamais elles ne sont pourvues d’ailes. Les formes
extérieures des larves sont donc très-différentes de celles que
l’animal présentera plus tard lorsqu’il sera à l’état d’insecte
parfait. Il en est de même de son organisation intérieure lors¬
qu’on l’envisage dans les détails. Cela résulte de ce que, dans la
plupart des cas, les mœurs de l’insecte parfait et le milieu dans
lequel il est appelé à vivre, sont très-différents de ce qu’ils
INSECTES.
383
étaient pour la larve. Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer,
dans la grande classe qui nous occupe, des animaux qui sont
carnassiers à l’état de larves et phytophages à l’état d’insectes
parfeits, et d’autres qui, s’étant nourris, sous le premier état,
de substances dures, vivent ensuite du suc des fleurs ou des
fruits. On ne doit point s’étonner, d’après cela, de voir le même
animal, qui est pourvu de mandibules et de mâchoires puis¬
santes dans son jeune âge, n’avoir plus qu’une trompe délicate
quand il a revêtu sa forme dernière ; de même aussi que Ton
en rencontre dont le tube digestif, fort court sous leur premier
état, est au contraire fort long à l’âge adulte, et réciproquement.
Néanmoins, l’organisation des larves, envisagée d’une manière
générale, est la même que celle des Insectes parfaits. Gomme
ces derniers, elles sont pourvues de stigmates et respirent par
des trachées, et leur sang circule dans les lacunes et reçoit son
impulsion d’un vaisseau dorsal. La seule différence essentielle
à signaler sous ce rapport, c’est que- les larves, à part quelques
exceptions qui ont été récemment signalées, manquent absolu¬
ment d’organes génitaux, ceux-ci n’apparaissant que chez l’in¬
secte parfait, et au moment où il sort de sa chrysalide.
Gomme on le comprend, les larves, au moment où elles sor¬
tent de l’œuf, sont de très-petite taille relativement à celle des
Insectes parfaits, desquels elles descendent. Après la naissance
elles s’accroissent avec plus ou moins de rapidité, et bientôt il
arrive que leur tégument met obstacle à leur accroissement.
On les voit alors se débarrasser de ce tégument, et ce phéno¬
mène, connu sous le nom de mue, se renouvelle assez ordinaire¬
ment plusieurs fois pour une même larve, pendant la durée de
son existence sous cet état.
Le temps pendant lequel les Insectes vivent à l’état de larves
est très-variable suivant les espèces. On en connaît qui ne res¬
tent dans cet état que pendant quelques jours ou quelques
semaines. Pour d’autres, ce temps se prolonge pendant des
mois et même pendant des années. La larve du Hanneton, par
exemple, que l’on connaît vulgairement sous le nom de ver
blanc, vit pendant trois ans dans la terre avant d’apparaître à la
lumière sous forme d’insecte. Notons en terminant que c’est
surtout lorsque les Insectes sont à l’état de larves qu’ils sont le
plus préjudiciables aux récoltes ou à la conservation des den¬
rées alimentaires, des bois de construction, des étoffes, des col¬
lections d’histoire naturelle et, en général, de toutes les subs¬
tances de nature organique. Ce sont, en effet, les larves des
384
INSECTES.
Cbarençons, des Bruches, des Alucites,des Teignes, des Gécydo-
mies, des Noctuelles, desGalidium,des Scolytes, des Ptines, etc.,
qui dévorent les grains et les graines dans les greniers, les
racines, les tiges, les feuilles, les fleurs de nos végétaux, la laine
de nos étoffes,le bois des meubles ou des charpentes, les plantes
des herbiers, etc.
Lorsque la larve a acquis son complet développement, elle se
transforme en nymphe ou crhysalide. Pour subir cette première
transformation, que l’on désigne sous le nom de nymphose, les
larves, dans un très-grand nombre d’espèces à métamorphoses
complètes, se préparent des abris afin d’assurer raccomplisse-
ment paisible des changements qu’elles vont subir, et de se
soustraire à leurs ennemis alors qu’elles seront sans défense.
Les unes s’enfoncent dans la terre, les autres se réfugient sous
des pierres, sous des mottes de gazon, sous les excréments des
animaux supérieurs. Plusieurs se cachent sous les feuilles ou
les enroulent autour d’elles. Quelques-unes enfin, comine le
ver à soie, se construisent des cocons. Mais il en est beaucoup
aussi qui se contentent de demeurer dans les graines, dans les
fruits, dans le bois, dans les galles ou les. étoffes de diverses
natures où elles se sont développées. Quel que soit, d’ailleurs, le
parti qu’elles prennent, la transformation qu’elles subissent
peut s’opérer de deux manières différentes. Dans un premier
cas on voit, après un temps très-variab le, le tégument de la
larve se fendre ou se déchirer, et se détacher comme dans une
mue ordinaire, et laisser apparaître la chrysalide avec ses carac¬
tères. C’est ce qui arrive, en' général, pour les Lépidoptères,
pour beaucoup de Coléoptères et d’Hyménoptères. Dans un
deuxième cas, le dernier tégument de la larve se durcit, change
de couleur, perd même une partie des appendices dont il était
revêtu, et constitue l’enveloppe de la nymphe elle-même. Ce
cas, assez commun chez les Diptères, est en particulier celui
qui se fait observer chez les OEstrides.
La nymphe des Insectes à métamorphoses complètes est, en
général, cylindroïde ou ovoïde, au moins dans une partie de sa
longueur, et presque toujours atténuée en cône vers une de ses
extrémités. Ses mouvements sont obscurs, elle ne peut se dé¬
placer pour pourvoir à sa défense et à son alimentation, aussi
reste-t-elle sans prendre de nourriture pendant toute cette
période de son existence. Sa couleur est brune, roussâtre ou
jaunâtre, et elle a quelquefois des reflets brillants et comme
métalliques qui lui ont fait donner aussi le nom de chrysalide-
INSECTES.
L’état d’immobilité dans lequel elle se trouve, ses différents
organes étant enveloppés dans le tégument comme dans un
maillot, lui ont valu également la dénomination de pupe,
sous laquelle on la désigne quelquefois.
Au début de la nymphose, la chrysalide semble entièrement
formée d’une matière pulpeuse dans laquelle il n’y a que peu
ou point de traces d’organisation. Mais peu à peu les divers
organes de l’insecte se forment et apparaissent différemment
repliés et enveloppés sous le tégument général. C’est seulement
quand ils ont atteint toute ' leur perfection que s’opère la der¬
nière métamorphose. La peau de la nymphe s’ouvre alors ou se
déchire, tantôt irrégulièrement, tantôt, au contraire, régulière¬
ment et dans un point déterminé à l’avance, et l’insecte se
débarrassant de cette dernière enveloppe et des minces étuis
qui entourent ordinairement ses appendices, apparaît avec ses
caractères. Ordinairement, il demeure tranquille pendant quel¬
ques instants auprès de sa dépouille, afin de donner à ses pattes
et surtout à ses ailes le temps de se raffermir, puis on le voit
prendre son vol s’il est ailé, vivre d’une nouvelle vie et s’occu¬
per surtout du soin de propager son espèce.
Les Insectes qui, pendant leur développement, passent suc¬
cessivement par les divers états de larve, de nymphe et d'insecte
parfait, reçoivent, comme nous l’avons dit plusieurs fois déjà,
la qualiQcation d’insectes à métamorphoses complètes. Tous les
animaux de cette grande classe ne subissent pas d’une manière
aussi régulière les transformations que nous venons d’indiquer.
Chez les Orthoptères, les Hémiptères et une partie des Névrop-
tères, les métamorphoses sont incomplètes. La larvée au moment
où elle sort de l’œuf, a déjà en grande partie la forme de ses
ascendants. Elle est seulement beaucoup plus petite, dépourvue
d’ailes et entièrement privée d’organes génitaux. ]^u à peu elle
se développe et arrive à la taille normale de son espèce. Alors
commencent à apparaître à l’intérieur les organes génitaux, et
à l’extérieur les ailes, sous forme de moignons. L’animal dans
cet état reçoit le nom de nymphe. Plus tard, enfin, les ailes et
les organes sexuels ayant atteint tous les développements qu’ils
peuvent acquérir, il a tous les caractères de l’insecte parfait et
peut concourir à la propagation de l’espèce. Ici, par conséquent,
le développement est successif et sans brusques changements
de formes. Nous devons ajouter néanmoins qu’il s’accompagne
de mues très-remarquables, et qu’en général le passage d’un
état à l’autre est marqué par l’une de ces mues.
X.
25
386
INSECTES.
Les Insectes à métamorphoses incomplètes ou demi-méta¬
morphoses établissent le passage entre ceux où les trois formes
sont très-nettement distinctes, et ceux où ne s’accomplit au¬
cune espèce de métamorphose. Ges derniers, beaucoup moins
nombreux que ceux des deux autres groupes, ont en naissant la
forme que présentent les adultes, et ils n’ont qu’à grossir et
qu’à acquérir peu à peu des organes génitaüx pour leur ressem¬
bler entièrement. De ce nombre sont les Poux et les Ricins, dont
plusieurs espèces vivent en 'parasites sur les animaux domes¬
tiques.
Mais s’il est ùn petit nombre d’insectes qui ne subissent point
de métamorphoses, par contre il en est d’autres chez les¬
quels les changements de formes, plus multipliés encore que
chez les Insectes à métamorphoses complètes, ont reçu le nom
à'hypermétamorphoses. M. Fabre, d’Avignon, a le premier appelé
l’attention des entomologistes sur quelques-unes des espèces
qui sont ainsi soumises à la nécessité de passer par plus de trois
états avant de revêtir leur forme dernière. Ses observations ont
.porté sur la famille des Cantharidies qui renfermé plusieurs
espèces que l’on emploie ou que l’on pourrait employer en mé¬
decine, et à ce titre elles offrent pour nous un véritable intérêt.
L’espèce dont' s’est surtout occupé M. Fabre est le Sitaris hume-
ralis Latr., qui est assez répandu en France, surtout dans les
départements méridionaux. A l’état adulte les Sitaris ne pren¬
nent plus aucune nourriture, et s’occupent exclusivement de la
reproduction de l’espèce. Peu de temps après avoir été fécon-
. dée, la femelle vient pondre deux ou trois mille œufs à l’entrée
du nid d’un Hyménoptère de la famille des Mellifères, YAntho-
phorapilipes, qui, vivant solitaire, creuse dans la terre, sur les
talus et dans les endroits exposés au soleil, des galeries au
fond desquelles la femelle dépose, dans des cellules prépa¬
rées à cet effet par les mâles, et remplies d’une provision de
miel, un certain nombre d’œufs. Les œufs du Sitaris éclosent
un mois environ après la ponte, et les larves qui en sortent,
armées de mandibules puissantes, sont pourvues d’yeux et de
pattes qui leur permettent de se déplacer facilement. Cepen¬
dant elles restent immobiles et entassées les unes à côté des
autres jusqu’au printemps suivant, époque à laquelle les Antbo-
pbores mâles, nouvellement transformés en insectes par&its,
sortent de leurs nids. Les larves des Sitaris saisissent alors le
moment de cette sortie pour se cramponner avec beaucoup
d’agilité au corps du MeUifère et pour s’insinuer au milieu des
INSECTES.
387
poils dont son tégument est revêtu. Elles vivent là pendant
quelque temps, et sous cette forme, elles ont même été prises
pour des parasites particuliers et décrites comme des Poux,
liorsque, plus tard, vient l’accouplement, elles ont soin de quit¬
ter le mâle pour, passer sur le corps de la femelle. Aussi sont-
elles transportées, au moment de la ponte, daris le nid de l’An-
l^phore par la femelle elle-même, qu’elles abandonnent alors
■ pour rester avec l’œuf et la provision de miel qui y sont dépo¬
sés. La cellule est à peine fermée que ta larve deSitaris, à l’aide
de ses puissantes mandibules, déchire l’œuf et en mange le
contenu. Elle perd, immédiatement après, son premier tégument
et apparaît, sous forme de seconde larne, apode, vermiforme et
aveugle. Dès lors elle se nourrit du miel au milieu duquel elle
est tombée, le mange en totalité, s’accroît rapidement et se
.change, vers la fin de l’automne, en une sorte de chrysalide
particulière qui prend le nom de pseudo^ymphe. Celle-ci passe
l’hiver dans cet état, puis au printemps, à la suite d’une nou¬
velle mue, elle prend la forme de troisième larve^ qu’elle quitte
bientôt après pour celle de nymphe. C’est de cette dernière que
sort enfin le Sitaris adulte, après avoir subi, comme nous venons
de le voir, jusqu’à cinq transformations successives.
Les Mehë, qui appartiennent à la même famille, subissent
jdes bypermétamorpbûses analogues à celles des Sitaris, et il est
très-probable que les Cantharides et les Mylabres se développent
de la même manière.
Le temps pendant lequel vivent les Insectes dès qu’ils sont à
l’état parfait est infiniment variable. On peut dire qu’en géné¬
ral, cependant, c’est à l’état de larves qu’ils doivent passer la
plus longue durée de leur existence. Dès qu’ils ont subi leur
dernière transformation, ils semblent n’avoir plus à jouer
d’autre rôle que celui de la wîproduction. Gela est si vrai pour
certains d’entre eux qu’ils ne prennent aucune nourriture et
qu’ils meurent presque immédiatement, le mâle après l’accou¬
plement et la femelle après la ponte. De ce nombre sont les
Sitaris, dont nous venons de parler,ies Papillons des vers à soie,
les OEstrides,les Éphémères, etc.,etc. Chez le plus grand nombre,
cependant, la vie se prolonge assez pour que la femelle puisse
arriver à placer ses œufs dans les conditions les plus favorables
au développement des larves. Il est même des espèces qui vivent
pendant plusieurs aimées et qui font ainsi naître plusieurs
.générations successives.
Le système nerveux des Insectes est organisé et disposé sui
388
INSECTES.
Tant le type général qu’il affecte chez tous les animaux arti-
culés. Il est constitué par une double série de ganglions qm
occupent successivement tous les anneaux du corps depuis le
premier jusqu’au dernier, et qui sont reliés entre eux par ürt
double cordon nerveux qui parcourt toute la longueur de l’ani-
maL La première paire de ces ganglions, située au-dessus de
l’œsopbage, reçoit le nom de ganglion céphalique ou impropre-'
ment celui de cerveau. Ce centre nerveux est volumineux et c’est
de lui qu’émanent les nerfs optiques et les nerfs qui se rendeüL
aux antennes. Il en part en outre deux autres nerfs, run drôiV
l’autre gauche, qui contournent l’œsophage et se rendent dàhf
un ganglion situé au-dessous de ce conduit et que l’on appelle
ganglion sous-œsophagien. Les deux nerfs dont nous venonidè
parler constituent le collier œsophagien. Le ganglion sous -œsô-:^
phagien fournit les nerfs qui se rendent aux pièces de la Bpuv
che. Il émane aussi, du ganglion céphalique un cordon particu-'-
lier dont les ramifications se distribuent aux viscères qui occupent :
la cavité du corps et que l’on a. comparé aii trisplanchnique dés7
animaux supérieurs. A partir du ganglion sOus-œsophagien, oA;
trouve dans chaque anneau du corps une masse ganglionnairel
de laquelle partent les nerfs destinés aux organes environnants."
Toutes les masses ganglionnaires sont d’ailleurs reliées entre
elles, comme nous l’avons dit dqà, par un double cordon nerr- '
veux. L’ensemble des parties essentielles du système nerveux"
offre encore à signaler ce caractère important que, contrairé^ 7
ment à ce qui existe pour les vertébrés, il est presque en totalité "
situé au-dessous de l’appareil digestif. ' .r
La disposition que nous venons de faire connaître est en ^
quelque sorte la disposition type. Mais eÜe est süsceptifilé de '
subir quelques modifications qui résultent de ce que souyent '7
plusieurs ganglions se réunissent en une seule masse. Céla sé 7
fait observer surtout pour les ganglions de l’abdomèn qui sont 7;
parfois réunis en une seule masse, ou en un nombre de centrés
nerveux moins considérables que le nombre des anneaux.
Les Insectes voient et entendent ; ils paraissent, au moins dans ’
certaines circonstances, être attirés par des odeurs particulières '
et être guidés par le goût, dans le choix de leurs aliments. '
Enfin il est incontestable qu’ils peuvent, par le toucher, apprécier 7
dans une certaine limite les qualités des corps avec lesquels ils _
sont en contact. Les cinq sens paraissent donc exister chez eux
comme chez les animaux supérieurs. Seulement à l’exception,
de la vue, dont le siège est évidemment dans les yeux, on est
INSECTES.
dans une grande incertitude relativement aux organes par les¬
quels sont acquises les perceptions qui appartiennent aux autres
sens.
Les Insectes entendent, car ils produisent des sons par lesquels
iis s’appellent entre eux et souvent ils se répondent. Mais on ne
sait où réside le siège de l’ouïe, car ce n’est qu’avec doute qu’on
Ta placé tantôt à la base des antennes, tantôt sur les côtés du
thorax et même dans certains articles des pattes antérieures,
et rien ne confirme les suppositions qu’on a faites à cet égard.
C’est par leurs antennes et surtout par leurs palpes maxillaires
et par leurs palpes labiaux qu’ils semblent apprécier par le tact
les qualités des objets. Il est possible que les palpes soient aussi
des organes de goût, mais on ne peut faire h ce sujet que des
suppositions. Il en est de même en ce qui concerne le siège de
Todorat, qui peut-être réside sur quelque point de la membrane
interne des trachées, où les particules odorantes sont portées
avec l’air dans l’acte de la respiration. Pour tous ces sens, comme
on le voit, il ne peut y avoir que des doutes sans aucune certi¬
tude. Il n’en est plus ainsi pour le sens de la vue.
Les yeux des insectes, généralement très-développés, sont au
nombre de deux et sont quelquefois accompagnés d’yeux acces¬
soires auxquels on donne le nom, de stemmates, d'ocelles ou
d'yeux lisses par opposition à celui d'yeux à facettes ou d'yeux
composés que Ton attribue aux principaux de ces organes.
Les yeux à facettes situés sur les côtés de la tête arrondis ou
diversement échancrés dans leur contour sont convexes et
offrent une cornée lucide divisée en un grand nombre de petites
facettes, le plus souvent hexagones,[rapprochées par leurs côtés.
Le nombre de ces facettes atteint quelquefois le chiffre de 25,000
(Mordella).Il ést de 17,000 environ, dans les Papillons; de 12,000
dans les Libellules; de 8,000 dans le Hanneton; de 4,000 dans
la Mouche domestique, et de 50 seulement dans les Fourmis. En
arrière de chaque facette il existe une sorte de corps vitré ou de
cristallin en forme de cône ;allongé, qui par sa base s’appuie
sur le centre de la facette, en laissant autour de ce point de con¬
tact un espace rempli d’un pigment colorant dont les nuances
variées ont parfois des reflets chatoyants du plus bel effet. Vers
le sommet du cône, le cristallin reçoit une des divisions du
nerf optique qui, d’ailleurs très-volumineux, fournit autant de
divisions qu’il y a de facettes dans Tœil. Les yeux des Insectes
ne sont pas mobiles comme ceux des Mammifères, et les facettes
dont ils sont pourvus, dirigées dans tous les sens, leur permet-
330
INSECTES.
tent de recevoir les rayons lumineux, de quelque direction qu’ils-
viennent Du reste suivant les mœurs de ces animaux, suivant
les conditions dans lesquelles ils doivent vivre, le champ de la .
vision est plus^u moins étendu, restreint ou modifié par des
dispositions sur lesquelles l’espace ne nous permet pas d’in-'
sister.
Chez un très-grand nombre d’insectes comme les Coléoptères,
les Lépidoptères, certains Hémiptères et certains Diptères, on ne
rencontre pas d’autres yeux que les yeux à facettes. Mais chez
d’autres comme les Hyménoptères, lesOEstrides, les Orthoptères,;
il existe, indépendamment des yeux composés, des stemmates.
Ceux-ci sont ordinairement au nombre de trois et placés sur le
sommet de la tête et en arrière des antennes. Leur cornée con¬
vexe repose presque sur un cristallin globulaire, appuyé lui-
même sur un corps vitré au fond duquel s’épanouit une divi^
sion du nerf optique.
Presque tous les Insectes ont des yeux à facetteSi Cependant
quelques espèces parmi celles qui occupent les degrés inférieur^
dans la classification ont seulement deux yeux simples. Nous
signalerons parmi elles les Puces, les Poux et les Ricins. Enfiù,
nous ajouterons qu’il est même des insectes qui sont absolu¬
ment aveugles par suite dé l’absence des yeux. Le plus curieux
exemple que l’on puisse citer de ce faiLest celui des ouvriers et
des soldats, dans les diverses espèces de Termites. /
Divers insectes possèdent la faculté de produire des bruits de
différentes natures, mais ces bruits ne sauraient être comparés
à la voix des Vertébrés aériens, car 'dans la plupart des cas ils
prennent naissance en dehors des voies respiratoires. Cependant
le bourdonnement de beaucoup d’Hyménoptères et de Diptères
pendant le vol semble bien résulter de la sortie de l’air par les
stigmates. Mais les sons que font entendre les Sa,uterellés, les
Grillons, la Courtilière, la Cigale, sont de toute autre nature,
car ils résultent de la vibration de certaines parties du squelette
tégumentaire, s’accomplissant à la volonté de l’insecte et par
des moyens qui peuvent varier. Chez les Grillons par exemple,
c’est en frottant l’une contre l’autre leurs élytres pourvues à la
surface des nervures dures et saillantes que les mâles font en¬
tendre le chant monotone qui leur a valu le nom vulgaire de
cricri. Chez les Sauterelles proprement dites une portion des
élytres, nommée le miroir^ est organisée et fonctionne comme
nous venons de le dire ; chez les Criquets ce sont les cuisses,
garnies d’aspérités qui frottent à la manière d’un archet sur les
INSECTES.
nervures des élytres et en tirent un son ; enfin chez la Cigale
mâle, c’est sous le Tentre et en arrière de la troisième paire de
pattes que l’on trouve l’organe du chant. Il existe là deux plaques
semi-circulaires convexes qui ferment chacune une cavité pra¬
tiquée dans la partie antérieure de l’abdomen et partagée par
un triangle écailleux en deux loges principales postérieures ta¬
pissées par une membrane transparente, et en un compartiment
antérieur garni d’une membrane tendue. Enfin à tout cela
s’ajoutent encore deux cellules munies d’une membrane plissée
rugueuse et constituant ce que Réaumur a appelé la timbale.
Deux muscles puissants, qui s’insèrent à la pièce triangulaire,
tendent alternativement dans différents sens la membrane so¬
nore de la timbale et la font vibrer. C’est là ce qui produit le
chant assourdissant de la cigale qui est renforcé d’ailleurs par
les autres pièces dont nous avons dû nous borner à indiquer
simplement l’existence.
Chez tous les Insectes dont nous venons de parler, les mâles
seuls sont doués de la faculté de chanter, et ne font guère en¬
tendre leur chant que pour appeler à eux les femelles qu’ils
doivent féconder. D’autres Insectes font aussi entendre des bruits
particuliers. Nous citerons seulement, pour terminer, la Griocère
du lis, le Dorcadion et quelques autres espèces qui, par un
mouvement du corselet sur les autres pièces du thorax, produi¬
sent une sorte de cri léger lorsqu’on les presse dans la main, le
Sphinx atropos qui fait entendre lorsqu’on le saisit un cri dont
la cause n’est pas connue et quelques autres encore qui auraient
besoin d’être étudiés à ce point de vue.
Plusieurs insectes ont été pourvus par la nature d’armes dont
ils se servent pour attaquer ou pour se défendre. Nous n’avons
point à parler ici des mandibules des broyeurs carnassiers qui,
si puissantes qu’elles soient vis-à-vis des petits animaux dont ils
se nourrissent, ne sauraient jamais faire à l’homme bu aux ani¬
maux supérieurs la moindre plaie sérieuse. Mais nous devons
rappeler que quelques insectes suceurs, sans être précisément
dangereux, n’en sont pas moins fort incommodes. If nous suf¬
fira de citer ici les piqûres des Cousins, des Punaises, des Puces,
des Taons, pour justifier notre assertion. Toutefois ce n’est pas
là le point sur lequel nous devons insister. Les Insectes dont nous
voulons parler sont ceux qui sont armés d’un aiguillon. Tous
appartiennent à l’ordre des Hyménoptères. L’armure complète
de ces petits animaux est constituée par des pièces cornées qui
sont comme des appendices du dernier anneau de l’abdomen,
392
INSECTES.
par des muscles qui mettent ces pièces en mouvement et par un 1
appareil de sécrétion et d’excrétion d’un venin plus ou moins j
actif. Les pièces cornées, toutes rétractiles dans l’intérieur de ‘
l’abdomen, sont une pièce impaire que l’on nomme l’étui ef l
deux pièces très-grêles en forme de lancettes. L’étui est une :
sorte de canal incomplet sur son bord supérieur et très-aigu à ;;
son extrémité libre. Il reçoit les deux lancettes qui se meuvent ■
dans son intérieur, tout en laissant un passage pour le venin, :r
Les lancettes, plus longues que l’étui qu’elles dépassent au mo-' ü
ment de la piqûre, sont aiguës et barbelées sur leur bord ex-r
terne. Elles sont mises en mouvement par des muscles rétrâc-î
teurs et protecteurs. Enfin l’appareil à vénin est constitué par
deux petites- glandes qui sécrètent le venin et par une vésicule.;
qui le reçoit et le tient en réserve et dont le fond est tourné en _
avant. En arrière, cette vésicule s’atténue en un canal qui se l
continue avec l’étui de l’aiguillon. Lorsqu’un hyménoptère veuti
piquer avec cet appareil, il appuie la portion postérieure desoni;
abdomen sur le point qu’il va blesser, fait sortir l’étui de l’ai-i
guillon qui commence à pénétrer dans les tissus, et pousse enrj
suite en quelque sorte les deux lancettes qui pénètrent pro:j
fondément dans la petite plaie. En même temps la vésicule^;
comprimée par la contraction des muscles protracteurs qui pas^ i
sent à sa surface, lance le venin qu’elle renferme.
La pénétration du venin dans la plaie suffit pour tuer les pe¬
tits animaux que les Hyménoptères ont normalement à attaquer ;
ou contre lesquels ils ont à se défendre. C’est ainsi que les>
abeilles neutres, par exemple, mettent facilement à mort à l’aide»
de leurs aiguillons les faux bourdons qui peuplent la rucbe;
quand elles comprennent que l’existence des mâles devient 1
charge à la colonie. Mais on comprend qu’à part des cas tout
à fait exceptionnels, une seule de ces piqûres ne peut détermi¬
ner chez l’homme ou chez les animaux que des accidents locaux.
Il n’en est plus de même lorsque les piqûres sont multipliées.
Car alors indépendamment des accidents locaux consistant en
de la tuméfaction, de la rougeur, de la douleur, des œdèmes
au-dessous et au pourtour des points oû beaucoup d’insectes se
sont abattus, on voit se déclarer une fièvre plus ou moins vio¬
lente qui peut, dans certains cas, emporter le malade. Les ac¬
cidents sont plus menaçants encore quand les piqûres sontmul-.
tipliées sur les lèvres, ies naseaux, et menacent de faire périr '
le sujet par asphyxie. Les frictions avec les préparations am¬
moniacales, l’administration de l’ammoniaque à l’intérieur,
INSECTES.
l’usage des boissons chaudes stimulantes propres à provoquer
une abondante transpiration, l’emploi des couvertures pour at¬
teindre le même but, sont alors les moyens auxquels il faut se
hâter de recourir. Il pourrait être utile d’essayer aussi en pa¬
reille circonstance l’emploi de l’acide pbénique à l’intérieur
comme à l’extérieur. On trouvera d’ailleurs à l’article Plaies
venimeuses des indications beaucoup plus étendues sur la con¬
duite à tenir par le praticien en préseüce d’un animal qui, par
accident, comme cela arrive quelquefois dans les campagnes,
aurait été piqué par les abeilles d’une ruche, ou les guêpes d’un
guêpier comme il s’en trouve dans les pâturages.
Le venin des Hyménoptères possède, chez quelques animaux
de cet ordre, des propriétés toutes spéciales et infiniment cu¬
rieuses. Il ne tue point la victime que l’aiguillon a frappée, il se
borne à la paralyser et à la^ rendre incapable de tout mouve¬
ment et par conséquent de toute défense. Le P/iitoîîfâws apiuorMS,
qui fait la guerre aux abeilles et qui chaque année cause un
certain préjudice aux apiculteurs, en offre un exemple remar¬
quable. Cet insecte, Hyménoptère comme l’Abeille, construit
dans la terre, surtout dans les points exposés au soleil, des ga- .
leries profondes dans lesquelles sa progéniture doit se dévelop¬
per. Dès que la femelle a été fécondée et qu’elle a tout préparé
pour la ponte, elle se met en chasse et poursuit les Abeilles.
Dès. qu’elle a pu en saisir une, elle la pique de son aiguillon,
l’emporte dans sa galerie, pond à côté d’elle un œuf et ferme la
eiellule où elle l’a déposée. La larve qui éclôt bientôt après est
carnassière et doit se nourrir d’une proie vivante. Si l’abeille
avait été frappée de mort, le jeune animal ne trouverait auprès
de lui qu’un cadavre en voie de décomposition et impropre à
servir à son alimentation. .Mais, comme nous l’avons dit déjà,
Tabeille n’a été que paralysée par le venin qui a été versé dans
la plaie faite par l’aiguillon du Philanthus,et elle est lentement
dévorée pendant qu’elle est vivante encore. D’autres Hyménop¬
tères porte-aiguillon, comme les Spbex par exemple, attaquent
de la même manière les Grillons, les SautereUes,les Araignées,
que l’on retrouve dans les nids en partie dévorés et encore
vivants avec les larves à demi développées.
On peut rattacher aux moyens de défense que présentent les
Insectes les singuliers appareils de sécrétion que certains d’entre
eux possèdent et qui aboutissent à la dernière portion de l’in¬
testin. Ces appareils consistent en glandes qui versent dans une
vésicule le produit qu’elles sécrètent. Ce produit est un liquide
INSECTES.
caustiqpie qui suffit pour irriter la peau de rhomme dans les
points où elle est délicate. Quelques Insectes, comme les Carabes
bombardiers {Brachînus explodens) et certaines Fourmis, lancent
ce produit à leurs ennemis lorsqu’ils sont poursuivis.
Les moeurs des Insectes sont infiniment curieuses à étudier ;
mais elles sont si variées que nous ne saurions entrer dans au-
cune espèce de détails sur ce sujet sans dépasser considérable¬
ment les limites qui nous sont assignées. Nous devons donc
nous borner à renvoyer nos lecteurs aux articles spéciaux où il
sera traité des Insectes qui, comme les OEstrides, les Tabaniens,
les Pupipares, les Parasites, les Insectes vésicants, intéressent
plus particulièrement le vétérinaire. Il ne nous reste plus main- .
tenant qu’à faire connaître la classification qui est encore le .
plus généralement adoptée par les entomologistes pour ces ani¬
maux.
Cette classification appartient à Latreille et elle n’a été que ;
peu modifiée depuis qu’elle a été mise au jour par ce savant na¬
turaliste. Elle est basée sur les caractères qui sont offerts par .
les pièces de la bouche, par les pattes et par les ailes, et par les
métamorphoses. Les détails dans lesquels nous sommes entrés
sur les modifications organiques qui servent de hases à cette
classification nous permettront de nous contenter de la pré-
senter en résumé dans le tableau ci-contre.
La classification de Latreille, au moins en ce qui concerne les
ordres, s’est conservée presque jusqu’à nos jours sans subir de
modifications importantes. Dans ces derniers temps cependant,
on a proposé de séparer des Orthoptères, sous le nom de Ber-
maptères, les Forficules qui ont, en effet, les ailes membraneuses
plissées tout à la fois en long et en travers. En outre; beaucoup
d’entomologistes ont maintenant de la tendance à reporter dans
les ordres précédents lesÂphaniptères,lesAnoploures etlesThy-
sanoures, qui ne diffèrent réellement des ordres dans lesquels
on les met que par l’absence des ailes. Nous ne saurions sans;
nous écarter de notre objet insister sur les raisons qui justifient
ces modifications. Nous aurons d’ailleurs à y revenir dans le&
articles Puces et Parasites, où nous traiterons de, tous les in¬
sectes aptères qui offrent de l’intérêt au point de vue des études
vétérinaires. G. baillet.
INSECTES.
395
Ailes
dissemblables,
les antérieures
sous forme
id’élytres,
les postérieures
seules
membraneuses,
mandi¬
bules
distinctes.
Le^
quatre ailes
Élytres normalement dévelop- .
pés. Ailes postérieures pliées
en travers. Métamorphoses
complètes .
Élytres rudimentaires. Ailes pos- (
térieures plissées en long. . . (
Élytres normalement dévelop¬
pés. Ailes postérieures plis¬
sées en long. Demi-métamor-
I Les quatre ailes égales entre
elles, à nervures disposées en
réseau. Métamorphoses com¬
plètes ou incomplètes .
^ Ailes postérieures, plus petites,
toutes divisées par les ner¬
vures en grandes cellules peu
nombreuses. Métamorphoses
complètes. . .
' Une trompe. Ailes membra¬
neuses revêtues d’écailles.
Métamorphoses complètes . .
Un suçoir. Ailes antérieures sou¬
vent coriaces à la base, les
postérieures membraneuses.
Demi-métamorphoses .
Insectes pourvus de deux ailes membraneuses. Bouche en suçoir :
Métamorphoses complètes . ;.. . .
Pièces de la bouche modi¬
fiées de manière à cons¬
tituer ..... .
Bouche en suçoir. Membres delà troisième paire plus longs.
^ Bouche en suçoir ou pourvue de mandibules. Membres à
peu près de même longueur . . i .
j Bouche à mandibules et à mâchoires distinctes. Dernier an¬
neau de l’abdomen pourvu de longues soies .
Ordres.
Coléoptères.
Rhipiptères ou
Strepsiptères.
Orthoptères.
Névroptères.
Hyménoptères,
Lépidoptères.
Hémiptères.
Diptères.
( Aphaniptêres
( ou Suceurs.
1 Anoploures ou
I Parasites,
Thysanoures.
INSTINCT.
BVSTINCT. Eq ce qui concerne les animaux, les philosophes
psychologistes, préoccupés de leurs hypothèses^ ont établi nue
confusion qu’il importe de dissiper, entre l’instinct et l’intelli¬
gence. D’après eux, l’homme seul aurait été doué d’intelligence'^
attribut de son âme immortelle; les brutes, dépourvues de cette^
âme, seraient par conséquent dépourvues d’intelligence et n’au--
raient que de l’instinct. Flourens est venu apporter les investi¬
gations des expériences physiologi(^ues dans la question ainsi
posée ; mais, philosophe spiritualiste lui-même, il n’a pas su-
s’affranchir suffisamment, dans ses conclusions, de l’idée pré¬
conçue relativement à la nature de l’intelligence, et rester siir
le terrain de la physiologie expérimentale. V
Laissant de côté les spéculations psychologiques, pour s’hn ^
tenir aux faits et à l’analyse des manifestations ou des phéno¬
mènes des êtres animés, il convient de définir exactement céé^
phénomènes, afin qu’ils puissent être distingués et appréciés-
dans toute la série animale, et en quelque sorte mesurés. Noué •
ne nous occuperons dans le présent article que de l’instinct, ^
réservant pour une autre ce qui se rapporte aux manifestations -
intellectuelles,
On pourrait être tenté de croire que de tels sujets ne sont pas ^
ici à leur place ; mais si l’on veut bien songer que dans l’hy-’ -
giène des animaux, dans la manière d’être, à leur égard, de
4’homme qui les exploite à son profit, la considération de leurs
facultés de relation ne saurait être indifférente, on reviendra
bientôt du cette première impression. Des êtres sensibles, pen ¬
sants, capables d’apprécier, dans une mesure quelconque, les
procédés bons ou; mauvais dont ils peuventêtre l’objet, ne seront
pas sans inconvénient traités comme s’ils devaient rester, indif- '
férents aux impressions et demeurer absolument sous la do--
mination exclusive de leurs inctincts naturels. Il est donc d’une
certaine importance, même au point de vue pratique, et indé-
pendamm.ent de toute spéculation philosophique, d’être fixé sur
la question débattue.
^ Avant toute chose, il faut définir exactement les termes qui
s’y rapportent. Ici nous ne devons avoir d’autre but que
d’établir une bonne définition de celui d’instinct. Elle nous
servira plus tard pour faire sentir la distinction radicale qu’il y
a lieu d’admettre entre ce terme et celui d’intelligence, qui
exprime un tout autre ordre de phénomènes et ne peut point
en conséquence lui être comparé, ainsi qu’on se montre assez
généralement disposé à le penser.
INSTINCT.
397
L’instinct est une impulsion physiologique, donnant lieu à
des actes déterminés et indépendants de la volonté. Il est, ën
réalité, la conséquence fatale, nécessaire, de l’organisation, et il
entre enjeu sous des influences que l’être organisé subit sans
en avoir conscience. Suivant l’importance de la fonction que
son impulsion doit atteindre, il est plus ou moins impérieux
et il peut être plus ou moins facilement modéré par l’interven¬
tion de la volonté.
En ce sens, qui est le vrai, dégagé de toute conception
métaphysique, on voit que le terme d’instinct n’exprime pas
autre chose que ce que nous appelons des besoins naturels.
Et en effet on admet des instincts divers, qui sont ceux de la
conservation, de la reproduction ou de la propagation de l’es¬
pèce, de la maternité, de la sociabilité, etc.
Il n’y a pas, en vérité, pour chacune de ces choses, un être
spécial qui doive être appelé instinct. Chacune d’elles, qui est
un attribut de l’animalité, a sa loi naturelle et elle y obéit. Les
choses sont ainsi parce qu’elles ne sont pas autrement. En les
attribuant, à des instincts, nous les exprimons simplement,
nous n’en fournissons point une explication. Peut-être serions-
nous, pour un certain nombre d’entre elles, en mesure de déter¬
miner le rapport qui unit les actes par lesquels elles se mani¬
festent au phénomène qui les provoque. La connaissance des
actions réflexes du système nerveux nous en fournirait le
moyen. En tout cas, cela suffirait pour montrer clairement que la
notion d’instinct est purement verbale, et que dans la réalité elle
ne correspond point à la signification lexicographique de son
expression. Celle-ci s’entend d’une impulsion intérieure, et il y
a toute apparence, au contraire, que l’excitation sous l’empire de
laquelle les actes inconscients, dits instinctifs, sont accomplis
plus ou moins aveuglément, vient du dehors.
Quoi qu’il en soit, les instincts véritables existent en même
nombre et au même degré chez tous les animaux composant
une même classe, sans en excepter ceux qui appartiennent au
genre humain. Ces animaux diffèrent seulement par la manière
dont ils y obéissent et par l’étendue de la résistance qu’ils y
opposent. On peut dire sans se tromper que celle-ci est en raison
directe du développement intellectuel et moral ; car la moralité
n’est, en définitive,- que la résistance aux impulsions naturelles
ou instinctives, en vue de se conformer aux lois ou conventions
sociales. En ce sens, c’est par un abus de mots qu’on a admis un
instinct de la justice, du beau, du vrai. Ce ne sont point là des
INSTINCT.
1
instincts, mais bien des sentiments ou des notions; de même
que les prétendus instincts de la destruction, de la construction,
de l’observation, de la ruse, de la domination, du calcul, œ
sont autre chose que des aptitudes intellectuelles.
C’est à tort également que l’on range parmi les instincts
déterminations en vertu desquelles les oiseaux émigrent et 1
construisent leur nid de certaine façon plutôt que de tout |
autre; les animaux fouisseurs creusent leurs galeries ou leurs ’
terriers, les constructeurs bâtissent leurs habitations, les insec¬
tes sociaux, tels que les abeilles et les fourmis, disposeiU. et
dirigent leurs meryeilleuses républiques. Ce sont là des
déterminations intellectuelles, ayant pour but, il est vrai,
de satisfaire l’instinct qui est commun a ces animaux et à toup
les autres, mais qui varient avec les circonstances en face des¬
quelles ils se trouvent placés^ ainsi que nous le montrerons.
<7oÿ. Intelligence.)
On voit, par ce qui précède, que le terme d’instinct n’ept
point une expression psychologique, et que surtout il ne conr
vient point de l’appliquer exclusivement aux déterminations
qui font agir les animaux autres que l’homme. Seuls, les psy- |
chologistes, du reste, se sont montrés d’un avis contraire, et
surtout les philosophes spiritualistes. Dans le langage usuel, on
ne fait à cet égard nulle distinction entre les êtres animés. Tous
les instincts attribués aux brutes le sont également auî
hommes; et c’est avec raison, car si ces derniers diffèrent' '
demment des premières par l’étendue et par la forme de leura
manifestations intellectuelles, on ne peut point dire justement
que leurs besoins naturels ou leurs impulsions mconséientes
soient moins nombreux. C’est par ces impulsions, dépendantes
de leur organisation physiologique, qu’ils se rattachent préci¬
sément à l’animalité, dont ils partagent tous les attributs instinc¬
tifs, auxquels la plus grande complexité même de leur organi¬
sation, ce que nous considérons comme leur perfection relative,
en ajoute de nouveaux.
La distinction établie, dans ce même langage usuel, entre les
bons et les mauvais instincts, n’est qu’une manière d’exprimer
les idées que nous nous faisons sur la morale, idées tout à fait
contingentes et relatives aux temps et aux lieux. Considérées
en elles-mêmes, les impulsions instinctives ou organiques ne
sont en réalité ni bonnes, ni mauvaises, n’étant ni voulues m
réfléchies. Ce sont les actes qui en résultent que nous jugec®^
diversement, selon le poântde vueauquel nous sommes placés-
INTELLIGENCE.
Le félin qui attend sa proie pour la déchirer, et auquel nous
attribuons un instinct de férocité, n’agit ainsi, en somme, que
parce qu’il n’a pas d’autre moyen d’assurer sa subsistance : il
obéit au plus impérieux de ses besoins physiologiques, tout
comme le timide herbivore qui paît dans la prairie.La férocité,
la ruse et les autres déterminations justement réputées* mau¬
vaises, sont fausaîment attribuées à l’instinct^ elles résultent
de combinaisons intellectuelles 9 et c’est l’homme, le plus intel¬
ligent des animaux, qui, pour ce motif, en fournit les exemples
les plus nombreux et les plus fameux. a. sanson.
INTELLIGENCE. On donne en physiologie le nom d’intelli¬
gence à l’ensemble des actes ou manifestations qui impliquent
l’aptitude à comprendre, à concevoir, à discerner les objets
auxquels s’applique l’activité de l’être vivant et à déterminer
les rapports que ces objets ont entre eux. Par l’analyse des
phénomènes observés, on arrive à diviser ces actes en plusieurs
catégories correspondant à autant de facultés, qui sont les
füctiÜés intellectuelles.
" Pour les métaphysiciens purs, ces facultés sont celles de
l’âme et leur étude constitue la psychologie, qui les envisage
indépendamment des organes nécessaires à leurs manifesta¬
tions. Les physiologistes les considèrent, de leur côté, comme
des fonctions de ces organes, à quelque école philosophique
qu’ils se rattachent, puisque tous reconnaissent la nécessité de
l’existence des parties centrales du système nerveux à l’état
normal, pour que l’intelligence se manifeste. Iis sont tous
d’accord sur ce point, soit, qu’ils admettent, avec Flourens, que
l’âme ou l’intelligence siège dans le cerveau, soit que, à l’exemple
desmatérialistes, repoussant l’hypothèse de l’âme, ils fassent, des
facultés intellectuelles ou des manifestations de l’entendement,
des produits de l’activité de la substance nerveuse ou des mo¬
des d’activité spécifiques des éléments anatomiques de cette
substance. Dans l’un comme dans l’autre cas, le système ner¬
veux, avec ses divers arrangements, n’en demeure pas moins
le support indispensable de la pensée, et la difficulté n’en reste
pas moins insoluble expérimentalement, faute d’une commune
mesure entre les phénomènes psychiques, dépendants des acti¬
vités de la matière nerveuse, et ceux qui dépendent des divers
modes d’activité des autres matières, dont les formes et les
équivalences nous sont connues.
Dans l’état actuel de la science, il faut donc tenir pour oî-
INTELLIGENCE.
400
seuses toutes les discussions sur la qualité propre des facultés
ou des manifestations intellectuelles, et laisser chacun libre de
suivre à cet égard les impulsions de son sentiment individuel.
Nul n’est en mesure de prouver qu’il y ait ou qu’il n’y aitpoint
de rapport entre le mode de mouvement de la substance ner¬
veuse et celui de la substance musculaire ou glandulaire. Ce
qui est certain seulement, c’est que ce rapport, s’il existe, n’est
pas actuellement mesurable ; et cela suffît pour que la science
restant en dehors des systèmes philosophiques, se borne à
l’analyse de l’intelligence, pour en constater les diverses fa-
cultés.
Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c’est la ques¬
tion de savoir si l’intelligence est un attribut de l’animalité
tout entière, ou bien si, comme le prétendent les philosophes et
les physiologistes spiritualistes, elle est l’apanage exclusif de
l’homme créé à l’image de Dieu. Pour soutenir la dernière
thèse, il n’y a point d'efforts qui n’aient été faits. Ainsi que
nous l’avons déjà dit {voy. Instinct), on a refusé, d’autorité,
aux brutes l’intelligence, pour ne leur attribuer que l'instinct.
Obligé de reconnaître que les manifestations de cet instinct
étaient absolument du même ordre que celles qualifiées d’intel¬
lectuelles chez l’homme, Flourens qui, pour obéir à ses idées i
psychologiques préconçues, voulait à toute force faire admettre |
une distinction radicale entre l'homme et les autres animaux, i
fut amené à déclarer que ces animaux ont en effet une intelli¬
gence, mais une intelligence qui n’est point de la même nature
que celle de l’homme. Il a pu ainsi, sans rompre trop ouverte¬
ment avec la physiologie expérimentale, dont il fut un des pre¬
miers adeptes, donner satisfaction aux philosophes spiritua¬
listes, qui lui en ont su grand gré et ne se sont point fait faute
d’invoquer son autorité ; mais il n’est aucun physiologiste, ni
même aucun lecteur impartial de ses écrits, qui ne s’aperçoive
que ses affirmations sur ce sujet sont complètement dénuées de
preuves, et que toutes les ^.expériences par lesquelles il s’est
efforcé de les appuyer conduisent à des conclusions nettement
- opposées à celles qu’il en a tirées.
Nous n’avons pas à faire la critique des travaux de Flourens
sur le sujet qui nous occupe, les seuls sérieux, il faut le dire,
auxquels ce sujet ait donné lieu jusque-là, dans l’ordre physio¬
logique. Cette critique serait d’autant moins opportune qu’eUe
est moins nécessaire, attendu qu’il ne se trouve plus un seul
physiologiste à présent pour partager son opinion sur la qualité
INTELLIGENCE.
401
spéciale de l’intelligence des animaux. Ceux qui tiennent le
plus à séparer, sous ce rapport, l’homme de l’animalité, se bor-
ment à soutenir qu’il est doué de certaines facultés absolument
-' absentes chez les animaux. Le plus grand nombre pensent, et je
^'me range à leur avis, que toutes les facultés intellectuelles,
- -qu’il nous est possible de discerner par leurs manifestations,
^ ' existent également dans toutes les séries animales, et qu’il n’y
'- a de différences, aux diverses hauteurs de ces séries, que par le
■ degré de leur développement ; qu’a plus forte raison elles se
rencontrent chez les animaux domestiques, dont il s’agit spécia¬
lement ici, et qui occupent, par la perfection relative de leurs
organes, un rang supérieur. C’est ce que nous aurons à montrer
-- à mesure que nous exposerons les résultats de l’analyse des
" facultés de l’intelligence, qui seule peut faire bien connaître
la notion complète de celle-ci. Nous nous garderons de de¬
mander les preuves d’intelligence fournies par les animaux,
' aux anecdotes plus ou moins apocryphes, ou embellies par
l’imagination des conteurs, qui se trouvent dans les recueils
ou dans les livres des zoopbiles. Je me crois en mesure de
n’invoquer que des faits universellement connus et admis,
‘ondes observations personnelles dont je puis garantir la réa-
■ lité. Quiconque a vécu avec les animaux et les a observés avec
une dosé moyenne d’attention, en cherchant à se rendre compte
des motifs saisissables de leurs déterminations, instinctives
ou voulues, spontanées ou réfléchies, sera conduit à recon¬
naître avec nous, du moins je le pense, s’il a l’esprit dégagé de
toute conception a priori, que sous le rapport de l’intelli¬
gence comme sous tous les autres, qu’au point de vue psy¬
chique comme au point de vue anatomique, le règne animal
ést disposé en séries naturelles, entre lesquelles il n’y a point
d’abîmes infranchissables, selon une expression qui était fami¬
lière àGratioiet.
Gn sera entraîné à conclure de l’observation des faits, qu’entre
les manifestations intellectuelles il n’y a, du plus infime au
plus élevé sur l’échelle de l’organisation, que des diftérences de
quantité, non des difîerences de qualité.
Et de cette conclusion, l’orgueil de notre race ne doit, en
réalité, point avoir à souffrir, bien qu’il lui soit arrivé tant de
fois de s’en révolter, puisque nous n’en conservons pas moins le
rang suprême qui ne saurait nous être disputé, du moment
que, pour nous en emparer et pour nous l’assigner, nous
sommes à la fois juges et parties. Qu’importe que les autres
26
X.
402
INTELLIGENCE.
mammifères soient plus loin ou plus près de nous ! Plus ils
s’en rapprochent, aussi bien, plus est grande notre gloire de les
dominer. Il en est, parmi nous, qui se sentent humiliés en pré¬
sence de l’idée d’une parenté quelconque avec les types natu¬
rels dont la constitution anatomique s’éloigne le moins de la
nôtre, dont les races sont classées dans un même ordre zoolo¬
gique, avec la nôtre. Si cette idée n’était pas une chimère de
l’imagination de quelques philosophes naturalistes, je ne vois
point, pour mon compte, en quoi elle pourrait porter la moin¬
dre atteinte à notre dignité. Mais, quelque chimérique qu’elle
soit, elle a pour point de départ une vérité incontestable, qui
est celle des relations de forme et de . voisinage entre les types
organisés, autant par la disposition de leurs organes que par
leurs fonctions. Et c’est cette vérité, je le répète à l’occasion,
qu’il nous importe de mettre bien en lumière en ce qui concerne
les facultés intellectuelles, afin que dans la direction que nous
• sommes appelés à imprimer aux animaux qui nous donnent
leurs services et leurs produits, nous ne fassions' rien qui soit
capable d’en troubler ou d’en opprimer les manifestations, à
notre détriment. Ces relations nous imposent, dans notre propre
intérêt, envers les animaux domestiques, des règles de conduite
qui sont, à proprement parler, celles de leur hygiène morale. Et
c’est pourquoi le sujet qui nous occupe, malgré les apparences
de sa haute portée philosophique, n’est nullement déplacé
dans un ouvrage du genre de celui dont le présent article fait
partie. . ' ■
L’analyse des facultés intellectuelles a été poussée très-loin,
surtout par les physiologistes localisateurs, qui les ont multi¬
pliées ; mais les attributs de l’intelligence sont en réalité com¬
pris dans un petit nombre de phénomènes fondamentaux qui
les résument tous et auxquels aboutissent toutes leurs mani¬
festations. L’être vivant se montre en définitive doué d’intelli¬
gence lorsqu’il est capable d’attention, de mémoire, de raison¬
nement et de jugement, actes successifs qui constituent le
discernement et qui sont suivis d’une décision ayant pour con¬
séquence une détermination volontaire, manifestée par un
autre acte qui en est l’expression. Ces facultés intellectuelles
s’appliquent aux faits actuels ou aux objets présents, ou bien
elles sont mises en jeu par des faits passés. Dans ce dernier cas
intervient une autre faculté, qui est la mémoire. Leur fonction¬
nement a pour point de départ des sensations ou des impres¬
sions, intérieures ou extérieures, transmises par l’intermédiaire
E^TELLIGENCE.
m
des nerfs sensitifs au centre cérébral, qui les perçoit, et où elles
5ont en quelque sorte élaborées. L’impression et la perception
qui lui succède, objectives ou subjectives, c’est-à-dire relatives
à une qualité ou à un rapport, sont instantanées ou plus ou
moins durables. C’est l’impression durable qui s’appelle mé¬
moire.
Il est remarquable à quel point celle-ci est variable selon les
individus et aussi selon les objets des impressions et dés per¬
ceptions. On est porté à penser, d’après l’observation, qu’il y a
autant d’aptitudes spéciales ou de mémoires particulières, que
de voies par lesquelles les impressions arrivent au centre de
perception. Tel se montre au plus haut degré doué delà fa¬
culté de conserver presque indéfiniment l’impression des sen¬
sations visuelles et tactiles, ou des qualités objectives de forme
et de couleur, qui ne reçoit qu’une empreinte éphémère des
sensations auditives, des perceptions de sons modulés ou arti¬
culés, des qualités sujectives ou des idées pures. Le contraire se
fait également observer, mais moins souvent toutefois, la faculté
des impressions objectives durables, ou ce qu’on appelle vul¬
gairement la mémoirè des yeux, étant plus généralement répan¬
due et semblant d’ailleurs se montrer d’autant plus développée
que l’autre l’est moins.
Nous avons dit tout à l’heure que les impressions sont trans¬
mises par les nerfs centripètes à leur lieu de perception, où
siègent les facultés intellectuelles. Il importe de remarquer que
cela n’implique point nécessairement que ce lieu de perception
doive être un cerveau proprement dit, dans le sens anatomique.
Nous entendons seulement qu’il s’agit d’un centre nerveux, ou
d’un ganglion. Il y a en effet des classes nombreuses d’animaux
qui, bien que dépourvus de cerveaa, se montrent néanmoins
doués d’intelligence au plus haut degré. Je n’hésiterais point,
pour mon compte, à affirmer, sûr de pouvoir en fournir la
preuve, que chez les bêtes les facultés intellectuelles les plus
développées se montrent précisément dans une classe d’inver¬
tébrés dont nous aurons plus loin l’occasion de nous occuper
longuement. Il est vrai que, pour la commodité des systèmes
psychologiques, les manifestations dont il s’agit sont attribuées
au pur instinct.
Pour étudier l’intelligence en elle-même, nous nous trouvons
dans cette situation favorable, à certains égards, que chacun de
nous peut se prendre pour sujet de ses propres observations.
Seuls, en outre, nous pouvons nous fournir le moyen de cons-
404
INTELLIGENCE.
tater celles de ces manifestations qui, précédant toujours les
actes, mais n’en étant pas nécessairement suivies, sont exclu¬
sivement intérieures et constituent ce qu’on appelle la cons¬
cience ou le sens intime. Celles-là, nous les refusons volontièfs
aux animaux dépourvus du langage articulé, à l’aide duquel
nous nous communiquons entre nous nos impressions, comme
si nous avions des moyens certains de nous assurer qu’elles
leur font défaut. Les philosophes spiritualistes n’hésitent point
à affirmer que la faculté de se replier en soi-même, que la ré¬
flexion, en un mot, est Tapanage exclusif de l’homme. Ils affir¬
ment bien d’autres choses dont ils ne seraient point davantage
en état de donner la preuve. Peut-on savoir ce qui se passé sous
le crâne d’un bœuf ou d’un lapin, à moins qu’on ne l’infère de
ses déterminations manifestées par des actes ? Et si on ne lé
peut savoir, qu’est-ce qui nous autoriserait à prétendre qu’il ne
s’y passe rien, en l’absence de mouvements extérieurs. « Que
faire en un gîte, a dit le fabuliste, à moins que l’on ne songe.»
Nous n’avons aucun moyen de nous assurer que laLestiole n’y
occupe point ses loisirs par des réflexions ; et il n’est pas besoin,
à coup sûr, que celles-ci, pour exister, soient de la force des
méditations d’un Descartes ou d’un Newton. '
L’bomme, dit-on, ne connaît pas seulement ce qui l’entourej
il se connaît lui-même, il a un moi, et seul il a ce moi, qui est
l’attribut essentiel de son âme. En vertu de quoi pouvons-nous
conclure que les animaux ne se connaissent point, si ce n’est en
vertu d’une conception a pnon, d’une pure affirmation dépourvue
de tout contrôle tiré des faits? Un tel problème n’est point sus¬
ceptible de recevoir une solution complètement satisfaisante.
Seuls les animaux seraient capables de nous faire savoir ce
qu’il en est, si nous avions à cet égard des moyens de nous mettre
en communication avec eux. Si les probabilités avaient, en un
sujet de cet ordre, la moindre valeur, les observateurs attentifs
seraient obligés d’admettre que toutes sont en faveur de la solu¬
tion contraire à celle qui a été adoptée par les psychologistes ;
mais le plus sage est d’écarter la question qui, aux yeux d’un sa¬
vant rigoureux, ne peut même pas être posée.
C’est cette facilité à se prendre soi-même pour sujet d’obser¬
vation intérieure, dont nous venons de parler, qui a été de tout
temps l’écueil de la psychologie. En rétrécissant outre mesure
le point de vue des idéologues pursj elle a donné naissance à la
métaphysique classique, dont les adeptes les plus résolus vont
jusqu’à mépriser l’expérience comme une source à peu près
INTELLIGENCE.
405
•certaiDe d’erreur, pour y substituer avec uu orgueil Yéritable-
ment puéril les infaillibles conceptions de leur école. De là
vient qu’à notre époque de science positive, le mot lui-même de
métaphysique est iD justement tombé en discrédit. Injustement,
car si la chose qu’il exprime le plus ordinairement n’est qu’un
tissu d’hypothèses non vérifiables ou déjà démontrées sans fonde¬
ment par l’expérience et l’observation suffisamment étendues, il
n’en est pas moins vrai qu’en son sens exact, ce mot mériterait d’ê¬
tre conservé. Les choses se présentent à nous sous deux aspects :
l’aspect concret, qui en est la physique ; l’aspect abstrait, qui
en est la métaphysique. La science, ou la connaissance de ce
qui est, élevée aux notions les plus générales, ne se divise donc
qu’en deux branches, correspondant aux deux ordres de facul¬
tés par lesquelles l’esprit humain peut les embrasser : la phy¬
sique et la métaphysique, en définitive la notion des phéno¬
mènes et celle des rapports.
C’est à cette notion de rapport entre les phénomènes, consi¬
dérée dans sa plus grande généralité, qu’on a donné le nom
d’abstraction. On attribue à une faculté intellectuelle particu¬
lière l’intervention dans tous les cas où il s’agit d’abstraire, et
son développement à un haut degré est considéré comme un
signe certain de supériorité intellectuelle. La faculté d’abstrac¬
tion est, bien entendu, refusée aux animaux. Que l’homme la
possède, ce n’est pas douteux. En écrivant ceci, j’en donne une
preuve suffisante, dans une mesure dont je ne suis pas juge. En
exerçant mon droit de critique sur les autres, je constate que
l’homme affirme à cet égard sa puissance en la poussant jusqu’à
l’abus, et j’en trouve même un exemple peu contestable dans la
liberté qu’il, s’arroge de se l’attribuer ainsi exclusivement.
Comme pour la faculté de réflexion, qui ne peut être constatée
que bien difficilement chez les brutes, nous n’en sommes pas
ici réduits à nous contenter de probabilités. Si nous admettons
que les animaux pensent, ce qui ne saurait être contesté, nous
sommes bien obligés de leur accorder à un degré quelconque
la faculté d’abstraction, car penser ce n’est pas autre chose
qu’abstraire, c’est-à-dire trouver et déterminer les rapports des
iaits. Seulement, nous ne pouvons avoir aucune idée exacte des
limites auxquelles s’arrêtent les faits sur lesquels les animaux
exercent leur faculté d’abstraction. Gela dépend, absolument
comme pour les hommes, des limites de leur horizon intellec¬
tuel, du nombre et de l’étendue de leurs impressions et de
leurs perceptions. Nous savons que celles-ci sont nécessairement
406
INTELLIGENCE.
chez eux moins nombreuses et plus bornées, mais nous n’igno¬
rons point que des races entières d’hommes ne sont sous ce
rapport guère mieux douées que certaines races animales, et
que beaucoup d’hommes, même dans les races les mieux
douées, ne laissent pas de se montrer, sous ce même rapport
inférieurs à certains animaux. Nous avons tous connu, parmi
nos semblables, des individus qui, par leur puissance intellec¬
tuelle ou par la moralité de leurs actes, avaient moins de droits
à notre estime ou à notre affection que certains chiens.
En réalité, la faculté d’abstraction ne peut point être envi¬
sagée indépendamment d’aucune des autres qui, avec elle,
constituent l’entendement complet. Elle est la résultante de
leur propre fonctionnement, et c’est pourquoi elle se manifeste
au plus haut degré dans les intelligences dont les diverses apti¬
tudes ont atteint un développement égal, où l’on peut dire
qu’elles sont bien équilibrées. Il y, a une erreur assez commune,
qui consiste à croire que l’aptitude mathématique, par exemple,
poussée à ses dernières limites, est la manifestation la plus |
complète de cette faculté. Si le terme n’était pris dans un sens
restreint, ce pourrait être exact. S’il ne s’agissait en particulier
ni de la géométrie, ni de la science des nombres, ou de ces
notions simples et générales sur lesquelles s’exercent le rai¬
sonnement et le calcul, mais bien tout ensemble de la physique
mathématique et de l’astronomie, qui prennent pour basé du
raisonnement et du calcul des observations et des expériences,
ou des choses concrètes, il n’y aurait point de raison pour
contester l’appréciation. Mais n’est-il pas évident que d’après-
les divisions convenues, l’aptitude mathématique pure ne-
s’applique qu’à l’une des manières d’envisager les choses, et
qu’elle ne met en jeu que l’un des éléments de la faculté
d’abstraction, ou plutôt que l’un de ses instruments, qui est
appelé la logique? Celle-ci n’est que l’art d’enchaîner les rai- ^
sonnements, sans s’occuper de déterminer les rapports des
objets qui en sont le point de départ, ou d’analyser leur nature
complexe, ce qui est à la fois le rôle le plus important et le plus
difficile de la faculté d’abstraction.
A ce compte, le plus grand mathématicien n’est donc pas
nécessairement l’homme le plus intelligent, et le plus grand
poète pas davantage. Ce sont là des aptitudes spéciales, qui n®
peuvent même pas être comparées entre elles, faute d’une
commune mesure pour les apprécier. Et c’est ce qui, soit dit en
passant, rend de si mince valeur les conclusions tirées des-
INTELLIGENCE.
407
rapports constatés entre la puissance intellectuelle et le poids
ou le Yolume du cerveau, cliez des individus de même race. Il
se peut, et il paraît même excessivement probable, que les
fonctions nerveuses ne diffèrent point à cet égard des autres, où
le grand développement de l’organe se montre en corelation
avec celui de la fonction; mais comme nous ignorons encore
où se localise chaque aptitude intellectuelle, et que nous ne
sommes même pas du tout sûrs qu’elle soit localisée, nous- ne
pouvons nous dispenser de trouver ces conclusions aussi hasar¬
dées que prématurées. S’il est vrai que quelques hommes de
génie, chacun en leur genre, sont remarquables par un cer¬
veau volumineux et lourd, il ne l’est pas moins que certains .
autres, également fameux, ont accompli leurs œuvres avec un
cerveau qui ne s’éloignait pas beaucoup de la moyenné par ses
dimensions et par son poids. Gratiolet en a cité plusieurs
exemples authentiques; et n’y en eût-il qu’un seul, cela suffirait
pour détruire la signification accordée à tous les autres, car où
se montre l’exception, la loi disparaît, la relation nécessaire
n’existant plus.
La puissance intellectuelle, résumée dans l’abstraction réelle,
qui conduit précisément à la découverte des lois, en d’autres
termes à ce que Claude Bernard a nommé le déterminisme des
phénomènes, résulte donc du parfait équilibre des facultés de
l’intelligence; elle n’est pas attestée suffisamment par l’exagé¬
ration de, l’une ou de l’autre de ces facultés, quelque remar¬
quable que soit, à son point de vue, l’aptitude spéciale qui en
résulte, et quelque cas que nous devions en faire à ce point de
vue même. Le plus grand poëte peut être en même temps
l’homme le plus absurde dans sa conduite, et cela s’est vu plus
d’une fois; le plus grand géomètre peut de même se montrer
d’une crédulité voisine de l’enfantillage et avoir recours, pour
la justifier, aux raisonnements les plus faux. L’intelligeùce
vraiment supérieure est celle qui, en tous les genres auxquels
elle s’applique, fait preuve d’une pénétration profonde et d’un
jugement sûr ; c’est celle dont les aptitudes se montrent à la
fois multiples et toutes développées au plus haut degré. En
dehors de là, il y a des hommes de génie, il n’y a pas à propre¬
ment parler de grandes intelligences.
Le génie s’entend des combinaisons ou des créations de l’in¬
telligence, qu’on appelle aussi parfois des œuvres de l’imagina¬
tion, considérée comme la faculté créatrice. Prise en ce sens,
l’imagination, elle aussi, a été refusée aux animaux, dont les
408
INTELLIGENCE.
œuvres, dit-on, commandées par leur instinct, ne sortent
jamais de la voie qui leur a été tracée une fois pour toutes. Si
Eon prenait le mot dans son sens étymologique, la controverse
serait moins facile à soutenir. Il est évident que les animaux
jouissent de la faculté de se retracer les images des objets qu’ils -
ont vus. Les chiens, notamment, ont des rêves ou des songes,
qui se manifestent par des mouvements clairement accentués,
durant leur sommeil. En considérant au contraire l’imagination .
comme la faculté qui fait sortir des voies battues pour en ouvrir
de nouvelles, comme la faculté créatrice de formes ou de com¬
binaisons intellectuelles inconnues jusqu’alors, on est encore
obligé de convenir, d’après l’observation, que, toute proportion
gardée, les animaux ne diffèrent point davantage de nous à cet •
égard. Nous aurons l’occasion d’en fournir des preuves plus
loin. Ce n’est, du reste, pour eux comme pour nous, qu’une -
conséquence de l’existence des facultés fondamentales, que -
nous avons maintenantà étudier comparativement. Ces facultés^ ^
nous devons le rappeler en ce moment, sont l’attention, la mé¬
moire, le raisonnement et le jugement. L’attention, qui fait -
observer les objets de la connaissance; la mémoire, qui les.
rappelle lorsqu’ils ne sont plus présents; le raisonnement, qui -
fait analyser leurs qualités ou leurs attributs; enfin, le jugé- ■
ment qui les compare et les détermine par leur abstraction et
qui provoque les manifestations de la spontanéité, ou autre- ^
ment met en jeu la volonté, d’où résultent les actes, conformes
ou non à l’babitude de l’espèce, c’est-à-dire traditionnels ou
individuels.
Nous allons passer en revue ces facultés, en constatant leur
existence, non par toute la série nombreuse des preuves capa-. ^
blés de l’établir, mais en nous bornant à invoquer les plus
décisives, afin de ne point dépasser les limites d’une démons- •
tration suffisante de la thèse qui doit être ici notre principal
objet.
Attention. — Chez les diverses espèces animales, tous les actes
de la vie de relation ont pour mobile la satisfaction d’un ins- -
tinct, tel que nous l’avons défini. On peut donc dire, sans sortir
de la vérité, que les manifestations intellectuelles sont partout
en raison proportionnelle avec les instincts, qu’elles ont pour
but de servir. Ces manifestations varient par conséquent, non
par leur forme, mais par leur degré, comme l’objet de l’instinct,
comme l’étendue de celui-ci, et surtout comme la multiplicité
des instincts. Il suit de là que les facultés intellectuelles se
INTELLIGENCE.
409
montrent d’autant plus développées que, par le fait d’une orga¬
nisation plus complète, les instincts, résultant de cette organi¬
sation même, sont plus nombreux.
L’attention est cette faculté en vertu de laquelle les organes
des sens, chargés de recevoir les impressions, peuvent être
appliqués d’une façon soutenue à un objet déterminé. En ren¬
dant ces impressions plus durables, elle en facilite la perception.
Elle est la condition première de la connaissance, et l’on peut
dire d’une manière générale que l’individu est d’autant plus
intelligent qu’il est plus capable d’attention.
Par son seul énoncé, la proposition n’est guère sujette à con¬
testation. Elle frappe par son évidence même, et elle est de
notoriété vulgaire, en ce qui concerne notre propre espèce. On
a des comparaisons usuelles pour exprimer le peu de consis¬
tance des personnes qui, avec une mobilité extrême, passent
d’un objet à un autre sans s’arrêter sur aucun, se donnant à
peine le temps de l’apercevoir, comme le petit oiseau qui, vol¬
tigeant ou sautillant de branche en branche, agite sans cesse la
tête et ne fixe son regard sur rien. Aussi, le premier soin de
toute éducation, à quelque sujet qu’elle s’applique, est-il d’ar¬
river à fixer l’attention et à la retenir autant que possible sur
l’objet de cette éducation.
Un exemple très-saisissant de la puissance de l’attention, et
en quelque sorte du mécanisme d’après lequel elle s’exerce, a
été donné, en „m outrant par un fait que tout le monde peut
vérifier, comment elle arrive à la fois à augmenter l’intensité
fonctionnelle des organes des sens et à faciliter la perception
des impressions qu’ils transmettent, en les précisant. Placez-
vous, a-t-on dit, un peu au delà de la portée de votre vue dis¬
tincte, en face du cadran d’une horloge publique. Si vous n’avez
aucune notion approximative de l’heure présente, vous cher¬
cherez en vain à déterminer sur ce cadran la place qu’occupent
les aiguilles de l’horloge, à moins d’appliquer successivement
votre regard sur chacun des points de sa circonférence. La vue
d’ensemble ne vous la donnerait point. Mais qu’au contraire
une connaissance préalable vous permette de circonscrire la
portée du regard à un petit espace déterminé, aussitôt l’atten¬
tion l’y fixe, l’impression est reçue, et la perception a lieu immé¬
diatement.
On a invoqué cet exemple comme une preuve de l’influence
de l’idée préalable sur l’observation du fait qu’elle concerne, de
l’influence du moral sur le physique. A cet égard, sa valeur
INTELLIGENCE.
ilO
n’est point davantage douteuse; mais elle ne diffère en aucune
façon de celle que nous lui attribuons ici; car, dans un cas
comme dans l’autre, les choses se passent absolument de même *
la notion agit toujours d’abord sur l’attention, en l’éveillant et
en déterminant son champ propre d’action. Que celle-ci soit
mise en jeu par une notion acquise, par une idée, ou par une
impulsion purement instinctive, le phénomène en lui-même ne
diffère point ; et l’on ne peut méconnaître, croyons-nous, qu’il
se produise dans toute la série des êtres qui ont une vie de rela¬
tion, aussi bien sous l’influence de l’un que de l’autre de ces
excitants. A cet égard il est même incontestable que l’homme
n’est pas celui qui s’en montre capable au plus haüt^ degré.
Giterait-on beaucoup d’hommes qui donnent la preuve d’une
dose d’attention supérieure à celle que déploie l’animal qui
guette sa proie, l’œil invariablement fixé, durant des journées
entières, sur le point d’où il suppose qu’elle doit venir? 11 suffit
d’avoir observé un chat guettant une souris, ce qui est à la
portée de tout le monde, pour n’avoir pas besoin d’autres preu¬
ves, qui seraient d’ailleurs faciles à donner. Le chien qui vous
regarde d’un œil si attentif, se tenant prêt a happer laLouchée
de pain que vous lui avez montrée, observant vos moindres
mouvements et les suivant de son regard si expressif; le lièvre,
si peu intelligent d’ailleurs, et si craintif, qui s’arrête au moin¬
dre bruit insolite, dressant l’oreille pour le mieux percevoir et
le mieux apprécier; ne voilà-t-il pas, dans leurs extrêmes, des
exemples certains de la faculté d’attention, commandée par .
l’instinct?
Mais, sans entreprendre d’établir que cette faculté obéit, chez
lès animaux, dans la même mesure qu’en notre propre espèce,
aux idées qui ne dérivent point de l’instinct, du moins directe¬
ment, il ne sera pas difficile de montrer qu’ils sont tout de même
capables de diriger leur attention sous l’influence de ces idées.
Entre autres cas, il faudrait pousser bien loin le sophisme pour
admettre que le chien d’arrêt, qui reste ferme, observant atten¬
tivement le gibier qu’il a devant lui et le fascinant en quelque
sorte du regard, en attendant le signal de son maître, obéit. à
son seul instinct. Par cela seul qu’il rapporte au chasseur ce
gibier tué ou blessé, on a la preuve que, dans son acte, il ne
s’agissait pas de lui, et que son attention, éveillée par la vue ou
par 1 odorat, ne l’avait pas été en vertu de l’instinct qui l’aurait
porté à se procurer une proie. Le mobile a donc été, dans cette
circonstance, une idée précisément contraire à cet instinct, une
INTELLIGENCE.
L\\
idée acquise par l’éducation, qiii a dû yaincre, pour se dévelop¬
per, le penchant naturel ou instinctif.
Nous n’insisterons pas sur ce sujet, devant le trouver mêlé
à tous ceux qu’il nous reste à examiner. L’exercice des autres
facultés intellectuelles suppose nécessamement, en effet, celui
de l’attention à un degré quelconque ; car ces facultés s’exer¬
çant sur les objets extérieurs, dont les qualités arrivent au
centre de perception par l’intermédiaire des sens, il faut bien,
pour cela, que ces objets aient été observés ; et ils ne sauraient
l’être sans que l’attention s’y soit arrêtée, peu ou beaucoup.
Mémoire. — Les impressions durables, de quelque genre
qu’elles soient, mettent en jeu la mémoire, qui est la faculté de
conserver le souvenir de leur perception, ainsi que nous l’avons
déjà dit. Il ne sera sans doute pas nécessaire de faire remarquer
que, plus immédiatement qu’aucune des autres, cette faculté
est en raison de celle d’attention, la durée des impressions étant
sous la dépendance directe de cette dernière, aussi bien d’ail¬
leurs que leur réapparition lorsque la mémoire les évoque. Si,
en effet, cette réapparition a souvent lieu spontanément, pour
mieux dire d’une façon inconsciente, il n’en est pas moins vrai
que l’attention, ou ce qu’on appelle la contention d’esprit, doit
intervenir pour éclaircir et préciser les souvenirs obscurs.
La somme d’idées ou de notions que l’organe de perception
peut emmagasiner, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et qu’il
est capable-4’éYoquer ensuite à sa guise, sous l’influence de la
mémoire, tient du prodige. C’est, de tous les phénomènes intel¬
lectuels, à coup sûr le plus merveilleux. Le nombre des notions
se rapportant aux objets actuels, qu’il s’agit de combiner pour
qu’elles donnent lieu à une pensée, n’est pas, en général, très-
grand. Les impressions de ces objets se présentent d’elles-
mêmes et peuvent s’effacer aussitôt perçues, puisque les com¬
binaisons d’idées sont à peu près instantanées. On peut donc
concevoir sans trop dé difficultés l’aptitude de l’organe à ces
combinaisons rapides. Mais que les impressions produites et
successivement perçues en si grande abondance, durant une
longue carrière, puissent subsister sans qu’il y ait encombre¬
ment, et pour ainsi dire superposées sans confusion, comme il
arrive pour les personnes douées d’une bonne mémoire, voilà
ce qui se conçoit difficilement, et ce dont la physiologie ne
nous rendra sans doute pas de sitôt compte. Il semble qu’à
l’exemple de ce qui se passe dans les plaques daguerriennes
impressionnées par la luinièré, la substance cérébrale sensibi-
412
INTELLIGENCE.
lisée manifeste ses images sous Tinfluence d’un agent révéla¬
teur, et qu’elles ne persistent pas au delà de la durée de son
action. Mais que de places sensibilisées et impressionnées en un
seul cerveau 1 II y a bien là de quoi rester confondu.
Un fait, que cbacun a pu observer sur soi-même, montre le
rôle des circonstances extérieures, même les plus indifférentes
en apparence, sur .les évocations de la mémoire. Celle-ci con¬
tracte des habitudes, en vertu desquelles les mêmes images, les
mêmes combinaisons d’idées, reviennent à peu près constam-;
ment dans de certaines conditions, par cela seul qu’elles se sont
une première fois présentées dans ces mêmes conditions, et cela
pour des choses on ne peut plus insignifiantes, sur lesquelles la
volonté ou l’attention ne s’étaient nullement arrêtées. Du reste:^;
qui ne sait qu’un des meilleurs moyens d’éveiller la mémoire,
endormie consiste à se placer au milieu des circonstances danS;
lesquelles s’est produit le fait qu’il s’agit de se remémorer? Par
une sorte d’action réflexe difficile à expliquer, mais nonobstant:
rendue certaine dans ses résultats par l’observation, il arrive
que le fait oublié se représente à la mémoire dès qu’on se trouve
en face du renouvellement de ces circonstances. La notion vagué:
devient aussitôt nette et précise.. Il arrive aussi qu’après de vains:
efforts d’attention, et alors qu’on a renoncé à retrouver le sou-;
venir perdu, ce souvenir revient tout à coup comme de lui^'
même.
Ce phénomène, non moins incompréhensible actuellement
que le précédent, concerne surtout les substantifs ou les no-:
lions purement abstraites, dont la mémoire est celle qui se perd
le plus facilement. Il y a dans la science des faits extrêmement,:
curieux de perte absolue de la mémoire des noms. Ces faits,;:
qui ont été beaucoup étudiés en ces derniers temps, sont attri¬
bués à un état pathologique qui a reçu les noms d’aphémie et
d’aphasie. Les uns le considèrent comme résultant de l’altéra¬
tion de la faculté du langage articulé, dont ils placent le siège :
dans la troisième circonvolution du lobe frontal gauche
r(P. Broca), les autres comme une conséquence de l’affaiblisse¬
ment de la faculté d’expression en général, résultant lui-même:
de l’affaiblissement total de la mémoire, dû à l’affaissement,
durable ou passager, des facultés intellectuelles en général. La
question est encore controversée, et les constatations anatomo¬
pathologiques semblent ne point justifier la conclusion de
Broca. Toujours est-il qu’on a cité des cas bien observés d’apha¬
sie, dans lesquels la troisième circonvolution du lobe frontal
INTELLIGENCE.
41 î
gauche n’était point altérée, et d’autres cas dans lesquels cette
circonvolution était détruite en totalité ou en partie, sans que
l’aphasie se fût montréè. Il n’en est pas moins vrai que chacun
peut observer sur soi-même des aphasies passagères à divers
degrés, et que, chez tout le monde, la mémoire la plus fragile
est celle des mots en général et celle des mots abstraits en par¬
ticulier. Durant le cours d’une fièvre typhoïde à forme dite
adynamique, qui ne m’avait enlevé aucune de mes principales
facultés intellectuelles, et qui en avait au contraire exalté quel¬
ques-unes, j’ai constaté un phénomène qui le prouve, je crois,
suffisamment. La mémoire de tout ce qui était antérieur au
début de ma maladie m’était restée intacte et même plus accu¬
sée que jamais. Je raisonnais sur tout cela avec une facilité
extraordinaire et vraiment maladive, en ce sens que je n’y met¬
tais aucune circonspection, parlant sans la moindre notion de
prévoyance, en somme me montrant incapable de réflexion.
Quant à la mémoire des choses actuelles, elle était complète¬
ment absente. Ce que je venais de dire était à peine fini que je
ne m’en souvenais plus. Le cerveau, sous l’influence de son sti¬
mulant altéré, avait perdu la faculté de recevoir des impressions
durables. Ces impressions, aussitôt perçues, étaient effacées.
Ne semblerait-t-il pas, d’après cela, qu’un sang normal impré¬
gnant la substance cérébrale est nécessaire aux réactions de
cette chimie merveilleuse, en vertu de laquelle s’y conservent
les impressions dont la mémoire est l’agent révélateur?
Toutefois, si la mémoire subjective avait entièrement disparu,
la mémoire objective n’était qu’affaiblie. Ce que j’avais vu, je
m’en souvenais jusqu’à un certain point. Je demandais l’heure
à peu près à chaque minute de la journée, et ce n’était point
que je fusse incapable de calculer le temps écoulé ; seulement
l’heure qu’on m’avait dite je l’oubliais immédiatement. A ce
propos, je veux consigner ici une observation curieuse, relative
à l’effet produit chez moi par l’état typhoïde sur le sens de l’au¬
dition. Lorsque les heures sonnaient à la pendule de ma cham¬
bre, le bruit grave résultant des vibrations du manche du mar¬
teau qui frappait le timbre métallique m’arrivait très-distincte¬
ment et je les comptais ainsi; celui du timbre n’était point
perçu, il m’échappait absolument, à cause, sans aucun doute,
de son acuité. Au delà d’un certain nombre et d’une certaine
longueur d’onde mon cerveau n’avait donc plus la faculté de
recevoir ou de percevoir les vibrations sonores. Un tel phéno¬
mène ne me paraît pouvoir s’expliquer autrement qu’en admet-
INTELLIGENCE.
4 U
tant une relation nécessaire entre l’aptitude, pour la substance 1
cérébrale, à receToir les impressions de ce genre et la qualité |
de son stimulant normal. Le sang, altéré comme il Test dans 1
l’état typhoïde, aurait perdu ce qui communique à cette subs¬
tance la faculté de recevoir l’impression des sons aigus. EtPon
remarquera que ce phénomène n’a rien de commun avec celui
de la surdité, dans lequel ce sont, au contraire, les sons bas et
graves qui échappent à la perception plus facilement que les
autres.
Revenons à la mémoire, dont il nous reste à constater l’exis¬
tence, sous les formes accessibles à notre observation, chez tous
les animaux ayant une vie de relation nettement caractérisée.
Cette existence, on ne peut pas la nier, et l’on est plus embar.-
rassé pour en choisir des exemples que pour en trouver. Ils sont
en effet extrêmement nombreux et de tous les instants. Tenons-
nous-en à ceux que fournissent les animaux domestiques, chez
lesquels ils sont plus faciles à vérifier. Le chien et le cheval, nos
plus intimes compagnons, nous donnent de si fréquentes preu¬
ves de mémoire, qu’il pourrait à la rigueur suffire de les nom¬
mer sans entrer dans aucun détail. Le cheval qui se venge,
souvent si cruellement, du palefrenier brutal dont il a reçu des
mauvais traitements ; celui qui garde rancune aux hommes en
général d’une offense de ce genre remontant à sa jeunesse, et
que l’on qualifie de méchant ou de vicieux pour ce motif ; le
cheval du colporteur ou du meunier qui parcourt librement
les chemins et les rues des villages, s’arrêtant de lui-même à la
porte de chacune des pratiques de son maître ; celui qui ramène
au domicile,, sans se tromper de route, son cavalier ivre ou en¬
dormi ; celui qui, se trouvant en face d’un chemin qu’il a déjà
parcouru une fois seulement en sa vie, se dispose à le prendre
de nouveau et s’y engage s’il n’en est détourné ; tous ces faits et
, tant d’autres, que tout le monde a pu observer, ne prouvent-ils
pas jusqu’à l’évidence une mémoire parfaitement déterminée ?■
On pourrait objecter que le développement de la mémoire est
ici un effet de l’éducation. Sans doute, mais l’objection serait
néanmoins dépourvue de portée ; car si l’éducation perfectionne
les facultés, elle est impuissante à les faire naître, à les créer;
leur perfectionnement même suppose nécessairement leur exis¬
tence préalable. La mémoire, d’ailleurs, se montre au plus haut
degré chez les animaux, en dehors de toute influence de l’édu¬
cation. Tîn fait qui remonte à l’époque de ma jeunesse, et qui
s’est vraisemblablement produit souvent, avant et depuis, va
. INTELLIGENCE.
413
rétablir d’une manière aussi précise que certaine. Mon père
possédait un' lévrier, avec lequel il alla un jour prendre
part à une chasse, à six lieues de la maison. C’était pour la pre¬
mière fois que l’animal se rendait dans la localité. Après le re¬
pos de la nuit, on se mit en chsisse le lendemain matin, en ce
pays tout à fait nouveau pour le chien. La chasse fut longue,
accidentée, et il s’y égara. Après bien des recherches infruc¬
tueuses pour le retrouver, mon père dut rentrer seul au logis.
Il y a bien longtemps de cela, mais Je me souviens encore comme
d’hier qu’au moment où mon père, fort chagrin, nous racon¬
tait, au coin du feu, sa mésaventure, que la perte de la pauvre
bête aimée nous rendait à tous très-cuisante, nous l’entendîmes
gratter à la porte avec des appels plaintifs. On lui ouvrit. La
scène de joie folle et de caresses interminables dont nous eûmes
le spectacle ne se saurait décrire. Tout entier au bonheur de se
retrouver au milieu de nous, le bon animal harassé, épuisé par
la faim, ne songeait qu’à nous le témoigner de la façon expres¬
sive dont ses semblables ont seuls le secret.
Il me paraît clair qu’en ce cas le chien, n’ayant eu pour se
rendre au lieu de la chasse qu’à se préoccuper de suivre son
maître, et non point d’observer les chemins par lesquels il pas¬
sait, en prévision d’avoir à les reconnaître pour le retour, n’en
a pas moins su revenir à la maison, sans le concours de per¬
sonne et avec le seul secours de sa propre mémoire des lieux
une fois parcourus. Et encore est-il vraisemblable qu’il n’a re¬
trouvé ces lieux qu’ après bien des recherches, car on ne le revit
point à la station qu’il avait faite avant de partir pour se mettre
en chasse. Qu’il se fût guidé vers notre maison par l’odorat ou
par la vue, l’emploi de ce dernier sens étant plus probable, à
cause du peu d’intensité de l’olfaction chez les lévriers, que ce
soit la méhaoire des odeurs ou celle des formes et des couleurs
qui eût été mise en jeu, il n’en est pas moins indispensable de
reconnaître, dans le résultat, l’intervention de la faculté dont
nous nous occupons.
Mais il est bien inutile d’insister sur un fait qui est de noto¬
riété vulgaire et qui se présente à chaque instant de la vie des
animaux pue nous observons. Tout au plus pourrait-on dis¬
cuter sur le degré comparatif de ses manifestations et sur le
genre des impressions auxquelles il se rapporte ! Pour mon
compte, autant d’après l’observation, que par suite des raison¬
nements auxquels se prête l’étude des rapports qui existent en¬
tre les diverses facultés intellectuelles, je serais disposé à ad-
416
INTELLIGENCE.
mettre qu’en ce qui concerne la mémoire, les animaux ne nous
le cèdent en rien, si même ils n’en sont pas doués plus généra¬
lement que nous et d’une façon plus intense, par cela même que
le champ de leurs combinaisons intellectuelles est plus restreint
ainsi que celui de leurs impressions. ’
Raisonnement. — Un raisonnement est une association d’idées
Une idée est la notion d’un fait. Il ne peut donc y avoir,
,les êtres animés, un acte volontaire ou intentionnel quelcon^e
sans qu’il y ait auparavant un raisonnement, c’est-à-dire une
relation de deux idées au moins. La relation ou l’association est
bonne ou mauvaise, le raisonnement est Juste ou il est faux
peu importe; pour qu’il ait ces qualités, il faut d’abord qu’il
existe. Celles-ci dépendent d’une autre faculté. Impression, per
ception, raisonnement, voilà jusqu’ici la succession des phéno¬
mènes intellectuels que nous avons examinés. L’étendue des
raisonnements dépend de la multiplicité des impressions; et
par conséquent des rapports établis entre l’être et le milieu dans
lequel il vit, du nombre de ses besoins instinctifs ou acquis.
L’être sociable raisonne plus que l’être solitaire, parce qu’il a
plus d’occasions d’échanger des idées.
C’est à propos de la faculté de raisonnement qu’on s’est le
plus efforcé d’établir une distinction radicale entre Thomme et
les autres animaux. Dans la doctrine qui a inspiré cette distinc¬
tion, les déterminations de ceux-ci seraient nécessaires, fatales,
toujours semblables pour les mêmes objets ; elles seraient en un
mot purement instinctives et inconscientes. L’animal n’aurait
pas la liberté de les varier, de les changer ; l’homme, au con¬
traire, aurait été doué de cette faculté, [qu’on appelle le libre
arbitre, et qui serait à proprement parler la liberté du raison¬
nement. ;
Contester ou reconnaître, absolunaent ou relativement, le li¬
bre arbitre, cela soulève un problème qui ne sera jamais ré|olu,
et que le sentiment individuel tranche seulement. Ce problème
n’est point, quant à présent du moins, du domaine scientifique.
Nous nous faisons volontiers l’illusion de croire que nous avons
la liberté du choix entre nos actions; mais sur quoi pouvons-
nous fonder notre prétention de dominer les raisonnements en
vertu desquels nous nous décidons ? Le libre arbitre est, conune
l’a dit Voltaire, je crois, une mer sans fond, que nous perdrions
notre temps à sonder. Nous pouvons seulement examiner les
faits qui ont été invoqués pour montrer que les animaux, aux¬
quels on le refuse en l’accordant à la seule humanité, se cou-
INTELLIGENCE.
417
duisent d’après des règles immuables et ne varient point comme
nous leurs actions suivant les circonstances. Le plus souvent
produit de ces faits est celui qui se passe dans la société des
abeilles. Il paraît le plus concluant de tous aux. observateurs
superficiels, parce qu’il donne en réalité l’exemple des actes les
plus complexes ; et c’est bien à coup sûr le plus intéressant à
étudier. On a cru y trouver une preuve irréfutable de la thèse,
et on l’a reproduit jusqu’à l’abus. Il n’y en a pas au contraire
qui soit plus propre à démontrer jusqu’à quel point cette thèse
est fausse, et aussi à mettre en évidence une faculté de raison¬
nement plus complète et plus étendue, en même temps que la
fragilité des conclusions absolues tirées de la comparaison entre
les facultés intellectuelles et la disposition des organes auxquels
elles sont attribuées.
Voilà, en effet, des petites bêtes dépourvues de cerveau pro¬
prement dit, et qui nous donnent l’exemple d’une société ad¬
mirablement ordonnée, où tout est prévu, non pas en vue de la
conservation de l’individu, ce qui est instinctif et commun, à
tous les êtres organisés, mais en vhe de la pérennité de cette so¬
ciété même. En faveur de cette pérennité, chaque .individu y
fait abnégation de sa propre individualité, pour se consacrer
exclusivement à raccomplissementjifi^ipart de devoir, veillant
avec un soin jaloux à ce que chacun de ses pareils fasse de
même. Dans la ruche, tout est raisonné, voulu, exactement ap¬
proprié à son but; et l’on y observe parfois jusqu’à la lutte dé¬
sespérée contre les chances défavorables qui viennent s’opposer
à ce que ce but soit atteint. Ils se son! montrés bien ignorants
de ce qui s'y passe, ■ ceux qui ont cru pouvoir s’autoriser de
l’exemple des abeilles pour refuser victorieusement aux ani¬
maux la faculté de raisonner et de se conduire d’après leur rai¬
sonnement.
La première preuve qu’ils aient invoquée, c’est que les abeil¬
les, depuis les temps les plus reculés, construiraient toujours
leurs alvéoles d’après une forme déterminée, qui est la forme
hexagonale, et qu’elles seraient impuissantes à les construire
autrement. Nous ignorons si les abeilles sont arrivées dû pre¬
mier coup à cette forme arrêtée, ou si elles y ont été conduites
par une série de tâtonnements. La question est discutable et
discutée. On peut juger superflu de s’en occuper, faute de
moyens d’y trouver une solution certaine. Toujours est-il que
la forme hexagonale est celle qui se prête le mieux à faire tenir,
en un espace donné, la plus forte somme possible d’alvéoles.
27
X'.
418
mTELLIGENCE.
Que les abeilles aient été douées de l’instinct géométrique à ce
degré, personne n’est en mesure ni de l’affirmer, ni de le con¬
tester. Ce qui importe, c’est de savoir si elles construisent des
cellules hexagonales en vertu d’un entraînement fatal et incons¬
cient, et si elles sont incapables de travailler d’après aucun
autre modèle. On l’affirme, mais en l’affirmant' on ne prouve
qu’une chose : c’est qu’on n’a point observé les ruches. Il suffit
d’y jeter -un simple coup d’œil pour s’assurer que rien n’dst
moins exact. D’abord on voit que sur le contour des rayons pu
gâteaux de cellules, il y a une série de celles-ci, servant à éta¬
blir l’adhérence du rayon au local qu’il occupe, et dont la
plupart ne sont point hexagonales. Il y en a detriangulairesi de
trapézoïdes, de pentagonales, régulières ou irrégulières, sui¬
vant l’espace qu’il s’agissait de remplir, entre la paroi du local
et la cellule la plus voisiné, devant servir au développeméht .
d’une larve ou à recevoir la provision de miel.
On sait que dans une ruche les alvéoles devant contenir des
larves de mâles ont des dimensions plus fortes que celles des
alvéoles d’ouvrières, bien qud toutes aient la même forme.: Or
il arrive que suivant les besoins ^e la population, alors qu’un
gâteau est en construction, il y a lieu d’adopter un autre genre
de cellules pour le terminer.. IL , se .composait, par èxemplé,.
d’abord d’alvéoles de mâles ou d’alvéoles d’ouvrières; ce sont
ensuite des alvéoles d’ouvrières ou des alvéoles de mâles que.
les petites travailleuses doivent y ajouter. Il n’est pas nécessaire '
d’être un bien fort géomètre pour comprendre que deux hexa¬
gones de dimensions différentes ne puissent pas s’adapter e:^a£-
tement l’un à l’autre, et qu’il ne saurait s’en établir le , même
nombre dans le même espace. Il y a donc une transition néces¬
saire entre le dernier rang des petites cellules et le premier
des grandes, ou réciproquement. Eh bien, on observe dans cette
transition toutes lesformes dontnous avons parlé tout à l’heure.
Il s’agit de ménager l’espace. Les abeilles ouvrières y pourvoient
avec une remarquable précision. Mais ce qu’il faut surtout rete¬
nir du fait, c’est que, contrairement à l’affirmation plus haut
relevée, les abeilles ne sont point inhabiles à construire des cellu¬
les autres que des hexagonales. Ajoutons en passant que la mère
n a garde de pondre dans les alvéoles de transition à formes va¬
riées et que ces alvéoles ne servent jamais qu’à l’emmagasinage
du miel ou du pollen; ce qui peut aussi passer pour une mar¬
que de prévoyance raisonnée.
Cette prévoyance raisonnée, elle se montre dans tous les actes
mTELUGENCE.
M9
■<le la Tie des abeilles, ayec une évidence éclatante. Parlons
d’abord des provisions de miel, que les ouvrières amassent en
butinant avec une ardeur soutenue. On pourrait croire que c’est
une pure affaire d’instinct de conservation individuelle. Point
du tout! Si un instinct intervient en cette affaire, ce ne peut
être que celui de la sociabilité, ^ moins qu’on ne Fàttribue,
comme cela est arrivé, à une sorte d’imbécillité qui empêche¬
rait chaque individu de mesurer ses propres besoins, à une
crainte stupide^ qui ferait entasser les provisions superflues.
On va voir, au contraire, par l’exposé des principales condi¬
tions d’existence de la république des abeilles, que tout y est
prévu, raisonné, ordonné et exécuté avec üne adniirable pré¬
cision, dont les sociétés humaines feraient bien de s’inspirer.
Il n’y a nulle part un exemple plus parfait de l’ordre dans
la liberté et dans le travail, c’est-à-dire dans l’accomplisse¬
ment des devoirs sociaux. Les bêtes nous donnent à cet égard
des leçons qui nous profiteraient, si nous les suivions mieux,
au lieu de nous infatuer de la_ supériorité que nous nous
attribuons suf tous les points.
Dans la ruche, il n’y a qu’une seule femelle complètement
développée, dont l’unique fonction est de pondre des œufs
en quantité vraiment prodigieuse. Peu de jours après qu’elle
a atteint son développement complet, elle s’accouple une seule
fois pour toute sa vie, qui doit durer de trois à quatre ans.
Le liquide séminal qu’elle reçoit du mâle dans cet accou¬
plement pénètre dans une vésicule dont elle est pourvue.
Cette vésicule, chez la femelle vierge, contient un liquide
transparent, qui devient opaque et laiteux, lorsque l’autre
s’y est mêlé. L’œuf pondu sans en avoir été imprégné à son
passage dans l’oviducte donne invariablement naissance à un
individu mâle ; celui qui a reçu au contraire l’imprégnation
4u liquide de la vésicule devient toujours une femelle. Dans
l’ovaire, tous les œufs sont donc mâles et capables de donner
des embryons en l’absence de- 'toute ‘ fécondation ultérieure,
dans le sens qu’on accorde généralement à ce mot. Il y a là
un phénomène encore inexpliqué, qui a reçu le nom de par-
thénogénèse, et qui ne saurait être mis en doute, l’observa¬
tion l’ayant démontré de la manière la plus certaine. Je ne
fais que l’indiquer ; ce ne serait pas le lieu d’y insister. Nous
devons seulement constater que l’abeille mère, pourvue de
liquide séminal, dépose ses œufs au fond des alvéoles avec une
infaillible précision, sans jamais se tromper, sans jamais pon-
420
INTELLIGENCE,
dre, dans les conditions normales, un œuf imprégné dans
une grande cellule, ni un œuf non imprégné dans une petite;
Quand on l’observe dans l’accomplissement de cette fonctîôtf
importante, on la voit se promener à la surface du’ gâtéâ^f
passer d’une cellule à l’autre, courber son abdomen potÿ
l’introduire au fond de chacune , et lorsqu’il y a lieu inter?
rompre sa ponte dans les alvéoles d’ouvrières pour la contii^
nuer dans les cellules de mâles, et réciproquement. Cela dépend
des besoins prévus de la colonie, de sa force en population ;ef
du moment de la saison. Si la population est faible, là mèii^‘
ne pond que des œufs d’ouvrières qui devront la renforcéF^J
si elle est forte et qu’un prochain essaimage doive se-prd-f
duire, pour éviter l’encombrement de la ruche, comme il coû?'
vient d’assurer la fécondation du la femelle qui lui succédera"
lorsqu’elle sera partie avec son essaim, elle se met en devdif
de pondre des œufs de mâles ; et> s’il n’y à pas à sa disposiêdii
des alvéoles propices, Jes ouvrières, de leur côté, s’empàes'?
sent de lui en construire, a moins que la place ne leur fassë
défaut.. ^ ^
Les abeilles ouvrières sont des femelles dont les organe^
sexuels restent à l’état rudimentaire, à cause de la npurr!?‘
ture que reçoivent leurs larves. G’est elles, qui -pourvoient^
avec une sollicitude et une prévoyance incroyables, à tous lèS'
besoins de la ruche. Elles la bâtissent, elles en font la police';
par une active surveillance: mutuelle, elles la défendent contre^
ses ennemis, elles en assurent l’hygiène et elles la munissent de:’
ses provisions pour la saison d’hiver. Tous leurs actes sontévi-'
demment dirigés en vue de la perpétuité de leur race, enVue dd^,
la collectivité ; pourtant chacune d’ellés est inféconde et sa vie:,^
individuelle ne doit pas durer plus de quelques mois. Aussi' il"
faut voir de quelle sollicitude intelligente la mère, sur laquelle
repose l’avenir de la soniété, est entourée par ces merveilleusé& „
petites bêtes ! Celle-là vient-elle à disparaître, ce qui arrive dans ^
le cas d’essaimage, ou à périr accidentellement, l’inquiétude est^
dans la ruche et elle se manifeste par des signes non douteux d’a-- '
gitation. Si, à ce moment, il y a des œufs fraîchement pondus oa ^
des jeunes larves âgées de moins de six jours, ce qui ne man(|i^
jamais lors de l’essaimage, la chose ayant été prévue, les ouv^iè- ^
res s empressent de construire autour de plusieurs de cês œufe/j
ou de ces larves des cellules maternelles et de les pourvoir de ^
nourriture appropriée au développement des femelles cbmplètes. .
Elles ne se calment qu’après le travail achevé. La mort de leur
INTELLIGENCE. 421
mère, survenue par accident, les ayant prises au dépourvu,
éllés ont certainement conscience du péril extrême dans lequel
sé trouve leur ruche, chacune sachant évidemment queses pro¬
pres jours sont comptés, cariln’y a pas de sorte d’efforts qu’elles
né fassent pour tenter de le conjurer. Quelques-unes d’entre
elles vont jusqu’à faire développer leurs propres ovaires et à
acquérir la faculté de pondre des œufs qui, ne pouvant être
imprégnés, ne donnent malheureusement naissance qu’à des
mâles dans les alvéoles ordinaires, et meurent à l’état de larve
dans les cellules maternelleSjin habiles que sont ces larves mâles
à supporter la nourriture élaborée en vue du développement
des femelles complètes. Le suprême effort de conservation
sociale a donc été vain ; mais il n’en a. pas moins toute sa signi¬
fication.
Xes mâles, eux, n’ont d’autre rôle à remplir que celui de
s’accoupler avec la femelle et d’assurer sa fécondation. Ils sont
nombreux dans la ruche, afin que le but ne soit pas manqué.
Jusqu’au moment de l’essaimage, ils consomment sans rien pro¬
duire et les ouvrières travaillent pour eux. Une fois quelajeune
mère est revenue à la ruche en y apportant le signe de son ma¬
riage, l’un d’eux. aya^Qt.aççômplifafonction qui leur était dévo¬
lue, leur sort varie selon les circonstances. Si la miellée est bonne
et que les provisions soient surabondantes, ils sont tolérés. Dans
le cas contraire et pour peu qu’il y ait des craintes de di-
settepour la fin de l’hiver, les ouvrières les mettent immédia-
tecaent à mort. C’est ce qui arrive le plus ordinairement. Elles
ne souffrent point parmi elles les bouches inutiles, les consom¬
mateurs improductifs, à moins qu’elles n’aient du superflu. La
société des abeilles est avant tout fondée sur la loi du travail ;
et c’est pour cela que l’ordre y règne si bien.
tJn mois environ après l’essaimage d’une ruche, le devant de
son tablier est jonché de cadavres de mâles, car les ouvrières ne
souffrent dans son intérieur rien de ce qui pourrait nuire à sa
salubrité. Si par hasard un objet altérable s’y est introduit et
qu’elles ne puissent l’en expulser, elles prennent le parti de
l’énibaumer en l’entourant de propolis.
Nous n’avons dit qu’une faible partie des mœurs des abeilles,
qui se retrouvent à peu près semblables chez tous les insectes
sociaux, chez les pucerons, les fourmis, etc. Certaines fourmis,
elles, vont encore plus loin, elles ont des esclaves ou des ani¬
maux domestiques. Mais ce^u’on vient de voir suffit ample-
" ment, je pense, pour qu’il ne paraisse pas possible de contester
422
INTELLIGENCE.
à ces insectes la faculté de raisonnement poussée à son plus
haut point, qui est la prévoyance, ou la notion de l’avenir. Gétte
faculté dépasse notoirement, chez les abeilles, ce qui concerne
Tndividu, pour s’étendre jusqu’à la société. Lesfaits sont appré¬
ciés et les actes individuels dérivent de leur appréciation. Ges
actes varient comnaeles circonstances. Je demande ce que nous
faisons de plus, mous qui avons à juste titre la prétention de
raisonner nos actions. Si nous reprenions un à un les actes
passés en revue, n’y trouverions- nous pas toujours de quoi sa¬
tisfaire pleinement à notre définition du raisonnement? Et
pourrait-on maintenant entreprendre de soutenir de bonne foi
que les abeilles obéissent purement et simplement à leur iifâ-
tinct et n’accomplissent que des actes inconscients ?
Pourtant, répétons-ie, il s’agit là d’animaux dépourvus de cer¬
veau. Ghez les vertébrés, considérés comme munis d’un , sys^
tème nerveux plus complet, nous rencontrerions difficilement
des preuves plus remarquables de la faculté de raisonnement
dont nous nous occupons en ce moment. Je doute même, pour
mon compte, qu’il s’en trouve d’aussi concluantes. Les castors,
qui se construisent sur pilotis des demeures si curieuses, nous
offrent toutefois quelque chose d’analogue, comme état social.
Èt à ceux qui voudraient encore ici ne voir que les conséquences
fatales d’un instinct natif, on pourrait citer l’exemple- authen¬
tique des castors des bords du Rhône, qui, ne trouvant plus les
conditions d’une sécurité suffisante dans leurs habitations
construites suivant le mode traditionnel, ont pris le parti de
les abandonner pour s’en creuser de nouvelles dans les rives du
fleuve. De maçons qu’ils étaient, ils se sont faits mineurs. Pour
accomplir ce changement dans leurs mœurs, ne leur a-t-il pas
fallu apprécier les nouvelles conditions qui s’imposaient à eux
et prendre un parti décisif ? Si ce n’est pas là raisonner, qu’est-ce
donc? :
Mais nos animaux domestiques, avec lesquels nous vivons, nc-
nous fournissent-ils pas chaque jour mille preuves de leur apti¬
tude à associer des idées. Je crains vraiment d’entreprendre de
démontrer une chose trop évidente. Je veux cependant exposer
encore un fait que j’ai moi-même eu l’occasion d’observer. J ei
possédé durant quelques années un cheval fort intelligent qui,-
pour satisfaire sans doute une vieille rancune, avait la. déplo¬
rable coutume de mordre cruellement ceux qui l’approchaient
sans précaution. Tant qu’il vous voyait attentif à ses mouvements,
il prenait l’air le plus innocent du monde, et se tenait coi. 0^
INTELLIGENCE.
423
tfavaitpas plutôt le regard tourné qu’il vous happait sournoise¬
ment. n rachetait ce yice grave par une énergie, une solidité et
une adresse rares, sous le cavalier. Entre autres preuves de son
adresse, il me donna bien des fois celle de se débarrasser de son
licol pendant la nuit, quelque soin qu’on prît pour le fixer soli¬
dement à sa tête. Ce n’était point par pur caprice qu’il se déta¬
chait ainsi. Le coffre à avoine était dans son écurie, et il lui
plaisait d’y aller manger quelque peu. 11 n’en prenait point,
chaque fois, de quoi se donner une indigestion. Pas si bête ! Ce
coffre était fermé par un couvercle. Mon cheval soulevait le cou¬
vercle avec le bout de son nez. On y mit un cadenas : il brisa le
cadenas avec ses dents. On mit sur le couvercle une pierre pe¬
sant plus de vingt kilogrammes : le lendemain matin, la pierre
était sur le sol, devant le coffre. On prit le parti de retourner le
coffre de manière à ce que les charnières fussent en face et l’ou¬
verture du côté du mur près duquel le coffre était appliqué ; la
pierré fut remise dessus. Celle-ci se trouva encore par terre, le
coffre avait été éloigné de la muraille par un de ses coins, juste
de la quantité nécessaire pour que le couvercle pût être sou¬
levé avec les dents. Ces 'dernières avaient laissé, du côté des
charnières, des traces de tentatives préalables. Il fallut en arri¬
ver à l’enlèvement du coffre de l’écurie, tous les moyens de
mettre en défaut la perspicacité de l’animal rusé ayant été
épuisés.
Est-il besoin d’analyser ce fait, pour y rechercher les marques
delà faculté de raisonnement qu’il indique? Il n’est pas, je
crois, dans les instincts des chevaux d’ouvrir les coffres pour y
puiser l’avoine qu’ils ' peuvent contenir, encore bien que cette
avoine soit fort de leur goût. Pour satisfaire sa gourmandise,
mon cheval s’est ingénié à déjouer tous mes calculs, il a com¬
pris tous mes artifices, et il a eu le dernier mot dans la lutte
engagée contre son intèlligence. En somme, il s’èst conduit
d’après les raisonnements parfaitement appropriés au but que,
chaque fois, il se proposait d’atteindre, puisqu’il n’a jamais
manqué d’y arriver, quelques obstacles variés qu’on lui eût
opposés.
Jng'ewiënL— Dans le sens psychologique du mot, le jugement
est la: faculté en vertu de laquelle le raisonnement aboutit
toujours aune conclusion juste ou vraie, conforme à la réalité
des chosés. Il ne faut point le confondre avec la faculté syllogis¬
tique, qui ne s’entend que de l’art d’enchaîner les raisonne¬
ments d’après certaines formes, et qui peut aussi bien conduire
m
INTELLIGENCE.
au sophisme ou à l’erreur qu’à la vérité. Dire d’un homnie qu’il
a le jugement faux, comme on le dit souvent, cela équivaut à
faire entendre qu’il y a des lacunes dans l’ensemble de ses fe-:
cultés intellectuelles, et que ses raisonnements pèchent, ou
par l’association des idées qui les composent, ou par lesimpres-.’
sions ou les perceptions qui ont fait naître ces idées. En réalité^
la fausseté du jugement n’est que son insuffisance ou son
absence. Le jugement sain résulte d’une appréciation exacte des
faits qui servent de base au raisonnement, et c’est dans la déter¬
mination de ces faits qu’il intervient surtout. Il serait donc
mieux nommé la faculté d’analyse, car les faits une fois bien
posés, ils s’enchaînent ensuite comme d’eux-mêmes, et leur
synthèse s'établit toute seule parmne démonstration qui s’im¬
pose à l’intelligence. La faculté du jugement est par conséquent
la résultante des autres arrivées -à un certain degré de déyelopv
pement. Ce n’est qu’une manière d’exprimer leur fonctionne¬
ment complet ; c’est le couronnement de l’intelligence, dont la
faculté - de raisonner, considérée isolément, peut n’être que
l’abus, ainsi que les dialecticiens ou les logiciens purs nous
en donnent de si fréquents exemples. La logique et la dialec¬
tique ne sontpas toujours justes, tant s’en faut. Le syllogisme
le plus irréprochable, comme constructioû, conduit à l’erreur
nécessairement, si logiquement enchaînées que soient ses di¬
verses parties, si la proposition majeure en est fausse; et c’est sur
elle particulièrement que doit s’exercer le jugement; c’est elle
qui doit être vraie, qui doit contenir une vérité universelle¬
ment admise, ou sinon préalablement démontrée.
Nous constatons l’-existence de la faculté du jugement par ie
rapport établi entre les actes et les faits qui les inspirent, parda
proportion entre le but et les moyens employés pour y parve¬
nir. Il n’y en a pas de meilleure mesure absolue. Relativement,
chacun de nous prend pour base de comparaison sa propre
opinion. Le jugement juste est celui que nous avons, le faux,
celui que nous n’avons pas. Quand il s’agit de décider entre les
deux, c’est la majorité qui fait loi. Il n’y a pas d’autre moyen
pratique d’en sortir.
Pour <;é qui concerne les espèces animales sur lesquelles
nous discourons, il n’en est plus tout à fait de même. Étant
généralement admis que notre espèce à nous est douée au plus
haut degré de la faculté du jugement, nous avons seulement à
voir si les actes des autres animaux s’exécutent, quand ils sont
raisonnés, dans d’autres conditions que les nôtres. Nous igno-
INTELLIGENCE.
425
TOUS les jugements que les animaux portent les uns sur les
autres, quant à là valeur comparative de leur intelligence. Nous
n’avons aucun moyen.de savoir s’ils se sont fait, comme nous,
une métaphysique à leur usage, et s’ils sont susceptibles de se
laisser entraîner à toutes les aberrations que nous constatons,
en ce genre, dans l’esprit humain. Ce qu’ils pensent sans le, ma¬
nifester par des actes, ce que nous appelons la réflexion ou la
méditation, est pour nous un abîme insondable. Il n’est pas à
notre portée de vérifier s’ils ont ou non, par exemple, ce senti¬
ment de la religiosité, dont on a voidu faire un critérium dis¬
tinctif entre eux et nous, pour établir un règne humain en
dehors du règne animal. Ce qui n’est pas douteux, toutefois,
c’est que, à d’autres points de vue, les animaux se jugent et
nous jugent nous-mêmes, et qu’ils approprient leurs actions
au jugement qu’ils ont porté sur les objets auxquels ces actions
se rapportent. Le molosse qui regarde dédaigneusement le ro¬
quet qui le poursuit de ses aboîments provocateurs ne nous
dit-il pas, par sa seule attitude, le peu de cas qu’il en fait? La
différence de conduite que montre un cheval monté par des
cavaliers différents, suivant qu’ils sont plus’ ou moins expéri¬
mentés, ne nous fait-elle pas voir qu’il a parfaitement cons¬
cience de l’issue qu’au raient, dans chaque cas, ses résistances?
Et par cela seul qu’il lui arrive, excité par la colère, de s’em¬
porter et de ne plus obéir à aucun frein, n’est-il pas évident
que sa soumission habituelle est un acte raisonné, le résultat
d’un jugement délibéré?
Ce jugement délibéré, nous le retrouverions dans tous les
exemples déjà donnés à l’appui de l’existence des autres facul¬
tés intellectuelles dont nous nous sommes occupés, et dans bien
d’autres encore qu’il nous serait facile d’accumuler, en passant
la revue de tous les genres d’animaux dont les mœurs nous
sont bien connues. La finesse et la ruse du renard, notamment,
sont proverbiales. Les chasseurs ne tarissent pas en anecdotes
sur les combinaisons auxquelles se livrent les vieux loups, les
vieux cerfs et les vieux sangliers expérimentés, pour leur échap¬
per. Ils obéissent en cela, dira-t-on, à leurs instincts. D’accord;
mais nous autres, que faisons-nous donc quand nous raison¬
nons nos actions? Avons-nous d’autre but que d’échapper à un
danger pu d’arriver à une ^satisfaction d’un ordre plus ou
moins relevé? Nous apprécions l’un ou l’autre et nous jugeons
des moyens les meilleurs pour atteindre le but. Les animaux
font de même et ils se trompent peut-être moins souvent que
426
INTELLIGENCE.
nous, parce que le champ de leur action intellectuelle est moin&
étendu que le nôtre. Il leur arrive d’atteindre à un degré de pré¬
cision, pour certains de leurs actes, qu’il ne nous serait guère
possible de surpasser. J’en veux citer une preuve invoquée par
Simonot {Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, t. Yl
année 1865, p. 642), parce qu’elle est très-frappante. «Un cha¬
mois, dit-il, se repose sur la pointe d’un rocher; tout à coup,
sans que rien soit venu troubler sa tranquillité, il redresse la
tête, fixe pendant un certain temps son regard sur le rocher
voisin, regarde tout autour de lui, s’incline vers l’espace qui
l’en sépare, revient prendre son attitude première, recommence
son examen, puis, à un moment donné, se ramassant sur lui-
même, essayant à plusieurs reprises son élan, il s’élance, et
arrive avec une précision remarquable sur un point à peine
suffisant pour y placer ses quatre pieds réunis ; malgré cela
cependant il s’y maintient en acquérant, par les oscillations de
son corps, les conditions d’équilibre qui lui sont nécessaires.
— Que, pour ce chamois, le changement de place soit dicté par
un instinct, c’est possible, mais dans le regard scrutateur préa¬
lablement fixé sur le point où il veut arriver, dans cet examen
de l’intervalle qui l’en sépare, nous ne pouvons méconnaître
l’attention; dans cette accommodation: de tout son corps pour
mesurer ses mouvements à l’étendue qu’il lui faut franchir, .
nous retrouvons le raisonnement, et la précision avec laquelle
il arrive à son but dénote bien certainement du jugement. »
L^analyse de ce simple fait atteint la lumière de l’évidence, et
nous ne saurions mieux terminer que par elle la présente esquisse
de psychologie comparée. Si imparfaite que celle-ci soit, elle
suffira, j’espère, pour entraîner le lecteur qui l’aura suivie sans
parti pris philosophique k cette conclusion que l’intelligence,
à des degrés divers de développement ou d’étendue, est l’attri¬
but de tous les êtres organisés qui composent le règne animal,
et que particulièrement elle ne peut point être contestée aux
animaux domestiques, qui sont ici l’objet de nos études. Toutes
les facultés dont l’homme s’enorgueillit bien à tort, etau mono¬
pole desquelles nos philosophes spiritualistes prétendent pour
lui, nous les avons retrouvées et mises en évidence chez eux.
Ils reçoivent des impressions, les perçoivent et les conservent
par la mémoire, comme nous ; ils les précisent et les rendent
plus fortes par l’attention, comme nous ; ils associent par le
raisonnement, comme nous, les idées qui en résultent et qui
les représentent, et ils dirigent les actes auxquels ces idées las-
EtYAGINATION.
427
conduisent, par le jugement ; comme nous, enfin, ils généra¬
lisent tout cela pour en tirer des combinaisons nouvelles, qu’ils
manifestent par des actes qu’aucun de leurs semblables, ascen¬
dants ou contemporains, n’avait accomplis avant eus.
Les animaus domestiques sont donc des êtres pensants, par
conséquent sensibles, intelligents et sociables. Nous ne devons
pas’ l’oublier, afin de les traiter dans tous les cas comme tels.
A. SANSON.
INTOXICATION. Voir Empoisonnemeistt.
INVAGINATION. Ce mot est formé de in, dans, et vagina,
gaîne. Il est synonyme d’intussusception, de intus, dedans, et
mseipio, je reçois.
Par invagination ou intussusception intestinale, on désigne
une lésion du tube digestif consistant dans la pénétration ou
l’introduction avec renversement d’une portion de l’intestin
dans celle qui la- précède ou la suit, de telle sorte qu’une inva¬
gination est constituée par trois cylindres superposés, qu’on
peut distinguer en externe, médian et interne. Le premier
représente la gaîne, ou cylindre enveloppant , le second est le
cylindre sortant, et le troisième ou profond, le cylindre entrant.
La muqueuse de la gaîne est en rapport avec celle dn cylindre
médian, et la séreuse de celui-ci est adossée contre la même
membrane du cylindre entrant.
La plupart des auteurs ont décrit ensemble l’invagination et
le volvuius ; il faut pourtant distinguer ces lésions, car le mot
volvulus doit être réservé pour exprimer la torsion ou l’entor¬
tillement des intestins.
L’invagination a été observée chez toutes les espèces domes¬
tiques, notamment les Solipèdes, les Ruminants et les Carni¬
vores. Cette lésion ne constitue pas, habituellement, une
maladie proprement dite; c’est plutôt, au moins chez le cheval,
une des complications de l’inflammation violente de l’intestin.
Cet accident est rare chez le cheval et le bœuf; on l’observe
assez souvent chez le chien.
L’invagination affecte plus particulièrement l’intestin grêle;
dans ce cas elle se montre de préférence sur l’iléum, d’où le^
nom dHléus, qui lui a été quelquefois donné ; parfois elle inté¬
resse le jéjunum, plus rarement le duodénum. Qn l’a observée
également dans le cæcum, le côlon, le rectum. La matrice peut
aussi être le siège d’une invagination ou renversement, dont
nous renvoyons l’étude à l’article Parturition. Dans le présent
INVAGINATION.
article, nous aurons exclusivement en vue rintussusception
intestinale proprement dite, et, pour le moment, nous laisse¬
rons de côté cet accident connu sous le nom de renversement
du rectum, bien qu’il constitue une variété d’invagination.
Mais, par sa fréquence et par les moyens thérapeutiques qu’il
réclame, cet accident mérite une description spéciale Ren¬
versement du rectum).
§ I. — Caractères anatomiques.
LÉSIONS LOCALES.^— A. Invagination de l’intestin grêle dans ce
viscère lui-même.
Les lésions qu’on rencontre à l’autopsie des animaux ayant
succombé à une invagination de l’intestin grêle sont plus ou
moins prononcées. D’une manière générale, elles sont surtout
accusées sur le tube médian. Ainsi, on constate que la mu¬
queuse de ce tube est noirâtre, épaissie, boursouflée ; elle se
déchire par le plus léger effort ; assez souvent elle est couverte
par places d’une couche d’ exsudât jaune grisâtre. La-séreuse,
quoique viveinent enflammée, l’est pourtant moins que la mu¬
queuse ; elle adhère plus ou moins, suivant l’anciennèté de la
lésion, à la membrane analogue du tube entrant. Celui-ci est
moins vivement enflammé que le précédent, et la gaine l’est
moins encore. Du reste, il va sans dire que, suivant l’énergie
des contractions de l’intestin dans la partie qui forme la gaine,
et conséquemment le plus ou moins de violence de l’étrangle^
ment, on peut observer tous les degrés de l’inflammation, de¬
puis la simple bypérémie jusqu’à la gangrène la plus complète.
Le mésentère, qui suit forcément les cylindres entrant et sor- -
tant, se trouve par cela même plus ou moins incurvé et comme
tordu sur lui-même, de telle sorte que les vaisseaux qui le sil¬
lonnent sont fortement comprimés dans le repli que forme l’in-
testin pour constituer le cylindre moyen ou sortant. Parfois le
mésentère est plus ou moins largement déchiré, par suite des
tiraillements, souvent énergiques, dont il est le siège. Renault
a observé un cas de ce genre. Dans tous les cas, les vaisseaux
qui parcourent ce lien membraneux sont fortement injectés,
distendus par le sang, dont la circulation est gênée par la corn-
pression qu’éprouve le mésentère.
Dans quelques cas, la portion invaginée se replie sur elle-
même, et 1 invagination se montre sous l’apparence d’une tu¬
meur dure et allongée, en forme de boudin, dont la coupe trans-
INVAGINATION.
429
versale fait voir l’intestin plusieurs fois invaginé. Ainsi M. Rey
rapporte dans le compte rendu des travaux de l’Ecole de Lyon,
pour l’année 1841-1842, que dans un cas d’invagination «on
comptait dix fois les parois du canal de l’intestin. »
La longueur dè la partie invaginée est variable, et cela résulté,
comme on le comprend sans peine, des replis plus ou moins
nombreux qu’elle peut présenter. Dans l’observation publiée
par M. Rey, l’invagination n’avait pas moins de 3”, 70. Il est
rare qu’elle atteigne une longueur plus considérable.
M. Thierry a observé, sur une pouliche de trois ans, une in¬
vagination à.\i jéjunum, mesurant 1“,82 de longueur et formant
un renflement « constitué par l’intestin invaginé et replié trois
fois sur lui-même. » (Recueil de méd. vétér., 1872, p. 628.)
Dans tous les cas, l’invagination se termine par un bourrelet
rougeâtre ou violacé, plus ou moins saillant, formé par l’infil¬
tration inflammatoire des membranes de l’intestin. Ce bourrelet
présente à son centre une ouverture, qui, suivant l’étroitesse de
son diamètre, ralentit plus ou moins le cours des matières ali¬
mentaires.
M. Bugniet a publié dans le Recueil précité {année 1873,. p. 289)
deux cas d’invagination de l’intestin grêle chez le bœuf.« A deux
mètres environ de. sa terminaison ccecale, l’intestin grêle pré¬
sentait une-masse oblongue, luisante, brunâtre, ferme, ressem¬
blant à un énorme boudin gorgé de sang noir. » Les adhérences
entre les parties invaginées étaient très-fortes, car, pour les dé¬
truire, « il fallut inciser sept à huit centimètres d’épaisseur du
tissu. »
La partie invaginée ne présente pas partout la même colo¬
ration et la même épaisseur : ainsi, dans les parties les plus
anciennes, elle peut affecter une couleur offrant toutes les
nuances intermédiaires, depuis le rouge violacé jusqu’au rouge
brun ou noir, suivant l’intensité de l’inflammation ^ d’autres
fois, lorsque la lésion est ancienne, la partie invaginée pré-'
sente, outre un épaississement considérable, sorte d’induration,
une teinte grisâtre, plombée, et adhère très-fortement à la gaine;
quelle que soit l’époque à laquelle remonte l’invagination, on
remarque toujours que les lésions inflammatoires sont de moins
en moins accusées, à mesure qu’on s’éloigne des parties primi¬
tivement invaginées pour se rapprocher de la gaine. Celle-ci
offre parfois des lésions de même nature, mais qui ont suivi
une marche inverse, car elles sont d’autant plus accusées qu’on
les étudie dans des parties plus éloignées du point où l’intestin
430
INVAGINATION.
se replie pour constituer rinvagination. M. Lafosse {Traité de
pathoL vétér,, t. III, p. 374) a tu a dans un cas l’intestin rup¬
ture transversalement dans la partie invaginée, laquelle, en
outre, était retenue dans une déchirure de l’épiploon. » Dans
quelques cas assez rares, les surfaces séreuses des parties inva¬
ginées s’agglutinent, adhèrent entre elles par suite de l’inflam-
ination dont elles sont le siège. Si la mort ne survient pas rapi¬
dement, ces adhérences deviennent telles que les cylindres
interne et moyen sont intimement unis l’un à l’autre ; de plus,
ils sont plus ou moins mortifiés, surtout au voisinage du bour¬
relet de la partie invaginée. Dès lors il se produit ici ce qu’on
remarque dans les parties où se forment des eschares, c’e^-
à-dire que, sous l’influence d’un travail réparateur, les'portions
mortifiées de l’intestin sont éliminées totalement ou partiellé-
ment, et ultérieurement expulsées avec les excréments, tandis
que la gaine « sé soude à la partie intestinale, qui la précède,
par un tissu conjonctif résistant; à l’endroit où cette réunidna
eu lieu, on remarque alors un tissu cicatriciel plus ou moins
rétracté qui diminue la lumière de l’intestin (Rôll), n Lehlanq
père a observé des lésions de cette nature sur un cheval, qui
avait fini par succomber à des coliques qui s’étaient montré®
à plusieurs reprises et avaient eu une longue durée. >
B. Invagination de l’intestin grêle dans le cæcum et le côlon.:
Un fait de ce genre a été observé par M. Reynal et publié
dans le Recueil en 1851. En ouvrant le cæcum dans toute sa
longueur, « on reconnaît la présence dans son intérieur d’une
portion de l’intestin grêle renversée sur elle-même. La mu¬
queuse était plissée danS' le sens transversal, violemment con¬
gestionnée, d’un rouge plus ou moins foncé et d’autant plus
prononcé qu’on s’approchait de sa partie la plus déclive. Cette
extrémité de l’invagination était formée par un bourrelet
très-épais résultant d’un épanchement séro-sanguinolent dans
l’épaisseur des membranes intestinales. Ce bourrelet, qui res¬
semblait assez bien à la tête infiltrée du pénis de cheval, pré¬
sentait à son centre une ouverture du diamètre du doigt à peu
près : c’était l’orifice terminal de l’intestin grêle dans le cœcuiû.
La longueur de cette invagination était, après effacement dés
plis transversaux qu’elle présentait, de 1 “,25 c. »
M. Mitaut a publié dans le Recueil, en 1864, un cas ayant
quelque analogie avec le précédent. « L’intestin grêle retourné
s était insinué, en se doublant, dans le cæcum d’abord, pnis
INVAGINATION.
431
dans le côlon, par la dilatation de leur ouverture étroite de
communication. Il formait dans les deux viscères de petites
circonvolutions avec sa membrane externe d’un noir bleu et
d’une odeur caractéristique de gangrène. »
Parfois chez le chien, ainsi que l’ont observé MM. Serres et
Lafosse, l’intestin grêle se replie dans le gros intestin, et l’inva¬
gination augmentant toujours, l’intestin grêle renversé fait her¬
nie par le rectum.
Tout récemment encore nous avons observé, à la clinique de
l’Ecole de Lyon, deux faits d’invagination chez le chien, qui
nous paraissent de nature à donner une idée exacte des lésions
que détermine cet accident, — L’un d’eux est relatif à une
intussusceptionde l’intestin grêle dans le côlon ascendant, dont
voici les caractères. Le sujet de cette nécropsie était un chien
mâtin de forte taille i au niveau de l’origine du cæcums on
remarque un renflement cylindrique du volume du bras d’un
enfant, d’une longueur de 18 centimètres environ et d’aspect
bosselé. En incisant les parties du tube digestif situées en
arrière de l’invagination, on constate que le canal intestinal
est, dans cette région, vide d’aliments : il ne contient que du
mucus jaunâtre. Quand on arrive au niveau du renflement
que présente l’intestin, on met à découvert une tumeur bru¬
nâtre, ovoïde, faisant saillie dans le tube intestinal, offrant,
dans son centre et à sa partie la plus postérieure, une ouver¬
ture circulaire qui permet l’introduction du petit doigt ; cette
tumeur n’est autre chose qu’une partie de l’intestin grêle inva¬
ginée. En poursuivant l’examen anatomique de cette invagina¬
tion, on reconnaît qu’elle est constituée par trois cylindres,
dont l’interne, ou cylindre entrant, est formé par l’iléum, le
médian, ou cylindre sortant, partie par l’intestin grêle et partie
par le côlon ascendant ; la gaine, ou cylindre externe, par le
côlon transverse. La portion d’iléum invaginée présente une lon¬
gueur d’un décimètre et demi environ ; l’aspect de ce viscère
est normal dans les parties antérieures de l’invagination ; mais,
au fur et à mesure qu’on s’éloigne de celles-ci, la séreuse pré¬
sente une injection de plus en plus accusée ; il en est de même,
mais d’une manière plus prononcée encore, sur la muqueuse,
qui, à l’extrémité postérieure de l’invagination, est brunâtre,
épaissie, gangrenée. La gangrène se continue dans le cylindre
médian et a envahi toute l’épaisseur de l’organe. Quant à la
gaîne, elle est fortement enflammée, surtout en avant, au point
où elle se continue avec le cylindre médian : là, il s’est établi
INVAGINATÎON.
de solides adhérences, et l’on ne peut, malgré des tractions
énergiques, réduire l’inYagination, ce qui témoigne de l’ancien¬
neté de la lésion. — Le mésentère a suivi l’iléum dans sa péhéi
tration au sein du côlon ascendant ; les vaisseaux qui le sillon^
nent ont été tiraillés et comprimés entre les cylindres formant
l’invagination, de telle sorte que la circulation a été interrom^
pue, ce qui a donné naissance aux lésions précitées.
Le secohd cas dont nous voulons parler a trait à une inva-
gination du duodénum dans i’esiomrtc, invagination trouvée â
l’autopsie d’un chien, reconnu malade depuis quelques heurés
seulement: En ouvrant l’estomac, on remarquait une tumeur
cylindroïde, .d’un rouge livide, plissée à sa surface, c’était le
duodénum qui, franchissant l’ouverture pylorique, s’était re¬
tourné sur lui-même et renversé dans l’estomac, sur une étén-^
due de cinq à six centimètres environ. La surface externe du
cylindre entrant ou profond n’avait contracté aucune adhérence
avec la surface semblable du cylindre médian, et il suffisait
d’unlçger effort de traction pour réduire l’invagination. Gette
lésion était donc récente.
L’invagination de l’intestin grêle peut ûtre unique ou mul¬
tiple. M. Colin en a observé- quatre sur le trajet de l’inteStiH
grêle d’un jeune singe. Cet auteur- fait remarquer en outré
qu’on en rencontre assez souvent plusieurs placées, à une eer--
taine distance les unes des autres,, chez les jeunes chiens
(G. Colin, Traité de physiol. comp., 2® édit., 1871 , t. P% p. 846};
C. Invagination du cæcum dans le côlon.
Cette lésion consiste « en un renversement de la pointe du
cæcum qui s’engage dans le côlon, en forçant l’étroite ouver-
ture qui représente l’origine de ce viscère dans le cæcum, dé
telle sorte qu’en incisant les parois du côlon on aperçoit dans sa
cavité la totalité ou une partie du cæcum invaginé, renversé
sur lui-même, formant une saillie en forme de massue pu de
battant de cloche (Colin). » Les parois du cæcum présentent,
dans la partie renversée, une épaisseur parfois considérable;
leur surface offre, surtout dans le sens transversal, « de nom¬
breux plis, qui résultent de l’affaissement des valvules conni-
ventes; ces plis sont traversés par deux sillons très-prononcés,
correspondant aux bandes longitudinales du réservoir » (Colin).
La muqueuse qui, parfois, est en contact avec celle du côlon,
est, dans tous les cas, d’un rouge vif ou violaèéj épaissie par
suite de 1 infiltration sanguine; .ses vaisseaux ont un aspect
INVAGINATION.
433
variqueux. On peut du reste observer, ici encore, diverses
lésions procédant toutes d’un même processus irritatif, mais
présentant des caractères variables, suivant la période à laquelle
est parvenue l’inflammation.
L’invagination du cæcum dans le côlon est quelquefois telle¬
ment complète qu’on pourrait croire, au premier abord et par
un examen superficiel, que le cæcum n’existe pas; mais, en
examinant les choses de près, on retrouve dans quelques cas la
crosse cœcale, qui est restée au dehors. Ainsi M. Colin a rap¬
porté, dans ]e Reciteü, année 18S0, un remarquable cas d’invagi¬
nation du cæcum dans le côlon; et, dans ce cas, la partie appa¬
rente du cœcmn « était longue de 45 à 50 centimètres ; la portiob
engagée dans le gros intestin avait une longueur de 22 centi¬
mètres ; à sa base étranglée, elle avait 20 centimètres de cir¬
conférence; vers son milieu, elle en offrait 25; seulement, tout
près de sa pointe, elle s’amincissait d’une manière sensible. »
Mais dans quelques cas, très-rares il est vrai, le cæcum disparaît
tout à fait et pénètre entièrement dans le côlon, entraînant
l’iléum avec lui. Entre les surfaces séreuses du cæcum, mises
en contact par le fait du renversement, on rencontre parfois
des fausses membranes à divers degrés d’organisation. Un cas
d’invagination du cæcum dans le côlon a été observé par Bouley
jeune, et publié dans le Recueil (année 1826, p. 195).
M. Gaussé a fait connaître dans le Journal de médecine vété-^
. rinaire militaire (t. YI, p. 397) un cas d’invagination du cæcum
dans Je côlon, chez le cheval. A l’autopsie, « on fut fort surpris
de constater l’absence du cæcum, on le trouva invaginé dans le
côlon de toute sa longueur. »
. LÉSIONS GÉNÉRALES. — Elles sont peu accusées et se remar¬
quent dans quelques parties du tube digestif. L’estomac est
quelquefois distendu par des aliments solides ou liquides; ainsi
Renault a trouvé dans cet organe « 21 litres d’un liquide aqueux,
verdâtre, d’une odeur herbeuse, très-pénétrante. » Toutefois,
la lésion habituelle de ce viscère consiste dans une inflamma¬
tion par places de la séreuse, qui lui donne ainsi un aspect
marbré. L’intestin grêle présente assez souvent, çà et là, de
larges plaques brunâtres, laissant entre elles des espaces où ce
viscère se montre avec son aspect normal. Le cæcum, le côlon
présentent également des traces d’nne vive inflammation. Le
péritoine et ses dépendances, c’est-à-dire l’épiploon gastro¬
colique, présentent çà et là de larges taches rougeâtres ou bru¬
nâtres. Renault a rencontré une fois « de larges et profondes
21. 28
INVAGINATION.
ecchymoses sous lâ séreuse du ventricule gauche du cœur. »
Cette lésion est sans doute exceptionnelle, car il n’en est pas
question dans les observations, assez nombreuses pourtant, qui
ont été publiées après celle de Renault. — M. Reynul a signalé
chez le chien la coexistence de l’ictère avec l’invagination in-
testinale : c’est ainsi que dans 40 cas d’ictère chez le chien, on
a trouvé 21 fois la complication d’invagination intestinale. Enfin,
nous avons rencontré à l’autopsie d’un chien, qui avait suc¬
combé à une invagination de l’intestin grêle, un énorme ver
rubanaire, que nous avons considéré comme un botriocéphale
par la forme de ses anneaux et la situation médiane des orifices
génitaux. Quoi qu’il en soit, ce ver mesurait 1“,87 de longueur,
sans la portion antérieure, qui avait été brisée et perdue en
pratiquant l’autopsie^ Il était situé en avant dq la portion inva¬
ginée et recouvert de mucus jaunâtre.
§ 11. — Mode de formatioii.
Quelle que soit la partie du tube digestif où siège une inva¬
gination, celle-ci nous paraît toujours devoir résulter de mou¬
vements péristaltiques irréguliers et tumultueux qui, ainsi qtie
le dit Rôll, en diminuant le calibre d’une portion intestinale,
permettent la pénétration de celle-ci dans une autre portion
intestinale non animée de contractions, et par conséquent d’un
Calibre plus large que celui de la première ; ou bien une anse
intestinale tombe dans une anse voisine qui est paralysée et
dilatée, par suite d’une inflammation circonscrite de sa couche
séreuse, et entraîne, en la renversant, une partie de l’anse para¬
lysée. Les tiraillements qu’éprouve alors le mésentère provo¬
quent un processus inflammatoire, qui détermine une réunion
rapide entre les surfaces séreuses des tubes entrant et sortant,
et ainsi le tube entrant ne peut s’avancer de lui-même dans la
gaine ; tandis que celle-ci, par suite des contractions intesti¬
nales, s’avance de plus en plus sur le tube entrant, dont, par ce
fait, la longueur augmente graduellement. La gaîne devient
ainsi cylindre sortant sur elle-même.
§ 111.— Étiologie.
On a dit que l’invagination était quelquefois congénitale,
mais cela n’est rien moins que démontré. On a également
avancé que cette lésion résultait d’efforts violents, tels que ceux
qui produisent les ruades, de l’usage du son, etc, : une seul®
chose est bien certaine, dit avec juste raison M. Iiafosse dans
IPiVAGINATION. 435
son Traité de pathol. vétér., « c’est que les invaginations coïn¬
cident assez souvent avec des maladies qui troublent violem¬
ment les fonctions des organes digestifs, telles que les indiges¬
tions, l’entérite, la congestion intestinale, la plupart enfin de
celles qui déterminent des coliques.»
Cruzel pense que chez le boeuf « l’état de l’intestin, qui flotte
sur le lobe droit du rumen, » prédispose cet animal à cet ac¬
cident, surtout si l’intestin est en état de réplétion, comme
cela arrive lorsque l’animal vient de boire avec avidité. En effet,
cet auteur n’a jamais observé cette maladie « chez aucun bœuf,
vache ou taureau, qui eût couru, fait des bonds violents, etc...,
étant à jeûn. » (Cruzel, Traité de pathol. néter., p. 108.) Cela
s’explique très-bien, quand on se rappelle que les contractions
de l’intestin sont plus prononcées sur les animaux en pleine
digestion que sur ceux dont l’intestin est à peu près vide.
Notons encore que les impressions générales, les émotions, la
frayeur, l’injection des médicaments dans les veines activent et
précipitent les contractions intestinales, et peuvent ainsi con¬
tribuer au développement des invaginations.
Mais il est une autre cause dont les effets sont non baoins
réels; nous voulons parler de l’ingestion d’une grande quantité
d’eau froide, ou mieux, glacée. L’expérience démontre, en effet,
que si l’on fait avaler à un cheval trente à quarante litres d’eau
à une basse température, ou si l’on introduit, à l’aide d’une
seringue, cette quantité d’eau dans les intestins préalablement
mis à nu, «ces organes se contractent brusquement, se dé¬
placent, se contournent sur eux-mêmes ; en divers endroits
même, la muqueuse intestinale est assez fortement conges¬
tionnée, le mouvement péristaltique est vivemènt excité dans
la plus grande partie de l’intestin grêle, mais, par places, il
est con^me anéanti ; on dirait que les parois de cet organe ont
été longtemps étreintes par un lien circulaire serré. » (Reynal,
Recueil de méd. vétér.,\8M .) Au surplus, M. H. Bouley et tous
les praticiens qui ont étudié les effets résultant de l’ingestion
de l’eau froide, ont constaté que ce liquide provoquait dans
les intestins des mouvements tumultueux et déterminait ainsi
des étranglements internes. Dès lors, on comprend qu’un
cheval échauffé par une course rapide et prolongée exigeant
des efforts musculaires énergiques et multipliés, et qui, pour
calmer la soif ardente dont il est tourmenté, ingère une grande
quantité d’eau ffoide, on comprend, disons-nous, que ce cheval
se trouve dans des conditions analogues à celles qu’on pro^
436
INVAGINATION.
duit expérimentalement; et, il n’est sans doute pas illogique
d’admettre qu’une portion intestinale , dont le diamètre est
rétréci par le fait des contractions énergiques, dont elle est le
siège, puisse pénétrer dans une autre portion qui est comme
paralysée par suite des contractions ■violentes qu’elle a éprou¬
vées quelques instants auparavant. Cette pénétration peut être
rendue plus facile encore, si l’on remarque, comme Ta dit
M. Reynal, qu’une anse intestinale peut être maintenue béante
et dilatée par l’eau qui séjourne, comme arrêtée entre deux
parties de l’intestin presque oblitéré par le brusque retour des
membranes sur elles-mêmes.
Des effets analogues pourront se produire, si les animaux
ingèrent de grandes quantités d’aliments coüverts d’une rosée
froide : dans ce cas il pourra se déclarer tout à la, fois une indi¬
gestion et une invagination. - - i
Lés invaginations du cæcum dans le côlon sont rares, avons^
nous dit en commençant cet article; ce qui paraît tenir, dit
fort judicieusement M. Colin [Rec. de méd. vét.^ 1850, p. 513},
à trois raisons principales. La première est relative à la situa¬
tion et à la dirèction presque' yerticale du cæcum, de' telle sorte
que « la pointe' du cæcum doit, pour se renyerser sur ellé-
mêmè, remonter des parties inférieures yers les régions sup-
rieures dé Tabdomèn, et lutter ainsi contre la pesanteur des'
matières contènués dans le réservoir. La deuxième cause qui
fait obstacle à l’invagination est la tendance qu’ont les liquides
et les aliments délayés à descendre vers la partie la plus dé¬
clive, c’est-à-dire vers la pointe du cæcum, tandis que les gaz
doivent remonter vers l’atc ou la partie supérieure/ Le poids,
parfois considérable, des matières alimentaires et des liquides,
qui agit d’une manière incessante sur l’extrémité inférieure du
cæcum, doit donc être une raison essentielle de la difficulté
qu’éprouve l’invagination à se produire. Enfin, une troisième
cause doit tendre à rendre l’accident difficile, c’est l’union du
cæcum, dans la plus grande partie de sa longueur, au côlon
replié, union établie par des lames péritonéales très-étroites. On
pourrait encore ajouter à cela l’étroitesse de l’ouverture par
laquelle le cæcum communique avec le côlon, ouverture qui
est nécessairement forcée, quand l’invagination se produit. De
plus, si l’on réfléchit que, quand l’invâgination a lieu, l’arrivée
des aliments dans le cæcum tend à dilater l’organe et à faire
revenir sur elle-même la portion renversée, on s’expliquera
bien lé peu de fréquence de ce renversement. »
INVAGINATION.
437
^ HT. — Symptômes, marcbe, durée, terminaisons.
Les symptômes Yarient suivant les espèces animales que l’on
considère. Nous les étudierons successivement chez le cheval,
le boeuf et le chien.
A. Chez le cheval. — - Des coliques apparaissent dès le début,
indiquant des douleurs abdominales plus ou moins vives. Très-
violentes dans la majorité des cas, ces coliques présentent parfois
des intermittences plus ou moins prolongées, pendant lesquelles
l’animal semble soulagé ; d’autres fois, elles augmentent d’in¬
tensité et sont rapidement mortelles.
Cette terminaison fatale est précédée de symptômes qu’il
importe d’examiner, pour établir Je diagnostic. L’animal prend,
en effet, certaines poses, certaines attitudes qu’il faut analyser
.avec soin. Ainsi on a observé que, parfois, le cheval atteint d’une
invagination, prend la position du chien assis, position qu’il
conserve pendant quelques minutes. Cette attitude toute ins¬
tinctive, qui paraît calmer les douleurs du malade , pourrait
bien, dans certains cas, avoir pour effet de réduire partiellement
l’invagination. Quoi qu’il en soit, les naseaux largement dilatés
par les mouvements rapides et saccadés des ailes du nez laissent
apercevoir la pituitaire toujours injectée , quelquefois d’un
rouge violacé. Les mâchoires sont spasmodiquement contractées,
les dents serrées, l’œil largement ouvert et injecté brille quel¬
quefois d’un éclat inaccoutumé, au moment des accès; tandis
qu’il est terne et voilé pendant les intermittences. Une sueur
abondante ruisselle sur tout le corps; chaude au début, elle
devient froide aux approches de la mort. Les lèvres sont parfois
comme tremblotantes ; elles sont agitées par des mouvements
vermiculaires, convulsifs, involontaires. Le pouls, grand, fort et
précipité au début, devient petit et filant, insaisissable plus
tard. L’animal regarde son flanc avec persistance, puis survien¬
nent de violentes coliques ; le malade ayant perdu tout instinct
de conservation tombe lourdement sur le sol comme une masse
inerte, se livre aux mouvements les plus désordonnés, se relève
brusquement, et souvent fait des efforts pour vomir. Ces efforts
déterminent fréquemment le rejet par les naseaux d’un liquide
verdâtre, à odeur piquante, liquide mélangé de parcelles
alimentaires qui indiquent, à n’en pas douter, qu’il vient de
l’estomac. . ■
Le cours des matières alimentaires dans l’intestin n’est pas
toujours suspendu; lè‘plus souvent il n’est que ralenti, et
438
INVAGINATION.
l’animal parvient, non sans de violents efforts, il esterai, à ex¬
pulser quelques crottins mélangés d’une forte proportion de
mucus.
Les coliques produites par une invagination peuvent durer
de deux à cinq jours en moyenne. Dans quelques cas excep¬
tionnels, la maladie présente des intermittences prolongées, de
telle sorte qu’elle peut durer dix, quinze jours, et même un ou
deux mois, ainsi que Bouley jeune et Leblanc Tont observé. Il
se pourrait même que l’invagination du cæcum dans le côlon,
se bornant à ralentir le cours des matières alimentaires dans
le tube intestinal, fût compatible avec une certaine apparence
de santé, et cela, pendant deux, trois ou qu9,trè mois, et plus
peut-être, à en juger par l’ancienneté des lésions qui ont été
quelquefois rencontrées. Sans doute, cette question serait plus
nettement résolue, s’il était possible d’établir d’une manière
certaine le diagnostic des iovaginations, mais on ne peut avoir
à cet égard que des présomptions plus ou moins fondées.
L’invagination a ordinairement une issue fatale: la mort
survient, soit par suite d’une péritonite, soit par la gangrène'
de l’intestin et souvent par ces deux complications réunies.
Dans quelques cas assez rares, la portion invaginée, spbacélée,
peut être éliminée, et, ainsi que nous l’avons vu, les parois de
la gaine se soudent avec la partie intestinale qui la précède. Ce
travail d’élimination peut surpasser les forces du malade qui
succombe alors; ou bien celui-ci peut résister et se rétablir peu
à peu. Alors, l’animal expulse avec les excréments, à des inter¬
valles plus ou moins éloignés, des débris mortifiés d’intestin.
Cette particularité, rapprochée des coliques dont l’animal a été
atteint, et des circonstances dans lesquelles elles se sont déve¬
loppées, autorise à penser qu’on avait affaire à une invagination.
C’est peut-être le seul cas, où l’on puisse établir le diagnostic
avec quelque probabilité. On a dit encore que l’invagination
pouvait se réduire d’elle-même ; mais il faut bien convenir que
la démonstration rigoureuse d’une pareille opinion est chose
difficile, sinon impossible, puisque, ainsi que nous le verrons
plus loin, on ne peut, chez le, cheval, que soupçonner l’existence
d’une invagination. M. Reynal, se basant plus particulièrement
sur un fait observé à l’École d’Alfort en 1851, considère cepen¬
dant cette terminaison comme non douteuse.
B. Chez le bœuf. — On observe parfois de violentes coliques ;
les animaux se couchent, se relèvent, s’agitent à tel point que
les membres postérieurs frappent violemment le ventre. Ces
INVACaNATION.
439
vives douleurs abdomiiiales apparaissent d’emblée; elles durent
pendant cinq à six heures, quelquefois moins. A cet état de
surexcitation extrême succède brusquement un abattement pro¬
fond : l’animal reste couché, l’encolure repliée, la tête appuyée
vers l’épaule, regardant son flanc, comme pour indiquer le siège
de la douleur qu’il éprouve. Le pouls est petit et faible, et le
sujet est complètement indifférent à ce qui l’entoure ; il se
montre insensible à la voix du bouvier, tout aussi bien qu’aux
piqûres réitérées et profondes de l’aiguillon.
La rumination est suspendue, et le ventre ballonné; les borbo-
rygmes sont rares, et quelquefois même on ne les entend plus
du tout. Pendant les deux premiers jours l’animal expulse quel¬
ques excréments secs et coiffés, ou bien du mucus mêlé avec
du sang coagulé, comme Fa observé M. Strèbel {Journal de
l’École de Lyon, 1869, p- S46); dans tous les cas il est triste,
abattu ; le mufle est sec.
Cet état comateux se termine fréquemment par la mort qui
survient vers le huitième , le dixième et même le vingtième
jour. Quelquefois pourtant, vers le cinquième jour de la maladie,
on remarque que les animaux rejettent quelques matières
muqueuses épaisses ; l’état général paraît s’amender, le ballon¬
nement diminue peu à peu; les déjections alvines deviennent
moins rares, et finalement, le malade expulse des parties
membraniformes, noirâtres, mortifiées, exhalant une odeur in¬
fecte. Alors l’appétit renaît ; toutefois la convalescence est
longue. Un praticien du Midi, Luscan^ a vu plusieurs fois cette
heureuse terminaison, et moi-même, pendant que j’exerçais
dans la Bresse, j’ai eu l’occasion de l’observer dans deux cas,
M. Bugniet a appelé l’attention des praticiens sur un symp¬
tôme particulier et, d’après lui, caractéristique, qu’il a observé
dans deux cas d’invagination chez le bœuf, c’est: « un effort
qui se produit de temps en temps, une poussée, comme pour
expulser quelque chose de profondément situé dans la cavité
abdominale; cet effort n’a pas le caractère de ceux qui se pro¬
duisent quand un animal veut se débarrasser des matières
contenues dans la dernière portion de l’intestin; il est plus
concentré, plus court. » {Recueil de méd. vétér., 1873, p. 282.)
G. Chez le chien. — Les douleurs abdominales, que détermine
une invagination, ne se traduisent pas par des coliques, con¬
trairement à ce qu’on observe chez le cheval et le bœuf. Les
animaux sont tristes, abattus ; ils restent constamment couchés
et refusent les aliments solides et liquides. Le ventre est levretté,
uo
INVAGINATION.
les parois abdominales rétractées, les reins voussés en contre-
ha;ut. En palpant la région du ventre, on rencontre profondé¬
ment une sorte de nodosité, douloureuse parfois, qui résulte de
l’invagination ; d’autres fois, on constate aisément, en dehors
du rectum, une tumeur arrondie rougeâtre, présentant un
orifice à son centre, et qui n’est autre chose qu’une portion
invaginée de l’intestin. Les efforts de défécation, qui se montrent
au début, paraissent très-douloureux ; l’animal parvient; à
expulser des excréments ramollis et couverts de mucus ; plus
tard survient une constipation opiniâtre; de temps à autre
l’animal se livre à de violents efforts de vomissement. Le pouls
est petit, serré; le faciès exprime l’abattement, la prostration;
les yeux sont enfoncés dans les orbites, et le regard est sans
expression; le malade est complètement indifférent à tout ^
qui l’environné ; il maigrit rapidement et la mort survient sans
qu’il paraisse éprouver aucune douleur. Gette terminaison, qui
est la seule que nous ayons observée chez le chien, et il n’est
pas à notre connaissance qu’on en ait remarqué d’autres, se'
montre habituellement vers le huitième ou le dixième jour. Si
on considère cependant que, chez le chien, on trouve fréquem¬
ment, à l’autopsie, des adhérences assez intimes entre lés surfaces
séreuses des portions invaginées, il ne sera peut-être pas irration¬
nel d’admettre que l’élimination des parties mortifiées pourrait
bien avoir lieu, en rnême temps que se produirait la réunion de
la gaîne avec la partie intestinale qui précède, de telle sorte que
les malades se rétabliraient peu à peu. • ■ -
Nous avons observé un cas d’invagination dont les symp¬
tômes différaient de ceux que nous venons d’énumérer. Nous
allons brièvement résumer le casdont il s’agit. Le 13 mars 1872;
on présente à la consultation de l’École un petit chien terrier,
âgé de 7 mois, malade depuis une heure, et qu’on suppose
avoir été empoisonné. Ce chien est en proie à une vive anxiété,
va et vient dans tous les sens, puis se couche sur le sternum,
allonge le cou, cherche à vomir; mais, après de pénibles efforts,
il ne parvient à expulser qu’une petite quantité de matières
glaireuses, non mélangées d’aliments. Le faciès est grippé,
les yeux, démesurément ouverts. Par moments, l’animal tourne
la tête vers son flanc, comme pour désigner le siège de la dou¬
leur qu’il éprouve, pousse des gémissements plaintifs et se
met à trembler fortement de tous ses membres. La respiration
est pénible, accélérée, stertoreuse ; la gueule est largement
ouverte; la langue, pendante et violacée; les flancs battent
INVAGINATION.
441
tuinültuettsement; tout témoigne enfin d’une dyspnée et d’une
sensation d’angoisse indéfinissable. Notons encore que l’animal
se livre à de fréquents efforts de défécation. A ces symptômes
déjà si graves, viennent s’en ajouter d’autres qui nie peuvent
laisser aucun doute sur l’issue funeste de la maladie. Ainsi, dé
temps à autre, de violentes contractions se montrent dans les
muscles des membres et du tronc ; la station quadrupédale
devient impossible, l’animal reste étendu sur le sol, la tête
allongée sur le cou, la gueule béante. Par intervalles, les mem¬
bres se raidissent, l’encolure se renverse, la respiration s’arrête
pendant quelques secondes, et, après trois accès semblables,
l’animal meurt. L’autopsie dévoile une invagination récente du
duodénum dans l’estomac. Ces symptômes offraient, comme on
le voit, quelque analogie avec ceux qui caractérisent l’empoison-
uementpar la strychnine ; ils indiquaient des douleurs abdo¬
minales excessives résultant de l’étranglement de la portion
invaginée par l’ouverture pylorique spasmodiquement con¬
tractée.
§ 'V. — Diagnostic.
L’invagination, ainsi qu’on l’a vu, se développe sur des or¬
ganes profondément situés, éloignés le plus souvent de toute
exploration, directe ou indirecte; en outre, cette lésion engen¬
dre des symptômes qui appartiennent à toutes ou presque toutes
les variétés de coliques ; dès lors on devine que le praticien doit
être très-embarrassé pour reconnaître d’une manière certaine
la véritable cause des phénomènes morbides qu’il observe.
Aussi, dans la pluralité des cas, est-il impossible de reconnaître
avec certitude une invagination ; tout au plus, est-il permis d’en
soupçonner l’existence. Ce sont les difficultés, que présente le
diagnostic de cette lésion, qui nous ont porté à en étudier avec
détail les signes les plus saillants, c’est-à-dire ceux dont l’in¬
terprétation raisonnée peut conduire à la découverte de la
vérité.
Afln de ne rien omettre et pour procéder avec ordre, nous
étudierons successivement le diagnostic de l’invagination chez
le cheval, le boeuf et le chien.
Chez le cheval. — C’est pendant les périodes de rémission
qu’on observe les signes caractéristiques. Ainsi, dit M. Reynal,
« le malade porte fréquemment la tête vers les flancs ; sa phy¬
sionomie a une expression d’angoisse remarquable ; les lèvres,
les ailes du nez sont mues parune espèce de crispation nerveuse
442
INVAGINATION.
qui leur imprime un mouYement vibratoire vermiculaire ; la
tête se balance doucement de haut en bas ; elle semble obéir à
un mouvement court, saccadé, comme spasmodique ; le corps
même, légèrement agité, éprouve des secousses convulsi-ves
énergiques. Dans quelques cas elles communiquent au corps
un mouvement impulsif d’arrière en avant.» En comparant ;
symptômes à ceux qu’on observe, dans le cas de coliques ster-, "
corales, de hernie inguinale ou de hernie diaphragmatique, et -
qui ont été décrits dans cet ouvrage (voy. les articles Coliques,
Corps étrangers, Hernie], on peut voir qu’ils en diffèrent nota¬
blement, de telle sorte que le praticien, procédant alors par voie
d’élimination, pourra être amené à penser qu’il s’agit d’une
invagination. S’il en est ainsi, et étant écartée l’idée d’une
obstruction complète de l’intestin, d’une hernie inguinale on
diaphragmatique, il reste encore, et c’est là qu’apparaît la diffl-r.:,
culté , à distinguer l’invagination de l’entérite suraiguë , du •
volvulus, de la déchirure de l’estpmac, ou de celle derintestm. ,]
Or les symptômes que nous avons précédemment énumérés,,et
plus particulièrement l’anxiété qu’exprime la physionornie du
malade, le mouvement de pendule de la tête et du corps, qui se
montre en quelque sorte de préférence dans les étranglements in¬
ternes; d’un autre côté, l’examen attentif du pouls, Texploration
rectale, l’aspect des matières excrémentitielles, la marche de la
maladie, sa durée surtout, et les commémoratifs peuvent être
d’un utile secours dans les cas difficiles. Ainsi, dans le cas d’in^
vagination, le pouls est parfois moins fort, moins précipité, que
quand il s’agit d’une forte congestion intestinale ; l’exploration
rectale peut faire reconnaître une partie de l’intestin plus volu¬
mineuse, plus dure que les autres et quelquefois très-doulour .
reuse. Mais ce moyen de diagnostic, qui ne doit pas être négligé
chez les ruminants, ne nous paraît pas pouvoir donner des ré¬
sultats certains chez le cheval, et cela en raison du développe¬
ment considérable du tube digestif, et des difficultés pratiques
qu’on doit éprouver, d’une part, pour distinguer nettement une .
dilatation ou un étranglement de l’intestin de quelques parties
d’excréments, et d’autre part, l’invagination peut être située-dans;,
une région inaccessible à la main. Remarquons que les matières
excrémentitielles rejetées sont mélangées d’une forte propor';
tion de mucus; elles ne sont point manifestement sanguino¬
lentes, comme dans les tranchées rouges; mais ce qui doit- le
plus spécialement attirer l’attention du praticien, c’est la durée
des- coliques qui n’est pas moindre de deux à dix jours dans
INVAGINATION.
U3
certains cas d^învagination, tandis qu’elle n’est que de quelques
heures pour les coliques rouges.
Les renseignements peuvent avoir une grande importance.
Par exemple, vient-on à apprendre qu’un animal a été soudaine¬
ment affecté de coliques , après avoir ingéré rapidement une
grande quantité d’eau froide, ou mieux, glacée, on ppurra être
conduit à soupçonner un étranglement interne. Si l’on se rap¬
pelle le mode d’action de ce liquide sur l’intestin, on convien¬
dra, ce nous semble, que l’idée d’une invagination doit en pareil
cas se présenter à l’esprit, si, d’ailleurs, on a, pendant les
moments de calme, constaté les signes que nous avons exposés
plus haut Toutefois, nous reconnaissons que symptômes et
commémoratifs ne présentent pas toujours, il s’en feut bien,
une netteté telle, qu’on puisse conclure avec quelque certitude.
Du reste, et quelle que soit la conclusion à laquelle on arrive
par un examen attentif, qu’ôn ait affaire à une invagination ,
une congestion intestinale; ou un volvulus, le traitement est
identique, ou à peu près. Les erreurs de diagnostic ne sauraient
avoir des conséquences vi’aiment fâcheuses.
Chez le bœuf, on peut établir le diagnostic d’une manière
assez précise, et cela en considérant que l’animal, après avoir
éprouvé les souffrances les plus vives, paraît subitement calmé;
que dans les premiers jours il rejette des excréments durs et
recouverts de mucus ; toutes particularités qui ne se montrent
d’une manière aussi évidente dans aucune autre inflammation
intestinale, Le ballonnement du ventre, l’absence de borbo-
rygmes ont aussi une certaine valeur diagnostique. En outre,
l’exploration rectale fournit des indications qui ne manquent
pas d’une certaine précision. Ainsi, on constate qu’une portion
de l’intestin est plus volumineuse, plus dure que les autres,
sans être pourtant manifestement douloureuse. En somme, dans
quelques cas, on a pu établir le diagnostic avec assez d’exacti¬
tude pour qu’on se soit cru autorisé à effectuer la réduction de
l’invagination, .après incision préalable du flanc.
Dans quelques cas, l’invagination offre d’autres symptômes.
Ainsi M. Bugniet n’a pas constaté la violence des coliques, ni
leur cessation brusque, ni le calme, indice de la mortification
de la partie engouée, ni le manqiie absolu des déjections. Mais
ce praticien a observé « l’effort ou poussée, à des intervalles
plus ou moins éloignés, caractéristique de ce déplacement or¬
ganique, » {Recueil de méd. vétér., 1873, p. 284.)
Chez le chien, le décubitus presque permanent, l’abattement
i44
INVAGINATION.
du malade, le rejet par l’anus d’une petite quantité de matière
muqueuses, quelquefois une constipation opiniâtre, la présence
dans le ventre d’une tumeur dure, quelque peu douloureuse
la rétraction des parois abdominales, qui fait paraître le venb-e
levretté, la voussure de la colonne vertébrale en contre-hj^t
l’inappétence complète, la persistance de l’état comateux, feis
sont les signes qu’il importe de bien constater pour établir le
diagnostic. - ^
§ VI. — Pronostic. - I
D’après ce qui précède, on devine que le pronostic des inva- i
ginations, notamment de celles qui siègent sur l’intestin grêle, !
est très-grave, puisque la mort est la suite fréquente de cette
lésion. Cependant nous avons fait remarquer que, dans quel¬
ques cas, rares à la vérité, la réduction de l’invagination pou¬
vait survenir par le fait d’une disposition particulière du sujet
ou d’un traitement énergique. Les invaginations du cæcum
dans le côlou semblent moins graves que celles de l’intestin
grêle, puisqu’on opposant un moindre obstacle au cours des
matières alimentaires, elles paraissent, dans une certaine me¬
sure, compatibles avec les apparences de la santé. V -
§ VII. — Traitement.
Le diagnostic de l’invagination ne pouvant, dans le plus
grand nombre des cas, être établi d’une manière certaine, on
devine que le praticien en est réduit à faire la médecine des
symptômes. Au surplus, et comme nous avons eu l’occasion
de le faire remarquer, si on arrivait à être fixé sur le siège et
la nature de la lésion, le traitement ne serait pas notablement
différent de celui qu’on mettra en usage dans les cas dou¬
teux, car il ne peut venir à l’esprit d’aucun praticien, sou¬
cieux de sa réputation, d’inciser largeinent le flanc, pour opérer
ensuite la réduction de l’invagination. Cette opération à été
effectuée par Hénon et recommandée par Fromage de Feugré.
Néanmoins nous ne saurions la conseiller, car elle est suscep¬
tible de déterminer, chez le cheval, des accidents tout au moins,
aussi graves que la maladie qu’on veut faire disparaître. Dès
lors le traitement des invaginations est semblable à . celui des
coliques inflammatoires, et,- comme cette médication a été étu¬
diée avec soin à l’article Coliques, nous nous bornerons à noter
ici les particularités thérapeutiques relatives à l’invagination.
On a beaucoup préconisé en médecine humaine l’emploi de la
INVAGINATION.
445
glace intus et extra. Ce moyen pourrait convenir pour les petits
animaux, mais ne nous paraît pas appelé à pouvoir être utile¬
ment mis en usage chez le cheval. Il en est de même de l’admi¬
nistration du mercure coulant, des balles de plomb. Dans le
cas d’invagination du cæcum dans le côlon, M. Colin pense
a-Qu’enadministrantdes breuvages abondants à l’animal, l’in¬
vagination se réduirait par suite de la dilatarion du cæcum qui
fierait effort sur la partie engagée dans le côlon (toutefois dans
le cas où il n’y aurait pas étranglement); cette dilatation serait
d’autant plus facile à produire , que les liquides ne passeraient
pas ou ne passeraient que très-difficilement dans le détroit déjà
obstrué. »
Chez le bæuf, on peut, dans quelques cas exceptionnels, pra-
tiq;uer une incision dans l’un ou l’autre flanc, pour attirer l’in¬
testin au dehors et réduire la partie invaginée. Cette* opéra¬
tion, des plus hardies, a été faite avec succès par plusieurs pra¬
ticiens. Elle a été préconisée chez les ruminants dès 1 81 0 par
Oesterlen, vétérinaire allemand; Luscan,- vétérinaire àMoncra-
beau (Lot-et-Garonne), l’a mise en pratique sur une génisse
âgée de trente mois, qui, depuis sept jours, était atteinte d’une
invagination que ce praticien avait reconnue, par l’exploration
rectale, exister « à l’entrée du bassin sous l’ilium gauche. »
La bête fut fixée debout, et Luscan pratiqua dans le milieu du
flanc gauche « une incision intéressant toute .l’épaisseur des pa¬
rois abdominales dans une étendue de douze centimètres. La
main, introduite dans cette ouverture, arriva promptement sur
la tumeur qui fut tirée au dehors, et reconnue pour être formée
par une invagination de l’intestin grêle, ainsi qu’on l’avait
pensé. » En tirant doucement et avec précaution l’intestin dans
le sens de sa longueur, on parvint à réduire l’invagination. La
partie invaginée était vivement enflammée, le reste paraissait
sain. On replaça l’intestin dans la, cavité abdominale, puis on
réunit les bords de la plaie à l’aide de la suture du pelletier.
Cette solution de continuité fut, au dire de Luscan, « parfaite¬
ment cicatrisée en quinze jours, sans suppuration, et la bête ne
resta malade que trois ou quatre jours ; les déjections reprirent
leur cours habituel; l’appétit revint, et la génisse fut prompte¬
ment guérie. » {Journal des vétér. du Midi, année 1840, p. 48.)
Quelques années plus tard, Meyer, vétérinaire à Birkenfeld
(Prusse rhénane), pratiqua une opération analogue sur une
vache, âgée de six ans, en état de gestation depuis trois mois
environ, et qui était atteinte depuis deux jours d’une invagi-
446
INVAGINATION.
nation, dont l’existence avait été dévoilée par l’exploration rec¬
tale. Toutefois, comme l’intestin se déchira pendant qu’on pra-
tiquait la réduction de l’invagination, l’opérateur excisa toute
la partie invaginée de l’intestin, partie qiii ne mesurait pas
moins de 1“,80 centimètres de longueur. Les deux portions de
l’intestin furent réunies dans toute leur circonférence par la
suture du pelletier, en ayant le soin de comprendre, dans cette
suture j seulement la membrane séreuse et la tunique mus¬
culaire. « L’intestin fut soigneusement nettoyé et replacé dans
la cavité abdominale ; la plaie du flanc fût fermée par la sutare
à points passés^ » et la vache se rétablit en très-peu de temps.
Six mois après, elle mit bas un veau en assez bon état de saute.
(Jfacueii deméd. néiér., 1863, p. 697.)
Gruzel croit avoir fait disparaître l’invagination dans deux
cas, en administrant des breuvages d’huile d’olive, dans lesquels
on ajoutait cinq à six balles de plomb du calibre d’un fusil de
chasse; mais il résulte de plusieurs expériences faites à l’École
vétérinaire de Lyon par M. Hodetj que « les balles de plomb,
avalées par un ruminant, tombent directement dans la panse,
ou dans le bonnet, où elles séjournent longtemps, peut-être
sans jamais pouvoir parvenir dans l’intestin. » (Journal de méd.
vétér., publié à l’École de Lyon, 1 839, p. 1 80.)
On a essayé également les breuvages rafraîchissants, huileux,
mucilagineux, minoratifs, drastiques, de toute nature, à petites
et à grandes doses, mais sans succès, d’où il résulte, en défl-
nitivCi que la réduction de l’invagination par l’incision du flâné
est le seul moyen sur lequel on puisse compter. Il est bien vrai
que cette opération peut déterminer une péritonite grave, et
même mortelle ; toutefois, si l’on se rappelle que chez les ru¬
minants l’inflammation s’établit difficilement sur le péritoine,
et que, d’un autre côté, les faits démontrent que cette opéra¬
tion peut être pratiquée avec succès même dans le cas Où l’in¬
testin est vivement enflammé sur une grande étendue, alors
que la maladie date de quelques jours, on sera conduit à effec¬
tuer cette opération. Toutefois, si on' se décide à la pratiquer,
il faut, d’une part, déterminer exactement le siège de l’invagi¬
nation, et d’autre part, tenir compte de l’état général des sujets,
et ne point oublier -qu’il y a souvent, dans la pratique, plus
d avantages pour les propriétaires à livrer les animaux à la
boucherie, que de risquer les chances de l’opération dont il
s’agit.
Chez le chien, le traitement médical est, comme chez les ru-
EWAGINATION.
447
minants, le pins souvent infructueux. Dès lors, si l’invagination
a pu être reconnue avec précision, on est autorisé, à notre avis,
à tenter la réduction par l’incision du flanc, vu le peu de nocuité
des opérations qui se pratiquent dans l’abdomen chez cet ani¬
mal, notamment la castration des femelles. En somme, nous
pouvons dire, sans exagération, que s’il est une espèce animale,
capable de résister aux suites de l’opération de l’invagination,
c’est, à coup sur, celle des carnivores. Après une semblable
opération, les animaux seront soumis à un traitement tel qu’on
puisse guérir l’entérite et prévenir l’apparition de la péritonite
(tjoÿ. Entérite et Péritonite), qui doivent en être les consé¬
quences inévitables.
On a quelquefois employé chez l’homme, et avec succès, le
courant électrique pour réduire les invaginations intestinales,
l’iléus notamment. C’est ainsi que le D" Macario de Nice a ob¬
tenu, dans un cas de ce genre, un remarquable succès (voy. Re¬
cueil de méd. vétér., 1871, p. 120). On pourrait essayer sur les
petits animaux cette méthode de traitement, mais il ne nous
paraît pas qu’on puisse utilement l’employer sur nos grands
quadrupèdes, le cheval, par exemple, puisque M. Lafosse rap¬
porte, dans son ouvrage de Pathologie vétérinaire, t. III, p. 351 ,
qu’il a employé « des piles de quarante et même soixante cou¬
ples, sans obtenir aucun résultat » dans le cas de coliques ster-
corales, contrairement à ce qu’aurait observé M. Gaussé. Si l’on
se décidait à employer le courant électrique, on pourrait, à
l’exemple du D’' Macario, se servir de l’appareil volta-faradique
de Gaiffe, dont l’un des réophores serait introduit dans le rec¬
tum, et l’autre, garni d’une éponge imprégnée d’eau acidulée,
serait promené sur les parois abdominales. Il faudrait avoir le
soin de fixer solidement les animaux, afin de se mettre en garde
contre leurs moyens de défense, car l’expérience nous a appris
qu’à chaque passage du courant électrique, il se produit, en
même temps que de violentes contractions des muscles de l’ab¬
domen, une vive douleur que l’animal exprime par des cris,
des gémissements plaintifs et des mouvements désordonnés.
C’est là, du moins, ce que nous avons observé sur plusieurs
chiens bien portants, que nous soumettions au courant élec¬
trique, dans un but expérimental.
f . PEDGH.
IODE.
U8
IODE ET lODURES. Ges'corps, qu’ignoraient les anciens,' et
qui jouent dans l’industrie actuelle et dans la médecine' mo¬
derne un rôle si considérable, ont été découverts en France,
presque au début dé ce siècle (1 81 1), par un salpétrier de Paris’
nommé Courtois, et étudiés dans leurs principales propriétés’
quelques années plus tard (181S), par Gay-Lussac. L’étude suc¬
cincte que nous avons à en faire ici se divisera en deux parties :
la partie chimique et la partie thérapeutique.
I. Iode et iodures (chimie). .
Iode (de twSy,?, violet) ; symbole = 1, équivalent = 127, ^
L’iode est un corps simple, non métallique, appartenant à la
famille des chloroïdes (fluor, chlore, brome, iode), dont il cons¬
titue l’élément le plus électro-positif. Il présente^ en effet, avec
le chlore et le brome surtout, une parenté très-étroite ; aussi
l’iode se reneontre-t-il presque toujours accompagné par çes
deux chloroïdes, qui sont beaucoup plus abondants que lui
dans les trois règnes de la nature.
État naturel et diffusion. — L’iode se rencontre souvent dans
la nature, mais toujours en petite quantité. A l’état de liberté,
il est rare; cependant il a été signalé dans l’air atmosphérique
par M. Ghâtin; mais le fait est contesté; il existe d’une façon
certaine dans une roche dolomitique de Saxon en Valais. (Suisse).
— Cependant, c’est à l’étât de combinaison avec les métaux
qu’on rencontre l’iode le plus souvent; il forme des iodures
solubles avec les métaux des deux premières sections (potas¬
sium, sodium, calcium, et magnésium), et des iodures inso¬
lubles avec ceux des deux dernières (argent, mercure, plomb).
Tous ces iodures se trouvent dans les trois règnes de la nature
comme nous allons l’indiquer.
Dans le règne minéral, on trouve l’iode combiné aux métaux
lourds, tels que le plomb, le mercure et surtout l’argent, dans
certaines mines du Mexique. On en a constaté l’existence éga¬
lement dans beaucoup de combustibles fossiles, comme L’an¬
thracite, la bouille, le lignite, etc. Les sels gemmes paraissent
en contenir assez fréquemment; le nitrate de soude brut, qui
nous vient dü Chili, en contient souvent de 1 à 2 pour cent, ^
l’état d’iodure et d’iodate de sodium. Enfin, la plupart des eaux
fluviales en contiendraient, au dire de M. Cbâtin; il en est de
même des eaux minérales de plusieurs sources des Alpes et des
Pyrénées, et surtout des eaux de la mer et des sources salées
IODE.
U9
des continents, qui constituent la source la plus abondante
d’iode. ,
Dans le règne végétal^ l’iode paraît aussi très-répandu, mais
toujours en petite quantité. Beaucoup de plantes aquatiques
des eaux douces en renferment ; il en est de même de bon
nombre de plantes terrestres xivant sur le bord de la mer ou à
une petite distance, telles que les agaves, les barilles, etc.. Mais
les plus riches en iodures alcalins ou terreux sont les plantes
marines, telles que les fucus ou varechs, les algues, les ulves,
etc., qui croissent sur les rochers des bords de l’Océan en grande
abondance et qui concentrent dans leurs tissus la faible quan¬
tité d’iode contenue dans l’eau de la mer. Ce sont surtout ces
plantes qui sont employées pour l’extraction de l’iode, comme
nous le verrons tout à l’heure.
Enfin, dans le règne animal, le moins riche des trois, on ne
rencontre guère l’iode que dans les derniers degrés de l’échelle
zoologique et dans les animaux ou zoophytes qui vivent dans
les eaux de la mer. Ceux qui en présentent le plus sont, d’abord,
les éponges et beaucoup de polypiers; puis viennent certains
mollusques (huîtres) et quelques erustacés (crabes) ; enfin, les
œufs des poissons et même le foie de quelques-uns, comme la
morue, la raie, le squale, etc., renferment également de l’iode en
quantité notable. C’est ce qui explique sa présence dans l’huile
de foie de morue.
Extraction et purification de l’iode. — Sur les côtes occi¬
dentales de la France , en Bretagne et en Normandie , on
recueille des plantes marines qu’on appelle des varechs ou
des goémons. Les unes viennent de la haute mer et sont reje-
. tées sur le rivage par les flots de la marée montante ; les autres,
attachées aux roches sous-marines, sont récoltées à marée basse
pendant les six mois les plus chauds de l’année, de mars à oc¬
tobre. Ces plantes sont séchées d’abord, puis incinérées dans
des fosses creusées en terre et dont les parois sont revêtues de
briques ou de pierres réfractaires. La cendre fritée et à moitié
fondue qu’on retire en bloc des fosses est vendue depuis long¬
temps sous le nom impropre de soude de varechs. Quand on en
a retiré, par des lavages méthodiques, les" chlorures de sodium
et de potassium et le sulfate de potasse, sels qui constituaient
autrefois toute la valeur des soudes de varechs, on fait cristalli¬
ser ces sels en concentrant les solutions qui les renferment ;
les eaux-mères qu’ils laissent après eux contiennent les iodures
et bromures alcalins et .terreux contenus dans les goémons, et,
29
X.
450
IODE.
par suite, dans les soudes de yarechs. Voici comment on retire
riode de ces eaux-mères.
Elles sont concentrées successivement d’abord à 45" Baumé
puis à 60", afin qu’en se refroidissant, elles abandonnent les
dernières parties de chlorures de sodium et de potassium qu’elles
avaient retenues; puis on y ajoute de l’acide sulfurique en
quantité suffisante pour détruire les sulfures et hyposulfites qui
existent toujours dans ces eaux-mères et qui auraient une
fâcheuse influence sur l’extraction de l’iode: on laisse refroidir
la liqueur et déposer le soufre provenant de la décomposition
des sulfures; puis on la décante et on la ramène, par une addi¬
tion d’eau, à 25" Baumé. Enfin, cette solution étant placée dans
une tourie en grès à plusieurs tubulures, on y fait passer un
courant de chlore en quantité calculée pour décomposer les
iodures sans attaquer les bromures, ce qui se détermineparun
essai préalable fait en petit.
A mesure que le gaz chlore traverse la solution, l’iode se
dépose au fond de la tourie sous forme d’une poudre noire,
qu’on retire au fur et à mesure qu’elle se produit. Pour cela, ôn
emploie une spatule en bois ou en grès, qu’on introduit dans la
tourie par une de ses tubulures très-large. L’iode ainsi recueifii
est placé dans des entonnoirs en grès, où il est lavé à l’eau
froide pour enlever toutes les impuretés, puis égoutté etflnalè-
ment séché avant de lé purifier définitivement. Quant à cette
dernière opération, elle s’exécute en grand aujourd’hui d^s
des cornues en grès installées dans un bain de sable et comniu-
niqùant avec des récipients ég:alement en grès tenus froids.
L’iode est alors suffisamment pur pour son emploi eh méde¬
cine et dans l’industrie ; pour les usages des laboratoires de chi¬
mie, on obtient de l’iode pur en décomposant l’iodure de potas¬
sium par l’acide sulfurique et le peroxyde de manganèse :
Kl -4- MnO^ -t- 2SO*,HO = KO,SO' -f MnO,SO* -f 2HO -1- 1.
€n a proposé plusieurs autres procédés pour l’extractioii
industrielle de l’iode; mais comme celui que nous venons de
décrire est à peu près le seul qui soit usité en France, nous
n’en décrirons pas d’autres, d’autantplus que ce sujet présente
peu d’intérêt pour les praticiens.
Propriétés de l’iode. — L’iode est solide à la température et à
la pression ordinaires; il est habituellement sous forme de
petites paillettes, d’un gris d’acier, très-fragiles et faciles à pul¬
vériser; mais il peut cristalliser en lames de forme rhombuï-
IODE.
4SI
daJe; son odeur est assez pénétrante et rappelle celle du chlore;
sa saveur est âcre et caustique ; il tache la peau en jaune et peut
détacher l’épiderme si l’application est réitérée sur le même
point; sa densité est égale à 4, 95.
L’iode fond à la température de 1 07" et se réduit en vapeur
entre 175 et 180"; si on opère sur une petite quantité d’iode, le
corps disparaît sans fondre ; dans le cas contraire, il se forme
un liquide de teinte très-foncée presque noire. Malgré le point
de fusion et de vaporisation assez élevé de l’iode, ce métalloïde
donne des vapeurs à la température ordinaire; d’où la néces¬
sité de tenir ce corps dans un lieu frais et dans des vases bien
bouchés. Les vapeurs de l’iode présentent deux caractères re¬
marquables : leur belle couleur violette, qui a valu le nom
que porte le corps qui la fournit, et leur densité considéra¬
ble, qui égale 8,72, ce qui en fait un des corps gazeux les plus
lourds.
L’iode est peu soluble dans l’eau ; ce liquide n’en dissout
qu’un sept-millième, soit environ 14 à 15 centigrapames par
litre; cette petite quantité d’iode suffit pour donner à la solu¬
tion une teinte jaune-brunâtre très-prononcée. L’alcool, par
contre, dissout aisément l’iode et en prend un dixième, soit
cent grammes par litre; la liqueur est de teinte presque noire.
L’éther, le chloroforme, le sulfure de carbone, la benzine, et la
plupart des hydrocarbures liquides, les essences et les huiles
dissolvent également l’iode en proportion plus forte que l’eau.
Ces liquides prennent souvent alors une teinte violette. Enfin,
une solution d’iodure de potassium et de quelques autres sels
alcalins, et surtout ammoniacaux, dissolvent également une
assez forte quantité d’iode.
D’une manière générale, sous le rapport chimique, l’iode se
place naturellement à côté du chlore et du brème ; comme ces
deux chloroïdes, les propriétés chimiques de l’iode dérivent en
grande partie de son affinité pour Vhydrogène^ Les propriétés
décohrafites, désinfectantes et oxygénantes de l’iode, ont leur
origine dans l’action déshydrogénante , que ce métalloïde
exerce sur les matières minérales hydratées et sur les subs¬
tances organiques végétales et animales, à la manière du chlore
et du brème. Aussi, comme l’affinité de l’iode pour l’hydrogène
est beaucoup moins prononcée que celle des autres chloroïdes,
les propriétés dont nous parlons sont-elles, pour cette raison,
plus faibles dans l’iode, à l’exception des propriétés antiputrides
qui sont très-prononcées. Par contre, ce métalloïde se combine
4S2
IODE.
plus facilement avec l’oxygène, que les autres corps de la famille
des chloroïdes.
L’iode mis en rapport avec les autres corps simples, métaU;
loïdes ou métaux, manifeste des affinités étendues et puissantes^
quoique moins énergiques, en général, que celle du chlore et
dubrôme. Ainsi, avec les corps non métalliques, l’io_de cou-:;
tracte des combinaisons directes, mais peu stables et presque
toujours décomposables par l’eau. Avec les métaux, la çombiv
naison de l’iode se fait directement et souvent avec une grande:
énergie; il en résulte des iodures qui sont isomorphes aveu Iggi
chlorures et les bromures. Il suffit de mélangér de J’iode avec:
le métal réduit en limaille, de broyèr ie.tout dans un mortier:
avec un peu d’eau ou d’alcool, pour que la combinaison s’ef^a
fectue avec dégagement de chaleury il est niême prudent d’agir
sur une petite quantité à la fois et de ne faire jamais réagir s
l’iode sur les métaui alcalins et terreux qu’avec une grandes
circonspection. Il vaut mieux agir sür leurs oxydes^ ;
L’action de l’iode sur les acides est assez variée. Les: oxacides-ô
qui cèdent facilement leur oxygène, comme l’acide azotique,
par exemple, peuvent transformer l’iode en acide iodique; pat?
contre, ceux qui ne sont pas saturéé d’oxygène, tels que les :
acides sulfureux, arsénieux, sont transformés en acides sulfii-:>
rique, arsénique, par Tiode qui décompose l’eau, prend l’hy-;
drogène et cède l’oxygène à ces acides^ Les hydracides forts,
tels que les acides fluorhydriquê, chlorhydrique et brornhy-^-
drique, ne sont pas attaqués par l’iode; mais les hydracides
faibles, comme l’acide sulfhydrique et l’acide cyanhydrique,'
par exemple, sont au contraire très-nettement décomposés par
Tiode. : -
Les oxydes métalliques sont pour la plupart décomposés par
Tiode, surtout par Tintennédiaife de Teau; aussi Taction est
plus rapide sur ceux qui sont solubles que sur ceux qui sont-
insolubles, et parmi ces derniers, sur 'ceux qui sont; hydratée
que sur ceux qui sont anhydres. Lés résultats de la réactibnc
sont, du reste, très-variables. Avec les bases alcalines il ie
formé un iodure et un iodate, comme il sera démontré à pro-?
pos de Tiodure de potassium; avec les bases terreuses les effets
sont incertains ; enfin, avec les oxydes métalliques, il y a for¬
mation d’un iodure et dégagement d’oxygène, dans la majorité
des cas.
Les effets de Tiode sur les séls sont variables. Quand les sels
sont formés par des acides ou des oxydes non saturés d’oxy-
gène, riode, comme le chlore et le brème, les porte au maxi¬
mum d’^osydation en décomposant l’eau. Certains sels binaires,
comme les sulfures et les cyanures, sont facilement décom¬
posés par l’iode ; il en est de même des hyposulfites.
Les matières organiques, végétales et animales, contenant
toutes de l’hydrogéné, sont modifiées immédiatement où à la
longue, par l’iode. Aussi, les solutions de ce métalloïde dans
i’sâcool, l’éther, les liydrocarbures, etc., ne se conservent- elles
pas intactes^ surtout si la chaleur et la lumière interviennent;
il se forme de l’acide iodhydrique et la matière organique
s’oxyde plus ou moins profondément. Enfin, les alcaloïdes
végétaux sont parfois altérés par l’action de l’iode ; mais le plus
souvent ce métalloïde forme avec ces bases organiques un
composé défini, cristallisable ou amorphe, le plus souvent inso¬
luble dans l’eau; de là l’emploi de l’iode comme contrepoison
des alcaloïdes.
Réactif de VIode. — Les plus petites quantités d’iode sont
indiquées par la solution d’amidon ou de fécule dans l’eau ; il
résulte du mélange une magnifique coloration bleu indigo tout
à fait caractéristique. La réaction se produit immédiatement
quand l’iode est libre ; mais quand il est à l’état d’iodure et
d’iodate, il faut lui rendre la liberté en faisant agir, en même
temps que l’empois, du chlore ou un acide minéral; cet acide
sera très-oxygéné si c’est un iodure (acide azotique nitreux), et,
au contraire, il ne sera pas saturé, si on a. affaire à un iodate .
(acide sulfureux) . La coloration bleue disparaît quand on chauffe
la solution bleue à 80°, et reparaît lorsqu’elle se refroidit; mais
si on répète l’opération plusieurs fois ou si on porte la liqueur
jusqu’à la température de 100“ degrés, la couleur ne reparaît
plus et la solution reste définitivement décoJ orée (Lassaigne).
Ce dernier résultat peut tenir à deux causes : à la volatilisation
de riode et à sa transformation en acide iodhydrique.
Falsification de VIode. — Cette substance étant d’un prix très-
élevé, on a cherché, par un assez grand nombre de moyens,
d’en augmenter frauduleusement le poids sans en altérer l’as¬
pect. Les matières qu’on y mélange le plus souvent sont le
charbon de bois en poudre, la houille' grasse, V ardoise pilée, le
peroxyde de manganèse, le sulfure de plomb, le fer micacé, les
battitures de fer, etc. Rien, du reste, n’est plus facile que de
dévoiler la présence de ces matières étrangères, qui sont fixes et
insolubles, tandis que l’iode est volatil et soluble dans plusieurs
véhicules. Ainsi, en chauffant la matière suspecte sur une
4S4
IODE.
plaque de porcelaine ou dans un creuset, Tiode se volatiliserait
la matière étrangère restera. On peut aussi dévoiler la présence
de ces matières inertes en dissolvant un échantillon de l’iode
impur dans un véhicule quelconque, l’^cool, l’éther, une solu¬
tion de potasse, etc. ; les matières étrangères resteront iadis-
soutes au fond du vase. ‘ ; -,
Usages de VIode. — Longtemps l’iode a été employé exclusi¬
vement en médecine et en chirurgie; mais depuis un certain
nombre d’années, l’industrie s’est emparée de cette matière et'
en a tiré un parti fort avantageux. La photographie en fait
surtout une consommation considérable, car l’iode, sous forme'
d’iodure d’argent, très-altérable à la lumière, constitue la hase,
de cet art merveilleux. Depuis quelques années, on a introduit;
l’iode dans la fabricatiôn des matières colorantes tirées de l’ani*
line, et il en est résulté la création de couleurs d’un édlat
incomparable ; cette nouvelle voie assure à l’iode, dans l’avenir^
un débouché de plus en plus considérable. Enfin, l’emploi chi¬
rurgical et médical de l’iode et de ses composés devient de plus
en plus important. ,
lODüRES MÉTALLIQUES. — Genre de sels binaires ou haloïdeS'
forrnés par l’union de l’iode avec les métaux ; ils sont isomor¬
phes avec les chlorures et les bromures, sels binaires qu’ils, ac¬
compagnent souvent -dans la nature et avec lesquels ils présen-;
tent les plus grandes analogies physiques et chimiques. On en
trouve un certain nombre dans la nature, mais ceux qui, sont
employés en médecine et dans l’industrie sont le produit de
l’art. Leur préparation est généralement très-simple et les pro¬
cédés usités peu variés. Parfois on fait agir directement l’iôde
sur les métaux-(proto-iodures de fer et de mercure); d’autres
fois on Je fait réagir sur les oxydes (iodures alcalins) ; enfin,
les iodures insolubles sont préparés par double décomposition
{iodures de plomb, de mercure, d’argent, etc.). Les sels sont
solides, incolores ou teints de couleurs très- vives; leur odèiir
rappelle souvent celle de l’iode affaiblie, et leur saveur est forte
quand ils sont solubles et nulle ou peu prononcée lorsqu’ils
sont insolubles ; les premiers cristallisent en cubes ; . les derniers
sont généralement amorphes. Les iodures sont fusibles et vola¬
tils, parfois décomposables par l’action de la chaleur seule-
L’eau' dissout les iodures des premières sections et reste sans
action sur ceux des dernières sections; l’alcool dissout les
iodures alcalins et un peu ceux de mercure. Les iodures sont
décomposés par le chlore et le hrôme ; il en est de même des
IODE.
4SS
oxacides plus ou moins oxygénés (acides azotique, sulfurique,
ptosphorique, etc.); par contre les hydracides sont sans action
sur ces sels. Enfin avec les bases et les sels les iodures se com¬
portent sensiblement comme les chlorures et les bromures, et
aussi comme la plupart des substances salines.
Caractères spécifiques. — Les iodures traités par l’acide sulfu¬
rique et le peroxyde de manganèse donnent des vapeurs vio¬
lettes d’iode par l’action de la chaleur. Leur solution est préci¬
pitée en jaune clair par le nitrate d’argent ; en jaune d’or par
les sels de plomb ; en jaune verdâtre par les protosels de mer¬
cure, et en rouge coquelicot magnifique par le sublimé corrosif.
En outre, cette solution, additionnée d’empois et traitée, soit
par l’hydrochlore, soit l’acide azotique nitreux, se colore en
bleu indigo, tout à fait caractéristique.
Les iodures les plus employés en médecine sont ceux de po¬
tassium, de fer, de plomb et d.e mercure. Ce sont les seuls que
nous étudierons.
lodure de potassium. Kl (synonymie : Hydriodate de potasse).
— Ce sel binaire, le plus important des composés de l’iode, se
prépare par deux procédés différents, que nous allons faire con¬
naître.
1° Dans une dissolution concentrée de potasse on ajoute peu
à peu de l’iode jusqu’à ce que la solution .prenne une teinte
rosée, ce qui indique un léger excès d’iode. Il se forme dans
cette réaction un mélange d’iodure de potassium et d’iodate de
potasse :
6KO + 61 == 5KÏ -f KO,IO'.
La dissolution de ces deux sels est évaporée à siccité et le ré¬
sidu est calciné au rouge, ce qui décompose l’iodate en oxygène
et iodure de potassium. On reprend par l’eau lorsque le creuset
est froid, on fait bouillir, on filtre et on abandonne la solution
à la cristallisation. Parfois on ajoute un peu de charbon avant
la calcination pour faciliter la décomposition de l’iodate et em¬
pêcher un excès de potasse, qui est transformée en carbonate.
2° Dans un autre procédé, on commence par préparer de
l’iodure de fer, comme nous le verrons tout à l’heure, et à sa
solution on ajoute du carbonate de potasse; il en résulte la
réaction suivante :
Fel -f K0,G02 = Fe0,C02 -f Kl.
11 se précipite du cariionate de protoxyde de fer qu’on sépare
par la filtration, et il ne reste plus qu’à faire cristalliser l’iodure
IODE.
4o6
de potassium en concentrant la dissolution. Préparé ainsi, Pio,
dure de potassium présente souvent des taches de rouille: i sa
surface.
Propriétés. — Ce sel est solide, cristallisé en cubes, d’un blanc
opalin et laiteux, d’une légère odeur d’iode, et d’une sa^eiù*
âcre et alcaline. Exposé à l’air, il s’altère lentement, parce
l’uxygène déplace une partie de l’iode et communique au sel
une teinte jaunâtre : de là la nécessité de le conserver dans des
flacons secs et hermétiquement fermés. Soumis à l’action de la
chaleur, il décrépite, fond, se volatilise, mais ne se décompose
pas. L’eau froide en dissout les deux tiers de son poids et l’eau
bouillante deux fois son poids environ, et l’alcool froid le cin¬
quième seulement. La solution aqueuse d’iodure dé potassium
peut dissoudre une certaine proportion d’iode, et donner nais¬
sance à un iodure ioduré. Ce composé d’iode, solide ou en dis¬
solution, est très-facilement décomposé par l’eau de chloré, les
hypochlorites alcalins, les acides minéraux, etc.
Altérations et falsifications. — L’iodure de potassium peut
contenir une certaine quantité de carbonate de potasse, par
suite d’une mauvaise fabrication, ou par suite d’une addition
frauduleuse ; lorsque la proportion de ce sel est un peu forte,
l’iodure de potassium devient tràs-déliquescent à l’air, et fait
effervescence avec- les acides, qu’il soit solide ou en dissolution.
Les sels qu’on mélange le plus souvent à l’iodure de potassium
sont les suivants : chlorures de potassium et de sodium^ bromure
de potassium, sulfate de potasse, nitrate de soude et le bicdtho-
nute de soude, etc, : , :
La présence des chlorures dans l’iodure de potassium est fa¬
cile à dévoiler au moyen du nitrate d’argent et de l’ammb-
niaque ; dans ce but, on dissout dans l’eau une petite quantité
du sel suspect, et on le précipite au moyen de la solution d’azo¬
tate d’argent. Si l’iodure de potassium, est pur, le précipité est
jaunâtre, peu altérable à la lumière, et résiste complètement à
l’action dissolvante de l’ammoniaque liquide ; dans le cas, au
contraire, où il existait une certaine proportion de chlorures
mélangés, le précipité est plus blanc, devient violet à l’air, et
se dissout en partie dans l’alcali , volatil ; la partie dissoute est
mise à nu au moyen de l’acide azotique, qui neutralise l’ammo¬
niaque ayant servi de dissolvant.
On a proposé divers moyens pour reconnaître la présence du
bromure mélangé à l’iodure de potassium, mais ils sont trop
compliqués pour trouver place ici; le procédé suivant, qui est
IODE.
457
aussi simple que possible, nous paraît remplir parfaitement le
but : c’est de traiter la solution du sel suspect par le biciilorure
de mercure. S’il est pur, le précipité est d’un beau rouge
coquelicot ; mais s’il est mêlé de bromure, on n’obtient qu’un
dépôt briqueté couleur de litbarge, etc,
/Enfin, le sulfate de potasse est accusé par le nitrate de ba¬
ryte, le nitrate de soude par sa propriété de fuser sur les char¬
bons ardents, et le bicarbonate sodique par l’effervescence qu’il
produit avec les acides.^
_ lodure de fer. Fel. — Ce composé, comme l’indique sa for¬
mule, est un protoiodure, ou iodure ferreux. On le prépare ai¬
sément en traitant une partie de limaille de fer par trois parties
environ d’iode, et une quantité suffisante d’eau ; l’opération
peut se faire dans une capsule en porcelaine ou un ballon en
verre ; on chauffe doucement jusqu’à ce que la solution ne pré¬
sente plus que la teinte verte des protosels de fer et on filtre.
La liqueur est ensuite évaporée rapidement jusqu’à consistance
presque sirupeuse en présence de quelques pointes de Paris,
pour éviter une oxydation; on coule ensuite sur une assiette,
où le produit se prend en masse cristalline. Aussitôt qu’il est
froid, on le détache de l’assiette et on le renferme dans un fla¬
con bouchant à l’émeri, qar c’est un produit altérable à l’air.
Propriétés. — Ce corps, récemment préparé et pur, est blanc;
mais il est habituellement verdâtre et cristallin ; sa saveur et
son odeur rappellent à la fois celles de l’iode et du fer. Exposé
à l’air, il en attire à la fois l’humidité et l’oxygène et s’altère
profondément. La chaleur le décompose entièrement en chas¬
sant l’iode. Il est soluble à la fois.dans beau et dans l’alcool.
En évaporant sa solution dans le vide on peut l’obtenir cristal¬
lisé. . ^
Iodure de plomb. Pbl. — Cet iodure, qu’on rencontre parfois
dans la nature, se prépare en mélangeant une solution d’un sel
de plomb avec celle de l’iodure de potassium. On dissout, pour
cela, parties égales, en poids, de nitrate de plomb et d’iodure
potassique, dans des quantités suffisantes d’eau pure, et on
verse peu à peu la solution d’iodure dans celle du sel de plomb,
jusqu’à ce qu’elle cesse d’y produire un précipité jaune. Ce
précipité, formé d’iodure de plomb, est lavé par décantation et
séché à l’étuve. On le pulvérise ensuite et le renferme dans un
flacon à l’abri de la lumière, qui l’altère.
Propriétés. — L’iodure de plomb est sous forme d’une poudre
pesante, d’un jaune citron, sans odeur et sans saveur. Il se
458
IODE.
dissout dans 1,200 p. d’eau froide et dans 200 p. d’eau bouil¬
lante, de laquelle il se précipite en petites paillettes d’un jaune
d’or magnifique. Il est, au contraire, très-soluble dans la solu¬
tion des iodures alcalins et surtout de l’iodure de potassium.
Indurés de mercure. — Il en existe trois : le protoiodure, le
sesqui-iodure et le bi-iodure; le premier et le dernier sont seuls
importants. Nous allons les décrire.
Protoiodure de mercure. H^f^I. On peut l’obtenir par deux
procédés. Dans le premier, qui donne un produit pur, on tri¬
ture dans un mortier 6 p. d’iode et 16 p. de mercure, apres
avoir ajouté un peu d’alcool, jusqu’à ce que le métal ait entiè¬
rement disparu. On fait bouillir l’iodure produit dans l’alcool
et on le sèche. Il est prudent de n’opérer jamais que sur de
petites quantités et de tenir constamment le mélange humecté
d’alcool pour éviter l’élévation de température et une explosion.
Dans le deuxième procédé, plus simple, il est difficile d’éviter la
formation d’un peu de sesqui-iodure, ce qui a peu d’inconvé¬
nient. Il consiste à verser dans une solution, aussi neutre que
possible, de protonitrate de mercure, une solution d’ioduré de
potassium de manière à obtenir un précipité verdâtre. Ge pré¬
cipité est lavé, séché et mis dans un flacon en verre de couleur,
car il est altérable à la lumière.
Propriétés. — Il est solide, amorphe, d’un jaune verdâtre par¬
ticulier, inodore et insipide, volatil, insoluble dans l’eau et
l’alcool, légèrement soluble dans la solution d’iodure de potas¬
sium, L’iode le change en bi-iodure.
Bi-iodure de mercure. Egl. — Cet iodure se prépare très^fa-
cilement par double décomposition. Pour cela on mélange une
solution étendue de 100 p. d’iodure de potassium avec une so¬
lution également peu concentrée renfermant 80 p. de bichlo- '
rure de mercure. Il se fait immédiatement un précipité rouge
éclatant de bi-ioduré de mercure. La condition nécessaire pour
que ce sel ait une belle couleur rouge coquelicot, c’est que
l’iodure de potassium domine légèrement dans la réaction. Ce¬
pendant il faut éviter d’en mettre un excès, car le bi-iodure
mercuriel est très-soluble dans la solution d’iodure de po¬
tassium, avec lequel il forme un iodure double, soluble dans
Peau.
Propriétés. — Il est solide, le plus souvent en poudre d’une
couleur rouge coquelicot magnifique, inodore, insipide, inso¬
luble dans l’eau, soluble dans l’alcool bouillant ainsi que dans
les chlorures et les iodures alcalins, volatil, devenant jaune par
IODE.
4o9
la chaleur'et reprenant sa belle couleur rouge par le refroi¬
dissement. Le mercure le ramène facilement à l’état de proto-
iodure.
Falsification. — Le prix du bi-iodure de mercure étant très-
élévé, on a cherché à falsifier ce sel par diTers moyens; les ma¬
tières qu’on y mélange le plus souvent sont le sulfate de baryte,
le minium et le sulfure rouge de mercure. Cette fraude se recon¬
naît facilement à l’aide de l’alcool, qui dissout le bi-iodure de
mercure à la température de l’ébullition, tandis qu’il n’attaque
pas les autres matières.
II. Iode èt iodupes (matière médicale et thérapeutique).
L’iode et ses composés eonstitueut, dans la grande classe des
altérants, les médicaments les plus actifs, les plus efficaces et
les plus usités. Dans la médecine de l’homme, ces médicaments
occupent incontestablement le premier rang parmi les agents
modificateurs de l’économie; dans celle des animaux, bien
qu’ils n’aient pas ce degré d’importance, ces corps méritent
néanmoins une étude attentive. Ces médicaments, qui ont pour
base le même principe, métalloïde, l’iode, déterminent dans
l’organisme des effets généraux qui sont sensiblement les mê¬
mes pour tous; aussi croyons-nous devoir lès examiner d’abord
d’une manière générale avant de procéder à l’histoire particu¬
lière de chacun d’eux.
Bes lodurés en général.
L’iode et ses divers composés se rencontrent tout préparés
dans le commerce; ils sont souvent à l’état de pureté; néan¬
moins, comme leur valeur vénale est considérable et ne tend
pas à diminuer, la cupidité des commerçants s’est déjà exercée
à trouver les moyens d’augmenter leur masse par des additions
de matières inertes qui n’en altèrent pas l’aspect. Nous avons
fait connaître précédemment les falsifications dont chaque
composé iodique est l’objet dans le commerce.
Pharmacotechnie. — L’iode et ses composés sont soumis à un
assez grand nombre de manipulations, généralement assez
simples; ils entrent dans une foule de préparations destinées,
soit à l’usage interne, soit pour l’usage externe. Nous les ferons
connaître plus tard.
Medicamentation. — Les iodiques s’admimstrent, soit à l’inté¬
rieur, soit à l’extérieur, isolément, ou par les deux voies a la
fois et simultanément. Le plus souvent, pour l’usage interne.
IODE.
460
OB les introduit dans le tube digestif sous forme de breuvàgenu
de bol, et très-rarement sous forme de laYement; de plus
comme ces composés sont très-volatils, on comprend la posst-.
bilité de les administrer en fumigations dans les voies respira¬
toires; ce procédé, néanmoins, est assez rarement employé; , A
l’extérieur, on n’applique guère les préparations d’iode que
pour des médications purement locales; cependant on les a em¬
ployées dans quelques circonstances en frictions pénétrantes.
Pharmacodynamie. — Les effets des altérants iodurés doivent
être distingués en locaux externes, locaux internes ei généraux^ _
ces. derniers seront subdivisés en effets primitifs, effets consécM-
tifs effets toxiques. ' , :
1" Effets locaux externes. — Appliquées sur la peau, les pré¬
parations d’iode agissent comme de légers irritants; elles proH
duisent de la chaleur, de la rougeur, des picotements, des:'
gerçures, et la chute des poils au bout d’un certain temps.: Sur
les muqueuses, les solutions de continuité, les tissus dénudés^.;
ces composés ont une action beaucoup plus énergique et déterrl
minent une véritable cautérisation. Les indiques les plus irri-, .
tants sont l’iode, l’iodure d’arsenic, ceux de mercure, etc. .
%° Effets locaux internes. — Lorsque ces médicaments sont ;
introduits dans le tube digestif, ils déterminent des effets- va¬
riables selon les doses qui ont été ingérées. Donnés en petite ,
quantité, ils agissent comme des excitants de l’estomac et des .
intestins; ils augmentent l’appétit, accélèrent la digestion, préçi- ;
pitent le mouvement intestinal,:bâtent les défécations, colorent;
lesnxcréments en jaune, etc. A doses plus élevées ou plus rap¬
prochées, les iodiques irritent notablement les voies digestives?--
ils diminuent l’appétit, provoquent la soif, déterminent de la
salivation, des mouvements continuels de déglutition chez le :
chien, des vomissements réitérés chez les carnivores et les ,
omnivores, des coliques plus ou moins vives chez tous les ani-
maux, souvent de la diarrhée, de l’ahattement, un amaigrisse¬
ment rapide, etc.
3° Effets généraux. — Il existe peu de médicaments qui
possèdent autant de force de pénétration que les composés
d’iode, et dont l’absorption soit aussi rapide. Leur séjour dans
l’économie paraît être très-court, car les diverses sécrétions
naturelles et morbides ne tardent pas à accuser la présence des
iodiques par leur couleur, leur odeur ou les réactions spéciales
qu’elles donnent au contact des réactifs caractéristiques de
l’iode. Il résulte de cette particularité que les altérants iodurés
IODE.
461
se séparent du sang presque aussi rapidement qu’ils s’y mélan¬
gent, et que leur accumulation dans l’organisme est bien rare¬
ment Jî craindre. Les effets dynamiques de ces médicaments
doiv&pt être distingués en effets primitifs, effets consécutifs et
qWeAs togciques.
n. Effets primitifs. — Lorsque l’iode et ses composés sont
administrés à l’intérieur à petites doses suffisamment espacées
lesninès des autres, il n’en résulte le plus souvent aucune mo-
(fiflcatiôn fonctionnelle appréciable; Turine, le lait, l’air expiré^
la, sueur, etc., entraînent au dehors les molécules de ces médi¬
caments dans les intervalles des doses, de sorte que l’économie
ne semble avoir éprouvé aucune modification de leur court
passagé -à travers ses rouages. Mais si les doses administrées
sont un peu fortes ou trop rapprochées, il peut en résulter, chez
la plupart des animaux, un léger mouvement fébrile, qui accuse
les propriétés excitantes de composés iodiques. Il est rare que
la respiration s’accélère et que le pouls devienne très-vite; le
plus souvent ces fonctions restent stationnaires, et il arrive
même, chez certains sujets, que le pouls se ralentit légèrement,
et-que l’artère devient molle sous le doigt qui l’explore; c’est au
moins ce* que nous avons observé dans les hôpitaux de l’École
sm* plusieurs chevaux morveux auxquels on administrait l’iode
en pilules, à la dose de 10 à 12 grammes à la fois. Quand l’ad¬
ministration des iodurés s’accompagne de l’irritation plus ou
moins vive des voies digestives, le mouvement fébrile est tou¬
jours plus net et plus intense. Un des effets primitifs les plus
constants de ces médicaments, c’est de déterminer la rougeur
dés muqueuses apparentes, et plus particulièrement de la con¬
jonctive ; cette membrane devient souvent d’un rouge violet, et
les sécrétions dont elle est le siège acquièrent une activité inso¬
lite ,qui se continue durant l’usage des iodiques. C’est, du reste,
un caractère général des iodiques, d’exciter les muqueuses,
d’augmenter la sécrétion folliculaire ou muqueuse, et de simu¬
ler ainsi une sorte de fluxion éphémère sur les divers points du
système muqueux. La peau est parfois aussi le siège d’un mou¬
vement fluxionnaire marqué, qui est indiqué par de la rougeur,
de la chaleur, des sueurs partielles, et très-rarement par une
éruption plus ou moins grave. Ce dernier phénomène, qu’on
observe quelquefois chez l’homme, paraît être très-rare sur les
animaux, car aucun vétérinaire ne l’a encore mentionné; nous
devons à l’ohligeance de M. Buer la connaissance de ce léger
accidents Ce vétérinaire l’a observé sur plusieurs vaches attein-
462
IODE.
tes de mammite chronique, sur lesquelles il pratiquait des
frictions fondantes avec une pommade d’iodure de potassium
fortement iodurée. Au bout de quatre ou cinq jours de çes
applicatiO'ns, on voyait survenir une éruption de pustules trfe-
douloureuses qui ne tardaient pas à se terminer par résolution.
Enfin, on doit compter parmi les effets immédiats des composés
d’iode une augmentation notable de la plupart des sécrétions
et spécialement de celle de l’urine.
, b. Effets consécutifs. — Dans les premiers temps de leur
administration, les altérants iodurés augmentent plutôt qu’ils
ne diminuent les qualités plastiques du sang: leur action pri¬
mitive est effectivement essentiellement coagulante. Mais quand
leur usage est continué un peu trop longtemps et que des mo¬
lécules nouvelles viennent agir sans cesse sur le fluide nutritif,
il en résulte des changements progressifs dans la crase san¬
guine, l’atténuation de plus en plus grande des propriétés
plastiques et nutritives de ce fluide essentiel : aussi, quand onle
place dans une éprouvette, paraît-il d’une teinte plus pâle qu’à
l’état naturel; U se coagule aussi plus lentement, le caillot formé
a moins de consistance, et la sérosité, plus abondante qu’à
l’ordinaire, revêt souvent une teinte jaunâtre particulière et
caractéristique. Sous l’influence de cette modification matérielle
du sang, il se produit dans la fonction nutritive des change¬
ments qui indiquent nettement l’action altérante des composés
iodiques. Le mouvement de composition se ralentit, tandis que
celui de résorption acquiert une activité considérable; aussi
remarque-t-on un amaigrissement rapide de tout le corps, la
mollesse des tissus, la pâleur des muqueuses, la diminution
des forces générales des sujets, etc. Un effet remarquable des
iodiques, c’est de communiquer aux fonctions interstitielles des
organes glanduleux et parenchymateux, et même quelquefois
aux tissus blancs doués d’une faible vitalité, une activité
extraordinaire; en sorte que, s’ils sont le siège d’indurations,
d’engorgements et de diverses altérations morbides, on peut voir
ces lésions diminuer peu à peu et même disparaître entièrement
sous l’influence de la médication altérante iodurée, pourvu
qu’elle soit employée avec assez de persévérance et d’habileté. ,
c. Effets toxiques. — Enfin, quand on administre des doses
exagérées d’iode et de ses composés, il peut en résulter un
empoisonnement grave. Les premiers désordres se montrent
dmis le tube digestif, et consistent le plus souvent en irritation
vive de la muqueuse gastro-intestinale, avec accompagnement
IODE.
^463
'^^ulcérations, d’éruptions pustuleuses, etc. Ces divers désordres
matériels sont accusés au dehors par de la salivation, des vo¬
missements chez les petits animaux, des coliques vives, dé la
diarrhée, de rabattement, une lièvre intense, etc. Les accidents
généraux de rempoisonnement iodique varient selon qu’il est
aigu ou chronique ; dans le premier cas, on observe les phéno¬
mènes immédiats très- exagérés; et dans le second cas, on re¬
marque les accidents qui accompagnent hahituellement un état
cachectique du sang. Enfin, dans quelques cas rares, on voit
survenir l’atrophie de certaines glandes externes, telles que les
thyroïdes, les mamelles, les testicules, etc.
Les accidents déterminés par les altérants iodurés sont rares
chez les animaux, où leur usage interne est encore peu fré¬
quent, sans doute, à cause du prix très-élevé de ces médica¬
ments. Aussi, cette sorte d’empoisonnement lent par les iodi-
ques, signalé dans ces derniers temps dans l’espèce humaine,
par quelques médecins, est-il inconnu chez les animaux domes¬
tiques.
Pharmacothérapie. — Quoique l’iode ait été découvert en
1811, et que son histoire chimique fût presque complète quel¬
ques années plus tard, ce n’est que vers 1820 qu’il fit son appa¬
rition pour la première fois en thérapeutique. C’est au médecin
suisse, Goindet, de Genève, que la médecine est redevable de la
conquête de ce précieux médicament. Depuis longtemps, il est
vrai, on employait empiriquement plusieurs substances qui ren¬
fermaient de l’iode, comme la cendre des éponges neuves, celle
de certaines plantes marines, etc. ; mais on ignorait complète¬
ment la nature du principe actif de ces médicaments complexes.
De la médecine de l’homme les médicaments iodiques ne tar¬
dèrent pas à passer dans celle des animaux, et comme les pre¬
miers succès des médecins eurent lieu contre le goitre, c’est
aussi contre cette affection que les vétérinaires employèrent ces
nouveaux médicaments avec le plus d’avantages. Ceux de nos
confrères qui mirent le plus d’empressement à essayer l’iode sur
les animaux furent principalement Rainard {Comptes rendus
de Lyon, 1824), Prévost {Journ. prat., 1827, 1828, p. 239; et
Joum. théor. et prat., 1 831 , p. 280), Mayor [Journ. prat. de méd.
'oétér., 1828, p. 241), Vatel {Compte rendu d’Alfort, 1826.) etc.
Les indications générales des iodés sont assez nombreusés et
assez complexes, parce que_ çe_s médicaments jouissent de ver¬
tus multiples qui en rendent les applications plus variées. Nous
niions grouper les diverses affections qu’on peut traiter avec
464
IODE.
plus ou moins d’avantages par les iodurés, afin d’en abréger
l’histoire générale.
1° Affections du système lymphatique. — Dans cette catégorie
se trouvent compris la morve, le farcin, les scrofules, l’engorge¬
ment des ganglions mésentériques du bœuf, etc.
2“ Engorgements glandulaire et parenchymateux. — On peut
comprendre dans cette série complexe, le goitre, l’engorgement
chronique des mamelles, des testicules, des parotides, et en
général, de toutes les glandes externes. Parmi les engorgements
viscéraux qu’on peut attaquer par les iodiques, nous comptons
principalement ceux du foie, des poumons, des reins, des
ovaires, etc., lorsque le diagnostic en est possible.
3° Nutrition anormale. — Elle peüt être générale, comme on
l’observe chez certains animaux trop bien nourris et qui sont
atteints d’obésité; ou elle est simplement locale, comme on le
remarque sur certaines régions du corps qui Sont atteintes
d’hypertrophie.
4“ Affections cütanées et muqueuses. — Les maladies ancien¬
nes de la peau et des muqueuses qui s’accompagnent d’altérations
des tissus, de sécrétions anormales, etc. ^ sont presque toujours
avantageusement modifiées par l’usage des altérants iodurés,
donnés à l’intérieur. ou employés topiquement.
5“ Eydropisies.— Les composés d’iode sont employés dans le
traitement des hydropisies, tantôt à titre de modificateurs géné¬
raux et de diurétiques, tantôt comme simples agents irritants
appliqués localement. C’est surtout sous ce dernier point de vue
qu’on en fait usage contre l’hydropisie des petites séreuses voi¬
sines de lapeau, et même contre celle des séreuses splanchniques.
6“ Affections nerveuses. — On a proposé l’emploi des iodés
3ontre la chorée, l’épilepsie, certaines paralysies, etc., mais ce
traitement est encore peu répandu.
Des Iodurés en particulier.
DE l’iode.
Pharmacotechnie. — L’iode entre dans un assez grand nom¬
bre de formules magistrales ou officinales dans la pharmacie de
l’homme; dans celle des animaux, les trois formules suivantes
seules sont utilisées :
1° Teinture d’iode.
Prenez : Iodé . . 4 partie.
Alcool ordinaire. . . 42 —
Dissolvez à froid.
IODE.
2® Pommade d'iode.
Prenez : Iode . . 2 grammes,
- Axonge. . 32 —
Incorporez à froid.
: Todure d'amidon.
Prenez : Iode. . . 4 partie.
Amidon. . . 30 —
Triturez avec un peu d’eau et faites sécher à l’étuve.
Medicamentation, — L’iode s’administre à l’intérieur et s’em¬
ploie à l’extérieur sous diverses formes. A l’intérieur, on le
donne en bols ou en breuvages, très-rarement en fumigations
dans les voies respiratoires. Les bols se confectionnent avec
l’iode solide ou avec la teinture : dans le premier cas, on peut
le broyer avec une poudre végétale quelconque ou mieux avec
l’amidon cru ou cuit; on ajoute ensuite du miel ou de la mé¬
lasse pour donner à la préparation la consistance pâteuse ; dans
le second cas, on fait absorber la teinture d’iode par une poudre
végétale et l’on confectionne ensuite les bols comme à l’ordi¬
naire. Pour la préparation des breuvages iodurés, on peut par¬
tir soit de l’iode, soit de sa dissolution alcoolique ; si l’on em¬
ploie l’iode, il faut se servir, comme véhicule, ou d’une solution
légère d’iodure de potassium, ou de la décoction d’une plante
amère, l’expérience ayant appris, dans ces derniers temps, que
le tannin est un bon intermède pour faciliter la dissolution de
l’iode dans l’eau ; si l’on se sert de la teinture d’iode, il faut
employer les menstrues que nous venons d’indiquer, afin que
l’iode ne se précipite pas au fond du vase avec lequel on admi¬
nistre le breuvage. A l’extérieur du corps, on applique la tein¬
ture et la pommade d’iode en frictions locales, mais rarement
en frictions pénétrantes; enfin, la teinture pure ou étendue
d’eau est employée en injections irritantes dans les fistules, les
bourses muqueuses sous-cutanées, les kystes, les séreuses des
tendons, des articulations, etc.
Les doses d’iode qui conviennent aux diverses espèces domes¬
tiques sont encore mal déterminées ; les suivantes nous pa¬
raissent convenir dans la majorité des cas :
4° Grands herbivores . 4 à 8 grammes.
2° Petits ruminants et porcs . 0,SO à 2 —
3® Carnivores. . . . 40 à 35 centigr.
Ces doses pourront être répétées deux fois par jour dans des
X. 30
IODE.
circonstances exceptionnelles. Si l’on fait usage de la teinture
d’iode, on devra multiplier ces doses par douze.
Pharmacodynamie. — A l’exception des iodures mercuriels
dont la base augmente encore l’énergie, l’iode est incontestable¬
ment, de tous les médicaments iodiques, celui dont l’ activité
locale et générale est la plus grande. Appliqué sur la peau
intacte, ce métalloïde produit instantanément une coloration
jaune qui disparaît rapidement si l’application n’est pas réi¬
térée; dans le cas contraire, la tache devient permanente et une
véritable eschare prend naissance aux dépens de l’épaisseur du
derme. Sur les tissus dénudés et sur les muqueuses apparentes,
l’iode se comporte comme un caustique coagulant assez éner¬
gique. Dans le tube digestif, l’action irritante de l’iode est des
plus manifestes, puisqu’il suffit, d’après Orfila {Toxicologie,
t, I, p. 97 et suiv., 5® édit.), de 5 à 6 grammes d’iode donné en
pilules, l’œsophage restant libre, pour empoisonner mortelle¬
ment les chiens au bout de quelques jours; lorsque les voies
digestives ne restent pas à l’état naturel, il faut une quantité
moindre encore d’iode pour faire périr ces petits animaux. Les
grands herbivores peuvent supporter des doses beaucoup plus
élevées que les carnivores, mais celles qui sont nécessaires pour
les empoisonner mortellement sont complètement inconnues.
M. Patu (Journ. théor. et prat., t. VI, p. 231) assure avoir ad¬
ministré impunément depuis 30 jusqu’à 45 grammes d’iode, en
bols; seulement ce praticien ne dit pas s’il a répété la dose plu¬
sieurs jours de suite sur les mêmes sujets; cela n’est pas pro¬
bable, car nous avons presque toujours observé des coliques
sur les chevaux morveux auxquels on donnait ce médicament,
dans les hôpitaux de l’École, lorsque la dose approchait de
15 grammes. Les praticiens prudents feront donc bien de ne
pas outre-passer cette quantité et de n’y arriver même que gra¬
duellement.
Injecté dans les veines par M. Patu, en dissolution dans l’al¬
cool et l’éther, l’iode détermine subitement des effets in qui é-^
tants, mais qui se dissipent cependant avec assez de rapidités!
la dose employée, n’a pas été trop forte; les phénomènes qu’on
remarque le plus fréquemment sont : une accélération consi¬
dérable de la respiration et de la circulation, une dypsnée suf-
foc^te, une toux convulsive et continue, de la chaleur et de
l’injection à la peau, des sueurs partielles, la teinte violacée des
conjonctives, des étourdissements, des vertiges, une station
chancelante, parfois la chute sur le sol, la vue obtuse, la dila-
IODE.
467
tation des pupilles, rimmobilité, la stupeur, etc. Quelques
heures après, toutes les excrétions naturelles ou morbides ont
acquis Todeur de l’iode et revêtu un teinte jaunâtre. Les che¬
vaux qui ne reçurent que 4 grammes d’iode échappèrent pour
la plupart ; mais plusieurs de ceux auxquels on injecta 8 grammes
succombèrent. Les phénomènes cérébraux observés avant la
mort doivent être attribués eu grande partie aux dissolvants
employés à l’administration de l’iode.
Les effets généraux de ce métalloïde sont à peu près ceux que
nous avons fait connaître en parlant des iodurés en général;
cependant ils présentent certaines particularités qu’il est im¬
portant d’indiquer. Ainsi, le mouvement fébrile et la coloration
des muqueuses apparentes sont beaucoup plus marqués sous
l’influence de l’iode que sous celle de ses composés ; le mouve¬
ment sanguin vers la peau, d’où résultent la chaleur de cette
membrane, des sueurs partielles, des éruptions pustuleuses,
etc., est plus prononcé que la diurèse, ce qui est le contraire
pour beaucoup de composés iodiques. Enfin, Farrêt du mouve¬
ment nutritif, d’où naissent la maigreur, l’atrophie de quelques
glandes, la résorption de certains produits morbides, une toux
plus ou. moins grave, etc., sont des effets que l’iode produit
toujours d’une manière exagérée, si son administration n’est
pas conduite avec sagesse. Pour ces divers motifs et en raison
de son action irritante sur le tube digestif, beaucoup de prati¬
ciens ont renoncé à l’usage interne de l’iode, et l’ont remplacé
par l’iodure de potassium, qui paraît avoir tous ses avantages
sans présenter ses inconvénients.
Pharmacothérapie. — Les indications de l’iode sont assez
nombreuses, et se divisent naturellement en médicinales et chi¬
rurgicales. Nous allons les étudier successivement en commen¬
çant par les premières.
1“ Indications médicinales. ^ L’iode est employé à l’inté¬
rieur ou à l’extérieur, et souvent par les deux voies eu même
temps, contre les maladies du système lymphatique, des glandes,
des viscères intérieurs, contre certaines anomalies générales ou
locales de la nutrition, contre les hydropisies, le diabète, etc.
Nous allons examiner les cas principaux fournis par la pratique
vétérinaire.
Une des maladies lymphatiques qu’on a le plus souvent atta¬
quées par l’iodé, au moyen d’applications très-variées, et
presque toujours sans succès, c’est la morne. M. Leblanc {Journ.
théor. et jmat., 1831 , p. 97 et suiv.) est un des premiers vétéri-
468
IODE,
naires qui ait appliqué Tiode au traitement de cette maladie :
il donnait ce métalloïde à l’intérieur à la dose de .30 centi¬
grammes; il appliquait une pommade iodurée sur les glandes;
en outre, il pratiquait des fumigations d’iode et de chlore dans
les bronches, etc.; au moyen de ce traitement complet, il obte¬
nait des avantages marqués sur certains sujets, et même leur
guérison radicale, d’après ce qu’il affirme. MM. Sage etBareyre
ont aussi préconisé les altérants iodiques dans le traiterhent de
la morve, mais comme ils ont principalement fait usage de rid^
dure de potassium, c’est en parlant de ce sel que nous ferons
connaître leurs essais. M. Rey a essayé aussi très-souvent l’iode
contre la morve, mais comme les résultats ont été négatifs, il
s’est abstenu de les publier. , \
L’iode a-été également préconisé dans le traitement du fàr-
cin. M. Leblanc a annoncé dans le temps des guérisons obtenues
par ce moyen : les applications étaient locales. M. Patu est'par-
venu à guérir aussi quelques chevaux farcineux par l’emploi
intérieur de la teinture d’iode du par son injection dans les
veines. Enfin, à l’école dé Toulouse, on a traité avec succès plu
sieurs chevaux farcineux par radministration intérieure .et
l’application extérieure de la teinture d’iode : la dose donnée en
électuaire était de 16 grammes; l’action de ce médicament était
aidée du reste par la cautérisation actuelle sur les boutons, et
par l’application d’eau mercurielle sur les ulcères farcineux
[Journ. des vétér. du Midi, 1844, p. 19 et 91). Malgré ces résul¬
tats encourageants, l’emploi de l’iode dans le traitement du far-
cin est peu fréquent, sans doute à cause du prix élevé de ce
médicament.
L’engorgement général des ganglions lymphatiques du bœuf,
espèce d’affection scrofuleuse, aété traité avec succès,.au moyen
de l’iode, par Lafore {ibid., 1839, p. 225); il administrait ce
médicament à l’état de teinture, depuis 60 centigrammes jus¬
qu’à 4 grammes, sous forme de breuvage, en l’étendant dans
une décoction de 64 grammes de gentia'ne dans deux litres
d’eau; le traitement a été continué pendant quinze ou vingt
iours.
L’induration ou l’engorgement chronique de certains viscères
glanduleux ou parenchymateux peut être avantageusement
traitée par l’iode. Lafore (Malad. particulières aux grands ru¬
minants, p. 507; et Journ. des vétér. du Midi, 1839, p. 229) a
publié plusieurs exemples d’hépatite chronique chez le bœuf et
chez le cheval, qui ont cédé à l’usage de la teinture indique
ÎODE.
469
étendue dans une infusion ou une décoction de plantes amères ;
la dose moyenne a été de 4 grammes d’iode. M. Hertwig dit
aussi en avoir fait'usage avec profit contre les désordres maté¬
riels déterminés dans les poumons par la péripneumonie conta¬
gieuse du gros bétail.
Les altérations organiques que subissent les glandes externes,
tellés que les corps thyroïdes, les mamelles, les testicules, les
parotides, etc., cèdent presque toujours à l’emploi persévérant,
soit local, soit général de Fiode. Il serait oiseux, en quelque
sorte, de faire connaître les nombreux exemples de guérison dé
goitre, de mammite et d’orchite, etc., passés à l’état chronique :
c’est un moyen devenu en quelque sorte vulgaire, et que tous
les praticiens connaissent; il suffit donc de l’indiquer simple-'
ment.
Lés nutritions vicieuses Ou exagérées, soit locales, soit géné¬
rales, sont souvent modifiées avantageusement par l’emploi, de
l’iode. Miquel {Journ. des vétér. du Midi, 1841, p. 259), de Bé¬
ziers, a publié deux cas intéressants d’hypertrophie de l’enco¬
lure chez les solipèdes et un d’engorgement chronique du
genou, qui ont cédé à l’emploi persévérant de la pommade
d’iodure de potassium fortement iodurée. M. Hertwig dit avoir
employé l’iode avec un plein succès pour arrêter l’obésité dont
les chiens de salon sont souvent frappés par suite d’excès de
nourriture ou de manque d’exercice.
Selon M. Hertwig, le professeur allemand Dick préconiserait
l’iode contre l’hydrothOrax et le diabète du cheval. Enfin, s’il
faut en croire un agriculteur, M. de Romanet {Comptes rendus
de CAcad. des sciences, 17 mai 1852), la cachexie aqueuse du
ïhouton céderait facilement à l’influence de l’iode; il suffirait,
d’après cet agronome, de faire des frictions sür l’œdème inter-
maxillaire, appelé vulgairement la bouteille, et de donner à
chaque malade 25 à 30 gouttes de teinture d’iode dans un verre
d’eau.
Indépendamment de ces applications médicinales importantes
dé l’iode, nous devons mentionner l’emploi qu’en a fait M. De¬
lorme contre plusieurs des affections dartreuses fort graves de
la peau du cheval, qui avaient résisté à tous les moyens préco¬
nisés en pareille circonstance. Il administrait l’iode à l’intérieur
mélangé à dé l’amidon; la dose au début fut d’un gramme et
elle fut augmentée graduellement jusqu’à ce qu’elle eut atteint
celle :de 6 à 7 grammes, qui ne fut pas dépassée ; il y eut inter¬
ruption au milieu du traitement pour ne pas fatigûèr le tube
470
IODE.
digestif. Quoique ce traitement fût purement interne et qu’au¬
cune application extérieure n’ait été mise en usage, la peau
malgré son état vraiment hideux, se nettoya peu à peu, reprit
toute sa souplesse et la robe son brillant. {Note communiquée.)
^Indications c/itrurgricaies.— Vers l’annéelSiO, Velpeau et plu¬
sieurs chirurgiens distingués proposèrent la teinture d’iode plus
ou moins étendue d’eau, employée en injections, d’abord pour
guérir l’hydrocèle chez l’homme, puis pour clore des abcès, des
fistules, des hygromas, etc.; plus tard, s’enhardissant à mesure
qu’ils acquéraient plus d’expérience dans le maniement dii
nouvel agent irritant, ils en vinrent à l’injecter dans les Articu¬
lations et dans les grandes séreuses splanchniques atteintes
d’hydropisie.
Peu de temps après, M. Leblanc, vétérinaire à Paris, fit dé
louables efforts pour introduire le nouveau moyen dans la chh
rurgie vétérinaire;^ il en fit usage d’abord contre les kystes si
communs de la gorge du chien, avec un plein succès; puis,
plus tard, de concert avec le docteur Thierry [Bulletin de l’ Acad,
de méd., 1845), il injecta la teinture d’iode, pure ou étendue
d’eau, dans les synoviales tendineuses ou articulaires dilatées,
et proclama de nombreux succès. Le nouveau moyen, accueilli
avec quelque défiance, précisément parce qu’il avait trop bien
réussi entre les premières mains qui l’avaient mis en usage, fut
essayé surtout dans les écoles vétérinaires; là, les résultats
furent loin d’être aussi brillants que ceux annoncés par
M. Leblanc : des accidents graves, des insuccès plus nombreux
que les réussites, firent rejeter à peu près complètement le nou¬
veau liquide oblitérant. Bientôt il s’établit, entre le promotéiir
de la teinture d’iode et les trois professeurs de clinique dés
écoles, une polémique ardente qu’on ne peut pas malheureu¬
sement présenter aux vétérinaires comme un modèle de discus¬
sion scientifique ; mais afin que nos lecteurs puissent en juger
d’après les documents originaux, nous allons indiquer les publi¬
cations où ils pourront trouver les éléments du débat. [Voy. U.
Leblanc, Cliniq. vétér., 1844. p. 293; 1845, p. 282; 1847, p. 34
et suiv. — H. Bouley, Recueil, 1847, p. 5, 26, 409, 667; 1849,
p. 471 ; 1850, p. 70. — A. Rey, Journ. de méd. vétér. de Lyon,
1 847, p. 1 22. — L. Lafosse, Journ. de vétér. du Midi, 1 849, p. 1 93
et 402; 1850, p. 206.)
Depuis cette époque, la question a bien changé de face, les
injections iodées ont pris une extension considérable en chi¬
rurgie vétérinaire; le temps a donc donné, sur beaucoup de
IODE.
471
points, pleinement raison à M. U. Leblanc. Aussi, comme ce
moyen thérapeutique joue aujourd’hui un rôle très-important
dans le traitement des maladies externes des animaux, nous
allons l’étudier avec quelques détails.
Les injections iodées sont préconisées contre l’hydropisie de
quatre'ordres de membranes closes : ries bourses muqueuses;
2® les synoviales tendineuses; 3“ les synoviales articulaires; et
4® les séreuses splanchniques. Or, comme dans ces cpiatre ordres
de lésions le procédé opératoire, et surtout les résultats, sont
souvent très-différents, nous allons en traiter successivement.
1® Bourses muqueuses. — Ces cavités, creusées dans le tissu
cellulaire sous-cutané, se rencontrent principalement sur la
partie saillante des grandes articulations, entre les saillies os¬
seuses et la peau. Lorsqu’elles sont atteintes d’hydropisies, elles
forment des tumeurs, le plus souvent indolentes, qui portent
le nom à'hygromas. L’injection de teinture d’iode pure ou
étendue de son poids d’eau, donne des résultats constamment
favorables à la guérison, ainsi qu’il résulte des observations
publiées par M. Rey {Journ. de méd. vétér. de Lyon, 1837, p. 49)
et par d’autres praticiens.
A ?ôté des Hygromas, il convient de placer les kystes, soit
externes, soit internes, qui cèdent aussi, pour la plupart, très-
facilement à l’action oblitérante de la teinture d’iode. Nous
citerons surtout les kystes sous-cutanés qui se montrent si sou¬
vent sous la gorge des chiens, soit qu’ils résultent d’une altéra¬
tion de la glande thyroïde, soit qu’ils proviennent, ce qui est
peut-être plus fréquent, de la dilacération du tissu cellulaire
sous-cutané de la région pendant les combats que les chiens se
livrent entre eux.
2» Séreuses synoviales tendineuses. — Les tumeurs résultant
de l’hydropisie de ces séreuses portent les noms de vessigons,
de molettes, de ganglions, etc., selon les régions où elles siègent.
Gomme c’est contre les tumeurs de ce genre que les injections
iodées rendent le plus de services à la pratique vétérinaire,
nous allons les examiner avec soin. Nous traiterons sucessive-
ment du manuel opératoire, des effets immédiats et des résultats
définitifs de ces injections.
Les instruments nécessaires à cette opération sont générale¬
ment un trocart fin et une seringue à injections dont la canule
puisse s’adapter exactement au tube du trocart; cependant
quelques praticiens ponctionnent directement la tumeur avec
le bistouri droit et font ensuite l’injection comme à l’ordinaire
472
IODE.
Quels que soient les instruments dont on se serve, on doit éva¬
cuer autant que possible tout le liquide contenu dans la poche
avantd’introduire le liquide oblitérant. Celui-ci doit être injecté
en 'quantité à peu près égale à celle du liquide morbide évacué
il doit être, de plus, poussé dans toutes les parties de la poche
au moyen d’une malaxation méthodique de la tumeur rèmplîé
de la liqueur caustique. Le séjour de la teinture dans le sac
séreux ne' doit pas dépasser cinq minutes, et le plus souvent
même, la moitié de ce laps de temps suffit. Le plus habituelle¬
ment on ne fait qu’une seule injection; mais cependant quel¬
ques praticiens la réitèrent coup sur coup, deux, et même trois
fois, comme Festal Philippe (Recueil, 1 858, p. 240), par exemple.
On n’injecte jamais la teinture d’iode pure dans les synoviales
tendineuses; en moyenne, on l’étend de deux fois son poids
d’eau; mais on peut en ajouter davantage ou en mettre moins,
selon les cas; c’est le tact du praticien qui doit en décider. En
général on étend la teinture d’iode d’autant plus, que les sujets
sont plus nerveux, les parties plus sensibles, les lésions plus
récentes, etc.
L’iode étant peu soluble dans l’eau, quand on étend la tein¬
ture avec de l’eau distillée, une partie du métalMde se préci¬
pite, ce qui donne un liquide susceptible de cautériser trop
fortement ou d’une manière inégale. Aussi recommande-t-on,
généralement, d’ajouter une petite quantité d’iodure de potas¬
sium pour faire disparaître, en le dissolvant, le précipité d’iode.
Quand la teinture indique est préparée depuis quelque temps;
elle cesse de précipiter par l’addition de l’eau, parce qu’elle
renferme alors une certaine proportion d’acide iodhydrique qui
maintient l’iode en dissolution dans l’eau. Mais, il est prudent
de rejeter cette teinture ancienne, parce que l’acide qu’elle ren¬
ferme ajoutant à ses qualités irritantes, et cet aeide étant en
quantité très-variable, le praticien ne connaît plus alors le degré
d’activité du liquide qu’il emploie.
L’irritation produite dans le sac séreux par la préparation
iodée détermine au bout de quelques heures une inflammation
locale plus ou moins intense selon les cas. La partie opérée
devient d’abord chaude et douloureuse, et ne tarde pas à se
tuméfier. Si l’inflammation est modérée, elle reste toute locale
et n’a aucun retentissement général ; dans le cas contraire, elle
s’accompagne d’un mouvement fébrile, qui dure quelques jours
seulement, si tout doit marcher régulièrement. Lorsque l’irri¬
tation locale est grave, il convient de la modérer par des apph'
IODE.
173
cations locales réfrigérantes, soit des bains, soit des irrigations
bien dirigées; la fièvre sympathique est combattue par la diète,
des boissons acidulées ou nitrées, et, au besoin, par la saignée.
; Dans les cas les plus heureux, c’est-à-dire, quand l’inflamma¬
tion locale a le degré nécessaire pour devenir curative, les acci¬
dents locaux persistent en général assez longtemps. Pendant la
première, et souvent même durant les deux premières semaines
qui suivent l’opération, la région où l’on a pratiqué l’injection
reste chaude, douloureuse et gonflée, et les animaux boitent en
marchant et ne restent pas à l’appui sur le membre malade.
Agisse, pendant toute cette période, doit-on s’abstenir, non-seu¬
lement de faire travailler les animaux, mais même de les pro¬
mener trop longtemps. Mais dès que les phénomènes de l’in¬
flammation locale ont perdu de leur acuité, on peut utiliser les
malades, et on peut même dire qu’un travail modéré est de
nature à assurer la résorption de l’exsudation plastique qui s’est
faite dans le sac séreux. Cette résorption complète, qui est le
signe certain d’une guérison entière et durable, est générale¬
ment fort longue à se produire ; elle dure rarement çaoins de
deux mois et souvent demande un laps de temps double ; il faut
savoir attendre ; du reste, comme on peut utiliser les animaux
pendant cette période, les propriétaires prennent en général
facilement patience. Enfin, dans les cas les plus malheureux,
heureusement assez rares, la tuméfaction persiste, et le traite¬
ment a conduit à ce résultat déplorable, de transformer une
tumeur synoviale souvent curable par d’autres moyens, en une
tumeur dure et réfractaire à presque tous les agents résolutifs.
Les injections iodées, appliquées avec méthode, réussissent
"presque constamment contre \es vessigons simples ou chevillés
qui se forment dans le creux du jarret. C’est ce qui résulte des
faits publiés par MM. Cambon {Annales vétér. belges, 1 852, p. 1 8 ;
1853, p. 57), Rey [Journ. de méd. vétér. de Lyon, 1857, p. 481),
Barry et H. Bouley {Recueil, 1856, p. 869), Verrier frères de
Rouen (Recueil, 1857, p. 538 et 598), U. Leblanc {Cliniq. vétér.,
1861, p. 88), Festal (Recueil, 1858, p. 240), etc. Il en serait vrai¬
semblablement de même pour les vessigons, du reste plus rares,
qui se montrent sur le côté externe de l’avant-bras du cheval,
au voisinage du genou.
Il paraît en être autrement pour les mollettes; Ih, le procédé
des injections iodées est souvent incertain et parfois dangereux.
Cela résulte, non-seulement des faits d’insuccès publiés, mais
encore de la discussion qui eut lieu à la Société centrale de
474
IODE.
médecine vétérinaire en 1856, sur cette question {Recueil, 1856,
p. 869 et suiv.). Cependant tous les praticiens n’ont pas été
également malheureux, et aux insuccès à peu près constants de
M. Rey {Journ. de méd. vétér. de Lyon, 1857, p. 548. ), on peut
opposer les succès obtenus par MM. Verrier frères {Recueil,
1857, p. 538 et 598.), par M. Foret {Recueil, 1859, p. 578. ), etc.
3“ Séreuses synoviales articulaires. — Les grandes articula¬
tions des membres des animaux, et surtout celles qui ne sont
pas entourées et protégées par de grosses masses musculaires,
sont souvent le siège d’altérations pathologiques parmi lesquelles
l’hydropisie des séreuses articulaires compte au nombre des
plus graves. On a préconisé aussi, contre ce genre d’altération,
les injections iodées, mais elles sont loin de rendre les mêmes
services que dans les cas précédents. Là, en effet, ce moyen
curatif paraît environné de graves dangers, et ne convient que
comme une sorte de pis-aller qu’il n’est permis d’employer que
quand les autres remèdes sont reconnus impuissants.
Néanmoins, comme ces injections réussissent chez l’homme
dans des cas analogues, et que certains vétérinaires affirment
même en avoir usé avec succès dans des cas de ce genre, nous
allons en dire quelques mots.
Le manuel opératoire est le même que dans les cas précédents ;
seulement comme les synoviales sont ici notablement plus sen¬
sibles, il convient d’employer une teinture beaucoup plus
faible; on prescrit de l’étendre de 4 à 5 fois son poids d’eau et
d’ajouter de l’iodure de potassium pour empêcher tout précipité
d’iode.
En général, les symptômes locaux et généraux sont beaucoup
plus graves que dans les cas précédents, l’inflammation locale,
surtout, devient dangereuse et détermine dans l’articulation, et
notamment dans les cartilages d’encroûtement, des désordres
souvent irrémédiables. Aussi, nous recommandons aux vétéri¬
naires qui voudraient essayer de ce moyen dans des cas déses¬
pérés, de modérer l’arthrite suraiguë qui suit l’injection iodée,
par des applications calmantes et surtout réfrigérantes appro¬
priées; de calmer la lièvre générale par des boissons acidulées,
diurétiques et surtout laxatives, l’observation ayant démontré
que la purgation était un des moyens les plus puissants de
modérer l’inflammation traumatique ou spontanée des articula¬
tions.
4® Séreuses splanchniques. — Parmi les grandes séreuses, il
en est deux surtout qui sont souvent le siège d’hydropisie et
IODE.
47S
qui, par leur position, sont à la portée de l’opérateur pour
l’évacuation du liquide épanché, et, au besoin, pour la pratique
des injections iodées.
Ces injections, employées chez l’homme aujourd’hui assez
fréquemment, ne l’ont été encore en vétérinaire que bien rare¬
ment; cependant comme on a fait déjà quelques tentatives
heureuses dans ce sens, et qu’elles peuvent, dans des cas déter¬
minés, constituer une ressource précieuse, nous allons en dire
quelques mots.
Quand on a fait la ponction d’une séreuse splanchnique, siège
d’un épanchement, on ne doit pas évacuer complètement le
liquide de la collection ; et c’est avec la partie qui reste dans le
sac séreux que doit se mélanger la liqueur indique destinée à
modifier la surface malade. La teinture d’iode, dans cette
circonstance, doit être beaucoup plus faible qu’à l’ordinaire ; on
prescrit de l’étendre de 8 à 10 fois son poids d’eau, avec suffi¬
sante quantité d’iodure de potassium pour empêcher la précipi¬
tation de l’iode. Puis, le liquide irritant étant introduit dans la
cavité, on doit, autant que possible, le mettre en contact avec
toutes ses parties, et le faire évacuer ensuite le plus rapidement
possible. Dans le cas d’injection dans le péritoine, on doit faire
suivre l’opération d’une compression graduelle de l’abdomen.
C’est en opérant d’après ces principes, que M. Saint-Gyr est
parvenu à guérir trois ascites, deux chez le chien et une chez le
chat (Journal de méd. vétér. de Lyon, 1863, p. 209), et un
hydrothorax, suite de la pleurésie, chez un cheval (Journal de
wiéd. uéfér. de Lÿon, 1864, p. 391 )‘.
Indépendamment des applications si importantes de la teinture
d’iode employée en injections, cette préparation a encore en
chirurgie vétérinaire quelques usages qui présentent de l’intérêt
et que nous allons rapidement indiquer.
M. Boiteux (Journ. de méd. vétér. de Lyon, 1839, p. 133) a
fait usage avec succès de la. teinture d’iode contre une sorte
d’abcès fistuleux qui succède parfois à la saignée à la jugulaire,
chez le cheval; il en imprégnait une sonde en caoutchouc,
qu’il introduisait ensuite dans la fistule. Il prescrit le même
moyen dans les maux de garrot et d’encolure accompagnés de
caries osseuses ou ligamenteuses; en cela, il se trouve en
concordance d’opinion avec M. Rougery (Journ. des vétér. du
Midi, 1860, p. 71.) et avec les vétérinaires allemands Rosem-
baum qt Schneider (Clinique vétér., 1862, p. 342.). Enfin,
M. Boiteux en a usé avec quelque succès contre le crapaud.
4.76
IODE.
Enfin, on emploie quelquefois, dans la chirurgie de l’homme '
la teinture d’iodure, pure ou étendue, contre quelques autres
accidents chirurgicaux, tels que les abcès froids, les clapiers, les
fistules diverses, quelques plaies de mauvaise nature, virulentes
ou envenimées, contre quelques maladies de la conjonctive et
des paupières, contre les écoulements muco-purulents de
certaines muqueuses, etc., etc.; mais jusqu’à ce jour, les ap¬
plications de ce genre ont été rares en chirurgie vétérinaires
M. Zundel emploie pourtant la teinture d’iode étendue de huit
parties d’eau, contre le catarrhe auriculaire du chien; ou im¬
prègne un tampon de charpie de la liqueur et ou l’enfonce dans
le fond de la conque. {Note communiquée).
a. De riodure de potassium. ^
Pharmacotechnie.— Les préparations officinales d’iodure de"
potassium sont presque toutes destinées a l’usage externe; lès
plus importantes sont les suivantes :
P-ommade d’iodure de potassium.
Prenez: lo dure de potassium. ........ 8 grammes.
Âxonge.. . . 32 —
Incorporez à froid.
2“ Pommade d’iodure ioduré de potassium.
Prenez : lodure potassique . . . 8 —
Iode. . 4 —
Axonge . . 32 —
Incorporez successivement le sel et fiode à l’axonge.
lodure de potassium ioduré caustique {Lugol).
Prenez ; lodure de potassium, iode et eau dis¬
tillée, de chaque . . . 4 partie.
Dissolvez d’abord le sel dans l’eau, puis àjoutez-y l’iode.
il arrive très-souvent en pharmacie vétérinaire qu’on double
la quantité d’iodure et d’iode qui entre dans les pommades. >
Médicamentation. — L’iodure de potassium peut se donner
solide ou dissous; cette dernière forme doit obtenir exclusive¬
ment la préférence. Quand on est forcé d’administrer ce sel en
électuaire ou en bol, il y a avantage à le dissoudre dans une
petite quantité d’eau avant de le mélanger aux excipients de ces
préparations; mais, en général, on doit le faire prendre en bois¬
sons ou en breuvages toutes les fois que cela est possible, parce
IODE.
47.7
que, sous cette forme, il est beaucoup moins irritant. A l’exté¬
rieur du corps, ^n emploie à peu près constamment l’iodure de
potassium en pommade; cependant quelques praticiens donnent
fa préférence aux lotions et aux applications topiques diverses
de la solution aqueuse de ce sel.
Les doses de l’iodure de potassium pour les divers animaux
domestiques n’ont pas encore été rigoureusement déterminées;
nous les évaluons approximativement à un tiers en sus de celles
de riode, savoir :
Grands herbivores . 6 à, 12 grammes.
2® Petits ruminants et porcs . 0,75 à 2,50 —
3° Carnivores . . . 25 à 50 centigr.
Pharmacodynamie. — Mis en contact avec la peau revêtue de
son épiderme, l’iodure de potassium se montre très-peu irritant;
sur les tissus dénudés ou sur les muqueuses, il est un peu plus
agressif, mais il développe rarement des phénomènes d’irritation
notable, à moins qu’elle ne soit employé en solution très-chargée.
Son action sur le tube digestif a été diversement appréciée :
pour quelques auteurs, il est considéré comme à peu près aussi
irritant que l’iode ; pour d’autres, au contraire, il aurait presque
l’innocuité du chlorure de sodium. La vérité est sans doute
placée entre ces deux extrêmes. Il résulte de quelques essais de
Maillet {Recueil, 1836, p. 520) que l’iodure de potassium en dis¬
solution, â, la dose de 2 grammes pour le chien, et de 8 à 12
pour le cheval, agirait comme un poison irritant sur le tube
digestif, et qu’il suffirait d’une dose de 1 6 grammes donnée en
une seule fois pour déterminer une hémorrhagie gastro-intes¬
tinale mortelle chez les solipèdes. Certès, nous sommes loin de
mettre en doute l’exactitude des résultats publiés par Maillet,
qui était un observateur sagace et consciencieux ; mais ils nous
paraissent exceptionnels et peu en rapport avec ce qu’on observe
chaque jour, soit chez l’homme, soit chez les animaux. Selon
toute prohabilité, le sel employé par Maillet avait une forte
réaction alcaline, comme cela arrive quelquefois, ce qui aug¬
mentait beaucoup ses propriétés irritantes. — Le fait publié
autrefois par M. Trelut jeune {Recueil, 1 862, p. 486), d’une
jument qui reçut par erreur SO grammes d’iodure de potas¬
sium par jour, au lieu des 10 grammes prescrits, et sans acci¬
dents, prouve que ce sel est moins irritant que ne l’a dit Maillet,
Orfila {Toxicologie, 1. 1, p. 105 et suiv.) semble évaluer la dose
toxique de l’iodure de potassium, pour le chien, à 4 grammes
environ.
i78
IODE.
L’action générale de l’iodure de potassium ressemble en
grande partie à celle de l’iode ; seulement les effets primitifs
sont toujours moins prononcés, à l’exception de la diurèse, qui
est toujours très-copieuse, ce qui tient évidemment à la nature
de sa base, et à son élimination prompte et à peu près complète
par les voies urinaires. On remarque aussi que Tioduré de
potassium ne produit pas l’amaigrissement du corps aussi rapi¬
dement que l’iode, et qu’il n’a pas, comme ce dernier, l’incon¬
vénient grave d’occasionner l’atrophie de certains organes glan¬
duleux.
Pharmacothérapie. — L’iodure de potassium est incontesta¬
blement un des agents fondants les plus énergiques et les plus
sûrs que possède la matière médicale, soit dans ses effets locaux,
soit par ses effets généraux. Malheureusement, son prix quoique
stationnaire depuis quelques années est encore bien élevé pour
que les vétérinaires puissent souvent faire usage de ce puissant
modificateur de l’économie animale. Quoi qu’il en soit, nous
devons faire connaître brièvement les principales applications
dont ce remède a été l’objet en médecine vétérinaire.
A l’extérieur du corps, on applique très-fréquemment la pom¬
made simple ou iodurée sur la plupart des engorgements indo¬
lents, solides ou mous, et sur les glandes hypertrophiées, indu¬
rées ou altérées de diverses manières. Lorsque l’affection est un
peu grave ou ancienne, il est rare qu’un simple traitement
local suffise, alors aux applications topiques il convient d’ajouter
un traitement général, en administrant à l’intérieur de l’iode
ou de l’iodure de potassium. Le vétérinaire allemand Vannowino
(Journ. de méd. vétér. de Lyon, 18S8, p. 188) a employé avec
avantage la pommade d’iodure de potassium en friction sur la*
parotide, dans le ças de fistule du canal de Sténon, afin d’amener
l’atrophie de cette glande. Le succès fut complet.
Après -le goître, qu’on traite toujours et souvent avec succès,
dans la plupart des animaux, au moyen de l’iodure potassique
appliqué localement sous diverses formes, ou administré à l’in¬
térieur, les engorgements glanduleux contre lesquels on emploie
les applications iodées avec le plus d’avantages sont surtout
ceux des mamelles et des testicules. Jacob {Recueil, 1 829, p. 1 04)
a fait connaître l’exemple de guérison d’un engorgement tuber¬
culeux des mamelles d’une jument par l’application de la pom¬
made d iodure de potassium durant deux mois. Lecoq (Recueil,
183o,p. 574), de Bayeux, a employé avec succès le même topique
sur les indurations du pis des vaches à la suite de la mammite.
IODE.
47Ô
Jacob (Recueil, 1830, p. 39) a donné de plus la relation d’un
engorgement testiculaire, chez le cheval, guéri par l’emploi
extérieur et intérieur de l’iodure de potassium et de l’iode.
M. Luneau (Mém. de la Soc, vétér. de Vaucluse, 1848), vété¬
rinaire à Avignon, a publié l’observation intéressante d’une
tumeur osseuse d’origine scrofuleuse, chez une chienne, qui a
cédé à des applications locales de pommade d’iodure de potas¬
sium, et à l’administration intérieure de l’iodure potassique
ioduré (iode, 20 centigrammes ; iodure, 50 centigrammes *, eau
de rivière, 1 litre).
Plusieurs vétérinaires français et étrangers ont essayé ce com¬
posé iodique contre la morve du cheval. M. Sage (Traité de la
morve chronique) a surtout insisté beaucoup sur l’emploi de ce
traitement aidé par les émissions sanguines et par une alimen¬
tation très-alibile ; les glandes étaient frictionnées avec la pom¬
made d’iodure de potassium, et ce sel était administré à l’inté¬
rieur sous forme de bol à la dose de 8 à 12 grammes par jour;
ce praticien prétend avoir guéri vingt-deux chevaux sur vingt-
huit, traités par ces divers moyens. C’est un résultat merveil¬
leux, s’il est exact. M. Bareyre [Journ. vétér. du Midi, 1840,
p. 83) a essayé le traitement complexe de M. Sage et en a retiré
quelques bons résultats au milieu de plusieurs insuccès. M. Lord
(Journ. vétér. et agric., 1840, p. 494), vétérinaire anglais, a
donné l’iodure de potassium combiné au sulfate de cuivre
contre la morve et le farcin du cheval; la dose prescrite a été de
1 6 grammes d’iodure et de 60 grammes de sel de cuivre pour
six jours de traitement. C’est un moyen qui peut avoir son
utilité. M. Waltrap [Magazin, 1864, p. 242), vétérinaire alle¬
mand, a guéri rapidement un poulain qui avait les ganglions
lymphatiques de Pars et de Paine tellement engorgés, qu’ü
pouvait à peine marcher, par l’usage interne de Piodure de
potassium. Enfin Plantin (Clinique, 1865, p. 28), vétérinaire à
Marseille, qui nie l’efficacité de l’acide arsénieux contre la
pousse, trouve, dit-il, un remède puissant contre cette maladie
et les vieilles bronchites, dans Piodure de potassium. Nous lais¬
sons à l’avenir le soin de prononcer sur cette question.
b. Des iodures de mercure,
Pharmacotechnie. — Les préparations pharmaceutiques des
deux iodures de mercure sont peu nombreuses et à peu près
exclusivement employées à l’extérieur. Nous ferons connaître
seulement les suivantes :
1“ Pommade de protoiodure de mercure.
Prenez : Protoiodure de mercure . 4 grammes.
Axonge . . . 32 — '
Incorporez.
2® Pommade de bi-iodure de mercure.
Prenez : Deuto-iodure de mercure . . . . . . 4 grammes.
Axonge . . ....... 32 —
Incorporez.
Pour cette dernière préparation, on peut faire varier, selon
l’exigence des cas, la proportion du sel mercuriel; on la dimi¬
nue pour les affections de la peau et on l’augmente souvent
pour les tumeurs dures, osseuses ou autres. De plus, pour
augmenter ses vertus fondantes, on y ajoute souvent de riodüre
de potassium.
Pharmacodynamie. — Les iodures de mercure sont de puis¬
sants fondants, comme le fait prévoir leur nature chimique.
Appliqués sur la peau, en pommade, ces deux sels, et surtout le
dernier, agissent comme des irritants énergiques qui détermi¬
nent la vésication, l’inflammation de la peau et des tissus sous-
jacents, la chute de l’épiderme et des poils, etc. D’après ces
effets, on voit qu’il Serait imprudent d’appliquer ces topiques
fondants sur une large surface a la fois. Dans le tube digestif,
ces iodures mercuriels manifestent les mêmes qualités irri¬
tantes que sur la peau; aussi doit-on les administrer en petite
quantité et toujours dans des pilules ou des bols confectionnés
avec soin. Quant aux effets généraux de ces médicaments, ils
sont formés d’un mélange de ceux du mercure et de ceux de
l’iode; du reste, ils sont fort peu connus chez les animaux, pour
lesquels l’usage interne de ces médicaments est encore très-rare
et paraît peu à recommander.
Pharmacothérapie. — L’emploi intérieur de ces deux iodures
a été à peu près nul jusqu’à présent eu médecine vétérinaire;
cependant Delafond {Thérap. génér., t. II, p. 434), dit avoir
employé avec avantage le deutoiodure contre le farcin du che¬
val. La dose était de 4 à 8 grammes dans 60 grammes d’al¬
cool. La dose était un peu trop forte et la solution d’iodure de
potassium, dans laquelle l’iodure mercurique est soluble,
eût été plus convenable, si on tenait à donner ce sel à l’état
liquide.
A 1 extérieur du corps, par contre, le bi-iodure de mercure a
IODE.
i81
reçu quelques applications importantes pour résoudre les en¬
gorgements glandulaires et les tumeurs indolentes des divers
tissùs. M. Lord {Journ. vétér, et agric. de Belgique, \ p. .571),
vétérinaire anglais, a préconisé dans le temps la pommade de
bi-iodure de mercure contre les diverses tumeurs qui résistent
à l’application des vésicants et même du feu. Plus récemment,
M. Rej [Journ. de méd. vétér. de Lyon, 1850, p. 5) a fait une
étude plus complète de cette pommade comme topique fondant.
Elle lui a réussi souvent contre les diverses espèces de dilata¬
tions des synoviales tendineuses; celles des articulations pro¬
prement dites ne cèdent que quand elles sont récentes et peu
développées; les engorgements des ganglions lymphatiques, des
glandes, les tumeurs farcineuses, etc., résistent rarement à
remploi persévérant de ce fondant; les tumeurs tendineuses,
cartilagineuses, osseuses, sont plus tenaces, mais peuvent céder
aussi à la longue; enfin, les dartres et la gale invétérées, surtout
chez les carnivores, disparaissent sous l’influence de l’applica¬
tion de cette pommade : seulement, il faut en appliquer peu à
la fois, l’affaiblir en diminuant la proportion de l’iodure, en y
ajoutant du soufre, etc.
M. Delorme estime que la pommade de bi-iodure de mercure
doit être comptée parmi nos agents fondants les plus efficaces.
Il s’en sert souvent avec succès contre les tumeurs_de diverse
nature qui se montrent aux membres des chevaux, et notam¬
ment autour des articulations. Il la trouve beaucoup plus
efficace que la plupart des liqueurs vésicantes préconisées dans
les mêmes cas, sous les noms de feux anglais, français, portu¬
gais, belge, etc., et tant prônées par le charlatanisme. [Note
communiquée.)
De son côté, M. Zundel affirme, d’après son expérience per¬
sonnelle, que peu d’exostoses résistent à l’action fondante de
cette pommade; seulement, pour qu’il ne reste aucune trace de
ces frictions irritantes, il est nécessaire de les interrompre de
temps en temps pour laisser calmer l’irritation locale, et de
prolonger ainsi le traitement pendant plusieurs mois. On aug¬
mente les propriétés fondantes de cette pommade par l’addition
de l’iodure de potassium. Pour les tumeurs synoviales, M. Zun¬
del préfère les liqueurs vésicantes; enfin, il remplace la pom¬
made d’iodure de mercure par celle d’iodure de plomb, dans les
engorgements des tendons. (IVoie communiquée.)
X.
31
482
IPÉCACÜANHA.
Succédanés du bi-iodure de mercure.
1° lodure de plomb.
Pharmacotechnie. — Ce sel ne s’emploie qu’à l’extérieur du
corps et principalement en pommade, dont voici la formule :
Prenez : lodure de plomb . . 8 parties.
Axonge . . 32 —
Incorporez.
Effets et usages. ~ Ce sel est moins irritant pour les surfaces
sur lesquelles on l’applique que l’iodure rouge de mercure, et
paraît néanmoins jouir de propriétés résolutives assez' énergi¬
ques. D’après M. Zundel, les vétérinaires suisses s’en servent
avec succès contre les engorgements tendineux; il l’a lui-même
mis en usage avec profit dans le même cas. On augmente son
activité en y ajoutant de l’iodure de potassium. {Note commu¬
niquée.)
c. Autres composés d’iode.
î° lodure d’arsenic. — Employé en pommade par M. Delà-
fond contre les dartres ulcérées du pli des articulations des
divers animaux.
2“ lodure de fer. — Essayé en injections dans les veines des
chevaux morveux, par M. Rey, sans aucun succès; la dose était
de 5 grammes dans 32 grammes d’eau pure. C’est un puissant
tonique ferrugineux, très-usité chez l’homme, surtout contre le'
lymphatisme, les scrofules, etc. ■
3° lodure de cuivre. — Le bi-iodure de cuivre est un fondant
énergique, pour l’usage interne comme pour les applications
locales. Il paraît être d’un usage fréquent en Angleterre, d’après
Morton, contre la morve, le farcin, les engorgements des mem¬
bres, etc. La dose est de 4 à 8 grammes eh bol pour les grands
animaux. A l’extérieur, on l’emploie surtout en pommade sur
les tumeurs indolentes, les ulcères, les eaux aux jambes, etc.
F. TABOURIN.
IPÉCACÜANHA. (Syn. : Ipéca, racine du Brésil, etc.). —
Cette dénomination, tirée de la langue brésilienne, veut dire,
d’après Maregrave, racine odorante rayée. Elle sert à désigner
plusieurs racines vomitives exotiques provenant de divers
points de l’Amérique méridionale, et fournies par certaines
plantes de la famille dès Rubiacées. Le commerce distingue
trois variétés d’ipécacuanha, d’après l’aspect extérieur de la
1PÉC4CUANHA.
483
racine, savoir : l’ipécacuanha annelé, Tipéca strié, et l’ipéca on¬
dulé. La première variété est la plus commune dans la dro¬
guerie, et à peu près la seule employée en Europe ; elle fixera
donc plus particulièrement notre attention ; quant aux deux
autres variétés, très-employées, dit-on, au Brésil et au Pérou,
nous n’en dirons que quelques mots.
1° IPÉCAGUANHA ANNELÉ [Ipéca gris, officinal, etc.). — Cette
variété d’ipécacuanha, la seule véritablement commerciale, est
fournie par un petit arbrisseau sarmenteux qui croît spontané¬
ment au Brésil, et qu’on a appelé Cephœlis ipecacuanha (Tussac).
Cette racine présente les caractères suivants : Elle est grosse
comme une plume à écrire, simple oü rameuse, irrégulière¬
ment flexueuse et coudée, d’un brun grisâtre, d’une odeur
faible et nauséeuse, d’une saveur âcre et amère, et présentant
à sa surface une série d’anneaux rugueux, articulés et séparés
les uns des autres par des étranglements profonds et irréguliers.
Quand on brise cette racine, on la trouve composée de deux
parties : une corticale, épaisse, dure, grisâtre, fragile et d’aspect
résineux : c’est la portion la plus active ; et une centrale,
ligneuse, jaunâtre, formant l’axe de la racine et présentant peu
d’activité.
• On avait subdivisé cette variété d’ipécacuanha en trois sous-
variétés fondées sur leur couleur, telles que le gris hrun, lé gris
rouge et le gris blanc; mais ces distinctions sont maintenant
peu usitées, parce qu’elles sont difficiles à reconnaître dans. la
pratique.
2“ IPÉCAGUANHA STRIÉ [Ipéca noir, Ipéca du Pérou). — Cette
variété, rare dans le commerce, est fournie par le Psychotria
emetica (Mutis), qui croît au Pérou. La racine qui la forme est
plus grosse que la précédente, rameuse, peu contournée, d’une
couleur plus foncée, inodore et presque insipide, ne présentant
que des étranglements peu. marqués et très-espacés, et offrant
à sa surface des stries longitudinales qui lui ont valu le noin
qu’elle porte. Contrairement à l’ipéca annelé, celui-ci présente
la partie ligneuse plus épaisse que la partie corticale : aussi
jouit-il d’ime activité plus faible.
3“ IPÉCAGUANHA ONDULÉ [Ipéca blanc. Ipéca amylacé).— L’ipé-
cacuanha ondulé, peu répandu dans le commercé et peu actif,
est fourni par le Richardsonia brasiliensis (Gomès), qui croît au
Brésil comme le Cephœlis. Cette racine, très-chargée de fécule,
est d’un blanc grisâtre en dehors et d’un blanc farineux en de-
484
IPÉGACUANHA.
dans ; sa surface est marquée d’anneaux incomplets, disposés 1
alternativemeot les uns dans un sens et les autres dans le sens I
opposé, ce qui lui donne l’aspect ondulé qui lui a valu son nom^ i
Elle est peu usitée. ).r
Composition chimique. — D’après les recherches de plusieurs j
chimistes, et notamment celles de Pelletier, l’ipécacuaulia reu- 1
fermerait les principes suivants : émétine, matière extractive . \
substance grasse huileuse, cire végétale, gomme, amidon, ligneux! '
On avait cru, jusque dans ces derniers temps, que l’émétine, -
principe actif de l’ipécacuanha, était combinée avec de l’acide 1
gallique ; mais les recherches plus récentes d’un chimiste aile- ‘
mand, M. Willigk [Journ. de pharm. et de chimie, 1851, t. XX,
p. 276), ont démontré que cette base est unie à un acide spécial,
l’acide ipécacuanhique, qui présente, par sa composition, la
plus grande analogie avec les acides cofféotannique et qui- j
nique.
Émétine. — Cet alcaloïde est solide, en poudre blanche, ino- •
dore, d’une saveur amère, fusible à SO degrés, soluble dans
l’eau et l’alcool, peu soluble dans l’éther et les essences, neutra¬
lisant imparfaitement les acides, avec lesquels il forme des sels
incristallisables. Donnée aux chiens à la dose de 30 à 80 centi- .
grammes, l’émétine a causé des vomissements violents, le coma -
et la mort (Magendie).
PAamacoiec/ime. — L’ipécacuanha est soumis, en pharmacie,
à* un assez grand nombre de préparations; on le réduit en^
poudre, on l’épuise au moyen de l’eau, de l’alcool, du vin, etc. ■
Toutefois, comme en médecine vétérinaire on ne fait usage que
de la poudre et du sirop, ce sont les deux seules préparations -
qui seront indiquées. * (
1® Poudre dHpécacuanha. . r
Divisez la racine, contusionnez-la de manière à désunir la partie corti¬
cale de la partie ligneuse ; séparez et rejetez cette dernière, et continuez a : •
pulvériser finement en ayant la précaution de couvrir le mortier passez ;
au tamis et conservez pour l’usage. Cette poudre, qui est d’une couleur
fauve, se trouve toute préparée dans le commerce, mais comme les nom- -
breuses falsifications dont elle est l’objet ne sont pas faciles à reconnaître, ,
nous engageons les vétérinaires à la préparer eux-mêmes.
2“ Sirop d'ipécacuanha.
Prenez : Extrait alcoolique d’ipécacuanha. . 32 grammes.
Eau distillée . 450 —
Sirop simple. . 4,500 —
IPÉG4CÜANHÂ.
483
; Faites dissoudre l’extrait dans l’eau, filtrez, ajoutez au sirop bouillant ,
et concentrez jusqu’à 30 degrés Baumé. Une once de ce sirop contient
20 centigrammes d’extrait d’ipécacuanha.
' Médicamentation. — Chez les petits animaux, où son usage
est assez fréquent, Tipécacuanha se donne le plus souvent pul¬
vérisé en suspension dans une petite quantité d’eau ou sous
forme de pilule ; on peut également le donner à l’état liquide,
après l’avoir fait infuser dans une petite quantité d’eau chaude;
cependant ce procédé est le moins usité. Chez les grands her¬
bivores, l’emploi de l’ipéca est peu fréquent ; quand on en fait
usage, on le donne ordinairement en électuaire ou en bol, mais
très-rarement en breuvage ou en lavement.
Les doses n’ont pas été Axées d’une manière rigoureuse ;
celles du tableau suivant ne sont qu’approximatives.
1° Grands herbivores . 8 à 16 grammes.
2“ Petits ruminants . 2à 4 —
3® Porcs . . . 50 centigr. à 2 —
4® Carnivores . 10 — àl —
Ces doses peuvent être répétées, au besoin, dans la même
journée.
Pharmacady nantie. — L’ipécacuanha paraît doué de vertus
irritantes qui ne le cèdent guère, à celles de l’émétique ; il ré¬
sulte en effet des expériences de Bretonneau, de Tours, que la
poudre de cette racine, mise en rapport avec la peau dépouillée
de son épiderme, suscite une inAammation locale des plus
énergiques ; en outre, qu’une petite pincée de cette poudre in¬
sufflée dans l’œil d’un chien donne lieu à une phlegmasie ocu¬
laire tellement intense, que la cornée est quelquefois perforée.
Enûn, le médecin anglais Hannay avu qu’un liniment composé
de 8 grammes de poudre d’ipéca, de 8 grammes d’huile d’olive
et de 15 grammes d’axonge, agissait sur la peau de l’homme
aussi fortement que la pommade d’huile de croton tiglium
(Trousseau et Pidoux, loc. cit., 1. 1, p. 602, i® édit.). Chez le
cheval, l’ipécacuanha n’est pas, à beaucoup près, aussi irritant;
car, appliqué sur la peau intacte de ce solipède, à l’état de
pommade, il ne produit qu’une vésication fort légère.
Introduit dans le tube digestif, l’ipécacuanha conservé une
grande partie de ses vertus irritantes, mais cependant à un de¬
gré moindre qu’à l’extérieur du corps. Chez les carnivores et
les omnivores, il détermine le vomissement avec presque au¬
tant de certitude que le tartre stibié ; il agit à la vérité plus
IPÉCACüANHA.
Jentement, mais en revanclie son action dure plus longtei^ps.
Assez souvent il purge en même temps qu’il fait vomir ; cepen¬
dant cela n’arrive que quand la dose a été donnée un peu forte.
Enfin, à très-petites doses, l’ipéca agit sur le tube digestif de j
tous les animaux comme un tonique astringent. Chez les grands
animaux, l’action générale de ce médicament a été peu étudiée '
encore. D’après Vitet {Médec. vétér., t. III, p. 238), ripécacùaiiha
donné en bol au cheval et au bœuf, à la dose de 32 à 45 gramniès,
déterminerait une légère tension des muscles abdominaux,
quelques efforts de vomissement, et comme effet consécutif, de
la constipation plutôt que de la purgation. S’il faut en croire
Bracy Glarck {Pharmacopée vétérinaire^ p. 33), il suffirait de
90 grammes de poudre d’ipéca pour empoisonner -mortellement
le cheval : les sujets manifestent beaucoup de malaise, s’agitent
vivement comme dans les coliques d’indigestion, les flancs bat¬
tent avec force, et la mort survient au milieu de convulsions;
à l’autopsie, on ne trouve qu’une inflammation médiocre de
l’estomac et des intestins. Les résultats obtenus par l’auteur
anglais sont sans doute exceptionnels, car nous trouvons dans
le registre des délibérations de l’École de Lyon, pour l’an¬
née 1 808, quelques expériences de Grognier qui tendent à con¬
duire à d’autres conclusions. En effet, ce professeur ayant donné
à un cheval de petite taille 1 00 grammes de poudre d’ipéca-
cuanba, observa les phénomènes suivants : absence de nausées
et d’efforts de vomissement, grande dépression du pouls, froid
à la peau et aux parties placées en appendice, etc.; au bout de
quelques heüres il y eut une forte réaction physiologique et
tout rentra bientôt dans l’ordre. Administré en électuaire, à la
même dose, à une vache, l’ipécacuanha suscita des effets plus
caractéristiques : il y eut des nausées, des yomiturations de
matières glaireuses mêlées d’aliments et paraissant provenir du
rumen ; l’œsophage était le siège de mouvements antipéristal¬
tiques continuels et bruyants, le pouls était plus élevé qu’à
l’état naturel, etc. La même dose, renouvelée trois heures plus
tard, détermina les mêmes phénomènes, et, de plus, des efforts
de vomissement, une grande agitation des flancs, etc. ; au bout
d’une demi-heure, il y eut retour à l’état normal. Enfin, d’après
M. le professeur Lafosse {Journ. des vétér. du Midi, 1849, p. 439),
l’ipécacuanha donné à doses graduelles, depuis 1 jusqu à
48 grammes, au bœuf, ne déterminerait aucun changement
dans l’acte de la rumination.
Les expériences que nous avons tentées sur le cheval avec
IPÉCACÜÂNHA.
487
l’ipécacuanha nous ont démontré que ses effets sont diffé¬
rents selon qu’il est donné à l’état solide ou atoinistré sous
forme liquide. Ainsi, ingéré sous forme de bol à la dose de
25 grammes, il n’a produit aucun effet ; à celle de 30 grammes,
il n’a déterminé qu’un léger mouvement fébrile, qui s’est
promptement dissipé. Mais traité par infusion à la dose de
30 grammes, il a provoqué de violents efforts de vomissement,
un ptyalisme abondant, de la tristesse et de l’abattement, effets
qui ne se sont dissipés.qu’au bout de plusieurs jours.
Pharmacothérapie. — L’ipécacuanha s’offre sous le rapport
thérapeutique avec un aspect plus complexe que sous le rap¬
port pharmacologique, car il manifeste dans certains états mor¬
bides des vertus curatives que ses effets physiologiques auraient
difficilement fait prévoir. Ce médicament est à la fois vomitif.,
tonique-astringent et contre-stimulant. Nous allons l’examiner
sous ces; trois rapports.
a. Vomitif. — Pour provoquer le vomissement, l’ipécacuanha
peut remplir la plupart des indications générales des vomitifs,
et surtout celles qui sont relatives au tube digestif, telles que
les empoisonnements, les corps étrangers, l’embarras gastrique,
la jaunisse, la fièvre bilieuse, etc. ; il a même l’avantage de
mieux convenir que l’émétique dans le cas où les voies gastri¬
ques sont irritées, etc. Ce vomitif a été fortement vanté autre¬
fois par Barrier {Instruct. vétér., t. V, p. 143) contre la maladie
des chiens, surtout après la saignée ; la dose était de 3 à 1 0 cen¬
tigrammes, sans doute à cause de l’extrême jeunesse des sujets
à traiter.
h. Tonique-astringent. — A ce titre, l’ipécacuanha est em¬
ployé depuis longtemps contre certaines maladies du tube di¬
gestif, des voies respiratoires, contre quelques hémorrhagies
atoniques, etc. De toutes les affections du tube digestif, celle
qui cède le plus facilement à l’action en quelque sorte spéci¬
fique de l’ipécacuanha, c’est la dyssenteriè. Préconisé, à l’imi¬
tation de ce qui a lieu chez l’homme, par Bourgelat {Matière
médicale, t. II, p.194), Delahère-Blaine (iVof. fondament.,X.lll,
p. 238), contre le flux de ventre chez le cheval et les autres
animaux, il paraît généralement jouir d’une assez grande effi¬
cacité. L’hippiatre Lafosse {Pict. d’Mpp., art. Gras-fonDübe)
l’a conseillé aussi contre l’entérite couenneûse du cheval. Il
faut ajouter, dit-il, trente grains d’ipécacuanha dans les lave¬
ments des chevaux atteints de gras-fondure, afin de fondre les
glaires qui engorgent les glandes, etc. La diarrhée du chien et
488
IPÉCACÜANHÂ.
des jeunes herbivores cède facilement à l’usage de l’ipécacuanha.
Delafond (Recueil, 1844, p. 250) a employé avec succès le sirop
à la dose d’une cuillerée à café dans un breuvage approprié,
contre la diarrhée des veaux à la mamelle. Il serait sans doute
utile aussi contre la gastro-conjonctivite et la fièvre typhoïde au
début. Enfin, les vétérinaires du Midi ont fait une heureuse ap¬
plication de ripécacuanha à la médecine bovine : administré
au bœuf à la dose de 4 à 8 grammes avec le double ou le triple ;
de son poids d’aloès, il rétablit la rumination assez rapidement
lorsque sa suspension n’est pas liée à une affection grave des
estomacs, et qu’elle tient surtout à la paresse du rumen. Donné
seul, ripécacuanha ne réussit pas aussi bien, ce qui indique
que l’aloès a aussi sa part d’action (Pestai, Mém. de la Soc. vétét.;-
du Calvados et de la Manche,
L’action de ripécacuanha sur l’appareil respiratoire est des
plus remarquables”; c’est un béchique et un tonique puissant
des bronches ; il convient surtout contre l’affection catarrhale
et muqueuse des jeunes chiens, contre la bronchite chronique,
la gourme, l’angine tonsillaire, le croup, etc. Bourgelat dit
l’avoir essayé contre la pousse sans succès, ce qui est peu éton^^
nant. Enfin, on a employé ripécacuanha contre certaines hé¬
morrhagies, cpmme l’hématurie, l’entérorrhagie, et surtout
l’hémoptysie. , .
c. Contre-stimulant. — La racine d’ipéca administrée à pe¬
tites doses souvent répétées, ayant la propriété d’affaiblir le
système nerveux, de déprimer le pouls, etc. , a été préconisée
comme contre-stimulant à la manière de l’émétique, principa-
. lement contre les affections aiguës et chroniques de la poitrine.
Enfin, la poudre d’ipécacuanha administrée à forte dose paraît
jouir d’une efficacité remarquable contre la métro-péritonite de
la femme, suite de l’accouchement : ce remède mériterait d’être
essayé dans la même maladie chez les femelles domestiques,
contre la fièvre vitulaire, par exemple. C’est aux praticiens à
profiter de ces indications spéciales. F. tabourin.
IRRIGATION (EN CHIRURGIE). Voir HYDROTHÉRAPIE.
ISABELLE. Voir ROBES. '
ISOLEMENT. Foir MALADIES CONTAGIEUSES.
ISOTHERME. Voir CLIMAT.
IVRAIE.
489
IVRAIE (LoUum).. Genre de plantes appartenant à la famille
des Graminées et présentant les caractères suivants : Fleurs
réunies en épillets pluriflores, contenant chacun de 3 à23 fleurs.
Épillets disposés en épis simples, appliqués par le côté sur les
dents de Taxe qui les supporte et tous, à l’exception du termi¬
nal, pourvus d’une seule glume externe, l’interne étant rempla¬
cée par une excavation de l’axe. Épillet terminal pourvu de
ses deux glumes, glumelles deux, l’inférieure mutique ou aris-
tée, la supérieure bidentée. Caryopse oblong, sillonné sur une
de ses faces, étroitement enveloppé par les glumelles, mais
ne contractant pas d’adhérences avec elles.
Le genre Lolium renferme un petit nombre d’espèces indi¬
gènes qui sont les L. perenne L.; L. tenue L.; L. Italicum Braun.;
L. multiflorum D. G.; L. rigidum Gaud.; L. temulentum L.;
L. iinicola Sond. Les unes sont intéressantes comme plantes
fourragères, les autres doivent être connues à cause des pro¬
priétés toxiques que présentent leurs grains que l’on trouve
souvent mêlés à ceux des céréales, ou à la graine de lin des
pharmacies. Nous nous occuperons d’abord de ces dernières
et nous dirons en terminant quelques mots des autres considé¬
rées comme plantes alimentaires.
Une espèce du genre LoUum, I’Ivraie enivrante [Lolium
temulentum L.), a été connue comme plante toxique dès la plus
haute antiquité. Les Orientaux, ainsi que le fait voir un passage
de l’Évangile selon saint Mathieu, chapitre XTii, connaissaient
les funestes propriétés de cette plante. Les Grecs, au rapport de
Théophraste d’Érêse, croyaient qu’elle dérivait d’une transfor¬
mation du froment sous l’influence d’une saison pluvieuse, et
divers passages des ouvrages de Plaute, de Virgile, d’Ovide, de
Pline font foi que les Romains n’ignoraient pas qu’elle peut
être dangereuse pour l’homme. Au moyen âge, on savait aussi
qu’il faut se méfier de l’ivraie. Cependant on ne craignait pas
de mêler son grain à celui de l’orge employée à la fabrication de
la bière, afin dé donner plus de force à cette boisson, et cet usage
s’est perpétué presque jusqu’à nos jours, en dépit des règle¬
ments qui, dès l’époque de saint Louis, portaient « défense de
faire entrer l’ivraie dans la bière; »
La présence fréquente de l’ivraie dans les grains, qui servent à
l’alimentation de l’bommeou des animaux domestiques, a pour
résultat de déterminer, de temps à autre, des accidents plus ou
moins sérieux. Aussi cette plante a-t-elle donné lieu à des tra¬
vaux importants parmi lesquels nous citerons une Dissertation
490
IVRAIE.
latine sur Vivraie, par Seeger (Tubingæ, 1710); un mémoire de
M. Rivière, imprimé daijs le Recueil de la Société des sciences de
Montpellier (22 décembre 1729); une note de M. Maizière, pu_
bliée dans les Mémoires de la Société royale de médecine (1797
p. 297) ; une note du docteur Sarrasin, insérée dans la. Gazetk
de santé du 1 1 septembre 1817 ; un travail de M. Gallet que i’on
trouve dans les Bulletins du conseil de santé de la République
Cisalpine; un extrait des Comptes rendus de l’École vétérinaire
de Lyon pour l’année 1 820 ; une Thèse soutenue par M. le docteur
Clabaud; et enfin un savant rapport publié par M. le professeur
Chevalier, en 1833, dans les Annales d’hygiène publique et de
médecine légale. Nous ayons nous-mêmes publié en 1 863 et 1 864,
dans le Journal des vétérinaires du Midi, un long mémoire sur
le même sujet. C’est de ces divers travaux et particulièrement
de nos propres recherches que nous tirerons le résumé que nous
nous proposons de présenter ici aux lecteurs du dictionnaire.
L’ivraie enivrante, hoZiitm temulentum L,; est une plante
annuelle, haute de 40 à 60 centimètres et même un mètre dans
les terrains fertiles. Ses tiges le plus ordinairement simples,
naissent quelquefois au nombre de deux, trois ou plus rarement
quatre, d’une même racine. Elles sont dressées, raides, lisses
ou légèrement scabres, et portent des feuilles fermes, dressées,
planes, d’autant plus larges, plus longues et plus rudes, qu’elles
sont placées plus haut. Elles sont pourvues d’une ligule très-
courte et tronquée. L’épi, qui varie beaucoup dans sa longueur,
est raide, dressé, ou quelquefois un peu courbé en arc par le
poids des grains à l’époque de la maturité. Il est formé d-épil-
lets oblongs, obtus, moins comprimés que dans les autres espè¬
ces du. même genre, appliqués contre l’axe même pendant
l’anthèse. Ces épillets plus courts que la glume qui est aiguë,
linéaire, fortement nerviée, cpntiennent de deux à huit fleurs,
dont la glumelle inférieure porte quelquefois une arête plus ou
moins allongée s’insérant au-dèssous du sommet. A l’époque de
la maturité, les grains se séparent assez facilement de l’épi et
tombent en entraînant souvent avec eux une petite partie de
l’axe de l’épillet, qui reste appliquée dans le sillon que l’on,
trouve sur l’une de leurs faces. Ils sont alors très-étroitement
enveloppés par les gluinelles, dont on ne parvient à les dépouil¬
ler qu avec la plus grande difficulté, et en agissant sur chaque
grain isolément. Ils sont donc encore entièrement revêtus de
ces petites bractées, lorsqu’on les rencontre mélangés au fro¬
ment, au seigle, à l’orge et à l’avoine.
IVRAIE.
491
L’ivraie enivrante est une des plantes les plus répandues à la
surface du globe. Kuntb en signale la présence enEurope, en Asie
dans la Sibérie et au Japon, en Amérique et dans la Nouvelle-
Hollande. Elle existe également en Syrie, dans les contrées qui
avoisinent le Caucase, et dans le Nord de l’Afrique. Elle est
commune dans toutes les parties de la France. Néanmoins, il
est certaines localités où elle semble se multiplier et s’étendre
beaucoup plus facilement ique dans d’autres.
Le Lolium temulentum L. varie un peu suivant les conditions
dans lesquelles il s’est accru. Quelquefois la plante est robuste,
haute de 60 à 80 centimètres et même plus. L’épi, qui offre sou¬
vent alors 1 5, 20 ou 25 centimètres de longueur, se compose de
quinze à vingt-cinq épillets, et chacun de ceux-ci ne renferme
pas moins de cinq à huit grains. Dans ces conditions la glumelle
inférieure est presque constamment dépourvue d’arête. Cette
forme robuste, à épillets mutiques, est la variété Lepioc/iœton de
Braun, dont on avait fait une espèce sous le nom de Lolium ar-
îjenseWith, ou bien encore de L. Robustum Rcbb. Elle a le
grain plus renflé au milieu et plus obtus à ses extrémités que
celui de la suivante.
Dans une seconde variété, celle que Braun a appelée Macro-
chœton, la plante peut encore acquérir une taille assez élevée,
l’épi peut offrir autant de longueur que celui de la forme précé¬
dente, mais toujours ici la glumelle inférieure est pourvue
d’une arête longue et droite. Le grain est d’ailleurs moins ren¬
flé dans son milieu, moins épais et moins obtus à ses extrémités,
ce qui le fait paraître plus allongé. Cette variété est celle que
nous avons rencontrée le plus ordinairement dans les champs
d’avoine. Toutefois elle ne manque pas absolument dans les
autres céréales. Elle s’amoindrit dans ses proportions beaucoup
plus souvent que la précédente. Quand il en est ainsi, elle n’a
plus guère que 30 à 50 centimètres de hauteur, elle est plus
grêle et son épi n’est plus composé que de trois à dix ou douze
épillets formés chacun de deux à trois fleurs seulement.
Enfin, on trouve aussi, mais moins communément, une va¬
riété nommée OUganthum par M. Godron, qui se caractérise
par un épi presque subulé, à épillets formés de trois ou quatre
fleurs seulement, dépourvues d’arête, à glume grande et bien
plus longue que l’épillet.
L’époque de la maturité de l’ivraie est la même que celle des
céréales, et quand vient l’opération du dépiquage ou du hat-
492
IVRAIE.
ta/îe, soQ grain se sépare de l’épi comme celui des graminées
utiles avec lesquelles la plante messicole a vécu. . . ?
Aussi ce grain reste-t-il ordinairement mêlé à celui du fro¬
ment, du seigle, de l’orge et de l’avoine. On le distingue aisé¬
ment à ses dimensions en longueur toujours moins considéra¬
bles que celles, d’aucun des grains que nous venons de citer
aux glumelles marquées de nervures longitudinales saillantes;
qui l’enveloppent étroitement et lui donnent une couleur d’un
jaune fauve, teinté de verdâtre très-clair, à ses extrémités ob- ^
tuses ou subobtuses, au sillon de sa face ventrale qui est relati¬
vement large, profond et en partie occupé par le pédicellé
rompu qui le supportait sur l’épillet, et enfin, à son arête qui
lorsqu’elle existe est fine et droite. On ne saurait guère d’ail- ^
leurs le confondre avec les graines des autres plantes messi-/
coles si ce n’est avec celles de quelques espèces de Bromes. Mais '
ici encore la distinction est facile, car les grains des Bromes
annuels qui croissent dans les moissons ne sont point renflés
comme ceux de l'ivraie, leur glumelle inférieure est moins for¬
tement adhérente au caryopse, leur glumelle supérieure est au
contraire plus adhérente et est ciliée sur ses bords; enfin le
grain proprement dit, débarrassé artificiellement de ses glu¬
melles, est. comme corné, mince, et ne renferme que très-peu
de partie farineuse, tandis que, dans le grain d’ivraie, la farine
est relativement en quantité assez considérable.
Lorsque les semences de l’ivraie enivrante restent associées
aux grains des céréales qui entrent dans l’alimentation de
l’homme ou des animaux domestiques, elles peuvent détermi¬
ner des empoisonnements.. Chez l’homme c’est uniquement à
l’état de mélange avec les grains qui servent à la préparation
du pain d’avoine, d’orge, de seigle ou de froment qu’elles pro¬
voquent des accidents. Dans les diverses circonstances où ces
accident se sont produits, les symptômes que l’on a observés
ont varié d’intensité ; mais en général, ils ont toujours été à peu
près les mêmes, et ceux que l’on a surtout signalés ont été des
douleurs plus ou moins vives de la tête, des vertiges, des
éblouissements, ou un obscurcissement de la vue, des tintements
ou des bourdonnements d’oreilles, des douleurs d’estomac, des
nausées, des vomissements, quelquefois des coliques suivies de
diarrhée, des tremblements généraux ou tout au moins des
tremblements dans les membres, des mouvements convulsifs,
une démarche peu assurée, chancelante, de la lassitude, une
envie irrésistible de dormir, de la somnolence, un sommeil
IVRAIE.
493 '
parfois agité de rêves pénibles, puis enfin le retour à l’état nor¬
mal, après un sommeil plus ou moins prolongé. Ces symptômes
se sont presque toujours déclarés peu de temps après l’ingestion
de la substance qui contenait l’ivraie, et, en général, ils se sont
dissipés après quelques heures.
Les cas de mort, à la suite de l’usage des substances conte¬
nant de l’ivraie, sont infiniment rares. Sur les quatre-vingt-dix
personnes dont il est parlé dans le rapport de M. Chevallier,
aucune n’a succombé ; et sur les différents auteurs cités dans ce
remarquable travail, il n’en est que deux, M. Rivière et M. Mai-
zière, qui rapportent chacun un lait dans lequel la mort a été
la conséquence de l’usage de l’ivraie. Dans l’un et l’autre cas,
il est question, d’ailleurs, d’habitants de la campagne qui ont
succombé après s’être nourris, pendant quelques jours seule¬
ment, d’un pain dans lequel entraient deux tiers ou cinq
sixièmes d’ivraie. Il est à regretter que l’on n’ait fait l’autopsie
d’aucune de ces deux malheureuses victimes.
Si les cas de mort par suite de l’empoisonnement par l’ivraie
sont rares chez l’homme, ils sont encore, en dehors de ce qui se
rattache aux expériences tentées pour éclairer la science, tout à
fait inconnus chez les animaux. Cela résulte de plusieurs cau¬
ses. Il est évident d’abord que ce grain ne pouvant se trouver
mêlé aux aliments normàux des carnassiers, ceux-ci ne sont
guère exposés à être empoisonnés par un tel agent. Quant aux
herbivores qui peuvent rencontrer de l’ivraie associée à l’avoine,
à l’orge, au seigle ou aux autres grains ou graines qui entrent
normalement dans leurs aliments de chaque jour, ils échappent
le plus souvent à l’action de ce grain parce que celui-ci n’est
pas, ordinairement, en proportion suffisante dans leur ration
pour provoquer des effets sensibles, et qu’il ne peut par consé¬
quent déterminer des accidents sérieux. On conçoit, cependant,
qu’il n’est pas absolument impossible que des animaux her¬
bivores aient été malades, à la spite de l’usage, prolongé pendant
quelque temps, de grains contenant de l’ivraie. Mais il est très-
probable que si des cas semblables se sont produits, ils sont pas¬
sés inaperçus, et que l’on n’a pas été amené à remonter à la
cause des accidents que l’on a observés. C’est donc, seulement
à la faveur des expériences que l’on a faites sur les animaux que
l’on a pu constater les perturbations que ce grain provoque dans
l’accomplissement de leurs fonctions, et les désordres qu’il fait
développer dans l’économie. Les symptômes et les lésions qui
se produisent alors sont du plus grand intérêt à connaître au
494
IVRAIE.
point de vue de la toxicologie. Nous les avons étudiés autrefois,
par de nombreuses expériences que nous avons publiées en dé¬
tail et dont nous nous proposons de donner ici simplement le
résumé.
Lorsque Ton fait prendre à des carnassiers (chiens ou chats)
de rivraie que l’on réduit en farine et que l’on associe à leurs ij
aliments ordinaires, àla dose de 250 à 500 grammes pour le chien,
et de 40 à 200 grammes pour le chat, on ne tarde pas à voir se
manifester les effets de cette substance toxique. Un quart
d’heure, une demi-heure, ou une heure au plus, après l’inges¬
tion, l’animal devient triste et cherche à se retirer dans un coin
du lieu où on l’observe. En même temps des tremblements ap¬
paraissent dans diverses régions du corps. Ces tremblements d’a¬
bord faibles, locaux et passagers, deviennent bientôt généraux,
continus et d’une violence plus ou moins marquée. Le plus
souvent ils sont accompagnés de contractions spasmodiques
des muscles des membres, du cou, de la face et des paupières,
de mouvements convulsifs, et parfois même de raideur tétanique
momentanée du cou, des membres et de la queue. Souvent
lés animaux que l’on voit d’abord répandre une bave abondante
et filante finissent par vomir, mais l’absorption des principes
actifs est si rapide, que le vomissement, même lorsquhl est
effectué fort peu de temps après l’ingestion du poison, ne'snffit
pas pour soulager le malade et pour le tirer de danger. Il est
même ordinaifè de voir les symptômes s’aggraver dans les ins¬
tants qui suivéntle rejet des matières contenues dans l’estomac.
Gomme nous l’avons dit déjà, lorsque les animaux qui sont sous
le coup de l’empoisonnement par l’ivraie Sont abandonnés à
eux-mêmes, ils cherchent à sé coucher. Si on lès fait lever et
marcher, d’autres symptômes apparaissent. En général, on voit
l’animal écartèr les membres comme pour élargir la base dè
sustentation. Sa démarche est ■ embarrassée , chancelante, il
pose ses pattes sur le sol avec hésitation comme s’ü éprouvait
quelque douleur, et le plus souvent les tremblements généraux
et les contractions involontaires des musclés sont si forts, que lé
malade pour se soutenir est obligé de s’appuyer contre lé mur
Ou contre les corps voisins. Si alors on le force à marcher, il tré¬
buche et parfois même, ses membres fléchissant brusquement, il
s’affaisse sur le sol et ne se relève qu’avec difficulté. Quelques
sujets, dans les intervalles des cri ses où les symptômes- s’exagè¬
rent^ recherchent les boissons, mais ils ne boivent qu’avec beau¬
coup de peine, à causé des tremblements dont les mâchoires
IVRAIE.
49o
sont agitées. II en est de même encore lorsqu’ils veulent prendre
lesnliments qu’on leur présente, au moment où les symptômes
commencent à se calmer, et nous avons vu des chiens, dans ces
circonstances, pousser avec le nez les morceaux de viande qu’on
leur offrait sans pouvoir réussir à écarter les mâchoires pour
les saisir.
Quelque vives que soient les douleurs qu’éprouvent les ani¬
maux soumis à l’influence de l’ivraie, la part d’intelligence que
la nature leur a départie ne paraît nullement altérée. Ils en¬
tendent encore parfaitement la voix des personnes qui leur
donnent des soins, répondent à leur appel en levant la tête, en
agitant la queue, et parfois même, lorsqu’ils ne peuvent plus
marcher, ils se traînent sur le sol pour venir chercher des cares-
res. Il semblé néanmoins qu’à ce moment les sensations que
l’animal perçoit par les yeux sont confuses. Presque toujours,
en effet, les pupilles sont énormément dilatées. Une fois, cepen¬
dant, nous avons observé que, sur un chat, elles étaient contrac¬
tées outre mesure.
Aux symptômes essentiels que nous venons d’indiquer on
peut ajouter que la respiration et la circulation sont accélérées,
que lès battements du cœur sont forts, et que les muqueuses de
la bouche et de l’œil sont d’un rouge violacé.
Quand la dose d’ivraie administrée n’est pas suffisante pour
“ déterminer la mort, les symptômes se calment peu à peu. Le
temps après lequel le calmé survient est très- variable. Le plus
souvent il est de trois à six ou huit heures. En général une pé¬
riode de somnolence et de coma succède à la violente agitation
et aux convulsions qui se sont d’abord montrées. L’animal se
coucbe et s’endort, et pendant son sommeil on observe encore
des tremblements, et de temps à autre des soubresauts de tout
le corps et des mouvements convulsifs dans les membres. Tou¬
tefois ces derniers symptômes ne tardent pas à disparaître à
leur tour et c’est tout au plus si le lendemain de l’expérience
on voit encore, à des intervalles de plus en plus rares, des trem¬
blements partiels. Du reste, on conçoit que des différences
doivent se manifester ici suivant le degré de résistance des ani¬
maux ét suivant la dose du poison qu’ils ont prise. Nous avons
Vu un chien, soumis à l’action de l’un des principes actifs de
l’ivraie, offrir encore de temps à autre des tremblements par¬
tiels, sept ou huit jours après celui où le poison avait été ad¬
ministré. ‘
Lorsque la dose du poison est assez élevée pour déterminer
496
IVRAIE.
la mort, les symptômes, au lieu de se calmer, s’aggravent. Les
convulsions deviennent d’une violence extrême, et c'est le pi^g
ordinairement au milieu d’une crise de convulsions que l’ani¬
mal succombe.
A l’autopsie, on rencontre toutes les lésions qui caractérisent
l’action des poisons narcotico- âcres. La muqueuse de l’estomac
et celle de l’intestin présentent les traces d’une irritation plus
ou moins vive, qui parfois s’étendent sur une assez grande sur¬
face, et qui, d’autres fois, sont très-limitées. Le foie et la rate
sont gorgés de sang noir. Tout le système veineux est rempli de
sang offrant la même teinte, que l’on retrouve aussi dans la
petite quantité de ce liquide que renferment le cœur gaucbe et
les principaux troncs artériels. Tout indique aussi une conges¬
tion des centres nerveux. Les vaisseaux qui rampent à la sur¬
face de l’encéphale et de la moelle épinière sont distendus par
le sang, et lorsque l’on fait des coupes de la substance nerveuse
on reconnaît un sablé de points rouges qui sont comme autant
de petits foyers apoplectiqués. —
L’ivraie en grains ou réduite à l’état de farine exerce peu
d’action sur les mammifères herbivores et sur les oiseaux de
basse-cour, et pour provoquer des effets notables sur ces ani¬
maux, il faut recourir à l’administration à dose élevée des
principes actifs que contient ce grain. Néanmoins on a réussi à
provoquer en ^ 820 la mort d’un cheval, à l’École vétérinaire de
Lyon, en lui faisant prendre deux kilogrammes d’ivraie. Les
symptômes qui ont alors été observés sont une forte dilatation
des pupilles, du vertige, une marche chancelante, des tremble¬
ments partiels dans diverses régions et des mouvements par¬
ticuliers d’ondulation du corps d’avant en arrière. L’animal
est ensuite tombé, son corps était froid, ses extrémités raides'
[et tendues, la respiration difficile, le pouls lent et petit, et
des mouvements convulsifs avaient lieu dans la tête et dans
les membres. Cet état se prolongea jusqu’au lendemain.
L’animal s’affaiblit rapidement, une bave filante s’échap¬
pait de la bouche, et la mort survint trente heures après le
début de l’expérience. A l’autopsie, on ne trouva pas autre
chose que des traces d’irritation dans l’intestin grêle et le gros
intestin.
Des observations et des éxpériences nombreuses avaient déjà
démontré les propriétés nuisibles de l’ivraie enivrante, lors-
qu’en 1 860 nous entreprîmes des recherches sur ce grain. La
première chose que nous avions à faire après nous être assurés
IVRAIE.
497
de la réalité de ce que l’on avait avancé sur cette plante, c’était
de cRerclier a reconnaître par l’analyse chimique s’il existait en
elle un ou plusieurs principes actifs.
L’analyse chimique que nous fîmes alors de ce grain nous
apprit qu’il renferme sur cent parties ;
Amidon .
. . . 33.56
Huile verte. .... . .
. . . 4.45
Matière jaune. .....
. . . 4.80
Dextrine .
. . . 4.75
Albumine .
. . . 48.60
Matière extractive. ....
. . . 24.93
Son .
. . . 45.45
Cendres .
. . . 2.74
400.00
L’amidon tiré de l’ivraie est blanc et n’a ni odeur, ni saveur.
Il est sans action sur l’économie, même quand il est administré
à l’intérieur à des doses très-élevées. Il jouit d’ailleurs de tous
les caractères chimiques des fécules extraites d’autres grami¬
nées.
La forme des granules d’amidon du Lolium est remarquable.
Ges granules sont polyédriques comme ceux du maïs, mais ils
s’en distinguent par leur grosseur qui est beaucoup moindre.
En effet, tandis que les granules du maïs ont environ 50 mil¬
lièmes de millimètres de diamètre, ceux du Lolium temulentum
n’ont en moyenne que 6 à 7 millièmes de millimètre.
Nous n’avons rien à dire ici de la dextrine, de l’albumine, du
son et des cendres, si ce n’est que ces dernières sont remarqua¬
blement riches en phosphates et que sous ce rapport elles ne
le cèdent pas à celles du froment. Mais nous avons à insister
d’une manière toute particulière sur l’huile verte, sur la ma¬
tière jaune et sur la matière extractive. , '
C’est par l’action de l’éther que l’on sépare du grain les deux
premières de ces matières.
La farine de Lolium temulentum cède à l’éther une matière
grasse de couleur vert-jaunâtre. Cette matière a presque la
consistance de l’axonge. Traitée à froid par l’alcool à 85°, elle
se dédouble en deux substances dont l’une, celle qui se dissout
dans l’alcool, est d’un beau jaune orangé, tandis que la partie
insoluble est verte. La substance jaune obtenue par l’évapora¬
tion de l’alcool est solide, elle a la consistance de la cire un peu
molle. La substance verte est liquide.
X.
32
m
IVRAIE.
Dès 1860, nos expériences nous ont appris que la matière
grasse extraite de l’ivraie par l’éther était pour lés carnassiers
un poison énergique. Il s’agissait alors de déterminer quel
était le principe toxique qui donnait à cette matière ses redou¬
tables propriétés. Voici comment nous avons opéré pour arri- i
ver au but que nous nous proposions.
Après avoir mêlé une certaine quantité de la matière grasse
qu’on obtient en épuisant la farine de Lolium par l’étber avec i
de la lessive des savonniers, on a maintenu le mélange à une
douce chaleur pendant environ deux heures et on l’a aban¬
donné ensuite à lui-même pendant huit jours, pour que la
saponification fût complète. Au bout de ce temps, on a tait dis¬
soudre le savon dans de l’eau distillée et on a filtré le soluté; Il
est resté sur le filtre une matière jaune soluble dans l’alcool
et dans l’éther, et analogue à celle dont nous avons parlé tout à
l’heure.
La solution aqueuse, ayant été agitée à plusieurs reprises avec
de Féther, lui a cédé une nouvelle quantité de substance jaune
orangée, qu’on a facilement obtenue, par l’évaporation de l’éther.
Cette substance, ayant été lavée à; plusieurs reprises à l’eau
bouillante, ne retenait aucune trace d’alcali. Elle n’est donc
pas saponifiable.
Après avoir isolé la matière jaune, nous avons fait bouillir la
solution de savon pour chasser Féther qu’elle retenait encore,
et nous l’avons décomposée par l’acide tartrique. Une . huile
verte est venue nager à la surface du liquide. Nous l’avons iso¬
lée, et nous en avons déterminé le poids. Cette huile forme
environ les deux cinquièmes de la matière que Féther enlève à
la farine; la substance jaune en forme les trois cinquièmes.
L’huile verte, ainsi séparée, est sans action sur les animaux,
tandis que la niatière jaune est très-active. Cependant cette
matière jaune ne représente pas encore le principe actif entiè¬
rement isolé. Celui-ci y est associé à de la xanthine qui lui donne
sa couleur particulière et à une autre substance de laquelle
nous avons pu obtenir, dans des recherches postérieures à notre
première analyse, de la cholestérine cristallisée.
Quant à l’huile verte, elle doit sa couleur à des traces de chlo¬
rophylle.
La matière extractive tirée du grain d’ivraie est pour les car¬
nassiers un poison plus redoutable encore que l’huile verte non
débarrassée de la matière jaune dont nous venons de parler.
IVRAIE. 499
Nous avons à faire connaître par quel procédé nous l’avons ob¬
tenue.
La farine de Lolium, épuisée par l’éther, cède à l’eau froide
une quantité notable de principes solubles. La liqueur qu’on
obtient en traitant cette farine par la méthode de déplacement
est colorée en brun rougeâtre assez foncé.
Soumise à l’ébullition, elle produit une écume abondante
qui s’épaissit peu à peu et finit par former des flocons d’albu¬
mine coagulée de couleur grisâtre.
La solution se colore de plus en plus à mesure qu’on la con¬
centre, et elle acquiert une viscosité assez grande. Si on mêle
cette solution avec quatre à cinq fois son volume d’alcool, on
voit immédiatement des flocons très-abondants se précipiter.
Ces flocons sont composés de dextrine impure. On peut les
purifier par plusieurs dissolutions et précipitations successives.
Le liquide, dépouillé de dextrine et de matières albuminoïdes,
est fortement coloré en brun, et il fournit, quand on le fait éva¬
porer, un extrait assez abondant, dont l’odeur vireuse est ana¬
logue à celle des extraits de plantes de la famille des Solanées.
Nos tentatives pour retirer de cet extrait un alcaloïde ont été,
jusqu’à ce Jour, infructueuses, quoique nous ayons employé
les procédés recommandés comme les meilleurs et, entre autres,
celui de M. Stass. Elles nous ont appris néanmoins que le prin¬
cipe actif contenu dans cet extrait n’est précipité ni par l’acétate
de plomb ni par la chaux, et qu’il n’est altéré dans ses propriétés
toxiques par aucun de ces deux réactifs.
En résumé, tous les essais que nous avons faits ont eu pour
résultat de nous amener à reconnaître que le grain du Lolium
temulentum renferme deux substances actives parfaitement dis¬
tinctes , dont l’une se dissout dans l’éther, et dont l’autre se
trouve en entier dans la farine épuisée par ce menstrue et peut
en être facilement retirée au moyen de l’eau. Ni l’un ni l’autre
de ces principes n’est volatil, car l’eau distillée d’ivraie que
plusieurs auteurs avaient signalée comme jouissant d’une acti¬
vité remarquable n’a jamais exercé d’influence appréciable sur
la santé des animaux auxquels nous l’avons administrée. Tous
deux s’altèrent, comme toutes les substances organiques du
reste, lorsqu’on les chauffe trop fortement, mais ne perdent
rien au contraire de leur activité lorsque la température à
laquelle on les soumet ne dépasse pas’ 100 degrés centigrades.
Tous deux enfin sont solubles dans l’alcool, de telle sorte qu’en
administrant aux carnassiers un ex:trait alcoolique ou hydro-
IVRAIE.
soo
alcoolique d’ivraie, on obtient les mêmes effets que si l’on ad-
ministrait le grain lui-même. Mais il n’en est plus ainsi lors- ;
qu’on fait prendre isolément à ces animaux l’un ou l’autre de
ces deux principes, et nous avons à voir maintenant quels sont
les effets produits en particulier par chacun d’eux.
De 1860 à 1865, nous avons fait de nombreuses expériences
pour étudier sur les carnassiers l’action des deux principes dont
l’analyse nous avait révélé la présence. Nous n’avons point
l’intention de rappeler ici toutes ces expériences qui ont d’ail¬
leurs été publiées dans le Journal des vétérinaires du Midi.
Nous devons nous contenter d’en faire connaître les principaux
résultats.
Lorsqu’on administre à des chiens ou à des chats la matière
grasse extraite de la farine d’ivraie par l’éther, qui n’est autre
chose, comme nous l’avons vu plus haut, que l’huile verte en¬
core associée à la matière jaune, et que la dose de, cette huile '
est portée à une quantité représentant depuis 100 grammes
jusqu’à deux kilogrammes de grain, on ne tarde pas à voir se
manifester chez ces animaux des symptômes particuliers.
Le plus ordinairement, une salive abondante et filante
s’échappe par les commissures des lèvres presque immédiate¬
ment après l’ingestion du produit. L’animai paraît triste, étonné
et, si on le laisse libre, se retire dans un coin; puis, après un
temps qui dépasse à peine une demi-heure, des tremblements
d’abord partiels et passagers apparaissent dans diverses régions
du corps et dés membres'.
Ces tremblements, qui sont l’un des caractères essentiels de
l’action delà matière jaune sur l’économie, ne tardent pas à de¬
venir généraux et à se manifester d’une manière incessante, et
avec une intensité rapidement croissante. Ils acquièrent sou¬
vent une telle violence que l’animal, ne pouvant plus se tenir i
debout, est obligé de se coucher, et plusieurs fois ils ont été tel¬
lement forts chez les animaux soumis à nos expériences que la
tête frappait à coups redoublés sur le sol et qu’un homme était
obligé de maintenir le sujet sur la litière pour lui éviter la dou¬
leur de ces percussions répétées. Du reste, ces tremblements
ont lieu partout, avec la même violence, dans les membres,
dans les diverses régions du tronc, dans les mâchoires et jusque
dans les paupières qui s’abaissent et qui se relèvent avec une
rapidité extraordinaire.
Aux tremblements l’on voit toujours se joindre une raideur
très-marquée des membres. Tant que l’animal reste debout, il
IVRAIE.
301
tient ses pattes écartées comme pour élargir la base de sustenta¬
tion, il reste en place la queue serrée entre les jambes ou, si on
le force à se déplacer, ses mouyements se font ayec difficulté, et
il ne lève et ne pose ses pattes qu’avec beaucoup d’hésitation.
Dès que les tremblements sont devenus généraux, ils s’accom¬
pagnent de contractions convulsives des muscles des membres
et du cou. Le plus ordinairement l’animal est alors couché, et
l’on voit de temps à autre les membres brusquement fléchis
se raidir ensuite daus une extension forcée. Ces mouvements
convulsifs s’exagèrent aussi presque toujours de temps à autre,
et l’animal éprouve de véritables crises pendant lesquelles il
semble horriblement souffrir. Quelques sujets poussent alors
des cris et se roulent sur leur lit de paille où on ne peut les
maintenir.
Dans les intervalles qui séparent ces crises la respiration est
haletante et précipitée, le cœur bat avec violence et rapidité.
La muqueuse de la bouche, les conjonctives, la peau de l’inté¬
rieur de la conque auriculaire sont d’un rouge violacé, et les
pupilles sont énormément dilatées.
Toutefois , au milieu de ses souffrances , l’animal répond
encore en remuant ïa queue, ou en faisant des tentatives pour
se lever, aux appels d’une voix connue et semble demander des
caresses.
Tous les chiens, que nous avons soumis à l’action de la matière
grasse extraite de l’ivraie par Téther, ont vomi dès les premiers
instants de l’expérience. Cependant cela n’en a préservé aucun
de la funeste influence du produit qui déjà, sans doute, avait été
absorbé, en partie ou en totalité.
Le temps pendant lequel continuent à se manifester les effets
provoqués par l’ingestion du poison est nécessairement variable.
Si la dose administrée a été peu élevée, on observe à peine pen¬
dant une demi-heure, une heure ou deux heures au plus, de la
salivation et des tremblements légers. Si la dose a été plus
forte, les symptômes ne commencent à s’amoindrir qu’après six
ou huit heures. Nous avons même vu des chiens trembler, et
avoir encore des mouvements convulsifs , le lendemain et le
surlendemain de l’ingestion. L’un deux ne s’est même remis
complètement qu’après sept ou huit jours.
Il n’est pas nécessaire de dire que les animaux ne commen¬
cent à accepter les aliments qu’on leur offre, qu’au moment où
les symptômes sont fort amoindris. Plusieurs fois nous avons
remarqué qu’ils éprouvent alors beaucoup de difficulté à écarter
502
IVRAIE.
les lèvres et les mâchoires pour saisir la viande ou le pain /ou
pour lapper leurs boissons. L’un de nos sujets a même éprouvé }
une telle difficulté, dans les mouvements de cette nature, qu’il
a fallu, à deux de ses repas, introduire dans sa bouche laviande
coupée en petits morceaux dont on voulait le nourrir.
Un seul des sujets que nous avons soumis à l’action de la
matière jaune a succombé. La mort a eu lieu dans une crise *
d’horribles souffrances, quatre heures seulement après l’inges¬
tion de la substance toxique.
L’autopsie fut faite presque immédiatement après la mort. Le
cadavre offrait une rigidité extraordinaire. A l’ouverture de la
poitrine, le poumon qui était d’une belle couleur rosée et nulle¬
ment gorgé de sang , ne s’affaissa qu’avec lenteur sous l’in¬
fluence de la pression atmosphérique. On eût dit qu’il avait
perdu en partie la propriété de revenir sur lui-même.
Quant aux autres lésions, elles furent en tout semblables à
celles que déterminent, en général, les narcotico-âcres. On peut
les résumer en peu de mots ainsi qu’il suit : Irritation très-
marquée de la muqueuse de l’estomac et de l’intestin, particuliè¬
rement dans le duodénum ; foie gorgé de sang noir qui
s’échappe en nappe lorsque l’on incise l’organe ; — reins laissant
échapper, lorsqu’on les coupe avec le bistouri, une quantité
notable de sang noir; — vessie remplie d’urine d’une couleur
' jaune très-foncée ; — cœur et gros vaisseaux remplis de sang
noir fluide qui se coagule au contact de l’air ; — enfin conges¬
tion des centres nerveux, accusée par la distension des vaisseaux
qui rampent à la surface de l’encéphale et de la moelle épinière,
et par le sablé et les foyers hémorrhagiques qui se présentent
partout dans la substance nerveuse.
. Tels ont été les symptômes et les lésions qui se sont fait ob¬
server chez les carnassiers auxquels nous avons administré
l’huile verte d’ivraie, non privée de la matière jaune à laquelle
elle est associée quand elle a été séparée du grain, de la farine
ou du son par l’éther. Mais lorsque, par les procédés que nous
avons indiqués plus haut, on sépare cette huile de la matière
jaune, élle devient absolument inerte, de telle sorte qu’il est
bien évident que ce n’est point elle qui est le principe actif sus¬
ceptible de déterminer les phénomènes que nous avons décrits.
La matière jaune, au contraire, parfaitement isolée, agit de la
même manière et avec la même activité que la matière grasse
extraité par l’éther, et cela suffit pour démontrer que c’est en
elle seule que réside le principe actif que l’éther enlève à l’ivraie.
IVRAIE.
503
Tous DOS essais ont confirmé cette conclusion, en même temps
qu’ils nous ont démontré que le principe actif qui n’est point
volatil est altéré par une température un peu élevée, qu’il n’est
que fort peu soluble dans l’eau bouillante , et qu’il est au
contraire assez soluble dans l’alcool pour être enlevé en partie
par ce dissolvant à l’huile à laquelle il est associé, et déterminer,
lorsqu’il est ainsi séparé, les mêmes effets qu’il provoque lors¬
qu’il a été isolé suivant la méthode que nous avons décrite plus
haut.
Si l’huile verte encore chargée de matière jaune détermine
chez les carnassiers de violentes souffrances, le produit que
l’on obtient du grain d’ivraie, en le traitant par l’eau après
l’avoir épuisé par Téther, agit sur les mêmes animaux avec plus
d’activité encore. Nous l’avons dans nos expériences administré
à des chiens et à des chats, tantôt sous forme liquide, tantôt
sous forme d’extrait, et fréquemment il a amené la mort des
sujets auxquels nous l’avons fait prendre. Parmi les symptômes
dont il a provoqué la manifestation, il en est quelques-uns qui
sont semblables à ceux que fait naître la matière jaune, et
d’autres qui sont tout à fait spéciaux.
Les carnassiers auxquels on a fait prendre l’extrait ou le
produit aqueux de l’ivraie à dose représentant pour le chien
de 125 grammes à 2 kilogrammes de grains d’ivraie, et pour le
chat de 1 25 à 250 grammes sont d’abord tourmentéSj peu de
temps après l’ingestion ou même pendant l’ingestion, par une
salivation abondante, semblable à celle que nous avons signalée
chez les animaux qui ont pris l’autre produit. Comme ceux-ci,
ils sont d’abord inquiets et agités ; ils ont des tremblements
passagers et partiels, et des vomissements plus ou moins abon¬
dants à la faveur desquels ils se débarrassent, un peu plus tôt
ou un peu plus tard, d’une partie du poison, sans que cela
cependant soit suffisant pour les soustraire entièrement à l’action
du principe actif qui paraît avoir été déjà en grande partie
sinon même en totalité absorbé, quand les malades vomissent.
Enfin notons encore que les animaux conservent aussi, sous
l’influence du principe aqueux, la part d’intelligence que la
nature leur a départie, qu’ils entendent les personnes qui les
appellent et cherchent à répondre à leurs caresses. Mais à cela
se bornent les points communs.
Peu de temps après l’administration de la substance toxique,
on voit, chez tous les carnassiers, les corps clignotants s’avancer
lentement en avant des globes oculaires, et les recouvrir plus
504-
IVRAIE.
ou moins complètement. Ce symptôme remarquable donne à la
physionomie de l’animal un aspect tout particulier. Le sujet ne
voit plus que confusément, il hésite à se déplacer, ses yeux sont
enfoncés dans les orbites, et dans les moments où le corps
clignotant se retire pour reparaître bientôt , on peut aisément
constater que les pupilles sont énormément dilatées. Par fois
même, les bords libres des paupières paraissent comme repliés
en dedans.
En général les animaux, dès qu’ils sont pris de ce premier
"symptôme, se retirent dans un coin, et semblent chercher à être
laissés en repos; déjà des frémissements brusques, sortes de
tremblements partiels et passagers, se manifestent dans diffé¬
rentes régions. Mais ces tremblements ne deviennent ni géné-,
raux, ni continus et n’acquièrent jamais l’intensité de ceux que
provoque le principe actif de la matière jaune. Bientôt la
station devient difficile, et l’animal s’assied, ou s’appuie laté¬
ralement contre le mur, ou se couche sur son lit.
Si l’animal reste debout, et si on le provoque à se déplacer,
sa démarche est chancelante et mal assurée, sa tête est pendante
et comme alourdie a l’extrémité du cou, et ses pattes, à deniî
fléchies, rapprochent le corps du sol beaucoup plus que dans
l’état ordinaire. Il ne peut même pas marcher ainsi pendant
assez longtemps pour faire avec indécision plus de quelques
pas, car bientôt les articulations des membres fléchissant brus¬
quement toutes à la fois, il tombe en avant à la manière d’un
homme ivre. Presque toujours dans ce cas, ce sont les membres
antérieurs qui se dérobent les premiers à l’appui. Dès que
l’animal est tombé, il essaie de se relever par un ensemble de
mouvements brusques, et s’il réussit c’est pour retomber-
aussitôt. Le plus souvent il ne se relève qu’à demi, tombe et
retombe à diverses reprises, jusqu’à ce qu’enfin il demeure
haletant étendu sur le sol ou sur son lit de paille.
Chez les sujets qui ont pris une forte dose du produit aqueux,
les chutes sur le sol sont suivies de convulsions plus ou moins
violentes, et c’est souvent au milieu de ces convulsions, qui se
reproduisent par crises à des intervalles plus ou moins rappro¬
chés, qu’on les voit mourir.
Chez d’autres, il y a bien aussi des mouvements convulsifs,
mais ils sont moins violents et quelquefois remplacés par de
brusques frémissements qui impriment au corps une sorte
de secousse générale. Si on laisse l’animal paisible, il sent si
bien son impuissance qu’il reste sur son lit, plus, ou moins agité
IVRAIE.
SOo
des mouvements que nous venons d’indiquer, mais s’il est
appelé par quelqu’un qu’il affectionne, on le voit parfois, après
avoir fait des efforts impuissants pour se relever, se traîner sur
le sol pour venir vers les personnes qu’il connaît, attestant ainsi
qu’il entend encore parfaitement la voix de ceux qui lui donnent
des soins, et qu’il est resté sensible a leurs caresses.
L’état de prostration dans lequel sont alors les animaux
n’éteint même pas chez eux, comme nous avons pu nous en
convaincre, l’ardeur des instincts génitaux. Un de nos sujets
d’expérience, placé au plus fort de ses souffrances près d’une
chienne en chaleur, tentait de la saillir, et ne paraissait nulle¬
ment découragé par les chutes multipliées qu’il faisait sur le
sol en essayant de se dresser sur ses pattes de derrière.
Tant que les animaux sont sous l’influence du produit aqueux
tiré de l’ivraie, la circulation et la respiration sont accélérées,
les battements du cœur sont fortSi et les muqueuses apparentes
sont d’un rouge plus ou moins foncé.
Lorsque Faction du poison s’atténue, la respiration et la circu¬
lation reviennent peu à peu à leur type normal, les corps
clignotants se retirent lentement, et le malade essaie de se
relever. Il est rare cependant que ses premières tentatives soient
couronnées de succès ; mais lors même que cela arrive, il n’est
pas encore en état de se tenir longtemps debout, et surtout de
marcher. Sa démarche est en effet encore fort incertaine, et
souvent on le voit retomber lourdement. Aussi se résigne- t-il
dans la plupart des cas à rester sur la litière et comme plongé
dans une sorte de somnolence. Ce n’est qu’après s’être réveillé
plusieurs fois, et qu’après avoir essayé à diverses reprises de se
tenir debout, qu’il peut enfin reprendre peu à peu ses allures
habituelles.
La durée des phénomènes que nous venons de décrire est en
général moinslongue que celle des symptômes qui caractérisent
Faction de la matière jaune. Ceux des chiens ou des chats qui
se sont rétablis, après avoir été soumis à l’influence du principe
actif renfermé dans le produit aqueux, sont revenus à la santé le
jour même ou dans la nuit qui a suivi, après 2, 4, 6, ou 8 heures
de souffrance, et le lendemain, il ne restait aucune trace de
l’état dans lequel ils étaient la veille.
Quant à ceux qui ont succombé, leur mort s’est produite le
jour même, et dans un délai de vingt minutes à deux heures et
demie ou trois heures après l’ingestion de la substance. Le plus
506
IVRAIE.
souvent cette fatale terminaison a eu lieu au milieu ou à la
suite de convulsions plus ou moins violentes.
A l’autopsie on rencontre exactement les mêmes lésions que
celles que nous avons déjà signalées, en parlant de l’action du
grain entier ou de la farine, et de l’action de la matière jaune.
La seule différence à signaler c’est que jamais le cadavre ne
présente, immédiatement après la mort, la rigidité si remar¬
quable que nous avons constatée à l’autopsie du sujet qui a
succombé à l’action de là matière jaune.
Nous n’avons pu, comme nous l’avons dit plus haut, réussir a
isoler le principe actif qui est renfermé dans le produit que l’on
obtient en traitant par l’eau la farine d’ivraie préalablement
épuisée par l’éther. Nos expériences nous ont cependant révélé,
indépendamment de son action sur l’économie animale, quel¬
ques-unes de ses propriétés. C’est ainsi que nous avons pu
constater, en variant les préparations que nous avons adminis- !
trées à nos sujets d’expériences, qu’il est soluble dans l’eau et
dans l’alcool, qu’il n’est point volatil, qu’il ne parait pas se
développer en plus grande quantité, ni acquérir plus d’activité
sous l’influence de la fermentation; qu’il est quelquefois en¬
traîné par les flocons de dextrine lorsque, par l’alcool, on sépare
cette substance du produit aqueux, et qu’il n’est précipité ni
par l’acétate de plomb, ni par la chaux. Enfin nous avons re¬
connu encore, ce qui au point de vue de la matière médicale
présenterait une certaine importance, dans le cas où l’on serait
amené à employer ce principe actif de l’ivraie dans un but
thérapeutique, qu’il se conserve au moins pendant plusieurs
mois, sans rien perdre de ses propriétés, dans le produit aqueux
concentré sous forme d’extrait.
Il ressort de tout ce que nous avons 'dit jusqu’à présent que le
grain d’ivraie enivrante, donné à dose suffisamment élevée,
agit avec beaucoup d’énergie sur les carnassiers, et qu’il doit
son activité à deux principes différents qui, lorsqu’ils sont
isolés, provoquent chez ces animaux des troubles fonctionnels
essentiellement dissemblables. L’un, la matière jaune soluble
dans l’éther, exerce sur le système nerveux une sorte d’action
stimulante toute spéciale, souvent suivie de somnolence, qui
n’est pas sans analogie avec celle de la strychnine; l’autre,
soluble dans l’eau, exerce sur le même système une action
stupéfiante, que l’on voit se traduire par des phénomènes de
prostration musculaire excessivement remarquables, rappelant
l’état dans lequel se trouve l’homme lorsqu’il abuse des liqueurs
IVRAIE.
507
alcooliques, avec cette différence, cependant, que l’ivresse pro¬
voquée par l’ivraie n’obscurcit jamais l’intelligence des ani¬
maux.
Mais c’est surtout à l’action des Solanées vireuses qu’il con¬
vient de comparer les troubles que font naître les principes
actifs tirés du grain d’ivraie. Gomme les Solanées, en effet, ils
provoquent souvent chez le chien une irritation gastro-intesti¬
nale et des vomissements; comme elles, ils produisent la dila¬
tation de la pupille, le relâchement des sphincters musculaires,
des convulsions, des mouvements désordonnés, puis de la som¬
nolence et même du coma. Enfin, nous pouvons ajouter que la
belladone, la jusquiame, la stramoine, font naître souvent, dans
le train postérieur surtout, une paralysie qui rappelle un peu
celle que produit l’extrait aqueux d’ivraie, et que l’ingestion du
tabac, à dose élevée, a été suivie parfois de tremblements muscu¬
laires assez analogues à ceux qui se font observer après qu’on
a fait prendre au chien l’huile extraite de l’ivraie par l’éther.
C’est assez dire que, par son action sur l’économie animale,
l’ivraie enivrante prend place à côté des substances narcotico-
âcres.
Nous avons vu, en commençant, que l’ivraie enivrante pré¬
sente plusieurs variétés. De quelque variété que provienne le
grain, il présente toujours la même activité, mais il faut pour
cela qu’il soit arrivé à parfaite maturité. Des préparations tirées
de grains encore verts et incomplètement formés se sont mon¬
trées, en effet, à peu près inactives.
L’ivraie enivrante soumise à la culture ne perd rien de ses
propriétés toxiques. Nous nous en sommes assurés en faisant
plusieurs de nos expériences avec des grains recueillis sur des
plantes cultivées dans un jardin. Il n’y a là d’ailleurs rien qui
doive nous surprendre. L’ivraie, dans les conditions où elle
s’accroît ordinairement au milieu des céréales, ne saurait être
considérée comme une espèce véritablement spontanée. Le sol
dans lequel elle parcourt les différentes phases de sa végétation
de plante annuelle est préparé pour la culture ; il a été plusieurs
fois labouré, il a reçu des engrais, des amendements, on lui
donne des soins spéciaux, et parfois les semences de l’ivraie
elles-mêmes y sont portées par le semeur avec celles des cé¬
réales. Aussi l’ivraie se comporte-t-elle comme la plante cultivée
avec laquelle elle s’accroît. Chétive et peu productive dans les
terrains maigres, comme dans ceux qui sont mal cultivés, elle
acquiert au contraire de grandes dimensions et fructifie abon-
508
IVRME.
damment dans les terres où le blé prospère. C’est donc une
plante qui vit en réalité comme les céréales cultivées, et l’on ne
doit point s’étonner, d’après cela, qu’une culture spéciale
n’amoindrisse en rien ses propriétés. Tout le monde sait qu’il
n’en est pas toujours de même de la plupart des plantes médi-
cinales, dont l’activité est souvent bien différente suivant qu’elles
ont été cultivées, ou,qu’elles ont été récoltées dans les conditions
où elles s’accroissent spontanément.
Après avoir fait connaître Faction toxique des principes tirés
de l’ivraie sur les carnassiers, il nous reste à voir comment ces
mêmes principes agissent sur les autres animaux domestiques.
Cette étude, que nous ferons aussi succinctement que possible
ne laissera pas de présenter un certain intérêt, en ce sens
qu’elle démontrera une fois de plus, que les substances qui
paraissent exercer leur influence sur le système nerveux, pro¬
duisent souvent des effets très-différents, quand elles sont
administrées a des individus d’espèces éloignées.
Les solipèdes sont très-sensibles à l’action de la matière jaune
tirée de l’ivraie qui paraît agir sur eux avec plus d’activité que
sur le chien. Ils ont été dans nos expériences complètement
insensibles à Faction du principe soluble dans l’eau, lorsqu’on
le leur a fait prendre par les voies digestives, et nous n’avons
pu obtenir sur ces animaux d’effet marqué qu’en injectant cette
substance à haute dose dans les veines.
C’est surtout sur une jument à laquelle nous avions fait pren¬
dre l’huile verte, non privée de matière jaune, extraite par l’éther
de 3 kilogrammes de grain, que nous avons pu étudier les
symptômes et les lésions déterminées par cette substance.
Les symptômes ont commencé à apparaître trois quarts
d’heure environ après l’administration du poison. Après une
émission abondante d’urine et de matières fécales ramollies, la
bête a été brusquement prise de tremblements généraux qui
ont promptement acquis une violence extrême. Debout elle
tenait ses membres démesurément écartés, trépignait par mo¬
ments, ou bien oscillait d’avant en arrière et d’arrière en avant
à l’extrémité de sa longe tendue. Sa physionomie exprimait
l’anxiété, et elle s’effrayait outre mesure des moindres mouve-
nients qui se faisaient auprès d’elle. L’œil était fixe et la pupille
dilatée. La respiration était soufflante par les naseaux large-
ments ouverts, et les battements du cœur tout à la fois vio¬
lents, tumultueux et précipités.
Bientôt la bête tomba, se releva brusquement, èt finalement
IVRAIE.
o09
retomba sur le côté gauche, sans pouYoir réussir cette fois à se
•^remettre sur ses membres. A partir de ce moment, il y eut des
mouvements convulsifs incessants dans les muscles du cou, des
membres, de la face, des paupières et des lèvres, des tremble¬
ments généraux, des grincements de dents, des plaintes et des
efforts impuissants de la part de l’animal pour arriver à se
relever. La respiration était profonde et accélérée, le pouls
petit et vite, et les muqueuses apparentes d’une teinte rouge
foncée. — De temps à autre les symptômes s’exagé raient, et
il y avait alors de véritables accès qui duraient deux ou trois
minutes, pendant lesquels les membres se raidissaient, l’enco¬
lure se rouait et portait le menton jusque sur le poitrail, l’œil
pirouettait dans l’orbite, les dents grinçaient, la bouche laissait
échapper une salive filante, la respiration était pénible et sif¬
flante, et les battements du cœur tellement forts qu’on les
entendait en se tenant debout près de l’animal,- et tellement
précipités qu’on pouvait en compter jusqu’à cent quarante-un
dans une minute.
A la suite de ces crises, la bête restait comme épuisée, agitée
de mouvements convulsifs et de tremblements généraux.
Enfin, après quatre heures de souffrance, les accès cessèrent,
les extrémités se refroidirent, et l’animal mourut dans la nuit.
L’ouverture du cadavre fut faite le lendemain et l’on rencon¬
tra les lésions suivantes : taches violacées sur la muqueuse du
sac gauche de l’estomac; vive injection de la muqueuse du sac
droit; traces manifestes d’irritation dans la première portion et
vers le milieu de l’intestin grêle, à la base et à la pointe du
cæcum, et à la courbure gastrique du côlon ; foie gorgé de
sang noir; vaisseaux du mésentère distendus par le sang; sang
noir et difflueut dans les cavités droites du cœur et dans' les
gros troncs veineux; caillot volumineux d’un blanc jaunâtre
dans le ventricule gauche; épanchement séreux au-dessous du
feuillet viscéral du péricarde à la base et en dehors du ventri¬
cule gauche; distension des vaisseaux du crâne et du canal
rachidien; sablé rouge abondant dans la substance nerveuse;
substance grise de la moelle épinière évidemment ramollie.
Chez deux autres chevaux, soumis à l’action de la même
substance mais à dose moins élevée, et représentant seulement
un et deux kilogrammes de grain, il s’est manifesté des symp¬
tômes analogues à ceux qui se sont produits chez la bête dont
nous venons de parler, jusqu’au moment où elle est tombée sur
le sol. Puis le calme est revenu peu à peu, les animaux ont été
IVRAIE.
0 10
somnolents pendant quelques instants et sont revenus à lèur l
état normal.
Un autre sujet est resté entièrement insensible à l’action de
la matière grasse extraite par l’éther d’un kilogramme de son
d’ivraie.
L’extrait ou produit aqueux n’exerce, comme nous l’avons dit
déjà, que fort peu d’action sur les solipèdes, lorsqu’on l’adhib
nistre par la bouche ou en lavement par le rectum. Un peu de
somnolence, de la salivation, des tremblements légers dans les
muscles olécrâniens ont été les seuls symptômes que nous avons
observés sur trois chevaux qui avaient pris le produit dont nons
nous occupons à dose représentant deux, trois et cinq kilo¬
grammes de grain. Il en a été de même d’un autre cheval dans
les veines duquel nous avons injecté le produit aqueux filtré
avec soin, tiré de deux kilogrammes de grain. Ce n’a été qii’en
portant la dose à la quantité représentant quatre kilogrammes
de grain que nous avons pu provoquer, par une injection dans
la jugulaire, un véritable empoisonnement qui s’est terminé par
la mort.
Le sujet sur lequel on fit cette expérience était un cheval
aveugle de 18 ans. L’injection eut lieu le 11 janvier .1861, à
dix heures du matin. Elle fut immédiatement suivie d’un peu
d’agitation et de symptômes analogues à ceux qui sé manifes¬
tent chez les solipèdes lorsqu’ils ont de légères coliques. En
même temps, il apparut comme des frémissements rapides
dans les muscles de diverses régions du corps, des membres et
de la face, et les battements du cœur, d’ailleurs assez forts,
atteignirent te chiffre de 97 à 107 par minute.
Un peu avant onze heures : somnolence, salivation abondante,
la salive limpide tombant goutte à goutte par les commissures^,
agitation des mâchoires; tremblements d’abord limités et pas¬
sagers, devenant bientôt généraux, continus et d’une grande
intensité; colonne vertébrale voussée; membres rapprochés
sous le corps ; démarche incertaine, chancelante, le train posté^
rieur étant traîné dans la marche, comme chez les chevaux qui
ont un commencement de paraplégie.
A midi, tremblements moins forts ; larmoiement très-abon¬
dant, les larmes tombent goutte à goutte comme la salivé; appa¬
rition peu étendue des corps clignotants; 78 pulsations.
A deux heures, diminution, puis cessation des tremblements;
somnolence; larmoiement ; salivation ; respiration lente et pro¬
fonde; 74, puis 54 pulsations.
IVRAIE.
o11
Le soir, même état.
Le lendemain 12, à sept heures et demie: tristesse; engorge¬
ment œdémateux sous la poitrine, gagnant la face interne des
membres antérieurs; refus de la ration de foin et de la presque
totalité de la ration d’avoine; bouche chaude; muqueuses appa¬
rentes violacées; battements du cœur forts; artère tendue;
90 pulsations par minute; respiration profonde s’accompagnant
à chaque inspiration d’une dilatation exagérée des naseaux et
d’un fort mouvement de torsion des côtes; tremblements lé¬
gers. Même état pendant toute la journée, avec cette particula¬
rité qu’il y a, à midi, un léger épistaxis, et, à trois heures,
émission d’une quantité considérable d’urine très-chargée et
très-odorante.
Le 13, à sept heures du matin: aggravation des symptômes
constatés la veille. A neuf heures, chute sur la litière; plaintes
et mouvements convulsifs pendant toute la journée; mort pen¬
dant la nuit.
Autopsie ie 1 4 à neuf heures du matin. — Sérosité abondante
et de couleur citrine sous la peau, dans tous les points où
existait l’engorgement pendant la vie. Muqueuse du sac droit
de l’estomac d’un rouge violacé avec du sang épanché dans le
tissu cellulaire sous-muqueux. Muqueuse de l’intestin grêle
d’un gris pâle ardoisé dans certains points, épaissie et rouge
.violacée dans d’autres avec une infiltration de sang épanché
dans le tissu cellulaire. Quelques points d’un rouge violacé à la
pointe du cæcum, et à l’origine du côlon flottant.
Foie et reins gorgés de sang noir; muqueuse des uretères
d’un gris pâle, celle de la vessie d’un rouge violacé ; vaisseaux
placés au-dessous de cette muqueuse distendus par le sang.
Peu d’urine dans la vessie.
Péritoine des parois de la cavité abdominale d’un rouge
violacé, offrant la même teinte, ou une couleur rose très- variée
dans ses nuances, sur les épiploons, le mésentère et la portion
qui enveloppe l’intestin ; vaisseaux du péritoine partout dis¬
tendus par le sang ; épanchement de ce liquide en dehors des
vaisseaux entre les lames du mésentère dans quelques points ;
épanchement de sérosité au-dessous du péritoine vers la pointe
du cæcum.
Poumons sains, le droit sur lequel était couché l’animal étant
gorgé de sang noir ; un peu de sérosité dans la poitrine.
Peu de sang dans les cavités du cœur et dans les artères ;
gros troncs veineux remplis de sang noir ne se coagulant pas à
312
IVRAIE.
l’air libre et offrant cette particularité que ses globules sont ■
agglutinés entre eux sans être altérés dans leur forme.
Vaisseaux de l’encéphale et de la moelle épinière distendus i
par le sang ; foyers apoplectiques nombreux disséminés dans la
substance nerveuse ; substance grise de la moelle ramollie et de
couleur lie de vin.
Nous n’insisterons point, quant à présent, sur les enseigne¬
ments que l’on pourrait tirer de l’expérience que nous venons
de rapporter. Nous nous bornerons à faire observer simplement
que les symptômes, qui se sont manifestés pendant les deux
derniers jours de la vie , et les lésions qui ont été trouvées à
l’autopsie, chez le cheval mis en expérience, ne sont pas sans
analogie avec les phénomènes ^ui se révèlent , dans certaines
maladies par altération du sang, et avec les désordres que ces
affections laissent après elles sur les cadavres. La même obser¬
vation pourrait s’appliquer aussi, jusqu’à un certain point, à la
jument qui a succombé après avoir pris l’huile verte d’ivraie,
non purgée, de la matière jaune.
Si nous en jugeons par le petit nombre d’essais que nous
avons faits, les animaux de l’espèce porcine paraissent échapper
à l’influence des principes actifs que renferment les grains
d’ivraie, lorsque les substances sont administrées par les voies
digestives. C’est en vain que nous avons donné, à plusieurs de
ces animaux, l’huile verte avec la matière jaune et le produit
aqueux. Tout au plus avons-nous pu observer des tremblements
légers, une démarche embarrassée et un peu plus tard de la
somnolence, chez un jeune porc de cinq mois, dans la jugulaire
duquel nous avions injecté le produit aqueux filtré, obtenu de
400 grammes de grain.
Dans nos expériences les bêtes bovines , comme les porcs, se
sont montrées insensibles à l’action des principes actifs dé
l’ivraie lorsqu’on les lenr a fait prendre par la bouche. Mais
une vache dans la jugulaire de laquelle on a injecté, nne pre¬
mière fois, le produit aqueux filtré tiré de 2 kilogrammes de
grain, et, une seconde fois, le même produit obtenu de 2'", 300
grammes de grains a été prise dans les deux expériences de
tremblements généraux. En outre les yeux sont devenus lar¬
moyants, les corps clignotants ont un peu apparu dans les
angles internes des yeux, les pupilles ont été dilatés; enfin
les battements du coeur ont été forts et très-irréguliers et leur
nombre s’est élevé à 84 et même à 12.0 par minute. Toutefois
ces symptômes se sont promptement calmés, et six heures après
" IVRAIE. o13
le début de la dernière expérience la bête était revenue à la
santé.
Les bêtes ovines, sans être très-fortement affectées par les
principes actifs retirés de l’ivraie, en ressentent néanmoins
l’influence plus vivement que les grands ruminants. Chez elles,
l’huile verte, non débarrassée de la matière jaune, administrée
par la bouche, détermine de la somnolence, des tremblements,
une gêne marquée dans les mouvements de progression, et
parfois l’impossibilité pour l’animal de se tenir debout. Il y a, en
outre, des grincements de' dents, accélération de la circulation,
refus des aliments et cessation de la rumination. Mais ce qu’il
y a eu de particulier dans nos expériences, c’est que ces
symptômes n’ont apparu qu’un certain temps après l’adminis-
trationde la substance, après une première rumination, qu’ils se
sont ensuite calmés et ont disparu pour reparaître le lendemain
et disparaître ensuite définitivement apres plus ou moins de
temps. L’apparition tardive des symptômes, leur suspension, et
leur reproduction s’expliquent parfaitement par l’organisâtion
des ruminants. L’huile n’est absorbée qu’après avoir été portée
dans la caillette directement ou par suite de la rumination.
Quand des symptômes se produisent dès le premier jour, comme
cela a eu lieu dans une de nos expériences, c’est qu’une partie
de la substance a été absorbée après avoir pénétré directement
dans la caillette. Ceux qui apparaissent plus tard, et après que la
rumination a reparu, sont provoqués par l’absorption du prin¬
cipe actif d’une seconde portion d’huile d’ivraie qui, tombée
dans le rumen, est portée ensuite par la rumination jusque
dans les autres régions du tube digestif.
Le produit extrait de l’ivraie par l’eau a bien moins d’action
sur les moutons que la matière jaune. Il détermine néanmoins
d’abord un peu d’agitation, puis de l’abattement et de la som¬
nolence. Mais ces symptômes n’ont qu’une courte durée, et
même ne se manifestent pas du tout quand le produit aqueux
est administré par la bouche à des animaux adultes et robustes.
Il n’en est plus de même quand ce produit est injecté dans les
veines. L’un des animaux que nous avons soumis à cet essai a
succombé. La mort fut presque instantanée. On entendit seule¬
ment les battements du cœur qui devinrent d’une violence
extrême et s’arrêtèrent brusquement; la bête poussa quelques
plaintes, puis elle expira sans convulsions. A l’autopsie, on ne
trouva point de lésions, et l’on constata surtout que rien n’in¬
diquait que l’air eût pénétré dans la veine pendant l’injection.
33
Z.
IVRAIE.
5U.
Une seconde brebis, âgée de quatre ans et demi à cinq ans a
résisté à l’injection du produit aqueux tiré de 500 grammes de
grains. Chez elle les battements du cœur sont devenus d’une -
force extrême, immédiatement après l’injection, et la respiration
s’est accélérée outre mesure. Puis on a observé de l’inquiétude
une dilatation excessive des pupilles, une salivation abondante,
de la raideur des membres, une démarche fort gênée et des
tremblements assez marqués. Toutefois ces symptômes se sont
calmés assez promptement, et après une période de somnolence,
dont la durée a été de deux heures à deux heures et demie, la
brebis s’est mise à manger sa ration de fourrage et n’a plus rien
offert de particulier.
Nous passerons rapidement sur les effets produits chez le
lapin par les principes actifs de l’ivraie. L’huile extraite dù
grain par l’éther, et non dépouillée de la matière jaune, exerce
sur ces animaux une légère influence, mais il faut pour cela la
donner à une dose énorme. Les symptômes que l’on observe
alors et qui n’apparaissent guère que trois quarts d’heure ou
une heure après que le produit a été administré, sont des trem¬
blements généraux, des mouvements dans lesquels l’animal
d’abord ramassé sur lui-même s’allonge pour se ramasser de
nouveau, et le refus des aliments: du reste ces symptômes dureiit
peu.
L’action du produit extrait par l’eau est, au contraire, promp¬
tement mortelle pour le lapin. Dès qu’elle commence à se
manifester, la prostration musculaire est très -prononcée,
l’animal .ramassé sur lui-même laisse 'd’abord aller sa tête
jusque sur le sol, puis il tombe et est en proie à des mouve¬
ments convulsifs. Quelquefois il essaie de se relever, mais c’est
pour retomber aussitôt. Vers la fin dé là vie un frémissement
général a lieu et l’animal succombe. Les lésions h’offrênt rien
de particulier. Ce sont toujours des traces d’irritation dans
l’estomac et dans l’intestm, la couleur noire du sang qui
distend les vaisseaux, et des traces de congestion du côté des
centres nerveux, mais cependant sans foyers apoplectiques bien
prononcés.
Le grain^d’ivraie que les Gallinacés sont exposés à prendre
avec leurs aliments ordinaires est inoffensif pour eux. Cela
résulte de l’impossibilité dans laquelle ils sont d’en ingérer
assez dans un jour pour qu’on ait à craindre de voir apparaître
des troubles sérieux dans l’accomplissement de leurs fonctions.
Nous devons même constater ici que l’usage de l’ivraie comme
IVRAIE.
b1S
aliment peut être continué pendant plusieurs jours, pour les
Gallinacés, sans compromettre en rien la conservation de la
santé. Nous en avons acquis la preuve en nourrissant exclusi¬
vement d’ivraie enivrante et d’eau ordinaire, pendant quinzè
jours, un coq qui est resté bien portant après avoir mangé
dans ce temps 1464 grammes de grain.
Quant aux produits séparés du grain, ils n’agissent- sur les
volailles qu’ autant qu’on les donne à des doses énormes. C’est
ainsi, par exemple, que pour déterminer la mort d’une poule il
nous a fallu lui donner, dans une même journée, toute l’huile
extraite par l’éther de 3400 grammes de grains, et que nous
n’avons fait naître qu’un peu de somnolence et de diarrhée chez
quatre autres oiseaux de la même espèce, en leur administrant
le produit aqueux à des doses représentant de 1 25 à bOO grammes
de grains.
Les canards ne souffrent pas plus que les poules sous l’in¬
fluence des deux principes actifs de l’ivraie. L’un et l’autre des
produits déterminent comme des vomissements et de la diarrhée
lorsqu’ils sont ingérés à très-haute dose. Le produit aqueux
provoque en outre un peu de somnolence.
Après avoir démontré qu’il existe dans l’ivraie enivrante deux
principes actifs distincts, et après avoir étudié l’action que
chacun d’eux exerce sur les animaux domestiques de diverses
espèces, nous avons maintemenl à comparer les uns aux autres
les résultats que nous avons obtenus.
Parmi les animaux dont nous nous sommes occupés, lés
carnassiers seuls ont paru endurer d’atroces souffrances aussi
bien après avoir pris le principe soluble dans l’eau , qu’après
avoir dégluti l’huile qui contient la matière jaune- Si, pour un
moment, nous laissons de côté les expériences dans lesquelles
nous avons eu recours à des injections dans les veines, il nous
est facile de constater que, chez les espèces autres- que celles du
chien et du chat, il n’y ajamais eu qu’un seul des deux principes
de l’ivraie qui ait agi avec beaucoup d’énergie. Ainsi le principe
éminemment actif, pour les solipèdes et pour les bêtes ovines,
c’est la matière jaune que contient l’huile ; pour le lapin, au
contraire, c’est le principe soluble dans l’eau ; tandis que, chez
le porc, ni l’un ni l’autre de ces deux agents ne déterminent de
troubles dans l’économie. Pour les poules, la matière jaune à
très-haute dose est un poison, pour les canards cette matière
paraît au contraire être moins dangereuse que le produit aqueux
qui, lui-même, d’ailleurs ne détermine pas d’accidents sérieux.
516
IVRAIE.
Les espèces sur lesquelles nous, avons fait des expériences
étant pour la plupart fort éloignées les unes des autres, il n’est
pas étonnant que l’action de chacun des deux principes actifs
ne se traduise pas, chez tous les animaux, par un ensemble de
symptômes identiquement semblables. Sous ce rapport il y a,
comme on l’a vu, quelques différences à signaler suivant les
espèces. Mais si profondes que soient ces différences on peut
dire que, parmi les symptômes dont chacun des principes actifs
provoque la manifestation, il y en a toujours quelques-uns qui
sont pour ainsi dire caractéristiques, et que l’on retrouve chez
tous les sujets, quelle que soit d’ailleurs l’espèce à laquelle ils
appartiennent. C'est ainsi, par exemple, qu’après l’adminisr
tration de l’huile extraite par l’éther on observe les tremble¬
ments continus et la raideur tétanique des membres, aussi bien
chez le cheval, le mouton, le lapin,. la poule, le moineau, que
chez les carnassiers ; et que le lapin est, de même que le chien et
le chat, frappé d’une sorte de paralysie qui rend impossible, ou
tout au moins difficile, la contraction de certains muscles, lors¬
que comme eux il a pris le principe soluble dans l’eau.
Il résulte de là que, si l’ivraie n’agit pas de la même manière
sur les quelques espèces que nous avons soumises à son
influence, la différence qui se fait alors observer ne réside pas
essentiellement dans le mode suivant lequel se manifestent à
l’extérieur les souffrances qu’endurent les victimes, mais qu’elle
se trouve surtout dans l’aptitude que paraît posséder l’éco¬
nomie , dans certaines espèces, de se soustraire plus ou moins
à l’action de l’un ou de l’autre des deux principes actifs, quand
les animaux ne jouissent pas du privilège plus remarquable
encore de n’être impressionnés ni par l’un ni par l’autre.
L’intensité inégale des effets observés sur des animaux d’es-
nèces éloignées ne saurait tenir à des proportions variables des
principes actifs dans les préparations de même nature, puisque
l’analyse nous a démontré dans ces préparations une composi¬
tion invariable, et que, d’ailleurs, il nous est souvent arrivé
d’opérer sur des carnassiers et sur des herbivores avec des pro¬
duits tirés des mêmes flacons. C’est donc uniquement dans l’or¬
ganisation différente des sujets d’expérience qu’il nous faut
chercher la cause de ce fait remarquable. Nous croyons que,
sous ce rapport, il est important de tenir compte de la rapidité
plus ou moins grande avec laquelle s’accomplit l’absorption
chez les carnassiers et les herbivores, et de l’état d’intégrité ou
d’altération dans lequel peuvent se trouver les principes actifs
IVRAIE.
817
de l’huile ou de l’extrait aqueux au moment de l’absorption.
Chez les carnassiers, l’estomac et l’intestin sont d’une capa¬
cité peu considérable, relativement à la taille des animaux ; le
plus ordinairement les substances alimentaires ne s’y accumu¬
lent point en masses volumineuses, et il suffit toujours de
mettre les sujets à la diète pendant quelques heures, comme
nous l’avons fait dans la plupart de nos expériences, pour être
certain de faire arriver les produits que l’on donne, dans des
viscères vides ou à peu près vides. Aussi l’absorption des prin¬
cipes actifs se fait-elle avec une telle rapidité que, dans tous les
cas où nous avons administré le produit aqueux, nous avons vu
les corps clignotants s’avancer devant les yeux , dans les 5, 15,
20 ou 25 minutes qui ont suivi l’ingestion de la substance et ne
précéder que de fort peu de temps la prostration musculaire et
les autres troubles que le principe soluble dans l’eau provoque
chez les carnassiers. Les symptômes déterminés par la matière
jaune ont apparu un peu plus lentement, il est vrai. Cependant
les tremblements ont souvent commencé à se manifester dès
la première demi-heure, et nous les avons même vus se pro¬
duire plus tôt dans quelques circonstances. Aussi croyons-nous
que s’il y a quelque différence dans la rapidité avec laquelle
s’accomplit l’absorption des deux produits, cette différence ne
doit pas être bien considérable. Ce qui nous porte à le penser,
c’est que, sur beaucoup de carnassiers, les vomissements qui
ont lieu le plus souvent très-peu de temps après l’administra¬
tion de l’huile verte, comme après l’ingestion du produit
aqueux, n’ont point suffi pour préserver les animaux des souf¬
frances qui suivent ordinairement l’introduction de l’un ou de
l’autre de ces produits dans l’estomac. Il est évident que cela
ne serait point arrivé si la plus grande partie des principes
actifs n’avait été absorbée avant les vomissements.
Les conditions propres à favoriser l’absorption ne semblent
pas exister d’une manière aussi marquée chez les herbivores.
Ceux-ci sent pourvus, comme on le sait, d’un vaste appareil
digestif dans lequel sont souvent accumulées des masses énor¬
mes de substances alimentaires, et lorsque les principes actifs
de l’ivraie arrivent dans l’estomac, ils sont fréquemment expo¬
sés à pénétrer à des profondeurs variables dans la masse des
aliments, et à s’éloigner, par conséquent, plus ou moins des
surfaces absorbantes. Il ne 'serait pas impossible même qu’ils
y fussent altérés dans leur composition, et qu’ils perdissent
ainsi une partie de leurs propriétés. Ces causes nous parurent
o18
IVRAIE.
d’abord suffisantes pour expliquer le privilège que nous cons¬
tations chez les herbivores de rester à peu près insensibles à
l’action de l’ivraie. Les injections que nous avons faites dans
les veines du cheval, du porc, de la vache, de la brebis et du
chien sont venues nous démontrer que si ces causes ne devaient
pas être considérées comme absolument «ans influence sur les
résultats que nous avons constatés, elles sont bien loin d’avoir,
au moins en ce qui concerne les expériences faites avec le prin¬
cipe soluble dans l’eau, l’importance que nous étions sur le
point de leur accorder.
Si, en général, les herbivores souffrent peu lorsqu’on leur
fait prendre par les voies digestives le produit obtenu en trai¬
tant l’ivraie par l’eau, ce n’est pas que le principe actif contenu
dans ce produit ne soit pas absorbé ou soit altéré dans l’intestin,
avant d’avoir été pris par les vaisseaux absorbants, mais c’est
surtout parce que' le système nerveux des herbivores parait
être organisé de telle sorte qu’il ressent beaucoup moins que
celui des carnassiers l’influence de l’agent toxique dont nous
nous occupons. Gela nous paraît avoir été parfaitement établi
par une série d’expériences comparatives que nous avons pu¬
bliées dans notre mémoire de 186S. Dans ces expériences, lè pro¬
duit aqueux tiré de 120 grammes d’ivraie, injecté dans la jugu¬
laire, a suffi pour faire mourir en quelques minutes un chien
épagneul de chasse, de taille assez élevée. Le même produit,
injecté dans la veine d’un cheval, à dose représentant deux hüo-
gjrammes degrains, est demeuré à peu près sans action; et sil’on
a vu quelques troubles se produire dans la santé d’un jeune
porc, d’une- vache et d’une brebis, après qu’on leur eût injecté
dans les veines ce même produit à des doses représentant
400 grammes, deux kilogr., 250 grammes et 500 grammes de
grains, il est bon de noter que les symptômes qui ont accusé ces
troubles ont été assez modérés, et que la vie des sujets d’expé¬
rience n’a jamais été sérieusement compromise.
Deux herbivores seulement, une brebis et un cheval, ont suc¬
combé à la suite d’une injection, dans la jugulaire, d’une certaine
quantité du produit aqueux tiré du grain d’ivraie. Mais, pour
atteindre ce résultat, il a fallu tellement élever les doses, que
ces expériences confirment entièrement ce que nous avons dit
tout à l’heure du privilège que possède le système nerveux des
herbivores d’être peu sensible à l’action du principe actif de l’i¬
vraie soluble dans l’eau. En effet, la brebis est morte en quel¬
ques minutes à la suite de l’injection du produit aqueux tiré
IVRAIE.
319
d’un kilogramme de grains, mais cette quantité est huit fois plus
considérable que celle qui a fait mourir un chien de forte taille;
Le fait observé sur le cheval est de nature à appuyer davan¬
tage encore notre manière de voir, car, pour cet animal, la dosé
du produit injecté était, toute proportion gardée, bien plus
considérable, puisqu’elle représentait quatre kilogrammes de
grains, et qu’elle était, par conséquent, plus de33 fois plus forte
que celle que l’on avait versée dans la veine du chien dont nous .
avons parlé tout d’abord. Et cependant le solipède a résisté pen¬
dant trois jours à cette énorme dose du principe actif que ren¬
ferme le produit aqueux tiré du grain d’ivraie, tant est grande
la force de résistance de l’économie des herbivores contre l’ac¬
tion de cet agent toxique.
Ainsi, àpart deux lapins qui avaient pris des doses relativement
énormes du produit aqueux et qui ont succombé, tous les her¬
bivores auxquels nous avons administré ce produit, par les voies
digestives, n’en ont ressenti que peu ou point d’effet : et la plu¬
part de ceux qui ont été soumis à des expériences d’injection
dans les veines du même produit n’ont éprouvé que des troubles
peu intenses ët de courte durée. Le principe actif de l’ivraie
soluble dans l’eau ne s’éloigne donc pas des autres substances
narcotiques, quant à l’intensité de son action sur le système
nerveux des herbivores. Tous les vétérinaires savent, en effet,
que l’opium, la belladone et les autres Solanées vireuses qui
agissent sur les carnassiers avec autant d’activité que sur
l’homme lüi-même, n’exercent qu’une faible action sur les
herbivores, et que, pour obtenir des effets marqués, il faut les
donner à ces derniers animaux à des doses beaucoup plus
élevées qu’on ne le ferait, si l’on se bornait à tenir compte de
la différence que présentent, dans leur taille et dans leur vo¬
lume, les diverses espèces que l’homme a soumises à la domes¬
ticité.
Ce fait établit donc une analogie dé plus entre le principe
actif de l’ivraie soluble dans l’eau et les médicaments narco-
tico-âcres. La même analogie ne paraît pas exister pour la
matière jaune soluble dans l’éther, car l’intensité des symp¬
tômes dont elle provoque l’apparition varie en quelque sorte
avec chaque espèce animale, sans qu’il soit possible de rappro¬
cher sous ce rapport, en deux groupes distincts, d’une part les
carnassiers , et de l’autre les herbivores. Il nous suffira, pour ne
laisser aucun doute à ce sujet, de rappeler que l’huile verte
d’ivraie est demeurée sans action sur le porc, sur la Vache et
520
IVRAIE.
sur le canard; qu’elle a provoqué la manifestation de symptômes
assez marqués cTiez des agneaux, des lapins et des solipèdes-
qu’elle a même fait périr une jument sans que pour cela l’on
ait été obligé d’en exagérer beaucoup la dose ; qu’elle n’a tué
une poule et un moineau qu’après avoir été portée à la dose
énorme, représentant 3,400 grammes de grains pour la pre¬
mière et 50 grammes pour le second, et qu’enfin si elle a fait
souffrir beaucoup les carnassiers, elle n’a déterminé la mort
que d’un très-petit nombre d’entre eux.
Les observations des auteurs qui nous ont précédés et nos
expériences démontrant que l’ivraie enivrante est un poison
énergique pour l’homme et pour diverses espèces de nos ani¬
maux domestiques, il serait intéressant de découvrir une ou
plusieurs substances douées de la propriété d’en combattre les
effets. Malheureusement nos études, sur ce point, ne nous ont
donné aucun résultat satisfaisant. Nous avons essayé tour à
tour, contre le principe soluble dans l’eau, qui est le plus dan¬
gereux, le café à haute dose qui réussit ordinairement à con¬
jurer les accidents de l’empoisonnement par les opiacés ; lânoix
vomique qui provoque chez les chiens des symptômes entièrcr
ment opposés à ceux que fait naître l’extrait aqueux d’ivraie;,
l’iode dissous dans l’eau à la faveur d’une petite quantité d’io-
dure de potassium, que l’on a indiqué comme un antidote de la
strychnine; enfin Veau sucrée par la mélasse, conseillée par
M. Gallet, comme l’une des substances les plus efficaces contre
les effets du grain d’ivraie. Six chiens soumis à ces différents
essais ont tous succombé en peu de temps, sans que nous ayons
observé la moindre atténuation dans la violence des symptô¬
mes provoqués par l’agent toxique. Nous nous proposions de
tenter l’emploi de V ammoniaque liquide qui ■ est utilisée pour
combattre les effets de l’ivresse ordinaire, quand des circons¬
tances indépendantes de notre volonté ont mis fin aux reeherr-
ches que nous avions à faire encore en commun sur l’ivraie
dont nous voulions compléter l’étude.
L’huile d’ivraie détermine rarement la mort du chien, même
lorsqu’on la donne à hautes doses. Nous avons voulu voir
cependant s’il serait possible de calmer les souffrances qu’en¬
durent les animaux quand on leur fait prendre cette substance.
Dans ce but, après avoir administré à un chien l’huile extraite
d’un kilogramme de Lolium temulentum, nous lui avons donné
deuxdécigrammes d’opium. Ce médicament n’a nullement arrêté
les effets de la matière jaune qui se sont produits avec leur
lYRAIE, 521
intensité ordinaire, et n’ont disparu que le lendemain de l’ex¬
périence.
Nous ne connaissons donc point encore d’antidote à opposer
à l’action de l’ivraie, et malheureusement les circonstances ne
nous ont pas permis de poursuivre les études que nous avions
projetées pour essayer d’arriver à un résultat plus satisfaisant.
Quoi qu’il en soit, il est certain que si l’on devait rester désamé
en présence d’un agent toxique aussi puissant, il faudrait
prendre les plus grandes précautions pour éviter de le voir se
mélanger, en proportion un peu considérable, aux substances
alimentaires destinées à l’homme ou aux animaux domestiques.
L’ivraie enivrante est, comme nous l’avons vu, une plante
messicole. Son grain se retrouve dans le blé et le seigle destinés
à la fabrication du pain,, dans l’orge que l’on utilise à la pré¬
paration de îa bière, et dans l’avoine qui sert à l’alimentation
des plus précieux de nos herbivores domestiques. Le premier
soin à prendre, ce serait donc celui de faire disparaître cette
plante des moissons, ou tout au moins de la rendre infiniment
rare. Il n’y a point à recourir, dans ce but, à des opérations
différentes de celles qui sont recommandées par les agronomes
pour purger les récoltes des plantes adventices qui trop souvent
encore s’y multiplient outre mesure. L’usage des labours fré¬
quents, la pratique raisonnée des cultures sarclées et des
cultures fourragères, l’emploi d’engrais suffisamment consom¬
més, et la précaution de ne confier jamais à la terre que des
semences parfaitement pures de graines étrangères, sont donc
les seuls moyens à recommander pour faire disparaître l’ivraie
des champs qu’elle infecte. Mais si ces précautions sont négli¬
gées’, ou si même, en dépit du soin que l’on a apporté à les
mettre en pratique, on voit l’ivraie mélangée en quantité un
peu forte aux grains des céréales, il ne faut pas hésiter à les
purger par l’emploi du tarare et des autres procédés connus des
agriculteurs. Nous rappellerons cependant que, pour les her¬
bivores, il faut que la dose d’ivraie soit très-forte pour provoquer
des accidents , et que, par conséquent, il ne faudrait pas se
préoccuper outre mesure de quelques grains d’ivraie que l’on
trouverait dans l’avoine, l’orge ouïe seigle qui leur sont destinés.
Dans les circonstances ordinaires, ce n’est guère que par suite
de l’emploi à l’alimentation des animaux du résidu du nettoyage
des grains par le tarare ou par tout autre moyen, que l’on peut
avoir à craindre des empoisonnements. Ce résidu est, en effet,
souvent très-riche en grains d’ivraie, et nous ne serions nulle-
IVRAIE.
ment étonnés qu’il déterminât des accidents d’autant plus t
sérieux, que dans bien des cas on serait probablement fort ^
éloigné d’en, soupçonner la cause.
Les substances qui agissent* comme poisons, avec le plus
de violence, sont souvent aussi celles que l’on utilise avec le
plus d’avantage comme médicaments dans le traitement des
maladies. Les exemples tirés de l’opium, de la'noix vomique,
des Solanées vireuses dans le règne végétal, des mercuriaux et
des arsenicaux dans le règne minéral, suffisent pour démontrer
l’exactitude de ce que nous avançons. Or, comme nous l’avons
vu, l’ivraie est pour l’homme et pour certaines espèces animales i
un poison redoutable, et nous ne serions nullement étonnés l
que l’art médical papînt un jour à diriger, l’action de cette
plante vénéneuse, de manière à la faire concourir au rétablisser
ment de la santé. Déjà nous avons dit que le Lolium temulen-
tum paraît devoir être classé, dans la matière médicale, parmi
les médicaments narcotico-âcres. C’est, en effet, sur le système
nerveux que cette plante agit avec le plus d’activité. Aussi ayonsr
nous pensé qu’il pourrait être utile d’en essayer l’action dans
le traitement de certaines névroses. Ici encore nos recherches
ont été arrêtées par les circonstances, et nous ne pouvons, par
conséquent, riendire de positif relativement à l’emploi thérapeu¬
tique des deux principes actifs dont nous avons démontré l’exis¬
tence dans l’ivraie. Nous les avons essayés, cependant, dans
différents cas de tétanos chez les solipèdes, et de chorée chez
les animaux de l’espèce canine. Nous n’avons point obtenu de
résultats à la suite de. ces essais. L’huile verte, non dépouillée
de matière jaune, et l’extrait aqueux ont été complètement
impuissants dans deux cas différents contre le tétanos qui avait
attaqué un âne et une jument. La maladie a suivi son cours
sans paraître modifiée ni par l’un ni par l’autre des agents que •
l’on a administrés, à différentes reprises, en lavements, à cause |
de l’obstacle apporté par un trismus très-prononcé à l’ingestion
de la substance par les premières voies. Nous avons même pu
remarquer que sur l’âne quelques-uns des symptômes qui in¬
diquent la présence dans l’économie du principe soluble dans
l’eau se sont joints à ceux du tétanos et ont paru contribuer à
hâter la mort du malade.
Quant aux chiens atteints de chorée, sur lesquels nous avons
expérimenté , ils sont au nombre de quatre. Tous ont reçu
l’huile verte pourvue de la matière jaune, à petite dose chaque |
jour, pendant un temps plus ou moins long. L’un d’eux, grave-
IVRAIE.
523
ment malade, a succombé dès les premiers jours du traitement.
Un autre est resté, pendant et après le traitement, dans l’état où
il était avant d’être soumis à l’action de l’ivraie. Enfin, chez les
deux derniers, la maladie nous' a paru avoir éprouvé quelque
peu d’amélioration ; mais cette amélioration ne s’est maintenue
que fort peu de temps après la cessation du traitement. Depuis
la publication de nos premiers essais, dans le Compte rendu des
travaux de la Société de médecine de Toulouse, M. le docteur
Gazin a lait sur un enfant atteint de chorée un essai à l’aide de
l’extrait aqueux et en a obtenu des résultats satisfaisants. Il n’y
aurait donc pas lieu de se décourager entièrement, et de
nouvelles tentatives pourraient être couronnées de succès.
Après avoir acquis, par de nombreuses expériences, la convic¬
tion que l’ivraie enivrante agit avec beaucoup d’énergie sur les
carnassiers et sur quelques herbivores domestiques, nous avons
pensé qu’il pourrait être utile de rechercher si les grains des
espèces voisines du Lolium temulentum L. exerceraient la même
action ou une action analogue sur l’économie animale. C’est
pour nous éclairer sur ce point que nous avons , entrepris des
expériences avec les graines des Lolium linicolaQond.,L. Itali-
cum Braun, et L. perenne L.
Le Lolium linicola Sond. est une plante annuelle. Ses tiges
sont simples ou naissent quelquefois au nombre de deux ou
trois d’une même touffe de racines. Elles sont droites, grêles,
dressées, pourvues de feuilles peu nombreuses, dont le limbe
est étroit, court, plane et lisse, et dont la ligule est courte et
tronquée. L’épi, dont la longueur est de 6 à 10 ou 12 centimè¬
tres tout au plus,. est pourvu d’un axe grêle sur les côtés duquel
se disposent les épillets qui sont alternes, courts, obtus, com¬
posés de quatre à six fleurs, et débordent un peu la glume
unique que l’on trouve à la base de chacun d’eux. Celle-ci est,
d’ailleurs, aiguë et fortement nerviée ; enfin la glumelle infé¬
rieure est mutique ou plus rarement surmontée d’une arête
courte et grêle qui s’insère au-dessous, mais très-près du som¬
met.
En France, le Lolium linicola croît exclusivement dans les
champs de lin, son grain ne se rencontre donc que dans la
graine de lin que l’on récolte pour les besoins des arts et de
l’industrie, ou pour l’usage de la médecine. Il n’a guère que le
tiers ou le quart du volume que présente ordinairement le grain
du Lolium temulentum, dont il rappelle assez la forme. Il est,
comme lui, enveloppé de ses glumelles, creusé d’un sillon assez
524
IVRAIE.
large sur sa face yentrale, et muni à sa base d’un fragment de
l’axe qu’il a emporté au moment où il s’est détaché. Mais il est
proportionnellement un peu plus allongé et d’une couleur plus
terne et plus sombre. Le caryopse que l’on sépare très-difficile¬
ment de ses enveloppes, est lisse, atténué à chacune de ses
extrémités, renflé dans son milieu, et affecte un peu la forme
d’un fuseau raccourci. Le sillon de sa face ventrale est peu pro¬
fond. Le grain renferme une quantité de farine plus grande que
celle que l’on devrait s’attendre à y rencontrer, en raison de son
volume peu considérable. Cela résulte du peu d’épaisseur de la
pellicule de son qui le revêt.
Par tous ces caractères, le grain du Lolium linicola se distin¬
gue facilement, au milieu des graines de lin, qui sont ellipti¬
ques, lisses, brillantes, aplaties et de couleur brune. Nous
verrons plus loin qu’au point de vue de la pharmacie il n’est
pas absolument indifférent de savoir faire cette distinction.
Le LoZmmperenne L., qui n’est autre chose que le ray-grass
des Anglais, considéré, à justetitre, comme unede nos meilleures
plantes fourragères, est une espèce vivace. Sa souche fibreuse
est surmontée tout à la fois de faisceaux de feuilles stériles et
de tiges dressées ou ascendantes. Celles-ci sont lisses, fermes,
ordinairement nues dans une assez grande longueur au-dessous
de l’épi. Les feuilles d’abord pliées dans la jeunesse, puis planes,
«ont munies d’une ligule courte et obtuse. L’épi est dressé,
formé d’épillets appliqués contre l’axe même au moment de la
floraison, lancéolés, comprimés, formés de trois à onze fleurs.,
La glume est plus courte que l’épillet ; la glumelle inférieure
est mutique.
L’ivraie vivace se trouve presque partout dans les prairies.
Elle est souvent cultivée pour former des pelouses ou des ga¬
zons dans les parcs et dans les jardins. Son grain, revêtu des
glumelles qui débordent longuement le caryopse dans la partie^
supérieure, est petit, étroit, allongé, convexe sur une face,
créusé sur l’autre d’une gouttière assez profonde largement
excavée, membraneuse sur les bords par suite de ce que les
glumelles débordent un peu, et pourvue à la base d’un court
fragment de l’axe de l’épillet. Débarrassé de ses glumelles, le
caryopse est presque de moitié plus court que lorsqu’il est en¬
veloppé de ses bractées. Il est un peu atténué à la base, sub¬
obtus au sommet, mince et recourbé en une large gouttière
sur sa face ventrale, il ne contient que très-peu de substance
farineuse.
IVRAIE.
o25
L’ivraie d’Italie, Lolium Italicum Braun , est, par ses carac¬
tères botaniques, très-rapprochée de l’ivraie vivace, et, de même
que cette dernière, elle est souvent cultivée comme plante four¬
ragère sous le nom de ray-grass d’Italie. C’est une plante
vivace ou bisannuelle qui ne se distingue guère du Lolium pe-
renne que par ses épillets étalés presque à angle droit, au mo¬
ment de l’anthèse, et par sa glumelle inférieure, surmontée
d’une fine arête insérée un peu au-dessous du sommet. Le grain
lui-même est très-semblable à celui de l’ivraie vivace, et l’on
ne saurait certainement pas l’en distinguer, sans la ûne arête
qui surmonte encore la glumelle inférieure. Il n’y a, non plus,
aucune différence à signaler dans le caryopse.
Par leur composition, les trois espèces que nous venons de
décrire ne semblent pas différer au premier abord de l’ivraie
enivrante, par la nature des principes que l’on y rencontre ,
mais seulement par les proportions de ces principes. Voici
d’ailleurs quels ont été les résultats des analyses que nous
avons faites de ces grains" en suivant les procédés indiqués au
commencement de cet article :
L . Linicola.
L. Italicum.
L. Perenne.
Amidon .
30.85
21 .70
29.60
Glucose . .
0.52
0.60
1 .70
Huile verte .
L20
1.85
1.95
Matière jaune .
4.54
0.75
6.80
Dextrine. . .
1.20
1.50
1.50
Albumine .
14.25
16.40
10.50
Matière extractive . . .
23.29
23.70
25.65
Son .
22.00
27.50
22.40
Cendres .
5.15
6.00
5.90
100.00
100.00
100.00
Gomme on peut le voir par ce tableau, les Lolium linicola,
L. Italicum^ L. Perenne renferment comme le Lolium temulen-
tum de la matière jaune et de la matière extractive. Si ces deux
substances étaient les principes actifs isolés à l’état de pureté,
les trois espèces dont nous nous occupons devraient, à peu de
chose près, produire sur l’économie animale les mêmes effets
que provoque l’ivraie enivrante. Il n’en est rien cependant, car
tandis que le Lolium linicola est doué d’une activité supérieure
à celle de l’ivraie enivrante, le Lolium perenne provoque quel¬
ques troubles seulement par la matière extractive, et le Lolium
italicum est à peu près inoffensif. Gela résulte, comme nous
326
IVRAIE.
l’avons dit déjà, de ce que les principes actifs non isolés, conte¬
nus dans la matière jaune et dans la matière extractive, y sont
associés à d’autres substances dont les proportions varient
suivant les espèces. De nouvelles études, que nous n’avons pu
faire, seraient nécessaires pour isoler ces principes actifs qui, à
en juger par les effets produits sur les carnassiers,, doivent
exister en proportion plus considérable dans le Lolium linicoh
que dans le Lolium temulentum lui-même.
L’huile verte, contenant encore la matière jaune, et la matière
extractive, tirées de l’ivraie du lin, possèdent en effet la propriété
d’agir énergiquement sur l’économie animale. L’une et l’autre
provoquent des symptômes identiquement semblables à ceux
que font naître les préparations^ analogues tirées de l’ivraie
enivrante. L’huile verte, par exemple, détermine chez le chien,
comme chez le chat, de la salivation, des vomissements, des
tremblements généraux, des mouvements convulsifs plus ou
moins violents, une raideur tétanique très-marquée dans le
cou, dans les membres, dans la queue, une exagération; évh
dente dans la sensibilité générale, puis de la somnolence. r
L’action de la matière extractive sur les mêmes animaux se
traduit aussi par de la salivation, des vomissements et des
mouvements convulsifs, mais on n’observe que peu ou point de
tremblements, et jamais de raideur tétanique dans les diffé¬
rentes régions dm corps. Ces symptômes sont remplacés^ par
une prostration musculaire tellement profonde qu’à un mo¬
ment donné toutes les articulations des membres, fléchissant, à
la fois sous le poids du corps, l’animal tombe lourdement sur
le sol sans pouvoir se relever. Cette chute est toujours précédée
de l’apparition des corps clignotants qui s’avancent devant
les globes oculaires et les recouvrent presqu’entièrement. En¬
fin, sous l’influence de la matière extractive, la sensibilité est
émoussée, et l’animal, quand il ne succombe pas rapidement,
tombe dans un état de somnolence très-marquée.
Dans les expériences que nous avons tentées, l’huile verte
tirée de cinq cents grammes d’ivraie du lin a fait mourir une
chienne de taille assez élevée, après quatre jours de souffrances.
A dose représentant quatre cents grammes de grains , elle a
rendu un chat adulte très -malade, mais elle ne l’a point tué.
lia suffi de faire prendre à un fort chien toute la matièr®
extractive de 500 grammes d’ivraie lihicole pour le faire périr
en soixante- cinq minutes. Un petit épagneul a succombé en
deux heures dix minutes, après avoir pris le même produit tiré
IVRAIE.
o27 .
de 325 grammes de ce grain. Mais un chat adulte a résisté à la
même dose et s’est rétabli complètement après une demi-Jôur-
née de souffrance et une nuit de sommeil.
La matière extractive de l’ivraie du lin, comme celle de
l’ivraie enivrante, laisse sur le cadavre tous les caractères d’une
congestion des centres nerveux, ceux d’une congestion du foie,
et ceux d’une altération du sang qui, dans toutes les parties de
l’économie, se présente avec une couleur noire très-foncée. Le
plus souvent aussi, il y a des traces d’irritation dans le tube
digestif.
Les symptômes et les lésions que nous venons de décrire suc¬
cinctement sont trop identiquement semblables à ceux que
provoquent la matière jaune et la matière extractive de l’ivraie
enivrante, pour qu’il soit permis de douter de la présence, dans
l’ivraie du lin , des mêmes principes actifs qui existent dans
l’ivraie enivrante. Ils sont de nature aussi à faire comprendre
qu’il serait bon de purger la graine de lin des pharmacies, lors¬
qu’elle doit être employée à faire des tisanes, de la petite quan¬
tité de grains de Lolium linicolaqu’éile renferme quelquefois,
non pas qu’on ait à craindre qu’en si faible proportion ces grains
puissent déterminer des accidents,sérieux, mais afin d’éviter de
provoquer chez le malade des troubles qui pourraient l’inquié¬
ter et aller à l’encontre du traitement.
Les Lolium Italicum Braun et Lolium perenne L. renferment
aussi de la matière jaune et de la matière extractive, et ce¬
pendant leurs grains sont bien loin d’être aussi dangereux que
ceux des Lolium temulenlum et L. Linicola. L’huile et la matière
extractive tirées de l’ivraie d’Italie, données à des chiens à doses
très-élevées, ont été à peu près sans action. Il en a été de même
de la matière extractive obtenue du Lolium perenne. Mais l’huile
extraite du grain de cette dernière espèce n’a pas été abso¬
lument inactive. En la faisant prendre à des chiens, à des doses
représentant 700 grammes, 1 kilogramme et 2 kilogramrnes de
grains, on a provoque chez ces animaux des symptômes entière¬
ment semblables à ceux que fait naître la même substance
lorsqu’elle est préparée avec les grains de l’ivraie enivrante et
de l’ivraie linicole. Il nous paraît démontré d’après cela que,
dans les grains de l’ivraie d’Italie, il n’existe que peu ou point
des principes actifs qui donnent à l’ivraie enivrante ses pro¬
priétés toxiques , et que ceux de l’ivraie vivace ne contiennent
que peu ou point du principe actif soluble dans l’éther associé-
à de la cholestérine dans la matière jaune.
IVRAIE.
528
Les principes actifs de l’ivraie enivrante et de l’ivraie linipole
sont contenus exclusivement dans les grains arrivés à la
maturité. Nous nous sommes assurés par diverses expériences
que l’herbe verte ou sèche de la première de ces deux espèces
ne provoque jamais le moindre trouble dans les fonctions des
Herbivores que l’on en nourrit. Quant aux tiges et aux feuilles
des autres espèces du même genre, tous les agriculteurs savent
qu’elles sont comptées au nombre des meilleures espèces four¬
ragères, et que par conséquent on n’a jamais reconnu en elles
de propiétés toxiques.
Le Lolium perenne L., connu sous les noms d’ivraie vivace, de
fausse ivraie, de ray-grass, ray-grassdes Anglais, prospère sur¬
tout sous l’influence d’un climat un peu humide et dans les
terrains frais. 11 est coïnmun dans les prairies partout en
France, dans les lieux où sont réunies les conditions que nous
venons d’indiquer, et en général les prairies où il est abon¬
dant fournissent un foin de bonne qualité. Il croît aussi dans
les pâturages où il constitue une bonne espèce en raison de
la faculté qu’il possède de repousser facilement sous la dent
du bétail. Il renferme depuis 0,90 jusqu’à 1,48 p. 100 d’azote
lorsqu’il est convenablement desséché.
On le sème quelquefois seul et l’on répand alors 50 kilog.
environ de semence à l’hectare. Il forme dans ces conditions
une sorte de prairie artificielle dont la durée est de 2 à 4 ans.
Il peut fournir 4500 Mlog. de fourrage sec par hectare. Il est
important de ne point employer, pour semer ces prairies, la
graine du gazon anglais fort recherchée pour les parcs et pour
les jardins. Cette variété est en effet fort peu productive.
Le Lolium Italicum, ivraie d’Italie, ou ray-grass d’Italie, peut
être cultivé de la même manière et dans les mêmes conditions.
Il est plus productif et peut donner jusqu’à 1 0,000 kilogrammes
de fourrage sec par hectare. On peut même en obtenir des
produits supérieurs encore en l’arrosant, pendant la végétation,
avec des engrais liquides comme le faisait M. Boquet aux
environs de Toulouse. La durée des prairies qu’il produit est
moindre que celle de prairies d’ivraie vivace.
Le Lolium Multiflorum D.G., désigné par quelques agronomes
sous le nom de ray-grass de Bretagne, est annuel. C’est une
plante robuste productive dont la culture paraît être avan¬
tageuse dans les provinces de l’Ouest.
Enfin le Lolium Kigidum Gaud est également une espèce
annuelle qui croît le plus ordinairement dans les moissons, et
JMIBE.
529
qüï est mangée sans difficulté par tous les herbivores. , Néan¬
moins elle n’offre, comme espèce fourragère, que fort peu d’in¬
térêt. G. BAILLET et E . FILHO L,
IXODE, Foir Insectes.
J
JALAP. Fofr Pdrgatifs.
JAMBE. Le mot jambe est employé communément pour dé¬
signer les membres du cheval : On dit, par exemple, d’un cheval
qu’il a ]os jambes fines, lorsque la peau de ses membres s’adapte
étroitement sur les parties qu’elle recouvre et les met bien en
relief; on dit aussi qu’il a \e& jambes usées, arquées, lorsque leurs
aplombs sont faussés et que les rayons soit du canon, soit de
l’avant-bras, déviés de leur direction physiologique, se disposent
et se maintiennent dans une attitude anormale [voy. Boületüre
et Genou). Mais, dans le langage technique, le moi jambes une
application plus restreinte ; ou l’emploie et on le réserve pour
désigner, dans les quadrupèdes, la même région que dans
l’homme : celle qui, intermédiaire entre la cuisse et la région
tarsienne, a pour base le tibia et son os complémentaire le pé¬
roné. Si la jambe des quadrupèdes occupe dans le squelette
une situation plus élevée que celle de l’homme, cela ne dépend
pas de différences essentielles dans la construction des uns et
de l’autre, mais exclusivement de leur mode d’appui et de pro¬
gression. Les quadrupèdes marchent sur le bout de leurs doigts
et l’homme sur toute la longueur de son pied ; de telle sorte
que, chez celui-ci, l’extrémité inférieure du tibia est presque
au niveau du sol, tandis que, chez ceux-là, elle en est écartée
de toute la longueur des os du pied anatomique qui, au lieu
d’être parallèles au sol dans l’appui, lui sont, au contraire, per¬
pendiculaires.
Anatomie.
La jambe a pour base osseuse, chez le cheval, le tibia et le
péroné, et, chez le bœuf, le tibia seulement, car le péroné ne s’y
34
X.
S30
JAMBE.
trouve qu’à l’état de vestige. Mais, dans l’un et dans l’autre' de
ces animaux, la véritable assise de la jambe est le tibia exclusi¬
vement, le péroné, du cheval ne constituant qu’un os rudimen¬
taire, surajouté au côté externe de l’os principal, auquel il
n’adhère que par son extrémité supérieure et dont il ne mesure
que la moitié ou les deux tiers de l’étendue.
Le tibia est un os long, de forme pyramidale triangulaire,
dont l’extrémité renflée, supérieure, correspond au fémur, tan¬
dis que l’inférieure, plus mince et aplatie d’avant en arrière,
s’articule avec l’astragale. Obliquement disposé de haut en bas
et d’avant en arrière, le tibia forme avec le premier de ces os un
angle dont l’ouverture est postérieure et il forme aussi avec le
métatarse, par l’intermédiaire de l’astragale, un angle inverse¬
ment disposé, c’est-à-dire dont l’ouverture est antérieure.
Les muscles qui, par leur assemblage autour du rayon de là
Jambe, contribuent à donner à cette région sa forme extérieure,
sont disposés en deux, groupes : l’un antérieur, qui occupe la -
face antérieure et externe de la pyramide que le tibia représente
dans sa moitié supérieure; et l’autre situé sur sa face posté-,:
rieure. Quant à sa face interne, elle est complètement dégarnie
de coussins musculaires, et c’est la peau qui en forme le revête¬
ment presque immédiat. Au point de vue (fe ce groupement des
muscles par rapport à leur base osseuse, il y a une très-grande
similitude entre la région de la jambe et celle de l’avant-bras à
laquelle elle correspond.
Tous les muscles de la région jambière sont formés de deux
parties, l’une charnue, plus ou moins renflée, affectant en
général une disposition fusiforme, qui occupe la région supé¬
rieure et moyenne de la jambe, et l’autre tendineuse qui se pro¬
longe au delà du tibia pour aller s’insérer soit au calcanéum,
soit au métatarse, soit sur les phalanges. Ceux du groupe anté*
rieur sont fléchisseurs du métatarse et extenseurs des pha¬
langes et ceux du groupe postérieur ont des fonctions inverses
ils opèrent l’extension du premier de ces os et la flexion des
seconds. La flexion du métatarse ne résulte pas seulement de
l’action du muscle spécial, le tibio-prémétatarsien, auquel cette
fonction est dévolue dans la région jambière; ce muscle a pour
coadjuteurs les fléchisseurs du fémur qui, lorsqu’ils fonction¬
nent, peuvent opérer la flexion simultanée du canon sur la
jambe, grâce à la longue corde tendineuse qui, superposée à la
partie charnue du fléchisseur du métatarse, se prolonge supé¬
rieurement, par-dessus l’articulation fémoro-tibiale, pour aller
JAMBE.
o31
s’insérer dans la fossertte creusée entre la trochlée et le condyle
externe du fémur. L’insertion inférieure de cette corde s’opérant
à l’extrémité supérieure du métatarse, il en résulte nécessaire¬
ment que toutes les fois que le fémur se fléchit, il entraîne dans
son mouvement le métatarse, et que les flexions de ces deux os
sont nécessairement synchroniques. Cette disposition anatomi¬
que était utile à rappeler pour servir à l’interprétation d’une
claudication particulière dont le siège est la région jambière, et
la cause dans une lésion de la corde du tibio-prémétatarsien. Il
en sera parlé dans le paragraphe de la pathologie de la jambe.
Pliysiologie.
Interposé entre la cuisse et le jarret, le rayon de la jambe
contribue à constituer la colonne de soutien que représente le
membre postérieur et, lorsque la machine se met et se main¬
tient en mouvement, il fait l’office d’un levier locomoteur,
obéissant au mouxement des muscles qui agissent sur lui, en
même temps que ses propres muscles impriment eux-mêmes le
mouvement aux leviers sur lesquels ils agissent. La région jam¬
bière est donc tout à la fois passive et active dans la station et
dans la locomotion.
La direction oblique du tibia entre, les deux rayons auxquels
il est interposé est favorable à l’amortissement des réactions,
car les angles, que forme cet os avec ceux auxquels il s’articule
par ses deux extrémités, font le même office que l’angle scapulo-
huméral et celui du boulet : ce sont comme des ressorts élasti¬
ques par le jeu desquels les efforts de la pesanteur et ceux de la
réaction du sol s’atténuent et perdent assez de leur intensité
pour que les secousses imprimées à la machine, pendant laloco-
motion, ne lui soient pas dommageables.
Malgré sa position oblique dans la colonne de soutien, le tibia
ne laisse pas d’avoir la rigidité nécessaire pour supporter le
poids qui lui est transmis et qu’il transmet aux assises inférieu¬
res, parce que les muscles rotuliens, d’une part, et les gastro-
cnémiens, de l’autre, opposent la tonicité de leurs fibres actives
et la ténacité de leur appareil fibreux à l’effort qui tend à fer¬
mer ses angles de jonction avec les os auxquels il est interposé.
Comme levier locomoteur, le tibia remplit un double office.
Lorsque le membre se lève, il contribue par son extension sur
la cuisse à porter le pied en avant et lui fait embrasser une
étendue de terrain qui est en rapport avec sa propre longueur;
puis lorsque le membre est à l’appui et fonctionne comme agent
S32
JAMBE.
de la propulsion de la machine en avant, c’est le tibia qui trans-,
met au fémur et par le fémur au tronc le mouvement qui pro-*
cède des leviers inférieurs, appuyés sur le sol,'’ et mis en jeu
par les 'gastro-cnémiens ou, autrement dit, les Jumeaux de la
jambe. La région jambière est donc tout à la fois, par son ap¬
pareil musculaire, le foyer principal du mouvement de propul¬
sion et, par son levier osseux, l’agent de transmission de ce
mouvement à la machine animale.
Ces quelques considérations suffisent pour faire comprendre
l’importance qu’il faut attacher à la conformation de la jambe
dans la construction du cheval.
Extérieur.
La jambe, considérée extérieurement, est loin d’avoir l’éten¬
due apparente qu’implique le rayon osseux qui lui sert de base.
C’est que les muscles de la région crurale postérieure descendant
sur les jumeaux de la jambe, et recouvrant presque complète¬
ment leur partie charnue, on peut dire que la cuisse empiète
sur la région jambière, en se superposant à elle, et que les
démarcations, que la dissection rend très-nettes, disparaissent
lorsque les masses musculaires, groupées dans l’ordre qui leur
appartient, déterminent par leur assemblage les formes exté¬
rieures de l’animal. Il résulte de cette disposition, qu’il n’existe
pas de ligne de démarcation entre la jambe et les régions supé¬
rieures auxquelles elle fait continuité. Toutefois on peut con¬
sidérer comme ses limites supérieures, en avant : la saillie que
la rotule fait sous la peau, et, en arrière, l’angle rentrant qui
indique le point où la corde calcanéenne émerge de la masse des
muscles cruraux postérieurs.
Inférieurement la jambe se termine au pli du jarret et elle a
pour limite en arrière le relief de la pointe du calcanéum.
La jambe du cheval, aplatie d’un côté à l’autre, ne présente
pas, comme celle de l’homme, ces grands reliefs musculaires
postérieurs qui ont pour base les jumeaux, car les faisceaux de
ces muscles se trouvent recouverts, nous venons de le dire, par
les ischio-tibiaux et par l’aponévrose qui les continue. La seule
partie apparente des jumeaux est leur tendon qui, de concert
avec celui du perforé, constitue ce que l’on appelle la corde du
jarret. Quoique les gastro-cnémiens soient dissimulés sous les
muscles cruraux, on peut cependant apprécier la musculature
de la jambe par le relief de ses autres muscles : d’une part, à sa
face antérieure, où se dessine le corps charnu et fusiforme de
JAMBE.
333
l’extenseur antérieur des phalanges, qui règne dans les deux
tiers supérieurs de la région, et se continue par son tendon dans
le tiers inférieur ; et, d’autre part, à sa face postérieure, où le
groupe des muscles fléchisseurs des phalanges apparaît sous la
forme d’un renflement cyliodroîde longitudinal, parallèle à la
direction du rayon osseux. Entre cette saillie musculaire et la
corde du jarret, la jambe est comme évidée dans un espace
triangulaire, dont le sommet est supérieur, par la -dépression
de la peau qui, ne recouvrant dans cet endroit que du tissu
cellulaire, vient s’appliquer contre elle-même, au-dessous de la
corde calcanéenne et la met ainsi davantage en relief.
A sa face interne, la jamhe étant dégarnie de coussins muscu¬
laires, le tibia reste presqu’immédiatement sous-cutané, car il
n’est recouvert de ce côté que par du tissu cellulaire et l’aponé¬
vrose jambière, sous laquelle rampe la veine saphène, qui croise
en ligne oblique, de bas en haut, la direction du tibia et marque
son trajet par un cordon saillant, dont le volume est proportion¬
nel à l’état de plénitude de l’appareil vasculaire.
Quelles sont maintenant, pour la jambe du cheval, les con¬
ditions de sa beauté ? La première de toutes, quel que soit le
service auquel l’aoimal puisse être destiné, est sa forte muscu¬
lature, qui implique le développement proportionnel de la corde
calcanéenne. Il faut donc que le corps charnu de l’extenseur
antérieur des phalanges forme une saillie bien accusée à la face
antérieure de la jambe, et que le groupe des fléchisseurs du
pied se dessine de la même manière à la face postérieure. Les
muscles cruraux, qui empiètent sur la jambe en arrière, doivent
être également bien fournis, car leur relief implique celui des
gastro-cnémiens qu’ils recouvrent.
La jambe doit être large en même temps que bien musclée,
car sa largeur, qui se mesure de sa face antérieure au bord
postérieur de la corde du jarret, est l’expression exacte des
dimensions en longueur du levier calcanéen. Plus en effet ce
levier est long, et plus les tendons qui s’attachent à son sommet
ou qui glissent par-dessus, s’écartent du tibia et agrandissent
ainsi les dimensions latérales de la jambe.
La longueur de la jambe ne doit être recherchée comme une
beauté de conformation que dans les animaux aux allures
rapides. Le tibia donne, en effet, la mesure du pas; plus il est
long, plusses oscillations sont grandes et plus, conséquemment,
il fait embrasser de terrain au pied en le portant en avant.
Il est vrai que la longueur de la jambe impliquant la
JAMBE.
834
brièveté proportionnelle du canon , et inversement pour la
longueur du canon par rapport à la jambe, on peut admettre
que la longueur du pas dépend plutôt de la longueur du mem¬
bre, considéré dans son ensemble, que de celle du rayon de
la jambe et que, conséquemment, il est indifférent pour la pro¬
duction de la vitesse que le tibia soit court, puisque, dans ce
cas, ses dimensions moindres seront compensées par la longueur
plus grande du canoa. Mais l’expérience a démontré qu’il n’en
était pas ainsi: les chevaux dont les rayons de la jambe et des
avant-bras sont courts ont l’habitude de trousser en marchant,
c’est-à-dire d’élever haut les pieds, au lieu de les déployer, en
sorte qu’une partie de la force qui devrait être locomotrice est
employée à produire ce mouvement èn hauteur, et n’est pas
utilisée au déploiement du membre dans le sens de sa .lon¬
gueur, comme cela arrive chez les chevaux dont les rayons
supérieurs ont de grandes dimensions. Longueur des jambes et
des avant-bras, brièveté proportionnelle des canons: voilà donc
les conditions de la vitesse, conditions qui n’excluent pas l’inten¬
sité de la force et sa durabilité, car la longueur des jambes peut
parfaitement coexister avec leur forte musculature et leur
grande largeur, expression du développement du bras de levier
calcanéen.
Dans les chevaux qui ne doivent produire de la force qu’à des
allures lentes, comme les chevaux de trait, par^exemple, la
jambe peut être courte, sans inconvénients. La condition
essentielle de sa belle conformation, c’est sa forte musculature
et sa grande largeur.' .
La direction de la jambe a-t-elle une grande influence sur les
facultés motrices du cheval? On est généralement d’accord pour
dire que son obliquité est une condition de la force que l’animal
est susceptible de déployer, car plus cette obliquité est accusée
plus les muscles moteurs de la jambe sont favorisés pour agir
sur son levier. Mais si cette proposition est vraie par rapport
aux fléchisseurs, dont l’action sur lo tibia est d’autant plus
puissante que l’angle fémoro-tibial est plus fermé, elle cesse
de l’être par rapport aux extenseurs, qui ont à développer
d’autant plus de force pour produire leur effet que ta jambe est
placée dans une situation plus oblique. Ce que l’observation
démontre à cet égard, c’est que les plus parfaites aptitudes
locomotrices peuvent coexister avec les conditions les plus
opposées de direction de la jambe. Nous avons vu, dans des
steeple-chases, des chevaux dont la jambe était tellement droite
JAMBE.
sas
que de la rotule au pied le membre a^ait la rectitude d'une
béquille, la coudure du jarret se trouyant complètement effacée,
et malgré cette conformation, en apparence si défectueuse et si
contraire à toutes les données de la théorie, ces cheyaux n’en
franchissaient pas moins tous les obstacles ayec la plus mer-
yeilleuse énergie. Faut-il conclure de pareils faits que la con¬
formation est chose indifférente et que l’essentiel est la force
excito-motrice, qui sait faire produire la plus grande somme
possihje de résultats à la machine qu’elle anime, malgré les
imperfections de sa construction ? Cette conclusion ne serait pas
juste si on la formulait d’une manière trop absolue. Il est cer¬
tain que des chevaux, dont la conformation est très-défectueuse,
peuvent être cependant excellents, soit comme chevaux de
vitesse, soit comme chevaux de trait léger et même de gros trait.
Mais ces chevaux s’usent vite, parce que leur machine n’a psis
en elle les conditions d’une longue résistance aux efforts que
ses rouages ont à supporter ; et son usure est d’autant plus
rapide que la force qui la met enjeu agit avec une plus grande
intensité. Il ne faut donc pas considérer les conditions de la
solide structure comme indifférentes, quand il sagit d’apprécier
les aptitudes d’un cheval et surtout. la durabilité de ses services.
Il est certain qù’à égalité de la force excito-motrice, le cheval
solidement construit sera capable d’une plus grande somme
d’effets utiles, et surtout pendant une plus longue période de
temps, que celui dont la machine est défectueuse au double
point de vue de la disposition des rouages et de leur solidité.
Maintenant, la jambe absolument droite, comme celle des
steeple-chasers dont nous venons de parler, est-elle défectueuse
autant qu’elle le paraît, surtout pour un cheval destiné à fran¬
chir des obstacles en hauteur? Peut-être que non ; il serait même
possible que ce fût là une condition de la force et que lorsque
le jarret s’est fléchi sous un tibia qui, au lieu d’être oblique en
arrière, tend à se rapprocher de la perpendiculaire, la détente
imprimée de bas en haut agisse dans ce cas avec plus d’efficacité
pour enlever le corps à une plus grande hauteur.
En déflnitive on peut dire qu’il n’existe d’autre défectuosité
de la jambe que celle qui résulte de sa trop grande gracilité ou,
autrement dit, du défaut de développement ou de l’état atro¬
phique de ses muscles; et encore ce fait est-il bien plutôt
l’expression de l’état général du système musculaire qu’une
circonstance locale pouvant servir à caractériser une région et
constituer une tare ou une défectuosité propre.
536
JAMBE.
Pathologie.
Deux laits principaux doivent être signalés sous la rubrique
de la pathologie de la région de la jambe : ce sont d’urse part les
fractures auxquelles son rayon est exposé, par suite de sa
situation superficielle du côté de sa face interne; et, d’autre
part, la claudication particulière qui se rattache à la rupture de
la corde du muscle tibio-prémétatarsien.
La question des fractures du tibia ayant été traitée d’une
manière complète dans l’article de ce dictionnaire, consacré à
l’histoire de ces accidents, nous nous abstiendrons de revenir
ici sur ce sujet avec tous les détails qu’il pourrait comporter.;
Nous signalerons seulement, comme une particularité très-
intéressante de la région de la jambe, l’existence possible, à la
face interne du tibia, d’une tumeur de consistance et de nature
osseuse, qui fait saillie sous la peau et présente d’ordinaire le
volume d’un œuf de poule. Cette tumeur peut n’être qu’une
simple périostose, conséquence d'un coup reçu et ne cùmpror
mettant en rien la solidité de l’os ; mais souvent elle a une tout:
autre signification et doit être considérée comme bien autrement
grave, car elle est alors l’expression d’un travail de consolidation
de l’os incomplètement fracturé. En d’autres termes, cette
tumeur n’ést autre que celle d’un cal qui s’est constitué à
l'endroit de la fracture. On conçoit combien il est important de
ne pas méconnaître la nature d’une semblable lésion et sa
signification véritable, pour mettre les animaux sur lesquels on
la constate à l’abri des circonstances où une fracture incomplète,
envoie de se guérir, peut être transformée en fracture complète
tout à fait irrémédiable. Ces circonstances sont les efforts mus¬
culaires; et il n’est pas nécessaire qu’ils soient très-énergiques
pour qu’une fracture s’ensuive, quand l’os n’est pas dans des
conditions.de solidité physiologique. Nous avons rapporté, dans
notre article sur les fracture.® {voy. ce mot), rhistoire d’un
cheval qui portait sur chaque tibia, et exactement au même
niveau, une tumeur osseuse du volume' d’un œuf de poule. La
parfaite symétrie de cette lésion, sur chaque membre, avait fait
éloigner l’idée qu’elle pût dépendre d’une violence extérieure et
être l’expression d’une frature incomplète. Aussi avait-on laissé
à l’animal la liberté de se coucher; un malin, on constata que
les deux tibias s’étaient fracturés sous l’influence des efforts
qu’il avait faits ponr se relever. La conclusion de ces quelques
développements, c’est qu’il faut attacher une grande importance
JAMBE.
S37
aux tumeurs osseuses dont on peut constater l’existence à laface
interne de la jambe, comme aussi à la face interne de l’avant-
bras, où elles ont la même signification.
Il existe, chez le cheval, une claudication particulière qui
procède d’une lésion d’un muscle de la jambe, dont nous avons
rappelé la disposition au paragraphe de l’anatomie. Ce muscle
est le tibio-prémétatarsien, dont le long tendon, superposé à sa
partie charnue, et interposé entre le fémur auquel s’attache son
extrémité supérieure et le métatarse sur lequel il s’insère par
en bas, transforme les muscles fléchisseurs du fémur en flé¬
chisseurs du métatarse. La claudication, dont nous nous pro¬
posons d’exposer ici les caractères, peut être considérée comme
une démonstration expérimentale accidentelle de cette fonction
spéciale, dévolue à la corde du muscle tibio-prémétatarsien. De
fait, lorsque, par suite d’une violence excessive, cette corde
vient à être rompue, même à sa partie supérieure., la portion
charnue de ce muscle demeure impuissante à produire à elle
seule la flexion du jarret, et quand celle du fémur s’opère, le
métatarse, n’étant plus entraîné dans son mouvement par la corde
qui le lui transmet, reste appendu sous le jarret dans une posi¬
tion presque perpendiculaire, et c’est dans cette attitude qu’il
est porté en avant par l’extension de la jambe exclusivement.
Les circonstances dans lesquelles la rupture de la corde du
tibio-prémétatarsien a été constatée en expliquent bien le méca¬
nisme. Dans le plus grand nombre des cas, on a vu cet accident
survenir à la suite des efforts violents auxquels les chevaux
ont été déterminés à se livrer pour dégager l’un ou l’autre
de leurs membres postérieurs, ou même les deux à la fois, des
étreintes d’un obstacle qui les a saisis et les retient. C’est, par
exemple, dans l’appareil désigné sous le nom de travail que les
conditions pour la production de cet accident sont réunies de
la manière la plus complète et souvent aussi la plus efficace.
Lorsqu’un cheval a un membre postérieur fixé solidement à la
traverse du travail, et qu’il cherche à le dégager, les efforts
qu’il fait sont souvent d’une extrême violence et ils peuvent
être sufOsants pour déterminer la rupture de la corde tibio-
prémétatarsienne :1e métatarse, solidement fixé a la traverse qui
le retient, ne pouvant pas obéir à l’action des muscles si puis¬
sants qui sont entrés en contraction énergique pour fléchir le
fémur et ramener le membre dans l’attitude verticale. On con¬
çoit que, dans de telles conditions, le tendon du fléchisseur du
métatarse finisse par se rompre, car c’est sur lui, en définitive.
538
JAMBE.
que se concentrent tous les efforts de la traction exercée sur le
membre; et si quelque chose doit étonner, c’est que cet accident
ne se produise pas plus communément, à la suite de la conten¬
tion par l’appareil du tramil.
Les circonstances favorables à la rupture de ce tendon se
retrouvent encore, tout aussi complètes et efficaces, sinon même
davantage encore, lorsque les chevaux ruent entre les brancards
ou les limons des voitures auxquelles ils sont attelés,' et que
l’un de leurs membres postérieurs se trouve engagé entre la
caisse de la voiture et la traverse qui réunit les brancards. La
situation est alors la même que dans la contention du travail,
avec cette différence que le pied, engagé à la suite de la ruade,
subit souvent une étreinte douloureuse qui détermine les ani¬
maux à des efforts d’une violence plus grande encore.
La rupture de la corde tibio-prémétatarsienne peut encore se
produire sur les animaux couchés pour subir une opération
chirurgicale, et dont un des membres postérieurs est fixé soit
sur un membre antérieur, soit, ce qui est une- condition plus
favorable, à un point fixe extérieur, comme l’anneau d’un mur,
un poteau, un arbre, une roue de charrette. Dans tous ces cas,
le mécanisme de la rupture est le même. Dans la contention
d’un membre postérieur, par la région du canon, sur un avant-
bras, les chances de la rupture sont bien moindres que dans la
contention par le irmailyHBX dans le premier de ces cas ce sont
seulement les fléchisseurs du fémur qui entrent en jeu pour
tâcher de dégager le membre de l’étreinte qui te retient, tandis
que dans le second l’animai s’attelle, pour ainsi dire, sur le
membre fixé et les efforts de traction auxquels il se livre sont
d’une puissance bien autrement supérieure. Aussi est-il rare
de voir l’accident survenir à la suite de la contention couchée,
tandis que, daus la contention debout par le tramil, il est rela¬
tivement commun.
Il est une dernière circonstance dans laquelle la rupture de
la corde du fléchisseur du métatarse peut arriver ; C’est à la
suite d’une forte glissade en arrière d’un membre postérieur,
glissade suivie d’une chute du même côté, alors que ce membre
est dans l’état d’extrême extension. Dans toutes ces circons¬
tances, le mécanisme de la rupture est le même ; la corde se
rompt sous l’effort de la distension extrême qu’elle subit et qui
dépasse les limites de sa ténacité.
Symptômes de cet accident. — Les symptômes de la rupture
de la corde du tibio-prémétatarsien sont très-caractéristiques
JAMBE.
o39
et quand on les a constatés une fois, en connaissant leur signi¬
fication, jamais on ne les méconnaît et l’on ne se trompe sur la
nature et le siège de la lésion qu’ils expriment.
Dans la station debout, libre ou forcée, rien n’est apparent,
et le membre ne paraît pas axoir perdu de sa solidité comme
colonne de soutien; ce qui prouve, pour le dire en passant, et
comme M. Chauveau l’a fait très-justement remarquer, que
M. Mignon s’est trompé lorsqu’il a attribué au tendon tibio-pré-
métatarsien « l’usage de s’opposer passivement à la flexion du
fémur sur le bassin et de servir ainsi d’adjuvant aux forces mus¬
culaires qui font équilibre au poids du corps. » Mais lorsque
l’animal est mis en mouvement, les effets de la rupture de ce
tendon se traduisent immédiatement par eette particularité
très-caractéristique, qu’au moment où le membre est levé et
porté en avant, le canon ne se fléchit pas sur le jarret, en même
temps que le fémur se fléchit sur le bassin, le synchronisme
de ces mouvements ne pouvant plus se produire par suite de
la rupture du cordage qui est la condition de leur simultanéité.
Non-seulement le canon ne fléchit pas sur le jarret au moment
du lever du membre, mais il reste pendant au-dessous, dans un
état complet d’inertie, oscillant au gré de la pesanteur, avec la
région digitale, au point qu’on croirait volontiers à une fracture
du tibia. Cette similitude d’apparence est encore accrue par
l’état de flaccidité de la corde calcanéenne qui, au lieu d’être
tendue, comme dans l’état normal, grâce à l’antagonisme d’ac¬
tion des fléchisseurs du métatarse, est relâchée,flottanteetplissée
dans son centre. Mais ces similitudes symptomatiques si grandes
entre la fracture du tibia et la rupture de la corde tibio-prémé-
tatarsienne disparaissent instantanément, au moment du poser.
Dès que le pied pose à terre, toute la partie inférieure du mem¬
bre récupère sa rigidité et l’appui s’effectue avec la même soli¬
dité que dans l’état normal. Si Barthélemy, comme il en a fait
l’aveu à la société centrale de médecine vétérinaire, a pu con¬
fondre avec une fracture du tibia cette rupture du cordage du
tibio-prémétatarsien, c’est qu’il s’en étai\ rapporté aux appa¬
rences et que, voyant de loin un cheval qui maintenait au lever
l’un de ses membres postérieurs, dont la corde calcanéenne
était flasque et le canon ballant, il avait formulé son diagnostic
à distance. Il fautdire aussi, pour expliquer cette erreur, qu’elle
a été commise en campagne, à la suite d’un combat, sur le
champ de bataille même, et que Barthélemy, faisant l’inspec¬
tion rapide des chevaux qui survivaient, avait pu facilement
S40
JAMBE.
croire à une fracture de la jambe sur celui qu’il voyait de loin
dans l’attitude spéciale que nous venons d’indiquer. Il n’y a pas
à mettre en doute que si ce cheval eût fait un pas devant lui
Barthélemy n’eût pas persisté dans sa manière devoir. Boiiley
jeune, dans la description qu’il a donnée de cet accident (Re-
cueil de méd. vétér. 1833), a fait aussi l’aveu que la première
fois qu’il fut appelé à l’observer, il crut, à première vue, avoir
affaire à une fracture du tibia, et ce fut dans ce sens qu’il for¬
mula tout d’abord son avis. Mais il n’y persista pas, bien en¬
tendu, lorsqu’un exanden ultérieur lui eut fait reconnaître la
solidité de l’appui.
Si l’appui s’effectue franchement et sans manifestation de
douleur chez un cheval dont le tendon du fléchisseur du méta¬
tarse est rompu, la marche, cependant, ne laisse pas d’être irré¬
gulière, par suite du défaut de flexion du canon sur le jarret. Il
en résulte, en effet, que le pied, dans la progression, ne vient
pas à l’appui, dans son temps et à sa place, et que conséquem--
ment l’animal boite et d’une manière d’autant plus accusée que
l’allure est plus précipitée. Cette boiterie est tout à fait caracté¬
risée par l’attitude du rayon métatarsien qui est traîné en arrière,
pour ainsi dire, par la jambe et n’est porté en avant que méca¬
niquement par la projection que la jambe lui imprime, au mo¬
ment où elle s’étend sur la cuisse.
Cette variété particulière des claudications du cheval a été
décrite parSolleysel, d’une manière très-fidèle, sans, qu’il se soit
rendu compte de son siège, quoiqu’il eût bien reconnu et spé¬
cifié les circonstances dans lesquelles elle se produisait. Voici
comment s’exprime à ce sujet l’auteur du Parfait maréchal
édit., p. 498, 1682) :
« Les chevaux ont un gros nerf (tendon calcanéen) qui leur
entoure le jarret, laissant une place vuide entre l’os, où naissent
les vessigons: c’est le nerf le plus gros et le plus apparent de
tout le corps du cheval, lequel par un effort dans le travail, ou
en le ferrant, ou en descendant dans une pente trop rapide, ou
par une chatte, ou s’estre embarassé sous quelque chose de pesant,
vient à s’étendre, mesme se tordre avec si grande violence de
nerf, qu'il est mouvant comme une corde lâche. Lorsque le cheval
marche, la- jambe pend au jarret, abandonnée comme si elle était-
suspendue, car le gros nerf ne règle plus son mouvement. L'on
croirait que l’os est fracassé, tant la jambe est hors de son action
naturelle. Dans le temps que le cheval pose le pied à terre, et que
le jarret est étendu en son naturel, l’assiette et l’appui du piod
JAMBE.
U\
sont bons, mesme on croirait qu’il a peu ou point de mal; mais
si vous maniez ce gros nerf, vous le trouvez plus mouvant que
n’est l’autre de la jambe qui n’a pas souffert et qui est fort ten¬
du; mais pour peu que vous fassiez mouvoir le cheval, çà et ià,
seulement de la croupe, d’abord vous voyez ce gros nerf fléchir
et se relâcher comme’s’il était rompu ou cassé.
« J’ay veu des efforts si extraordinaires et si violents qu’il
paraissoit dahord que le mal estait iocurable, quoy que le che¬
val posast son pied à terre et le situast aussi bien que s’il n’avoit
point eu de mal; mais c’est au lever, quand il chemine, qu’on
connoist qu’il a fait effort. Pourtant avec les remèdes suivans,
presque contre toute apparence, les chevaux se sont trouvez en
estât de servir comme auparavant, mais ce n’est pas l’ouvrage
d’un jour. »
On voit, par cette description si exacte, que Solleysel avait
bien observé la boiterie qui résulte de la rupture du tendon
tibio- prémétatarsien : l’état d’inertie du membre au-dessous du
jarret, la flaccidité de la corde calcanéenne, la similitude de
symptômes avec ceux de la fracture du tibia, la solidité de l’ap¬
pui, malgré la gravité apparente de la lésion, enfin la curabilité
du mal, contre toute apparence, mais avec le temps; tout cela a
été bien observé par lui et bien indiqué, dans son langage resté
quelque peu incorrect, malgré les transformations que les maî¬
tres avaient imprimées à la langue à la date de cette cinquième
édition (1682). Mais si Solleysel avait bien observé les symp¬
tômes, il était trop étranger aux détails de l’anatomie pour en
donner une interprétation fidèle. Ce qui le frappe, c’est le faille
plus apparent, la laxité de la corde calcanéenne ; il croit que le
gros nerf, comme il l’appelle, a été étendu, tordu avec une si
grande violence qu’il s’en est allongé, et c’est lui qu’il considère
comme le siège exclusif de la lésion. Cependant cette opinion
rencontrait, paraît-il, beaucoup d’incroyants : « La pluspart des
gens, dit-il, ne croyentet ne peuvent s’imaginer que le ma! soit
en cet endroit et le vont chercher à la hanche et ailleurs; mesme
j’ay veu des mareschaux, qui passaient pour habiles, qui n’ont
pû se laisser persuader que le mal fût par l’effort qu’avoit souf¬
fert ce gros nerf, disant toujours que l’os de la hanche estoit dé¬
boité; mais le temps leur a fait voir qu’ils ne connoissoient pas
ce mal, car Tayaut fait traiter comme je diray cy-après, par eux
mesmes, le cheval est très bien guéry. »
Solleysel, on le voit parce passage, invoque les effets du trai¬
tement qu’il préconise comme la preuve, contre ses couiradic-
342
JAMBE.
teurs, de la justesse de sa manière de voir. Cette illusion lui
était permise, à coup sûr, et l’on conçoit que cet argument ait
paru sans réplique à ceux à qui on l’opposait. Mais il est
curieux de xoir comme les maréchaux, auxquels il imposait son
opinion, étaient bien inspirés, cependant, par ce que j’appelle¬
rai leur instinct de praticiens-observateurs, lorsqu’ils se refu¬
saient à admettre que le siège de la boiterie fût dans le gros nerf
qu’ils voyaient récupérer son état normal et son fonctionnement
régulier, aussitôt que le membre venait à l’appui. Évidemment
ces mareschaux qui passaient pour habiles, comme le ditSol-
leysel avec quelque peu de satisfaction de soi-même, avaient
tout au moins l’babileté, dans ce cas, de deviner que le maître'
se trompait.
Malgré la description, si remarquablement exacte, queSolleysél
avait donnée de la claudication qui peut survenir par un effort
dans le travail ou parce que le cheval s’est embarassé sous quelque
chose de pesant, etc., cet accident n’était plus connu, ou du
moins ceux qui pouvaient être à même de l’observer le laissaient
passer inaperçu et sans en chercher l’interprétation, lorsqu’en
1833 Bouley jeune appela sur ce point l’attention des vétéri-^
naires. (Rec. de méd. vét. , 1 833.) Bouley jeune avait èu l’occasion
de l’observer sur un certain nombre de chevaux de trait, à la
suite de ruades dans les brancards, donnant lieu à l’embarrure
d’un membre entre la caisse de la voiture et la traverse qu’on
appelle le lizoir. Tous ces animaux ayant guéri, il n’avait pu
s’éclairer par une autopsie sur le siège exact de la lésion d’où
procédait la claudication spéciale survenant dans ces circons¬
tances, mais il avait pressenti, avec une grande sûreté de vue,
que le siège de cette lésion devait être dans la région jambière
antérieure. Ce fut Bigot qui le précisa avec la certitude que lui
donnaient ses connaissances anatomiques si positives. Je me
souviens dans quelles circonstances, et il ne sera pas sans quel¬
que intérêt, je crois, de les rappeler ici, ne fût-ce que pour four¬
nir une nouvelle preuve de la sûreté de coup d’œil que la préci¬
sion de ces connaissances peut donner au praticien. Bigot était
en visite chez mon père lorsque le hasard voulut qu’un cheval,
affecté de la boiterie tibio-prémétatarsienne, fut conduit à la con¬
sultation. Ce cheval avait rué dans les brancards d’une voiture
et avait fait de violents efforts pour dépêtrer l’une de ses jambes
du piège où elle s’était prise, à la suite de la ruade. Mon père,
après ayoirfait connaître à Bigot les circonstances dans lesquelles
cet accident s était produit et appelé son attention sur la singu-
JAMBE.
843
iarité des symptômes, si accusés pendant la période du lever,
et disparaissant complètement au moment du poser, exprima
l’opinion que ces symptômes ne pouvaient procéder que d’une
déchirure des muscles de la région antérieure de la jambe, et il
se basait pour émettre cet avis, non-seulement sur le caractère
particulier de la boiterie, mais encore sur les circonstances dans
lesquelles elles s’était produite, les efforts auxquels l’animal
s’était livré pour se dépêtrer ayant dû avoir, suivant lui, pour
c onséquences de déterminer des tiraillements et des déchirures
dans les organes de la région antérieure de la jambe.— Mais,
ajouta Bouley jeune, ce n’est là qu’une induction de ma part,
car les chevaux que j’ai traités de cette boiterie ayant tous com¬
plètement guéri, je n’ai pu faire d’autopsie, et d’autre part je
n’ai jamais constaté de douleur ni d’engorgement dans la région
que je suppose être le siège du mal. » Élève de deuxième année,
j’étais présent à cettè consultation improvisée et j’ai conservé
un souvenir très-fidèle de la clairvoyance et dé la netteté avec
laquelle Rigot résolut immédiatement le problème d’anatomie
et de physiologie qui lui était posé : a L’organe lésé, dit-il, est
le tendon du tibio-prémétatarsien et je suis sûr que l’on peut
produire expérimentalement les symptômes que présente ce
cheval, en pratiquant la section de ce tendon. » C’est ce que fit
Rigot sur un sujet d’expérience, le jour même, en rentrant à
Alfort, et le résultat immédiatement obtenu témoigna de la par¬
faite justesse do ses prévisions. Depuis, cette expérience a. été
maintes fois répétée et toujours elle a produit les mêmes effets.
Rien donc n’est plus clair aujourd’hui que le siège et les condi¬
tions de la claudication qui survient à la suite des efforts aux¬
quels les chevaux sont déterminés à se livrer pour dépêtrer leurs
membres postérieurs des obstacles dans lesquels ils sont vio¬
lemment retenus.
Pronostic. — Cet accident est généralement sans aucune gra¬
vité, mnlgré toutes les apparences. Je ne me souviens, pour ma
part, que d’un seul cas où je ne l’ai pas vu guérir complètement.
Presque toujours donc les animaux finissent par récupérer la
complète régularité de leurs actions locomotrices; «ims ce n'est
pas l’ouvrage d’un jour, comme dit Solleysel. Il faut, en géné¬
ral, de six semaines à deux mois pour que tout soit reqtré dans
l’ordre; c’est le temps nécessaire, effectivement, pour que les
abouts du tendon rompu se resoudent par l’interposition entre
eux de la lymphe plastique qui doit donner naissance à du
tissu fibreux de nouvelle formation, et pour que ce tissu
JAMBE.
544
fibreux, qui allonge le tendon de toute l’étendue de l’écartement
produit au moment de la rupture, se résorbe et laisse, après sa
disparition, le tendon définitivement cicatrisé dans les condi¬
tions de sa longueur physiologique, conditions qui sont celles
aussi du complet rétablissement de sa fonction. On conçoit, en
effet, que pendant toute la période où le tendon a trop de Ion- ’
gueur, la flexion du métatarse ne peut pas s’opérer à la même
hauteur et dans la même mesure que celle du membre opposé-
il faudrait pour qu’il en fût ainsi, que, du côté de la rupture, la
flexion du fémur s’effectuât dans un champ plus étendu que
celle de son homologue, ce qui n’est pas et ne peut être.
Donc, en définitive, la condition du retour à la régularité de
la locomotion, c’est, non pas seulement la cicatrisation du ten¬
don rupturé, mais bien encore la disparition, par résorption,
du tissu cicatriciel qui fait pièce neuve entre ses abouts et lui
donne une longueur anormale.
Trailement. La première et, l’on peut dire, la principale
indication à remplir pour obtenir la guérison de la rupture de
la corde tibio-prémétatarsienne est l’immobilisation des ani¬
maux sur lesquels cet accident s’est produit, et l’immobilisation
plutôt dans la station debout, qu’en leur laissant la liberté de
se coucher, au moins dans les premières semaines. Avec cette
condition, on peut être sûr, sans qu’il soit nécessaire d’autres
moyens, que le travail de cicatrice s’achèvera d’une manière
complète et régulière, car il est, dirai -je, dans les choses fatales,
et il faudrait, pour, qu’il ne s’effectuât pas, qu’on voulût y met¬
tre obstacle; et encore.... ! Les résultats de la ténotomie plan¬
taire nous éclairent complètement sur ce qui se passe eh pareil
cas. On sait que trop souvent ils ne sont que provisoires et que
la bouleture, à laquelle on s’est proposé de remédier par cette
opération, se rétablit très-vite dans un grand nombre de cas,
quoi que l’onfasse pour y mettre obstacle. Et cependant on peut
se servir, dans la région du pied, de moyens mécaniques puis¬
sants pour contrebalancer ia force rétractile du tissu cicatriciel
interposé entre les abouts tendineux.
Donc, nous le répétons, la guérison est un fait que l’on peut
dire assuré dans le cas de rupture de la corde du tibio-préméta-
tarsien. Elle vient de soi, par une force nécessaire des choses.
Toute la question est de laisser les animaux en stabulation
pendant quelques semaines. Mais n’y a-t-il pas lieu de recourir
à l’emploi des moyens propres à maintenir le membre blessé
dans des conditions de plus complète immobilité? On le peut,
JAMBE.
Uo
sans qu’il y ait à cela des avantages bien réels, au point de vue
du résultat définitif.
Solleysel recommandait de maintenir le cheval dans une
espèce de travail, que l’on peut improviser en serrant autour
de lui les stalles de l’écurie, de manière à l’empêcher de se
mouvoir et de se coucher, le mouvement étant, d’après lui, une
condition pour que la guérison soit plus lente. Quant au trai¬
tement local, après l’usage de topiques émollients, d’une com¬
position très-complexe, il conseillait de recourir à l’application
d’un ceroüenne ou autrement dit d’un emplâtre, à base de
diachylon, dans la composition duquel il faisait entrer le cina¬
bre avec la térébenthine et les gommes opopanax et ammonia¬
que. Cet emplâtre, étendu sur du cuir doux, était maintenu
autour de la jambe à l’aide d’éclisses en carton et d’un bandage
analogue à celui des fractures. Quand le cheval paraissait
guéri, il complétait le traitement et assurait ses résultats par
l’application du feu autour du jarret. « J’ay guery par ce pro¬
cédé, dit-il, un cheval de douze ans, et on l’a vendu depuis
cinq-cens écus; c’estoit un très beau et bon barbe qui alloit à
capriolles et qui a très-bien servy depuis ce temps-là. »
Sans recourir à l’appareil compliqué de Solleysel qui n’est
pas nécessaire, on peut, si l’on veut faire usage de topiques
locaux, envelopper la jambe, y comprises les deux articulations
supérieure et inférieure, avec une charge de poix. Une simple
friction avec la charge dite fortifiante de Lebas peut remplir
le même office et d’une manière plus simple encore. Enfin
toutes les frictions vésicantes peuvent être également em¬
ployées. Elles agissent, toutes, de la même manière, mais avec
des degrés différents d’intensité : en immobilisant le membre,
d’abord par la douleur qu’elles déterminent et ensuite par la
raideur que la peau, acquiert pendant la période de son encroû¬
tement, consécutive à l’action vésicante. Comme on le voit, les
moyens sont nombreux, dont on peut disposer pour instituer le
traitement de l’accident : c’est au praticien à faire son choix.
La question ici n’est pas embarrassante puisque, d’une manière
ou d’une autre, la guérison est assurée, qu’on emploie les appli¬
cations topiques ou qu’on s’en abstienne, pourvu que l’animal
soit maintenu dans l’état d’immobilité que nous avons dit être
la condition principale de la formation régulière de la cicatrice
et de sa consolidation.
En dehors des deux accidents dont nous venons de parler,
nous ne voyons rien autre à signaler pour la région de la jambe,
3o
X.
546
JAROSSE.
sous la rubrique de ce paragraphe, que les excoriations tégu-
mentaires qui peuvent avoir une assez grande signification au
point de vue du caractère du cheval. Souvent, en effet, elles
résultent de l’habitude de ruer et des embarrures consécu¬
tives. Il faut donc y attacher quelque importance, lorsqu’il
s’agit de l’acquisition d’un cheval, et se tenir en garde contre
ce qu’elles peuvent signifier. H. bodley.
JARDE. Voir JARRET.
JAROSSE, Gesse-Chiche [Lalhyrus Cicera L.). Espèce de la
famille des Légumineuses, du genre Gesse (Lathyrus) et dont
les caractères botaniques essentiels sont : plante annuelle,
glabre, de 2 à 6 ou 8 décimètres de hauteur, à tige herbacée,
faible, grimpante, légèrement ailée surtout dans la partie supé¬
rieure. Feuilles alternes pourvues à la base d’une paire de sti¬
pules semi-sagittées, aiguës, souvent un peu ciliées. Pétiole
égalant, dépassant les stipules, ailé, se terminant par une vrille à
deux, trois ou quatre divisions, et portant une seule paire de
folioles. Celles-ci lancéolées ou linéaires-iancéolées, aiguës, mu-
cronées, à nervures assez saillantes; fleurs solitaires sur des
pédoncules axillaires, plus longs que les pétioles, articulés un
peu au-dessus du sommet, et portant au niveau de l’articula¬
tion deux petites bractéoles. Calice gamosépale, à cinq dents
égales ou presque égales, linéaires-iancéolées, plus longues que
le tube. Corolle papilionacée, rougeâtre, gousse de 30 à40 milli¬
mètres sur 8 ou 9, comprimée, oblongue, presque lisse, glabre,
à bord supérieur droit, canalîculé, étroitement bordé. Graines
anguleuses, lisses, brunes GU grises, marbrées de noir.
La jarosse ou gesse-chiche, connue encore sous les noms de
jurande, garande, pois breton, jarousse, garousse, croît sponta¬
nément dans diverses parties de la France. Elle est assez com¬
mune dans les moissons des terres légères en Corse, dans la
Provence, dans le Roussillon et dans une partie du Languedoc.
Elle est moins répandue dans le Centre et dans le Nord.
Elle paraît être cultivée depuis fort longtemps dans la partie
méridionale de la France, en Espagne et en Italie, non-seulement
comme plante fourragère, mais encore comme plante potagère,
susceptible de fournir sa graine pour l’alimentation de l’homme.
Sa culture s’est même étendue çà et là, depuis le commence¬
ment de ce siècle, dans les provinces de l’Ouest et du Centre et
jusque dans l’Orléanais et l’Ile-de-France. Elle se recommande
JAROSSE.
o47
aux cultivateurs par sa rusticité qui lui permet de réussir dans
la plupart des terres, à la condition d’y rencontrer du calcaire,
et de n’y point trouver un excès d’humidité, surtout pendant
l’hiver. Dans le Midi on la sème en automne en lignes ou à la
volée, suivant que l’on en veut obtenir des graines ou du four¬
rage. Dans le Nord il estplus prudent de la semer au printemps,
mais de bonne heure, de manière à lui laisser le temps de mûrir
ses graines, ce qu’elle ne peut pas faire quelquefois lorsque l’été
est humide.
On fauche la jarosse lorsqu’elle est en fleur pour la laire con¬
sommer en vert ou pour la transformer en fourrage sec que l’on
distribue plus tard aux animaux. Quelquefois on attend, avant
de la récolter pour en faire d u fourrage, que les premières go usses
soient formées, et qu’une partie des graines soient voisines de la
maturité. Enfin dans d’autres circonstances, on laisse mûrir les
graines, on arrache ou l’on coupe la plante que l’on bat de la
même manière que les autres légumineuses, et l’on recueille
séparément les graines et la paille que l’on utilise ensuite à
nourrir le bétail.
Distribué en vert à l’époque de la floraison, le fourrage de la
jarosse convient aux ruminants des espèces bovine et ovine, et
aux porcs qu’il engraisse, dit-on, rapidement. Les chevaux et les
mulets s’en montrent moins friands. Sous cet état la plante n’a
point été, au moins jusqu’à présent, accusée de provoquer des
accidents. Il n’en est plus de même, lorsqu’on la fait manger
après la formation des graines, et à plus forte raison, lorsque
l’on fait manger celles-ci seules, après les avoir séparées de la
paille.
Bien qu’il soit établi que la graine de la jarosse soit quelque¬
fois employée sans inconvénient, en Espagne et dans le Midi de la
France, à la nourriture de l’homme, c’est un aliment dont il ne
faut faire usage qu’avec la plus grande réserve, et seulement de
loin en loin, à de longs intervalles; quelques anciens médecins
connaissaient ses propriétés toxiques. Duvernoy, cité par Gasin,
lui attribue la propriété « de produire chez l’homme une sorte
«, de paralysie; Dow, dans son Dictionnaire du jardinier, dit
« que mêlée par moitié avec celle du blé, la farine de cette légu-
« mineuse détermine la rigidité des membres. » (Gazin, Traité
des plantes médicinales indigènes). Cependant pour avoir des
données un peu précises sur les dangers de l’emploi de la ja¬
rosse ^ la nourriture de l’homme et des animaux, il faut arriver
à une époque assez rapprochée de nous.
U8
JAROSSE.
Les effets fâcheux de la jarosse avaient été à peine entrevus
lorsqu’en 1817, à la suite de la mauvaise récolte de l’année pré¬
cédente, qui avait forcé à faire entrer dans le pain des farines
tirées de diverses plantes, la Société centrale d’ Agriculture pro¬
voqua sur cette question une enquête qui n’eut pas malheureu¬
sement tout d’ahordle5 résultats qu’elle était en droit d’attendre
de sa louable initiative. Quelques observations furent néanmoins
publiées, et commencèrent à dissiper les doutes, qui existaient
encore, sur les dangers résultant de l’emploi de la farine de la
gesse chiche à la fabrication du pain, et de l’usage de la graine
ou du fourrage de cette plante à l’alimentation des animaux.
En ce qui concerne l’espèce humaine, l’action toxique de la
jarosse fut rendue évidente, par une communication que Vil¬
morin fit à la Société d’agriculture en 1846, et dans laquelle U
rapporta que plusieurs personnes avaient succombé à la suite
de l’usage de cette graine et que d’autres étaient restées frappées
de paralysie incurable. Peu de temps après, Mérat produisit de¬
vant la même Société de nouveaux faits qui vinrent confirmer ce
qu’avait avancé Vilmorin.
Ces communications firent sur l’esprit de tous une impression
d’autant plus grande qu’un jugement du tribunal correctionnel
de Niort venait de leur donner une triste authenticité, en frap¬
pant d’une condamnation un fermier dont les domestiques
avaient éprouvé de curieux accidents, après avoir mangé du pain
dans lequel entrait de la farine de jarosse.
Depuis lors la Gazette des hôpitaux (février 1861) a rapporté
qu’aux Indes où la jarosse entre souvent dans la nourriture des
pauvres, les docteurs R. Kirch, Thomas Thompson, James Ir-
ving ont observé des paralysies qu’ils ont dû attribuer à cette
graine. Le docteur Kirch ajoute même que les habitants du ter¬
ritoire de Sangor sont persuadés que les chevaux et les bœufs
que l’on nourrit de gessè chiche perdent l’usage de leurs mem¬
bres.
Mais c’est surtout sur les animaux domestiques que de sérieux
accidents ont été depuis longtemps observés. Divers travaux ont
en effet été publiés sur la maladie que produit la jarosse, par
Laurence, en l’an IV, dans le’sAnnalesd' agriculture^ par Rimbaut
de Brinvillers, dans \e Compte rendu de VÈcole d'Alfort, en 1822,
par Dupuy, dans le Journal pratique de médecine vétérinaire en
1830, par Renault et Delafond en 1833 et 1834, dans le Recueil
de médecine vétérinaire, par Lefour en 1840, dans le Journal
d agriculture pratique, par Barthélemy, A. Yvart, Bourgeois,
JAROSSE. m
dans le Bulletin de la Société d’agriculture en \ 846, par M. Lan-
glen, d’Arras, dans le Recueil de médecine vétérinaire, en 1860,
et enfin par M. Verrier aîné, de Rouen, qui a communiqué en
1 868 à la Société d’agriculture de la Seine-Inférieure, et en 1 869
à la Société centrale de médecine vétérinaire, un mémoire où
sont rapportés avec le plus grand soin des faits nombreux, bien
étudiés et du plus grand intérêt.
L’un de nous, par la position qu’il a longtemps occupée à la
clinique de l’École d’Alfort, a été souvent à même d’être con¬
sulté par des propriétaires sur le traitement à faire suivre à des
chevaux atteints de la maladie que fait naître la jarosse, et
il a pu dans un- mémoire, communiqué à la Société centrale
d’agriculture, exposer les résultats de ses études sur ce sujet.
Nous ne ferons souvent que reproduire des passages de ce mé-
I moire, dans la suite de ce qui nous reste à dire de l’action de la
gesse chiche. Nous compléterons, d’ailleurs, par des em.prunts
faits aux travaux que nous venons de citer, tous les documents
qui nous paraîtront propres à combler les lacunes existant dans
nos observations.
Les conditions de sol et de culture n’exercent aucune influence
sur les propriétés nuisibles de la jarosse. La graine est, sans con¬
tredit, la partie de la plante qui agit avec le plus d’activité, mais
la paille, pour produire ses effets avec plus de lenteur, n’en
manifeste pas moins une action évidente qui se traduit par un
état pléthorique particulier des sujets, et par une plasticité plus
grande du sang. Administrée avec la graine, ses effets sur l’éco¬
nomie sont plus prompts^, la proportion des matières coagulables
du sang augmente, et le système nerveux lui-même subit l’in¬
fluence de l’agent toxique. Il ii’est pas besoin d’ajouter que le
fourrage, recueilli au moment où une partie des graines com¬
mencent à mûrir, agit à peu près de la même manière, et avec
une intensité qui varie suivant que la récolte a été faite à une
époque où la végétation était plus ou moins avancée.
La maladie déterminée par l’emploi de la jarosse, bien qu’étant
toujours la même dans sa nature, se traduit cependant,- suivant
les sujets, d’une manière différente. Nous exposerons d’abord les
. principaux symptômes par lesquels se manifeste ordinairement
l’état morbide; nous reviendrons ensuite sur les variations qui
peuvent se présenter.
Symptômes.— ku repos, à l’écurie, les chevaux ont toutes les
apparences de la santé; à part l’injection et la rougeur des mu-
550
JAROSSE.
queusesapparentesjde celle de l’œil notamment, rien dans l’état
extérieur ne dénote que ces animaux sont malades. Si on les fait
sortir de leur stalle, on constate un affaiblissement marqué dans
le train postérieur, une gêne dans les mou-vements, et une sorte
de balancement qui peuvent tout d’abord en imposer et faire
croire à un effort de reins. Après un exercice de dix minutes au
pas chez les uns, au trot chez les autres, on entend à distance un
sifflement aigu qui se produit dans la partie supérieure des voies
respiratoires, et qui, chez certains animaux, prend bientôt, sui¬
vant les expressions de M. Verrier, les caractères d’un cornage
affreux, accompagné de beuglements et d’une dyspnée suffo¬
cante. Gela se produit surtout si l’on exige que l’animal prenne
une allure plus rapide, ou simplement si l’on prolonge la. durée
de l’exercice. Les naseaux se dilatent alors outre mesure,les bat¬
tements du flanc et du cœur s’accélèrent, le corps se couvre de
sueur, les muqueuses apparentes rougissent, les veines superfi¬
cielles se gonflent, l’asphyxie devient imminente, et les chevaux
succomberaient infailliblement si la marche n’était ralentie ou
brusquement arrêtée.
La locomotion est à peine suspendue que peu à peu les symp¬
tômes s’apaisent et diminuent d’intensité. Dix minutes, un
quart d’heure ou une demi-heure après que l’animal a été laissé
au repos, la respiration si gravementdroublée revient à son état
normal, le cornage cesse, et, comme l’a dit M. Lenglen, si on
rentre l’animal à l’écurie, il piaffe , il s’ébroue, cherche àmanger,
et ne présente plus aucun des symptômes précités. ‘
Le tableau que nous venons de tracer est l’expression fidèle
de ce qui se passe chez les animaux qui sont le plus gravement
atteints ; mais nous devons nous hâter de faire observer que
les symptômes ne sont pas toujours aussi fortement accentués,
et que, chez quelques chevaux, le cornage paraît compatible
jusqu’à un certain point avec la santé, et ne se fait entendre que
pendant le travail et alors seulement- que le tirage exige, de la
part du sujet, de violents efforts de traction.
Mais si le cornage se présente parfois avec ce caractère moins
alarmant, et moins préjudiciable aux intérêts du propriétaire,
il est des circonstances où il apparaît, au contraire, même
lorsque les animaux sont laissés au repos le plus absolu.
M. Verrier rapporte, en effet, qu’un cheval, déjà atteint sous
l’influence de la jarosse d’une paralysie incomplète, fut pris, à
l’écurie et sans cause connue, d’un premier accès de^ cornage
qui ne dura pas moins de trois heures, et qu’il eut trois jours
JAROSSE.
b51
après, au milieu de la nuit, un nouvel accès semblable au pre¬
mier pendant lequel il mourut asphyxié.
L'état morbide déterminé par l’usage de la gesse chiche se
complique quelquefois d’une congestion sur laportion lombaire
de la moelle épinière, bientôt suivie de paralysie. Il n’est même
pas rare de trouver, dans l’écurie, un des chevaux alimentés
avec la jarosse, couché sur la litière. C’est en vain que l’on
cherche alors à le faire relever, car déjà il y aune perte complète
du mouvement et de la sensibilité.
Le plus ordinairement cette paralysie est précédée par une
gêne évidente dans les mouvements de progression, par des
tremblements, par une faiblesse du train de derrière et par
une boiterie particulière de l’un des membres postérieurs.
M. Verrier qui a observé d’assez nombreux exemples de cette
paralysie l’a vue, dans quelques cas, déterminer la mort, avant
même que le comage ait apparu. Dans d’autres circonstances,
elle a été accompagnée de ce dernier symptôme et, i)our plu¬
sieurs animaux, on a vu le cornage déterminer la mort par
asphyxie, alors qu’on avait obtenu une amélioration évidente
du côté de la paralysie générale ou de la paraplégie, tandis que,
pour d’autres, la paralysie suivant sa marche a mis les sujets
hors’de service après qu’on eut pratiqué la trachéotomie.
Chez quelques animaux on observe une surexcitation géné¬
rale qui a fait dire à M. Lenglen que les chevaux sont alors
extrêmement irritables . Ils manifestent au moindre attouche¬
ment, au moindre bruit une très-grande sensibilité; l’œil est
vif, hagard, très-impressionnable à la lumière; la coloune ver -
tébrale est, raide, immobile; des tremblements et des piétine¬
ments intermittents agitent les membres postérieurs; on croi¬
rait les animaux sous le coup du tétanos.
Enfin certains chevaux, pendant la durée de l’alimentation
avec la Jarosse, sont exposés à des congestions sanguines sur
les intestins, à des indigestions graves, souvent vertigineuses,
qui s’accusent par des coliques très-violentes, par des mouve¬
ments désordonnés, et par cet ensemble de symptômes nerveux
caractéristiques du vertige symptomatique.
' Pour déterminer dans les fonctions les troubles que nous ve¬
nons d’indiquer, il faut que la jarosse fasse partie de la ration
journahère dans une certaine proportion, et pendant un temps
qui doit être assez prolongé. Les chevaux sur lesquels ont été
observés les symptômes que nous avons décrits mangeaient de
JAROSSE.
oS2
la jarosse en paille et en graine, les uns depuis un mois ou un
mois et demi, les autres depuis deux mois ou deux mois et
demi. Ils recevaient chaque jour huit kilogrammes de ce four¬
rage, substitués à cinq kilogrammes de foin. On leur donnait
eh outre une petite ration d’avoine : parfois la jarosse était ad¬
ministrée en mélange avec la vesce etlabisaille.Des conditions
analogues ont été constatées dans les faits que M. Verrier a
rapportés. Les chevaux sur lesquels cet habile vétérinaire a fait
ses observations appartenaient tous à un établissement d’omni¬
bus, dont l’effectif était composé de cinquante-quatre de ces
animaux, recevant chaque jour, avec leur ration de foin et de
paille, chacun un ou deux litres de jarosse, associés à treize
litres d’avoine. Ce ne fut que le 87“® jour après le début de ce
régime que se manifestèrent les premiers accidents. Il est même
bonde faire observer que, dans bien des cas, la maladie est
susceptible de se déclarer encore plus ou moins longtemps
après qu’on. a fait cesser le régime de la jarosse. C’est ce
qui est arrivé pour les chevaux dont M. Lenglen a retracé
l’histoire. Du t®’' décembre 1857 au 15 mars 1858 ils avaient
mangé tous les jours, avec leurs autres aliments, quatre kilo-'
grammes environ de jarosse fauchée et récoltée à maturité. Ils
venaient d’être mis à un autre régime lorsqu’on les vit tomber
malades successivement le 25 mars, le 22 avril, le i mai, c’est-
à-dire, dixjours, quarante-trois jours et cinquante- quatre jours
après qu’on eut cessé l’usage de la plante toxique. La relation
de M. Verrier donne lieu aux mêmes observations, car pour les
chevaux d’omnibus de Rouen, la jarosse ayant été complète¬
ment supprimée à partir du 12 février, on vit néanmoins son
influence pernicieuse se prolonger encore jusqu’au 24 avril et
déterminer successivement sur vingt-trois animaux des para¬
lysies mortelles, ou un cornage assez intense pour nécessiter
encore le maintien des tubes que l’on avait dû placer après
avoir pratiqué, au début, l’opération de la trachéotomie.
On est si peu habitué à trouver des plantes dangereuses
parmi nos légumineuses indigènes, qu’on est surpris de se voir
conduit à attribuer à la gesse chiche les funestes propriétés que
nous venons de constater-. Mais ici, dans toutes les observations
qui ont été faites, les relations de cause à effet sont si faciles
à établir qu’il n’est pas possible de conserver le moindre doute.
D’ailleurs, depuis que l’attention a été appeléesur cette question,
de nouveaux faits se sont produits qui sont venus confirmer
les conclusions que l’on avait tirées des premiers. De ce nombre
JAROSSE.
o53
sont ceux qui ont été constatés par M. Mennechez, dans le Pas-
de-Calais, par M. Caffln, à Pontoise {Corn, in LU.), et par
M. Verrier lui-même qui, dans plusieurs exploitations rurales,
a Yu se produire, sous l’influence de la jarosse, des accidents
en tout semblables à ceux qu’il axait yus se déxelopper à Rouen,
parmi les cbeYaûx des omnibus.
La maladie que détermine la jarosse est des plus graxes et en¬
traîne souxent la mort des malades, ou leur incapacité à être
employés aux traxaux auxquels on les axait jusqu’alors utilisés.
Sur 27 cbexaux qui ont été obserxés par l’un de nous, cinq
sont morts de paralysie du train postérieur, un est mort d’une
congestion pulmonaire, quatre ont succombé à des coliques
rouges ou à des indigestions xertigîneuses, deux ont été abattus
pour cause de cornage outré, trois sont restés corneurs et douze
ont été guéris. De son côté, M. Lenglen, sur 17 malades, en a
perdu cinq et n’en a conservé- cinq autres qu’à la faxeur de la
trachéotomie. Enfin M. Verrier, sur 29 cbexaux atteints du mal,
en a xu périr neuf de paralysie ou d’asphyxie et n’a sauxé les
xingt autres qu’en pratiquant la trachéotomie et en laissant un
tube à demeure qui, après un an, était encore nécessaire pour
permettre aux animaux de faire leur service.
Après avoir décrit les symptômes qui caractérisent l’action
de la jarossc^ur l’économie, il serait important d’arrixer à dé¬
terminer la nature de l’affection qu’elle proxoque. Malheureu¬
sement, nous ne pouxons encore donner sur ce point que des
notions assez xagues. Le sang prend éxidemment, sous l’in¬
fluence de cette plante, des caractères particuliers; et il en ré¬
sulte chez les animaux an état spécial que les cultixateurs défi¬
nissent en disant que la jarosse pousse au sang.
Le sang du chexal nourri axec la gesse chiche sort difficilement
de la xeine. Recueilli dans une éprouxette, il se coagule rapi¬
dement dans l’espace de huit à dix minutes, et même après
24 heures, le caillot noir mesure une hauteur double de celle
du caillot blanc : ce dernier est ferme, résistant, et la propor¬
tion de sérum a diminué de moitié.
Cet aspect du caillot est l’indice des modifications surxenues
dans les proportions relatixes des éléments essentiels du sang.
11 dénote une éléxation du chiffre normal de la fibrine, de
l’albumine et des globules, en même temps qu’il fait xoir que
la plasticité et les propriétés coagulables de ce liquide sont
augmentées. C’est à cela, sans doute, qu’il faut attribuer au
moins en partie la difficulté de la circulation, ainsi que la ten-
554
JAROSSE.
dance du sang à se coaguler dans les vaisseaux et à conges¬
tionner les organes vasculaires.
L’ouverture des cadavres permet, en effet, de constater dans
les poumons la présence de caillots fibrineux qui obstruent les
vaisseaux. Quelquefois même ces caillots ont provoqué une in¬
flammation adhésive des parois artérielles et veineuses- Du
reste, ces lésions sont parfois accompagnées d’un état conges-
tionnel très-marqué de la moelle et de ses- enveloppes. Des rap-
tus hémorrhagiques et des infiltrations séreuses existent autour
des racines des nerfs et expliquent la faiblesse et la paralysie
du train postérieur, qui sont si fréquemment un des caractères
de la maladie. Mais ces lésions du système nerveux sont loin
d’être constantes, et elles ont entièrement manqué à l’autopsie
d’un cheval que l’on a dû sacrifier à cause de l’extrême gravité
du comage dont il était atteint.
Il semble donc„que la jarosse, surtout lorsqu’elle est distri¬
buée sous forme de graines, exerce sur le système nerveux une
action qui n’est pas encore bien définie. M. Verrier tenant
compte de la facilité avec laquelle se rétablit la respiration chez
les animaux menacés d’asphyxie, lorsqu’on pratique la trachéo¬
tomie, pense que la jarosse doit contenir un principe toxique
qui agit plus particulièrement sur la moelle épinière et sur les
nerfs laryngés inférieurs. Il incline même à croire, avec M. le
docteur Dumesnil, médecin en chef de l’asile des aliénés de
Quatre-Mares, que ce principe pourrait bien être l’acide oxa¬
lique, qui existe, comme on le sait, dans le pois chiche (Cicer
arietinum L.y et paraît donner à cette légumineuse, dans cer¬
tains cas, des propriétés vénéneuses. Mais ce n’est là encore
qu’une supposition gratuite que rien ne confirme et de nou¬
velles recherches sont nécessaires pour éclairer la question.
Pour étudier, d’une manière aussi rigoureuse que possible,
les effets de la jarosse, deux chevaux ont été nourris pendant
un mois presque exclusivement avec le fourrage de cette plante.
Ils n’ont été atteints, ni l’un ni l’autre, ni de cornage, ni de pa¬
ralysie, et n’ont offert aucun des phénomènes nerveux dont nous
avons parlé, mais ils ont présenté quelques particularités im¬
portantes qui méritent d’être signalées.
Ces chevaux étaient dans un état moyen d’emhonpoint : l’mi
avait douze ans et l’autre quinze environ. On leur fit manger,
dans l’espace d’un mois, quatre cents kilogrammes de paille d6
jarosse battue, et deux hectolitres de graine. Leur sang,
avait été au préalable analysé, contenait, sur mille grammes,
JAROSSE.
SoS
trois grammes de fibrine, soixante-douze grammes d’albumine
et de matériaux solides du sérum et huit cents grammes d’eau.
Recueilli dans uno éprouvette, il ne s’était coagulé qu’au bout
de vingt-deux minutes, avait offert un caillot blanc deux fois
aussi haut que le caillot noir, et avait présenté une proportion
de sérum supérieure d’un tiers au chiffre normal. Enfin, deux
cents grammes de ce sang, agités avec un petit balai de bouleau,
avaient donné trente-deux grammes de fibrine humide.
Au bout d’un mois, le sang fut analysé de nouveau et l’on
trouva, une augmentation de un gramme cinquante centi¬
grammes de fibrine et de sept grammes d’albumine. On con¬
stata, en outre, une diminution notable dans la proportion du
sérum; et, de plus, en battant deux cents grammes de sang,
comme on l’avait fait la première fois, on obtint quarante-deux
grammes de fibrine humide au lieu de trente-deux grammes que
l’on avait recueillis par le même procédé un mois auparavant.
De cette expérience il résulte que la jarosse, dans laquelle une
analyse de Lassaigne asignalé la présence d’une assez forte pro¬
portion de matière azotée, augmente d’une manière sensible la
quantité des principes coagulables du sang chez les animaux à
l’alimentation desquels elle est employée, qu’elle justifie le die -
ton des cultivateurs qui prétendent qvCelle pousse au sang, et
que, par ce fait même, elle prédispose les animaux aux mala¬
dies de sang.
Il eût été intéressant de conserver les deux animaux qui nous
avaient permis d’acquérir ces premières notions et de poursui¬
vre l’expérience jusqu’à ce que l’un d’eux, au moins, eût pré¬
senté quelqu’un des symptômes qui révèlent l’action de la
jarosse. Malheureusement, des circonstances indépendante de
notre volonté nous forcèrent à les sacrifier au moment même
où un peu de gêne qui se manifestait dans la respiration pen¬
dant l’exercice au trot nous faisait espérer que nous ne tarde¬
rions pas à atteindre le but que nous poursuivions. Il ne faudrait
pas cependant, dans des essais de ce genre, toujours compter
sur le succès; car il est des chevaux qui paraissent échapper à
la funeste influence de la jarosse. La preuve en est fournie par
le mémoire de M. Verrier où Ton voit que, sur cinquante-quatre
animaux soumis au régime de la jarosse, vingt-neuf seulement
ont été atteints de paralysie ou de cornage, bien que tous, à un
moment donné, eussent présenté des caractères indiquant un
état pléthorique assez marqué et que plusieurs eussent mérité
d’être qualifiés de chevaux lourds à la main.
oo6
JAROSSE.
Les détails dans lesquels nous sommes entrés jusqu’à présent
établissent de la manière la plus évidente que la jarosse [Lathy.
rus cicerah.), donnée en paille ou en graine, ou même sons
forme de fourrage récolté à une époque voisine de la maturité
est dangereuse pour le cheval qui, sous l’influence de celte aliï
mentation, peut contracter une maladie mortelle ou subir de
graves accidents par lesquels il est mis dàns un tel état qu’il ne
peut plus être employé à son service. En est-il de même pour
les autres herbivores domestiques?
Jusqu’à présent, à notre connaissance au moins, il n’existe
dans la science aucun fait bien constaté qui puisse faire conce¬
voir de l’inquiétude en ce qui concerne les bêtes bovines. Pour
l’espèce ovine, les avis sont partagés. A. Yvart pensait que cette
légumineuse ne produisait aucun effet sur les moutons, et citait,
à l’appui de son opinion, le troupeau de Rambouillet que Ton a
longtemps nourri avec la jarosse récoltée sur le domaine, sans
qu’il soit survenu d’accidents. M. Bourgeois n’était pas absolu¬
ment du même avis ; car, dans le bulletin de la Société d’agri¬
culture, il assure avoir observé qu’à la suite du régime dans
lequel entrait la jarosse, les maladies inflammatoires etï& four-
bure étaient plus fréquentes qu’aux époques où l’on nourrissait
avec les autres légumineuses. '
L’opinion de M. Bourgeois est corroborée par une observation
du professeur Dupuy quf a vu périr vingt moutons, dans un
troupeau que l’on alimentait avec la jarosse, et par une expé¬
rience de M. Heuzé qui, sur trois moutons nourris avec cette
plante, en a vu mourir deux.
Pour nous, nous avons vu des propriétaires nourrir leurs
troupeaux avec la jarosse et nous n’avons pas eu à constater -
qu’elle ait exercé une influence nuisible sur l’économie. Mais -
la plante n’était pas donnée seule ou alternait avec des pro¬
vendes humides, avec des racines, avec des fourrages verts, et
nous verrons plus loin que ce mode d’administration doit né¬
cessairement influer sur le résultat.
On trouve dans les annales de la science quelques observations
qui tendent à faire supposer que la jarosse est dangereuse pour
le porc et pour les volailles. Il serait utile cependant que des
expériences fussent faites pour éclairer la question ; car, pouf
le porc, au moins, l’action qu’exerce sur lui la graine d’une
autre légumineuse dont nous allons parler tout à l’heure, doit
inspirer de la prudence aux cultivateurs qui seraient tentés de
le nourrir avec la jarosse.
JAROSSE.
8S7
Ainsi, en résumé, la gesse chiche dont l’action funeste est
incontestable pour le cheval, est au moins suspecte pour les
bêtes ovines, et ne doit être employée pour les porcs et pour
les volailles qu’avec la plus grande circonspection. Malheureu¬
sement ce n’est pas la seule légumineuse qui soit douée de fâ¬
cheuses propriétés- M. Kopp a signalé dans le sixième Bulletin
de la Société vétérinaire d’Alsace des accidents qui se sont pro¬
duits, chez tous les chevaux d’une même écurie, à la suite d’une
alimentation trop forte avec la graine de la vesce {Vicia sativa
L.). Plus récemment, le même vétérinaire rapportait dans le
Journal des vétérinaires du Midi (année 1869, p. 17), que, dans
une exploitation rurale, sept chevaux sur quatorze avaient été
atteints d’un cornage très-grave, après avoir été nourris, pendant
quelques jours seulement, avec de la luzerne de 5econde coupe
dont les gousses avaient atteint, pour la plupart, une complète
maturité. Enfin, l’on sait depuis longtemps, dans certaines par¬
ties de la France, que la graine de la Lentille ervilière {Ervum
ervilia L.) est dangereuse pour quelques-uns de nos animaux
et particulièrement pour le porc.
Ce sont là des faits qu’il est important de noter, car ils sont de
nature à ne faire employer qu’avec réserve les graines des légu¬
mineuses qui ne sont pas encore connues dans leurs propriétés.
Nous ne saurions, sans nous écarter de notre sujet, nous arrêter
ici longtemps sur chacun d’eux, cependant nous pensons qu’il
ne sera pas hors de propos de dire quelques mots dé l’ervilier,
dont l’emploi, sous forme de graine ou de farine, à l’alimentation
des mammifères domestiques, est assez fréquent.
L’Ervilter {Ervum ervilia L.), encore connu sous les noms
de Len tille ervilière, de Lentille bâtarde, est une plante annuelle,
glabre ou légèrement pubescente, à tiges dressées, fermes, an¬
guleuses, flexueuses, ramifiées. Ses feuilles composées sont
paripennées, dépourvues de vrilles, à rachis terminé par une
petite pointe et à folioles tronquées et mucronulées. Ses fleurs,
petites, blanchâtres, veinées de violet, sont pendantes au nom¬
bre de une à quatre sur des pédoncules axillaires plus courts
que les feuilles ; ses gousses sont pendantes, linéaires, toruleuses,
et renferment de deux à quatre graines de forme subglobu¬
leuse.
Cette plante qui croît spontanément au milieu des moissons,
dans le Midi et dans le centre de la France, est quelquefois cul¬
tivée pour son fourrage ou pour ses graines en France et en
Algérie. Peu exigeante et assez productive, elle convient surtout
558
JAROSSE.
pour la région des oliviers où on la cultive sur les terrains les
plus médiocres. En Afrique, au dire de Guérin Mennevüle
les Arabes la font entrer, sous forme de graine, dans la ration
du cheval et la considèrent comme supérieure à l’orge elle-
même. En France, nous avons vu utiliser, avec avantage, dans
le sud-ouest, la farine d’ervilier en mélange avec des balles de
froment, dans l’alimentation des bœufs que l’on met en état
pour les livrer à la boucherie. Chez ces ruminants elle ne pa¬
raît pas déterminer d’accidents, mais plusieurs faits autorisent
à la considérer comme étant au moins suspecte pour les soli-
pèdes, pour le porc et pour les volailles.
Gilbert a écrit que la lentille ervilière est dangereuse pour les
grands animaux domestiques et pour les volailles. Cruzel^
de la Haute-Garonne, dont tous les vétérinaires connaissent les
travaux, et Fabre de Genève ont constaté, le premier, que cette
plante provoque le cornage chez le cheval et le mulet, et le se¬
cond qu’elle détermine, chez Içs mêmes animaux, un affaiblis¬
sement des membres postérieurs et la paralysie.
M. Félizet, qui exerce dans une contrée où cette légumineüse
est cultivée, a observé chez quelques chevaux qui en avaient été
nourris des indigestions vertigineuses trèsfgraves. Enfin, nous
avons vu nous-mêmes, dans le sud-ouest de la France, des che¬
vaux et des ânes chez lesquels le développement du cornage
avait coïncidé avec l’emploi de la lentille ervilière dans Falb
mentation.
Quant au porc, nous connaissons plusieurs faits où certains
de ces animaux ont succombé à la suite de l’introduction deF'er-
vilier en graines ou en farine dans leur ration journalière. L’un
de nous a même pu suivre la marche -de l’empoisonnement
chez deux de ces animaux, dans le département du Gers.
Chez le porc, l’ervilier produit un état de somnolence ex¬
trême. Par intervalle l’animal est pris de tremblements géné¬
raux ou partiels; s’il est couché, il ne se lève qu’avec la plus
grande difficulté ; ses mouvements sont pénibles, la marche est
hésitante, et le plus souvent, après avoir fait quelques pas, il
s’arrête, se couche, et se rnfuse ensuite obstinément à se re¬
mettre sur ses membres. C’est en vain que l’on essaie alors de
relever les forces par l’emploi des excitants : l’animal tombe
promptement dans un état de profonde torpeur, suivi d’une
perte complète de la sensibilité, et ne tarde pas à mourir.
Les faits que nous avons observés, joints à ceux qui nous ont
été communiqués, ne nous permettent pas de douter des proprié-
JAROSSE.
oo9
tés toxiques de la lentille erpilière, à l’égard des porcs. C’est une
opinion que partagent d’ailleurs beaucoup de propriétaires du
midi. Cependant les opinions ne sont pas pariaitemeot concor- -
dantes sur ce point, surtout lorsqu’il s’agit du fourrage. Peut-
être les dissidences "viennent- elles de l’époque où le fourrage a
été récolté, car, pour cette plante comme pour la jarosse, ce n’est
guère qu’au moment de la maturité des graines qu’elle sem¬
ble acquérir ses funestes propriétés.
En résumé et d’après les faits qui précèdent, nous croyons
qu’il est prudent de ne jamais donner la lentille ervilière aux
porcs sous quelque forme que ce soit, et de ne pas trop insister
sur son usage à l’égard des solipèdes. Jusqu’à présent rien
n’autorise à faire de même pour les ruminants, cependant si
l’on s’apercevait de quelques troubles dans les fonctions de
ceux de ces animaux auxquels on en fait manger, il ne faudrait
pas hésiter à en suspendre ou même à en faire cesser tout à fait
l’usage.
Traitement. — Après cette longue étude de l’état morbide
que déterminent chez les animaux la gesse chiche et la lentille
ervilière, il nous reste à indiquer les moyens que l’on peut
employer pour combattre ou pour prévenir le maL
La première indication à remplir, dès que l’on a acquis
la conviction qu’un animal est sous le coup de l’intoxica¬
tion, par la jarosse ou par l’ervilier, c’est de faire cesser
immédiatement l’usage de la graine ou du fourrage auquel le
mal peut être attribué. Cette précaution doit être prise non-
seulement à l’égard de l’animal malade, mais encore à l’égard
de tous ceux qui sont au même régime que lui. En ce qui con¬
cerne le malade, il y a malheureusement bien peu de chance
de réussir à le guérir lorsque déià les symptômes, que nous
avons indiqués, sont nettement tranchés. Les émissions sangui¬
nes sont indiquées et doivent être en rapport avec l’état de plas¬
ticité du sang que l’on constate au moment de la saignée. Goci-
binées avec l’emploi du sel de nitre que l’on administre à la
dose de 30 grammes, et du sulfate de soude que l’on donne â la
dose de 1 00 grammes pendant plusieurs jours, elles peuvent
réussir à entraver la congestion qui tend à sé produire sur la
moelle et à prévenir la paralysie. On aura soin d’ailleurs de
mettre le malade au régime blanc, de supprimer les grains et
de composer autant que possible la ration d’aliments aqueux.
Ces moyens continués pendant quinze à vingt iours,'suivant
la gravité des accidents, nous ont réussi chez quelques-uns des
o60
JAROSSE.
animaux que nous avons traités et qui étaient au nombre des
moins malades. Mais pour ceux chez lesquels le mal débute
brusquement par une paralysie à marche rapide, ou par un
cornage accompagné de dyspnée suffocante, ils demeurent le
plus ordinairement impuissants. M. Lenglen a essayé sans suc¬
cès, dans ces cas, les vésicatoires, les sétons, les boissons laxa¬
tives, le camphre, la valériane, Tassa fœtida ; M. Kopp a eu
recours aux mêmes moyens et aux purgatifs drastiques : rien
n’a réussi. Le temps est alors, suivant Texpressioh de M. Kopp,
le meilleur remède, et pour peu que le régiine de la jarosse ou
des autres grains pernicieux que nous avons cités n’ait pas été
trop longtemps prolongé, on peut espérer de voir les malades
revenir peu à peu à la santé. C’est ce qui est arrivé à une partie
des animaux traités par ce vétérinaire, et à trois poulains que
M. Lenglen s’est contenté de faire mettre à la prairie. Mais pour
obtenir ce résultat favorable il faut savoir attendre patiemment,
et plusieurs mois sont ordinairement nécessaires pour que tous
les symptômes soient entièrement dissipés.
Si dans bien des cas on ne peut pas guérir radicalement les
animaux frappés du mal que détermine la jarosse, on peut au
moins, dans certaines circonstances, les empêcher de mourir et
les consei'ver dans un état tel qu’ils peuvent encore être em¬
ployés à leur service. Gela peut se faire lorsqu’ils sont atteints
simplement de cornage sans paralysie, ou de cornage accom¬
pagné d’une paralysie assez peu grave pour que Ton puisse
espérer de la combattre avec succès par les moyens ordinaires.
Il taut alors pratiquer la trachéotomie et placer dans la trachée
un tube à demeure. Yingt animaux que M. Verrier a traités de
cette manière ont été sâuvés et ont pu continuer leur service.
Seulement leur mal était simplement pallié, mais non guéri,
car, après un an de maladie, aucun d’eux ne pouvait encore se
passer de son tube auxiliaire.
La même opération pratiquée par M. Lenglen sur trois che¬
vaux et sur un poulain lui a donné des résultats plus heureux,
puisqu’après six mois, les tubes purent être enlevés sans in¬
convénient. C’est Là un fait qui n’est pas sans importance,
puisqu’il démontre que la maladie n’est pas absolument incu¬
rable, quand on peut mettre les animaux dans de telles condi¬
tions qu’ils ne sont plus menacés de nàOurir asphyxiés.
Ainsi que nous l’avons dit déjà, il ne suffit pas au vétérinaire
d essayer de guérir les animaux chez lesquels se manifeste la
maladie provoquée par la jarosse, il lui faut encore essayer de
JAROSSE.
o61
prévenir le mal chez ceux qui ont été nourris de cette plante
dangereuse. Pour cela, après avoir fait cesser immédiatement
l’usage de la jarosse, il ne faut pas hésiter à soumettre les ani¬
maux qui n’offrent encore aucun symptôme au ihême traite¬
ment et au même régime que ceux chez lesquels le mal est au
début. La saignée, le sel de nitre, le sulfate de soude, le régime
délayant sont ici parfaitement indiqués. M. Verrier ayant à
agir sur des animaux qui devaient continuer à travailler, les
saigna comme nous venons de le dire, réduisit leur ration de
grain à cinq litres d’avoine, et remplaça le reste par dix litres
de farine en barbottage, auxquels furent ajoutés pendant quel¬
ques jours cinq grammes d’émétique. Il est probable que ces
précautions ne furent pas sans effet et qu’elles prévinrent, au
moins chez quelques-uns des animaux, l’apparition de la funeste
.^maladie dont ils étaient menacés.
Quelques enseignements qui ne sont pas sans importance
découlent aussi, au point de vue de l’hygiène, des' connaissances
que l’on possède aujourd’hui sur les propriétés de plusieurs
graines de légumineuses.
En premier lieu, nous pensons qu’il ne faut jamais faire en¬
trer d’une manière continue la graine de la jarosse dans la ra¬
tion du cheval. Nous pensons également qu’il faut s’abstenir de
faire consommer au même animal la paille ou le fourrage de
cette plante récoltée à une époque voisine de la maturité. Ce
sont pour les solipèdes des aliments qui peuvent être tout au
plus employés accidentellement et de loin en loin. Pour les
ruminants et surtout pour les bœufs, sur lesquels la plante ne
paraît pas d’après M. Mathieu exercer la même action, il peut
convenir de leur en donner, mais toujours néanmoins avec une
certaine réserve. On ne devra jamais la distribuer qu’en faible
proportion et l’associer, autant que possible, avec des aliments
aqueux qui en atténueront les effets.
S’il s’agit de la paille ou du fourrage, on les donnera en mé¬
lange, après les avoir hachés, avec le son mouillé, avec la drèche,
les pommes de terre cuites, les racines ou les résidus aqueux
alimentaires qui sont fournis aujourd’hui en abondance par les
industries annexées à l’agriculture.
S’il s’agit de la graine, on pourra, après l’avoir concassée ou
réduite en farine, l’associer aux mêmes substances. Peut-être
même serait-il avantageux de faire cuire la graine entière pour
faciliter les mélanges. Il ne serait pas impossible, comme on l’a
dit, que la cuisson fît disparaître ses propriétés toxiques, et que
562
JARRET.
ce fût par suite de ce mode de préparation qu’elle fût inoffea-
sive pour les hommes qui en mangent quelquefois, à ce que ron
assure, en Provence et en Espagne.
Enfin et par-dessus tout, quelle que soit la forme sous laquelle
on administrera la jarosse, on devra s’attacher à n’en jamais
prolonger l’usage au delà de quelques jours. On prendra soin
par conséquent d’en suspendre de temps en temps l’adminis¬
tration, d’alterner son emploi avec celui d’autres substances
alimentaires, et de cesser même absolument d’en donner, si l’on
s’apercevait que les animaux eussent de la tendance à devenir
pléthoriques.
Il sera facile à l’aide de ces précautions, qui conviennent
également pour l’ervilier, et pour la vesce, et même pour la
luzerne qui renferme beaucoup de gousses à peu près mûreSj
de continuer à utiliser une plante qui est précieuse par la facilité
avec laquelle elle se cultive et par l’abondance des produits
qu’elle fournit. G. baillet et reynal.
JARRET. Le jarret est la région extérieure, intermédiairé
entre la jambe et le canon, qui a pour base l’ensemble des arti¬
culations formées par l’extrémité inférieure du tibia, les os
tarsiens et les métatarsiens. Il correspond, conséquemment, dans
les animaux quadrupèdes, à la grande articulation du pied de
l’homme et non pas, comme la sinailitude de nom pourrait porter
à le penser, à la partie postérieure de l’articulation du genou.
Tandis que, dans l’homme, ce que l’on appelle le jarret, qui n’est
autre que le pli du genou, est situé à l’extrémité supérieure de
la jambe, entre cette région et la cuisse; dans le cheval et les
autres quadrupèdes, la région du même nom, complètement
différente, occupe une situation opposée, c’est-à-dire qu’elle est
placée à l’extrémité inférieure du tibia, entre cet os et les méta¬
tarses.
Anatomie.
La plus considérable, à tous les points de vue, des cinq arti¬
culations qui servent de base à la région du jarret est celle qui
résulte de la réunion de l’extrémité inférieure du tibia avec
l’astragale. Cette articulation est une charnière parfaite : l’extré¬
mité du tibia, creusée de deux gorges obliques en avant et en
dehors, que sépare, l’une de l’autre, un relief saillant qui leur
est parallèle, s’adapte exactement à la poulie très-étendue que
représente l’astragale par sa surface supérieure et antérieure.
JARRET.
563
Entre ces deux surfaces, dont Tuue peut être considérée comme
le moule de Tautre, il y a la plus étroite réciprocité de réception,
le ténon central de la surface supérieure s’engageant dans la
gorge de la poulie astragalienne, tandis que d’autre part les
deux lèvres saillantes de cette poulie sont reçues dans les gorges
latérales dont la surface du tibia est creusée.
Ces deux os, si étroitement associés l’un à l’autre par le fait
même de leur configuration, sont maintenus dans leurs rapports,
de chaque côté, par des faisceaux ligamenteux d’une très-grande
force et de longueur inégale. L’appareil ligamenteux externe est
composé de deux ligaments distincts : Tun superficiel qui s’atta¬
che supérieurement à la tubérosité externe du tibia, et va s’im¬
planter par son extrémité inférieure, successivement, sur l’astra¬
gale, le calcanéum, le cuboïde, le métatarsien médian et le
métatarsien rudimentaire externe, en se confondant en arrière
avec le ligament calcanéo-métatarsien.
Le ligament externe profond, beaucoup moins long que le
superficiel, qui le recouvre, s’implante supérieurement à la
partie antérieure de la tubérosité externe du tibia, et se diri¬
geant obliquement en arrière et en bas, croise le ligament
superficiel et va se fixer, par un double faisceau, au côté externe
de l’astragale et du calcanéum.
Du côté interne, trois liens funiculaires ou rubanés, superpo¬
sés les uns aux autres, forment l’appareil ligamenteux de l’arti¬
culation tibio-tarsienne. Le ligament superficiel, le plus long
des trois, s’insère à la tubérosité interne du tibia, qui forme un
relief beaucoup plus saillant que l’externe, et s’épanouissant
ensuite sur le côté interne du tarse, il se confond avec leligament
astragale- métatarsien postérieur, et va s’attacher sur la tubéro¬
sité de l’astragale, sur le scaphoïde, les deux cunéiformes,
l’extrémité supérieure du métatarsien principal et celle du
métatarsien rudimentaire interne.
Le ligament interne moyen, composé de deux faisceaux comme
le ligament profond externe, s’attache à la tubérosité interne du
tibia, où il confond, ses fibres avec celles du ligament externe, et
se dirigeant en bas et en arrière, il implante l’un de ses
faisceaux sur l’astragale et l’autre sur le calcanéum.
Enfin, le ligament interne profond est un faisceau très-faible
qui se rend du tibia, où il s’insère au-dessous du ligament
moyen, à l’astragale sur laquelle il s’attache au même point à
peu près que le faisceau supérieur de ce dernier ligament.
Outre ces appareils ligamenteux latéraux, deux autres liga-
364
JARRET.
méats membraneux, Tua antérieur, l’autre postérieur, complè¬
tent les moyens d’union du tibia avec les os du tarse.
Le ligament antérieur affecte la disposition d’une membrane
formée de fibres entrecroisées, et plus épaisse du côté externe
que de l’interne. Il s’attache par son bord supérieur au-dessus
de la marge de la surface articulaire du tibia, et par son bord
inférieur sur l’astragale, le scaphoïde, le grand cunéiforme et le
ligament astragalo-métatarsien. De chaque côté il se confond
avec les ligaments latéraux superficiels. Revêtu à sa face interne
par la synoviale articulaire, il est recouvert extérieurement par
le fléchisseur du métatarse, l’extenseur antérieur des phalanges,
l’artère tibiale antérieure etplusieurs grosses branches veineuses
anastomatiques, dé la réunion desquelles résulte la veine tibiale
antérieure.
Le ligament postérieur ou capsulaire affecte, comme l’anté¬
rieur, une disposition membraneuse, mais il en diffère par son
étendue superficielle beaucoup plus, considérable, étendue qui
lui était nécessaire pour qu’il pût se prêter aux mouvements de
la flexion dans ses limites les plus extrêmes. Aussi, quand l’ar¬
ticulation est à l’état d’extension, se présente-t-il dans un état
de flaccidité qui résulte de ses trop grandes dimensions, relative-
rnent au degré actuel d’écartement de ses points d’implantation.
Ce ligament est plus épais que l’antérieur, mais d’une manière
inégale, sa partie centrale étant renforcée par un plastron flbro-
cartilagineux, sur lequel glisse le tendon perMant. Les points
d’attache de cette grande membrane ligamenteuse sont, en
haut, sur le tibia, au-dessus de la marge articulaire ; en bas sur
l’astragale et le calcanéum; et, latéralement, sur les ligaments
latéraux superficiels avec lesquels il est continu, ainsi qu’avec
le faisceau astragalien du ligament interne moyen.
Tapissé à sa face interne par la synoviale articulaire, le
ligament capsulaire postérieur est recouvert à sa face externe
par une autre synoviale, la séreuse vaginale, qui. facilite le
glissement du tendon perforant dans la gaine tarsienne.
La synoviale articulaire est donc enveloppée d’un appareil
fibreux complet et continu à lui-même, dans toute la circon¬
férence de l’articulation, appareil constitué par les faisceaux
ligamenteux latéraux, réunis l’un à l’autre, en avant et en
arrière, par les ligaments membraniformes antérieur et pos¬
térieur. Mais si cet appareil soutient et renforce partout la
membrane synoviale, on peut dire qu’il présente des points
f ûbles qui sont susceptibles de céder à la poussée des liquides
JARRET.
.'îGo
intra-articulaires, lorsque la quantité de ces liquides est de¬
venue anormale par son excès, dans de certaines conditions que
nous aurons à déterminer au paragraphe de la pathologie. Ces
points faibles de l’articulation tibio-tarsienne sont, d’une part,
à la lace antérieure, et du côté interne, là où le ligament cap¬
sulaire, plus mince et plus lâche, n’est pas soutenu par les
tendons qui glissent en avant du jarret ; et, d’autre part, en
arrière, de chaque côté du plastron fibreux qui supporte le
tendon du perforant. Là, le ligament capsulaire, dont la laxité
est très-grande en raison de l’étendue superficielle qu’il devait
mesurer pour se prêter à la flexion, peut céder facilement à la
poussée des liquides intérieurs, et venir faire hernie, sous la
forme de tumeurs particulières dans l’espace angulaire formé
par le tibia et le calcanéum.
La deuxième articulation de la région du jarret est l’articu¬
lation calcanéo-astragalienne. C’est une arthrodie composée qui
résulte de la coaptation des trois ou quatre facettes articulaires
de la face postérieure de l’astragale avec des facettes corres¬
pondantes que présente le calcanéum sur la partie antérieure
de son extrémité inférieure.
L’union de ces deux os entre eux est établie par quatre
ligaments propres ou astragalo-calcanéens : l’un supérieur,
situé à l’extrémité supérieure de la poulie astragalienne, et
formé de fibres très-courtes et parallèles, jetées d’un os à l’autre ;
d'eux latéraux, faisceaux très-minces, recouverts par les fais¬
ceaux ligamenteux de l’articulation tibio-tarsienne ; et enfin un
quatrième inter-osseux, très-fort, implanté dans presque toute
l’étendue des excavations rugueuses qui séparent, sur chaque
os, les surfaces articulaires. Outre ses ligaments propres, la
jointure astragalo - calcanéenne est encore assujettie par les
ligaments latéraux de la première articulation, lesquels, en se
prolongeant au delà, jusque sur les métatarses, ajoutent consi¬
dérablement à la puissance des moyens contentifs de l’astragale
et du calcanéum qui ne font qu’un pour ainsi dire, tant ils sont
solidement unis et peu mobiles l’un sur l’autre. Cependant,
quoique dans des limites extrêmement étroites, la mobilité existe
entre eux, puisqu’ils sont en rapport par des facettes diarthru-
diales que lubrifient, non pas une synoviale propre, mais bien
des prolongements, pour les facettes supérieures, de la syno¬
viale tibio-tarsienne, et de celle des deux rangées tarsiennes,
pour les facettes inférieures.
La troisiènae articulation du jarret est celle des os de la
o66
JARRET.
deuxième rangée entre eux. Ces os sont : 1“ le cuboïde, situé au
côté externe et interposé entre le calcanéum d’une part, et,
d’autre part, le métatarsien principal et le métatarsien rudi¬
mentaire externe ; 2° le scaphoïde, placé en dedans du premier
et interposé entre l’astragale et les deux cunéiformes qui cons¬
tituent son assise inférieure ; 3® le grand cunéiforme, placé entre
le scaphoïde et la surface supérieure du métatarse ; 4° enfin le
petit cunéiforme, situé au côté interne du tarse et enclavé d’une
part entre le scaphoïde, auquel il sert d’assise avec le grand
cunéiforme au côté externe duquel il est placé, et d’autre part
la surface supérieure du métatarsien principal et du métatarsien
rudimentaire interne sur lequel il s’appuie, comme le cuboïde
sur le métatarsien externe. Ces os s’articulent entre eux de la
manière suivante ; lecuboïdeavec le scaphoïde par deuxfacettes,
et avec le grand cunéiforme, par deux facettes également ; le
scaphoïde avec les deux cunéiformes auxquels il est superposé
par sa surface inférieure presque tout entière articulaire ; les
deux cunéiformes entre eux au moyen d’une seule petite sur¬
face articulaire.
Des ligaments propres maintiennent ces os dans leurs rap¬
ports. Sans qu’il soit nécessaire de les détailler ici, nous nous
bornerons à dire qu’il existe : deux ligaments antérieurs,
cuhoïdo-scaphoïdien et cuboïdo-cunéen, dont les noms indiquent
les usages et les rapports; deux ligaments inter-osseux ana¬
logues aux deux précédents; un ligament inter-osseux scaphoïde-
cunéen, allant du scaphoïde aux deux cunéiformes; enfin, un
ligament inter-cunéen se dirigeant d’un cunéiforme sur l’autre.
Outre ces appareils ligamentaux particuliers, l’union des os
de la seconde rangée, entre eux et avec ceux auxquels ils' sont
juxtaposés, est encore assurée par deux ligaments, l’astragalo-
métatarsien et l’appareil tarso-métatarsien postérieur dont la
disposition sera indiquée tout à l’heure.
L’appareil synovial des arthrodies de la seconde rangée est
constitué par une synoviale propre pour les facettes de rapport
du scaphoïde avec le grand cunéiforme, synoviale qui est aussi
commune aux deux arthrodies cuboïdo-scaphoïdienne et
cuboïdo-cunéenne postérieure. La diarthose cuboïdo-scaphoï¬
dienne antérieure reçoit un prolongement de la synoviale des
deux rangées et les cuboïdo-cunéenne autérieure et intercu-
néenne sont lubrifiées par deux prolongements de la synoviale
tarso-métatarsienne.
L articulation des deux rangées entre elles constitue la
JARRET.
567
quatrième articulation du jarret. Elle résulte des rapports entre
les faces articulaires inférieures de Tastragale et du calcanéum
d’une part, avec le scaphoïde et le cuboïde de Tautre.
Les ligaments propres à cette articulation sont :
i” Le ligament calcanéo-métatarsien ; il constitue une sorte
de plastron fibreux d’une très-grande solidité qui se prolonge du
bord postérieur du calcanéum, sur lequel il prend de très-
larges implantations, par-dessus le cuboïde qu’il recouvre en
s’y attachant, pour aller s’insérer en grande surface à la tête du
métatarsien rudimentaire qu’il enveloppe. En dehors il se
confond avec le ligament tibio-tarsien externe et en dedans avec
le ligament tarso-métatarsien postérieur.
2“ Le ligament astragalo-métatarsien : il forme aussi, comme
le premier, mais au côté interne de l’articulation, un plastron
fibreux, à fibres divergentes, qui, prenant son attache supérieure
à la tubérosité interne de l’astragale, se dirige sur le scaphoïde,
le grand cunéiforme et l’extrémité supérieure du métatarsien
principal, sur la face antérieure duquel il vient prendre son
insertion par ses fibres épanouies, en avant de la marge arti¬
culaire du métatarse. Ce plastron ligamenteux fait corps, dans
une grande partie de son trajet, avec le ligament tibio-tarsien
superficiel interne.
3® Le ligament tarso-métatarsien postérieur, autre appareil
fibreux d’une plus grande puissance encore que ceux dont nous
venons de rappeler la disposition. Analogue par sa situation et
par ses usages avec le ligament carpien postérieur, il unit en
arrière, de la manière la plus étroite, tous les os du tarse entre
eux et avec les trois métatarsiens. Sur les côtés il fait corps, en
dehors, avec le ligament calcanéo-métatarsien, et en dedans, avec
le ligament tibio-tarsien superficiel.
Sa face postérieure est tapissée par la synoviale tendineuse
qui est affectée au glissement du perforant dans la gaine tar¬
sienne, et c’est de lui que procède la bride qui, en s’unissant au
tendon du perforant, à son émergence de la gaine, permet à ce
tendon de se transformer en appareil suspenseur du boulet,
sans que sa partie charnue ait à participer à cette fonction.
4” Enfin, entre les quatre os qui concourent à la formation de
cette articulation existe un ligament inter -osseux qui prend
son attachesur les quatre, et contribue à leur union, trop intime
pour qu’une grande place soit laissée à la mobilité.
Cette articulation est pourvue d’une synoviale particulière,
toujours communiquante en avant avec la capsule tibio-tar-
oG8
JARRET.
sienne, se prolongeant supérieurement entre le calcanéum et
l’astragale pour lubrifier deux de leurs facettes de rapport, et
inférieurement dans la petite arthrodie cuboïdo-scapboîdienne
intérieure.
La dernière articulation du jarret est l’articulation tarso-
métatarsierme; six os concourent à la former, le cuboïde, les
deux cunéiformes d’une part, les trois métatarsiens de Tautre.
Il n’existe, pour cette articulation, qu’un seul ligament
propre, ligament inter-osseux, qui se dédouble en trois faisceaux.
Quant à l’appareil ligamenteux extérieur, il est constitué, de
chaque côté, par les ligaments latéraux superficiels de l’articu¬
lation tibio -tarsienne; en avant et en dedans par le ligament
astragalo-métatarsien ; et, en arrière, par l’appareil si solide des
ligaments calcanéo-métatarsien et tarso-métatarsien postérieur.
Une synoviale propre à cette articulation fournit des prolon¬
gements à la petite arthrodie cuboïdo-cunéenne antérieure, à
celle des deux cunéiformes, et aux articulations inter-méta¬
tarsiennes.
En résumé, de toutes les articulations du jarret une seule est
mobile dans une grande étendue, mais seulement à là manière
d’une charnière, c’est-à-dire qu’elle ne peut exécuter que des
mouvements de flexion et d’extension, l’emboîtement si étroit
des surfaces articulaires du tibia et de l’astragale ne permettant
que ceux-là et s’opposant à tous autres. Quant aux autres arti¬
culations de la région du jarret, il résulte évidemment de l’en¬
semble de leurs dispositions qu’elles n’ont été construites que
pour exécuter des mouvements dans un champ extrêmement
limité. Tout, en effet, est arrangé dans leur construction pour
que les os soient maintenus, par des liens d’une extrême soli¬
dité, dans le rapprochement le plus étroit, et que le mouvement
de ces pièces multiples se borne à une sorte de vibration de tout
l’appareil plutôt qu’à un changement véritable de leurs rap¬
ports.
Tendons et synoviales tendineuses de la région du jarret. —
Outre les articulations dont la disposition vient d’être indiquée,
il est nécessaire, pour l’interprétation des faits dont il est ques¬
tion dans les paragraphes suivants, et plus particulièrement
dans celui de la pathologie, de rappeler l’arrangement des ten¬
dons et de leurs gaines de glissement autour de l’articulation
du jarret.
Les tendons des muscles qui passent sur la face antérieure du
jarret, par-dessus le ligament capsulaire de l’articulation libio>-
JARRET,
oG9
tarsienne, sont ceux de l’extenseur antérieur des phalanges
(fémoro-préphalangien), de l’extenseur latéral (péronéo-prépba-
langien) et du fléchisseur du métatarse (tibio-prémétatarsien).
Ils sont maintenus dans leur situation, appliqués contre le pli du
jarret par des brides fibreuses au nombre de trois, l’une située
au-dessus de l’articulation, l’autre en axant et la troisième
au-dessous. La supérieure qui est fixée par ses extrémités sur le
tibia est commune à l’extenseur antérieur des phalanges et au
tibio-prémétatarsien; la moyenne, attachée sur la branche
cuboïdienne de ce dernier muscle et sur l’extrémité inférieure
du calcanéum, est destinée exclusivement à l’extenseur antérieur
des phalanges ; enfin la troisième maintient les tendons des deux
extenseurs contre la face antérieure du métatarsien principal.
Grâce à cette sorte d’appareil contentif, les tendons sont main¬
tenus dans leurs rapports de parallélisme avec les os qu’ils lon¬
gent et sont obligés de s’adapter à la courbure du pli du jarret.
De ces trois tendons, un seul, celui de l’extenseur latéral des
phalanges, est pourvu d’une synoviale vaginale, qui facilite son
glissement dans la gaîne qui lui est particulière, à son passage
en avant de l’articulation tibio-tarsienne; les deux autres ten¬
dons sont en rapport immédiat avec le ligament capsulaire qu’ils
recouvrent seulement sur la moitié externe de sa surface, et sur
lequel ils glissent par l’intermédiaire du tissu conjonctif. Il faut
noter toutefois que la branche cunéenne du tendon de la por¬
tion charnue du tibio-préniétatarsien est munie d’une petite
gaîne vaginale spéciale, qui est susceptible, quand elle est dans
un état de plénitude anormale, de simuler un éparvin par le
relief qu’elle forme sous la peau, au lieu précis où l’éparvin a
son siège.
A la région postérieure, deux tendons, on le sait, constituent
ce que l’on appelle la corde du jarret ; ce sont ceux des jumeaux
de la jambe (bifémoro-calcaoéen) et du fléchisseur superficiel
des phalanges ou perforé (femoro-phalangien). Le tendon de ce
dernier, situé au-dessous du premier à son point d’émergence
de la partie charnue, s’enroule par-dessus lui, du côté interne
à mesure qu’il descend, et vient se superposer à lui, au sommet
du calcanéum, où il forme une sorte de calotte fibreuse qui
recouvre le tendon des jumeaux à son point d’insertion et forme
une gaîne enveloppante à épaisses parois, continue sur les côtés
avec l’aponévrose jambière. Sous cette gaîne existe une vaste
synoviale vésiculaire, qui dépasse supérieurement les limites
du calcanéum et se prolonge entre les deux tendons, dans une
o70
JARRET.
étendue de S à 6 centimètres le long de la corde calcanéenne
Inférieurement, elle descend sur le bord postérieur du calca¬
néum dans presque toute sa longueur. Cette synoviale, inter¬
posée entre les deux tendons constitutifs de la corde du jarret
est trop fortement contenue au sommet et en arrière du. calca¬
néum par la gaine fibreuse que lui forme le perforé, pour que
son état dTiydropisie puisse s’accuser extérieurement par une
tuméfaction apparente sous la peau. Mais il n’en est plus de
même en avant du calcanéum, c’est-à-dire avant l’élargissement
du perforé. Là, la synoviale de glissement n’est revêtue que
d’une mince tunique fibreuse qui se prête assez facilement à la
poussée des liquides et permet à la synoviale de glissement, quand
elle est surpleine, de venir se dessiner de chaque côté de la corde,
sous la forme d’une tumeur allongée dont les caractères seront
donnés au paragraphe de la pathologie.
Outre cette gaine de glissement, intermédiaire entre les deux
tendons, il en existe une autre particulière à celui des jumeaux
qui, située au sommet du calcanéum, est destinée à permettre
le jeu de cet os sur le tendon, dans les ipouvements de flexion
et d’extension de la jointure. Cette synoviale est si fortement
contenue sous la calotte du perforé que rien, extérieurement,
ne peut être apparent quand bien même elle est en état d’hy-
dropisie.
A la face postérieure de l’articulation du jarret, existe une
très-grande synoviale vaginale qui tapisse le ligament capsulaire
dans toute son étendue, et se prolonge au delà sur le tibia et sur
le métatarse. Quand la cavité de cette synoviale est distendue
artificiellement par une injection liquide, son cul-de-sac supé¬
rieur vient se mettre en relief dans le vide du jarret, entre la
corde calcanéenne et le tendon du muscle perforant, et l’infé¬
rieur se dessine, dans le tiers supérieur du métatarse, sous la
forme de nodosités inégales, de chaque côté des tendons super¬
posés des muscles perforé et perforant entre lesquels la syno¬
viale est engagée. Il résulte de cette disposition que, dans sa
partie supérieure, la synoviale tendineuse est placée plus en
arrière et se prolonge plus haut que la synoviale articulaire,
dont le cul-de-sac est plus rapproché du tibia, tandis que celui
de la synoviale tendineuse se rapproche de la corde calcanéenne.
Dans la région métatarsienne, la synoviale tendineuse n’a plus
de rapports de voisinage avec celle de l’articulation qui ne peut
sortir, de ce côté, de ses limites, en raison de la résistance que
lui oppose le plastron fibreux du ligament tarso-métatarsien
JARRET.
o71
postérieur. Ces particularités anatomiques ont une grande im¬
portance parce qu’elles servent à distinguer, comme nous le
verrons plus loin, les tumeurs qui procèdent d’une dilatation
articulaire de celles qui résultent de la distension de la syno¬
viale tendineuse.
Cette grande synoviale vaginale, qui lubrifie la face postérieure
des articulations du jarret, est destinée à favoriser le glissement
du tendon du perforant dans la coulisse constituée par la face
interne du calcanéum, où ce tendon est maintenu par une
épaisse expansion de tissu fibreux qui forme une espèce d’arcade,
laquelle, en se jetant du bord postérieur du calcanéum au côté
interne de l’articulation, transforme la coulisse calcanéenne en
une gaine complète qu’on appelle la game tarsienne. Cette gaîne,
très-épaisse dans toute l’étendue de la région articulaire, est
beaucoup plus mince dans la région métatarsienne et bien plus
mince encore dans la région tibiale, où le revêtement qu’elle
forme par-dessus le cul-de-sac supérieur de la synoviale tendi¬
neuse ne peut opposer qu’une résistance assez faible à la poussée
des liquides intérieurs. Dans la région métatarsienne, le cul-
de-sac synovial, interposé entre les deux tendons fléchisseurs
des phalanges , est enveloppé d’un appareil fibreux, composé
de brides d’épaisseur inégale, qui, cédant inégalement sous la
poussée des liquides, donnent l’aspect noueux, dont nous avons
parlé plus haut, à la tumeur résultant de la distension de la
synoviale dans cette région.
Telle est la disposition des différentes parties qui forment la
base de la région du jarret.
Étudions maintenant le fonctionnement de cette région.
Pliygiologie.
Le jarret est une des plus importantes régions de l’appareil
locomoteur, car les muscles qui agissent sur le bras de levier
que représente le calcanéum jouent un rôle principal parmi les
agents de la translation du corps. De fait, ce sont ces muscles
qui, én déterminant l’extension du métatarse sur la jambe, au
moment où le pied a pris à terre son appui, contribuent, pour une
très-grande part, à la propulsion de toute la machine. Le levier
sur lequel ces muscles, qui ne sont autres que les jumeaux ou
bifémoro-calcanéens, exercent leur action, est un levier du se¬
cond genre, dont le point d’appui est sur le sol, par l’intermé¬
diaire du pied, le point d’application de la puissance au sommet
du calcanéum, derrière lequel le tendon des jumeaux prend sa
JARRET.
puissante attache, enfin le point d’application de la résistance
sur l’astragale même, par Tintermédiaire du tibia, qui transmet
à ce point le poids du corps. Lorsque la contraction des jumeaux
détermine le redressement du métatarse, qui est oblique de bas
en haut et d’avant en arrière, au moment où le pied prend son
appui à l’extrémité du pas, il est clair que ce redressement a
pour effet un déplacement de larésistance ou, autrement dit, du
poids du corps, d’arrière en avant, et dans une mesure propor¬
tionnelle à l’étendue de Tare de cercle que la contraction mus¬
culaire a fait parcourir à l’extrémité supérieure du levier sur
lequel elle a agi. Gela étant, l’on doit comprendre que cette force ,
sera d’autant plus efficace que le bras de levier représenté par
la longueur du calcanéum sera plus développé.
Si les jumeaux, principaux organes de l’extension du méta¬
tarse sur la jambe, sont, par cela même, les principaux agents
de là translation du corps, lorsque l’extension du métatarse
s’effectue, au moment où le pied prend son appui, ils ne sontpas
seuls à produire cet effet. On peut considérer les extenseurs de
la cuisse sur le bassin, et de la jambe sur la cuisse, comme des
coadjuteurs des extenseurs du métatarse, car ils viennent en
aide à Faction de ces derniers en les transformant, pendant le
temps même de leur contraction, en agents de transmission de
la force développée pour produire l’extension des rayons supé¬
rieurs. On sait que les fléchisseurs du fémur sont aussi les flé¬
chisseurs du métatarse par l’intermédiaire de la corde du tibio-
prémétatarsien. N’est-il pas admissible également que lorsque
l’angle fémoro-tibial s’ouvre par l’extension respective et simul¬
tanée des deux rayons qui le forment, le bifémoro-calcanéen,
interposé entre le fémur et le calcanéum, doit transmettre mé¬
caniquement au sommet du calcanéum l’effort de traction
exercé sur lui, au moment de l’agrandissement de l’angle fé¬
moro-tibial, de la même manière que le tibio-prémétatarsien
transmet au métatarse la traction qu’il subit au moment de la
fermeture de l’angle fémoro-pelvien ? D’où il résulterait que la
corde du jarret servirait d’agent de transmission au levier du
pied, non-seulement de la force développée par la contraction
de la partie charnue des gastro-cnémiens, mais encore par celle
de tous les muscles qui produisent l’extension de la cuisse ou,
autrement dit, qui, en ouvrant l’angle fémoro-tibial, exercent
nécessairement sur le bifémoro-calcanéen un effort de traction
proportionné au degré de l’ouverture de cet angle.
La force qui agit sur le sommet dtr cqlcanéum est donc nnç
JARRET.
o73
force énorme, puisque c’est celle qui résulte des actions cumu¬
lées de tous les muscles qui produisent l’extension de la cuisse,
de la jambe et du métatarse. Aussi, tout a-t-il été calculé, dans la
construction du tarse, contre lequel s’exercent toutes les éner¬
gies de ces contractions, pour que la résistance du levier soit en
rapport avec l’intensité des efforts qu’il devait avoir à supporter;
le calcanéum, os court, d’une grande densité, est renforcé par
l’appareil fibreux qui en fait le revêtement et qui l’associe, d’une
manière si intime, à l’astragale et aux autres assises du tarse,
ainsi qu’au métatarse; et de même, tous ces appareils fibreux,
d’une si grande puissance, disposés en arrière des articulations
tarsiennes, ont pour but et pour résultat d’opposer la ténacité
de leurs fibres aux efforts de distension que le mode de fonction¬
nement du levier du pied tend à accumuler sur ses parties pos¬
térieures.
Si ce levier fonctionne à la manière d’un levier du deuxième
genre quand le membre est à l’appui, il n’en est plus de même dès
que le pied a quitté le sol; le levier du deuxième genre se trans¬
forme alors en levier du premier, dont le point d’appui est sous
le tibia, tandis que la résistance est représentée par le sabot, la
puissance étant toujours appliquée au même point, c’est-à-dire
au sommet du calcanéum ; et l’on conçoit alors que lorsque la
force, qui est capable de produire la translation du poids consi¬
dérable que représente le corps, est employée tout entière, comme
dans la ruade, par exemple, à donner une impulsion à la faible
résistance que représente le pied, celui-ci puisse être animé
d’un mouvement semblable à celui d’un projectile lancé par l’ex¬
plosion de la poudre et puisse aussi produire des effets analogues.
Dans l’attitude du cabrer, où la masse entière du corps pèse
de tout son poids sur les deux membres postérieurs exclusive¬
ment, le levier du pied redevient du deuxième genre comme
dans la progression au moment de l’appui, avec cette différence,
au point de vue des effets produits, que les efforts de la con¬
traction n’ont d’autre but, dans le court moment de l’attitude,
que de maintenir le corps en équilibre sur le levier tarso-méta-
taiso-phalangien, malgré l’extrême obliquité de sa direction par
rapport au sol. Dans cette position et dans ce moment, l’action
de la contraction musculaire s’exerce en sens inverse de celui
qu’elle suit pour produire la progression, c’est-à-dire que les
muscles, au lieu d’agir de haut en bas pour faire mouvoir
les leviers locomoteurs sous le corps, agissent de bas en
haut pour faire mouvoir le corps sur ces leviers et le placer
374
JARRET.
dans l’attitude bipédale postérieure qui constitue le cabrer
en sorte que, dans ce cas, le calcanéum est plutôt le point
d’où l’effort procède que celui où il aboutit. Mais l’effort que
subit la région du jarret, dans de telles conditions, est bien
plus intense encore que dans la progression, car. il est plus pro¬
longé et le poids, dans les quelques instants que dure le cabrer,
fatigue et use les ressorts locomoteurs beaucoup plus que dans
l’instant si court où le membre engagé sous le corps se contracte
pour le déplacer. Aussi est-il d’observation que les chevaux qui,
par.le fait même de leur mode spécial d’utilisation, sont obligésà
se mettre souvent dans l’attitude du cabrer, comme les étalons
et les sauteurs demanége, se fatiguent très-vite sur leurs jarrets,
et que l’usure anticipée de cette région se traduit, chez eux, par
des altérations spéciales des appareils articulaires ou tendineux,
dont nous étudierons les caractères au paragraphe de la patho¬
logie.
La région du jarret, quel que soit le mode d’action des mus¬
cles sur son levier, n’est le siège que de deux mouvements éten¬
dus, celui de flexion et celui d’extension. Grâce à la direction
oblique, d’arrière en avant et de dedans en dehors, de la poulie
astragalienne, le champ dans lequel ces mouvements s’effec¬
tuent n’est pas parallèle à Taxe du corps, mais bien légèrement
oblique en dehors : dispositions qui, coïncidant avec une cer-,
taine obliquité du fémur, permet au membre d’entamer le ter¬
rain en avant, sans qu’il soit gêné dans ce mouvement par
l’obstacle que le ventre pourrait opposer à la flexion de la
cuisse, si cette déviation n’existait pas. Chez les vrais trotteurs,
on voit le grasset se mouvoir librement en dehors des flancs, et
c’est ce jeu libre qui est une des conditions de la complète
liberté d’action des membres postérieurs.
Mais si les mouvements qui se passent dans l’articulation
tibio-astragalienne sont les plus étendus de la région du jarret,
iis ne sont pas les seuls ; d’autres se produisent aussi dans les
autres articulations tarsiennes, mouvements très-limités, con¬
sistant dans de simples glissements des os contigus les uns
contre les autres, mais qui ont pour but et pour résultat de
contribuer à atténuer les réactions par la dispersion de l’effort
sur les pièces multiples et quelque peu mobiles de la région
tarsienne. Sans doute aussi que la multiplicité de ces pièces,
réunies entre elles par des appareils fibreux d’une si puissante
ténacité, contribue à la solidité du levier du pied, au point où
s’accumule sur lui la plus grande somme des efforts et des
JARRET.
o7o
ébranlements, c’est-à-dire au point de réunion du bras de levier
calcanéen au plus long bras que représente le métatarse. Formé
à cet endroit de pièces multiples qui n’en font qu’une par la
solidité des moyens qui les associent les unes aux autres, le
levier tarso-métatarsien est bien moins exposé aux brisures que
s’il était composé d’une seule pièce du sommet du calcanéum à
l’extrémité inférieure du métatarse.
Passons maintenant à l’étude de la région du jarret consi¬
dérée dans sa conformation extérieure.
E^iLtérieiiir.
La région du jarret ne saurait être délimitée d’une manière
naturelle, car il n’existe aucune ligne de démarcation entre elle
et les régions de la jambe et du canon entre lesquelles elle est
intermédiaire. Ses limites artificielles peuvent être marquées,
supérieurement, par une ligue horizontale qui passerait par le
sommet de la dépression triangulaire que l’on appelle le vide
du jarret et, inférieurement, par une ligne parallèle à celle-ci,
qui couperait le canon au-dessous de l’insertion des ligaments
latéraux de l’articulation complexe du tarse.
Vu de profil, le jarret présente en arrière un angle saillant,
dont le calcanéum forme le sommet, et, en avant, un angle ren¬
trant, inscrit dans le premier, dont la partie centrale constitue
le pli du jarret.
La peau est si exactement adaptée, dans cette région, sur les
parties qu’elle recouvre, qu’elle en laisse l’anatomie, pour ainsi
dire, visible extérieurement. A la face externe, l’évidement pro¬
duit par la dépression de la peau, au-dessous de la corde calca-
néenne, fait ressortir le renflement cylindroïde de cette corde,
ainsi que les reliefs du calcanéum et de l’extrémité inférieure
du tibia.
Au niveau des articulations tarsiennes, à la base du jarret,
la peau est, pour ainsi dire, repoussée par la saillie que forment
l’extrémité inférieure du calcanéum, Tos cuboïde sur lequel elle
est assise, la tête du métatarsien latéral externe, et enfin la
tubérosité d’insertion du ligament latéral des articulations tar¬
siennes, à l’extrémité supérieure du métatarsien principal.
Cette sorte de moulure du squelette du jarret peut être consi¬
dérée comme physiologique, quand bien même elle paraît exa¬
gérée, tant que la ligne qui la limite en arrière est parfaitement
droite ; elle ne devient anormale que lorsque cette ligne décrit,
à son niveau, une convexité plus ou moins accusée.
376
JARRET.
A la face interoe, on constate, comme de l’autre, le vide du
jarret^ résultant de la dépression de la peau dans l’interstice
des tendons, mais les reliefs osseux sont plus accusés et sur le
tibia et à la base de la région. Sur le tibia, la tubérosité in¬
terne, beaucoup plus volumineuse que l’externe, se dessine,
sous Informe d’une éminence conoïde très-nettement saillante.
Au niveau des assises tarsiennes, les os cunéiformes consti¬
tuent, avec le renflement de la tête du métatarsien rudimentaire
interne et le relief de la tubérosité d’insertion du ligament laté¬
ral interne, au sommet du métatarsien principal, une antre
moulure du squelette du jarret, plus étendue en largeur que
celle du côté externe, et plus prolongée en avant, mais un peu
moins saillante.
Lorsque le membre postérieur est à l’appui, et que consé¬
quemment le jarret est tendu, les deux lèvres de la poulie astra-
galienne sont marquées, sur sa face antérieure, par une légère
saillie, immédiatement au-dessous de l’angle rentrant que l’^on
appelle le pli du jarret. Les tendons du fléchisseur et de l’exten¬
seur antérieur des phalanges se dessinent aussi par un très-
léger relief longitudinal, du côté externe de la face antérieure,
tandis que, du côté interne, se montre le cordon cylindroïde de
la veine saphène qui rampe, en direction oblique, de bas en
haut et de dedans en dehors, sur le ligament capsulaire de
l’articulation tibio-astragalienne qui, dans ce point, est presque
immédiatement sous-cutané, les tendons ne le recouvrant que
du côté externe.
Quand on examine le jarret, en se plaçant en avant de lui, on
peut se rendre compte, plus facilement que dans toute autre
position, des reliefs des renflements osseux, qui se profilent, de
chaque côté, porportionnellement à leurs dimensions.
Étant donnés ces caractères extérieurs, qui sont l’expression
de la construction anatomique du jarret, il nous faut mainte¬
nant rechercher en quoi consiste sa beauté, ou, autrement dit,
les conditions qu’elle doit réunir pour qu’on puisse la considé¬
rer comme bien conformée.
Les premières de ces conditions sont ses dimensions bien
accusées en largeur et en épaisseur, dimensions qui sont expri¬
mées, les unes, par l’étendue superficielle de ses faces latérales
et les autres par celle des diamètres transversaux.
Pour se faire une idée juste de la largeur du jarret, il faut la
mesurer dans deux points : au-dessus et au-dessous de l’articu¬
lation tibio-astragalienne, c’est-à-dire sur la jambe et sur le
JARRET.
377
canon. Ces deux mesures sont données par la distance qui existe
du bord postérieur à la face antérieure de la région. Tel jarret
peut présenter de grandes dimensions en largeur dans la région
tibiale, et se trouver trop étroit à sa base, par suite du volume
du métatarsien, non proportionné à celui du tibia et de l’astra¬
gale. Dans de telles conditions, cette largeur supérieure de la
région constitue plutôt un défaut qu’une belle conformation,
car la longueur du bras de levier calcanéen, dont cette largeur
est l’expression, armant les muscles qui s’attachent à son som¬
met d’une puissance, souvent supérieure à la résistance des
appareils ligamenteux par lesquels cet os est associé à ceux du
tarse et aux métatarsiens, bien souvent des déchirux’es et des
inflammations périostiques résultent de la trop grande intensité
des efforts subis : d’où la production de tares spéciales dont les
caractères seront donnés plus loin. Pour qu’un jarret puisse
être considéré comme large, il faut donc qu’il le soit à sa base
aussi bien qu’à sa partie supérieure, et alors il réunit, à ce
premier point de vue, les caractères de la belle conformation,
car ses grandes dimensions, au-dessus comme au-dessous de
l’articulation, impliquent, tout à la fois, et la grande longueur
du calcanéum, conditions du plus grand développement des
forces dont il est l’instrument, et la plus grande solidité du
levier que les os du tarse concourent à former avec les métatar¬
siens.
L’épaisseur du jarret doit aussi se mesurer au-dessus et au-
dessous de l’articulation, c’est-à-dire d’une tubérosité du tibia
à l’autre, et, pour la base, d’une tête à l’autre des métatarsiens
secondaires qui contribuent à former, sur ce point, les reliefs
caractéristiques des deux faces du jarret. L’épaisseur du jarret
est une condition de sa force, car elle implique la largeur de
l’assiette des os les uns sur les autres, et, par une conséquence
nécessaire, le développement des leviers que ces os constituent.
Du reste, ce qui vient d’être dit relativement à la largeur, comme
condition de la belle conformation, est également applicable à
l’épaisseur. Un jarret ne peut-être considéré comme bien con¬
formé qu’autant que les os qui forment ses assises inférieures
présentent, transversalement, une étendue de surface en rap¬
port avec celle des assises supérieures.
Quand un jarret est mince à sa base, en même temps que les
dimensions transversales du tibia sont considérables, ce défaut
de rapport entre les pièces qui le constituent se traduit par une
usure anticipée.
X.
37
S78
JARRET.
Ces conditions de la beauté du jarret sont absolues, c’est-à-dire
que, dans la même race, à supposer égales les qualités des os tt
égale aussi l’énergie de la force motrice, le jarret qui sera cons¬
truit dans des conditions harmoniques de largeur et d’épaisseur
opposera, à coup sûr, plus de résistance à l’action des efforts lo¬
comoteurs que celui dont la construction sera défectueuse par
le défaut d’un juste rapport entre ses dimensions supérieures et
inférieures. En se plaçant à ce point de vue, il est vrai de dire
que le jarret ne peut être ni trop large ni trop épais.
Maintenant pour apprécier les qualités du jarret, il ne faut pas
seulement le juger par ses dimensions apparentes, il est néces¬
saire aussi de faire entrer en ligne de compte la direction de
ses rayons. A. cet égard, je crois que Ton peut poser comme règle
que la ligne du sommet du calcanéum au boulet doit toujours
être une ligne verticale, quelle que soit la position du membre
postérieur par rapport au tronc. Cette première ligne étant donnée,
il en résulte nécessairement que le degré d’ouverture du jarret
doit dépendre du plus ou moins d’obliquité de la jambe entre
la cuisse et le canon, obliquité qui a pour conséquence de placer,
suivant ses degrés, le rayon vertical du canon ou plus en avant
ou plus en arrière. Supposons, par exemple, que la jambe soit
tout à fait perpendiculaire et continue, en ligne verticale, au
canon, il en résultera nécessairement que celui-ci restera davan¬
tage engagé sous le bassin et qu’une ligne verticale, tombant de
la pointe de la fesse sur le sol, se trouvera fortement distante
de la ligne verticale des tendons, au lieu de leur être tangente.
A. mesure que le tibia s’incline davantage en arrière, le rayon
vertical du canon est déplacé dans la même direction et l’angle
du jarret se ferme, proportionnellement au degré de l’inclinai¬
son du tibia, et proportionnellement aussi à sa longueur. Quel
est, maintenant, le degré de l’obliquité du tibia sur le canon qui
sera la condition de la bonne conformation du jarret? On ad¬
met généralement que le jarret est bien à sa place, et disposé
de la manière la plus favorable pour la production de la force,
lorsqu’une ligne verticale, tombant de la pointe de la fesse, ar¬
rive exactement en arrière du calcanéum et coïncide, dans toute
sa longueur inférieure, avec la ligne, verticale elle-même, des
tendons. Dans de telles conditions, le membre postérieur est ce
que l’on appelle bien d’aplomb, et il est favorablement disposé
pour l’exécution de sa fonction locomotrice. De fait, dans cette
position du jarret, en arrière du bassin, le champ dans lequel le
pas peut s accomplir est plus étendu que lorsque le Daembre est
JARRET.
379
davantage engagé sous le corps, et quand le pied prend son
appui, le jarret se trouve, à ce moment.! dans un tel état de
coudure que la direction de la corde calcanéenne sur son bras
de levier se rapproche presque de la perpendiculaire.
Les directions du jarret qui s’écartent plus ou moins de celle-
ci, dans un sens ou dans l’autre, peuvent être considérées comme
défectueuses.
Lorsque la ligne verticale, tombent de la pointe de la fesse,
ne rencontre que la pointe du jarret et que la ligne du canon
forme avec la première un angle plus ou moins ouvert, qui in¬
dique dans quelle mesure le canon s’est écarté de la perpendi¬
culaire, on dit que le jarret est coudé. Le jarret coudé paraît
toujours large dans sa partie supérieure parce qu’en effet sa
coudure a pour résultat d’écarter le calcanéum du tibia et, con¬
séquemment, de placer la corde calcanéenne à une plus grande
distance de ce dernier os : d’où un élargissement de la surface
extérieure. D’autre part, cette coudure a encore cette consé¬
quence de placer le bras du levier calcanéen dans les conditions
les plus favorables pour la production de la force. Mais, à côté
de ces avantages de dispositions, se trouvent des inconvéùients
réels qui doivent faire considérer cette conformation comme
défectueuse. Dabord, là colonne de support se trouvant en situa¬
tion . oblique , sous le rayon du tibia, il en résulte que les
pressions du poids du corps, au lieu d’être transmises au sol par
les assises osseuses exclusivement, comme dans l’attitude
verticale du rayon, font effort, dans une certaine mesure, en
rapport avec le degré de l’obliquité, contre l’appareil ligamenteux
qui associe ensemble les os du tarse et du métatarse, ot l’obli¬
gent à un fonctionnement anormal. D’autre part, cet appareil,
pendant l’exercice de la locomotion, subit des efforts de tiraille¬
ments d’autant plus énergiques que la force musculaire trouve
dans la direction du bras de levier calcanéen des conditions
plus favorables à son développement. Double cause, on le voit,
pour que l’appareil du jarret fatigue davantage et soit plus vite
usé. C’est ce dont témoigne l’expérience. Rien n’est ordinaire
comme de voir se développer, à la base des jarrets coudés, les
tumeurs osseuses qui sont l’expression des excès des efforts
que ces jarrets sont prédisposés à subir par le fait même de
leur conformation défectueuse.
On doit comprendre que ce défaut tendra à s’exagérer si le
jarret, au lieu de correspondre par sa pointe à la verticale des
ischions, est davantage engagé sous le centre de gravité.
JARRET.
880
Les chevaux dont les jarrets sont coudés sont souvent des
animaux de qualité supérieure, au poiot de vue de l’énergie au
travail, et qui, par conséquent, sont exposés à se ruiner d’autant
plus vite que l’appareil sur lequel ils appliquent leurs forces se
trouve dans des conditions moins favorables de résistance.
La conformation opposée au jarret coudé est celle que l’on
appelle le jarret droit. Elle résulte et ne peut résulter que de
l’insufQsance de l’obliquité du tibia, dont la direction se rap¬
proche trop de la perpendiculaire, et comme l’obliquité du tibia
est la condition nécessaire pour que le jarret aille se placer dans
sa situation normale sous les ischions, il en résulte que lorsque
le jarret est droit, il se trouve davantage engagé sous le bassin
que lorsqu’il a sa coudure physiologique.
Le jarret que l’on appelle droit paraît étroit, car dans cette
condition de rapports du tibia avec le tarse, le calcanéum étant
placé relativement à l’os de la jambe dans une situation qui se
rapproche du parallélisme, la corde qui s’attache à son sommet
se trouve rapprochée de cet os dans une mesure en rapport avec
ce parallélisme même , d’où nécessairement l’étroitesse plus
grande des surfaces extérieures. Mais on doit comprendre,
d’après cet exposé, que l’étroitesse du jarret, résultant de l’in¬
suffisance de l’obliquité du tibia sur le tarse, n’implique pas,
comme une conséquence nécessaire, le défaut de longueur du
calcanéum. Cet os peut être long dans un jarret droit, et dans
ce cas sa longueur est suffisante pour compenser ce qu’il y a'de
défectueux dans cette conformation. Il faut, en effet, considérer
que la contraction musculaire n’a presque pas à intervenir,
surtout lorsque la direction du tibia se rapproche de la verticale,
pour maintenir cet os en équilibre sur^l’astragale. Quand on
fait mouvoir les pièces d’uu jarret fraîchement disséqué, il est
facile de reconnaître qu’aux limites de son mouvement d’exten¬
sion et de flexion, il s’ouvre et se ferme, par un jeu.de ressort,
qu’on ne saurait mieux comparer qu’à celui d’une lame de cou¬
teau sur son manche.
Le jarret une fois ouvert, ses deux rayons restent à l’état
d’extension, par le fait même du mode de coaptation de leurs
surfaces de rencontre, et l’intervention d’une force pour les
maintenir redressés n’est nullement nécessaire. D’où cette consé¬
quence que, malgré le parallélisme du calcanéum avec le tibia,
les extenseurs du jarret n’ont pas à faire une grande dépense
de force pour donner à l’articulation du jarret la rigidité que
comporte le fonctionnement du membre comme colonne de
JARRET.
581
support. Mais ce parallélisme du levier calcanéen disparaît dès
que le jarret ûécliit, et alors les muscles dont il est Tinstrument
peuvent bénéficier de sa longueur, aussi bien que dans un jarret
mieux conformé, pour produire la plus grande somme de leurs
effets. Il faut même dire que, peut-être, le jarret droit est favo¬
rable à la production de mouvements plus étendus par cela
même que l’extension de ses rayons peut être portée à une
limite plus extrême que dans le jarret qui a sa coudure nor¬
male.
Il est vrai que le jarret droit étant plus que celui-ci engagé
sous les ischions, ce qu’il peut gagner par sa plus grande
extension se trouve compensé, en sens contraire, par le champ
plus rétrici qui est ouvert au pied pour entamer le pas.
Quoi qu’il en puisse être ici des interprétations théoriques,
l’expérience témoigne que, très-communément, les chevaux
dont le jarret est droit sont capables de très-grands efforts de
saut, de course rapide et même de tirage, ce qui, à ne considé¬
rer que la disposition mécanique, et abstraction faite de l’éner¬
gie nerveuse, a sans doute sa raison dans la longueur du bras
de levier calcanéen, longueur que dissimule son parallélisme
avec le tibia, dans l’état de rectitude de la jambe.
Nous avons dit plus haut que la position la plus normale du
jarret était celle où la verticale, tombant de la pointe de la
fesse, venait coïncider avec la ligne des tendons. Il y a des cas
où cette disposition se trouve exagérée, en ce sens que la verti¬
cale des ischions tombe sur la corde calcanéenne, en avant de
la pointe du jarret, la ligne du canon restant d’ailleurs verti¬
cale. Cette position du jarret, en arrière de sa ligne d’aplomb
normale, doit être considérée comme l’expression des grandes
dimensions en longueur de l’os de la jambe, qui porte le jarret
en arrière, proportionnellement à ces dimensions mêmes. Cette
conformation est défectueuse dans un cheval de gros trait, mais
non dans un animal destiné aux allures rapides, car elle est une
condition de la vitesse, le membre propulseur, ainsi disposé,
ayant devant lui une grande étendue de terrain pour accomplir
son pas, et se trouvant conformé dans les conditions voulues
pour embrasser ce terrain dans toute son étendue.
Mais pour que cette position du jarret ne soit pas défectueuse,
il faut que le canon conserve la position verticale qui place le
bras de levier calcanéen dans la direction la plus favorable à
l’action de la puissance musculaire. Lorsque le canon est dévié
en arrière de la perpendiculaire, de manière à placer le membre
o82
JARRET.
dans une attitude campée, comme celle que l’animal lui donne
pendant la réjection de l’urine, les conditions sont alors mau-
vaises pour le fonctionnement du membre tout à la fois comme
colonne de support et comme agent d’impulsion. Dans cette
attitude campée, en effet, le poids du corps n’est pas supporté
dans la mesure normale, par les assises osseuses, et il fait effort,
au contraire, dans une mesure; excédante, contre les appareils
ligamenteux, tendineux et musculaires qui maintiennent les os
dans leur position d’équilibre. D’autre part, le jarret est placé
trop en arrière du centre de gravité pour que son action impul¬
sive produise des effets aussi énergiques que lorsqu’elle - est
transmise de plus près. On constate, en effet, généralement,
que l’arrière-train des chevaux ainsi campés est plus oscillant
que dans des conditions d’une conformation régulière. .
Si le canon, au lieu d’être dévié de la verticale, en arrière,
s’en écarte en avant, cette déviation constitue une variété de
coudure du jarret, qui réunit aux inconvénients qunnous avons
déjà signalés plus haut, ceux qui résultent de la position
défavorable du jarret au delà de sa ligne d’aplomb régulière. Le
cheval ainsi conformé; marche un peu à la manière de l’hyène,
son arrière-train étant plus bas que l’avant, en raison de la forte
inclinaison du tibia en arrière et de la coudure du jarret. C’est
là une conformation défectueuse à tous les points de vue.
Lorsque les jarrets sont dans leur aplomb normal, ils s’ouvrent
et se ferment suivant un plan dont la direction se rapproche de
la parallèle avec l’axe du corps, de telle sorte que le mouvement
d’impulsiou dont ils sont le centre suit la direction de cet
axe. Dans de certains cas les jarrets sbntdéViés de cette ligne
d’aplomb normal par la convergence des calcanéums l’un vers
l’autre : convergence aVec laquelle coïncide, nécessairement, la
déviation des sabots en dehors, car l’une de ces dispositions
entraîne l’autre inévitablement. On dit des chevaux ainsi con¬
formés qu’ils sont /arretés ou crochus. Dms de certains 'cas,
cette irrégularité d’aplomb est poussée à un tel degré que les
calcanéums se touchent presque par leur face interne, et que les
jarrets divergent l’un de l’autre au-dessous de l’astragale, en
décrivant une courbe à convexité saillante en dedans, en même
temps qu’ils sont fortement coudés en avant. Les marchands de
chevaux ont l’habitude de dire des chevaux ainsi conformés
qu’ils ont les jambes en pieds de bancs, expression pittoresque,
qui donne une idée juste des courbures anormales que l’extré¬
mité de leurs membres a subies.
JARRET.
S83
Quand un cheval n’est crochu qu’à un faible degré, c’est-à-dire
que les calcanéums, au lieu d’être parallèles, sont un peu Con¬
vergents l’un vers l’autre par leur sommet, cela n’a d’inconvé¬
nient que pour le cheval de selle, et au point de vue seulement
de sa beauté d’apparence, car celte disposition n’influe en rien
sur ses qualités. Mais un cheval chs du derrière^ pour employer
l’expression usuelle en pareil cas, plaît moins et a, effectivement,
une forme moins gracieuse que celui dont les jarrets sont
parallèles et se meuvent dans le sens de l’axe du corps, au lieu
de dévier en dehors leurs rayons inférieurs, comme cela a lieu
nécessairement quand les calcanéums sont tournés en dedans.
Il est assez remarquable que cette conformation, si défectueuse
en apparence, coïncide presque toujours avec de grandes quali¬
tés d’énergie. Solleysel la répudie comme déplaisante, surtout
dans le clieval de manège, quoique ordinairement, dit-il, les
chevaux crochus soient bons. Même le cheval qui a les jambes
en pieds de bancs est encore capable d’un excellent service,
comme cheval de trait, malgré la construction si vicieuse de son
appareil locomoteur. Rigot qui avait aussi constaté les remar¬
quables aptitudes, pour le travail, des chevaux crochus et même
jarretés au point que leurs jambes en étaient comme tordues,
avait émis l’opinion, quelque peu paradoxale, que « cette confor¬
mation devait être recherchée dans les limoniers, comme une
beauté, en raison de la grande force de résistance que donnerait
aux jarrets leur disposition en arcs-boutants. » {Maison rus¬
tique du XIX® siècle, 2® vol. ) Rigot a commis une erreur en
rattachant les qualités du cheval à jarrets crochus à la particu¬
larité de cette conformation, tandis qu’il est plus vrai de dire
qu’elles en sont indépendantes, ou, plutôt, que si le cheval
crochu fait preuve de force, ce n’est pas à cause de la disposition
de ses jarrets, mais bien malgré ce que cette disposition a de
défectueux. J’ajouterai même qu’il, est admissible que cette
défectuosité des jarrets, que l’on voit coïncider si souvent avec
l’énergie musculaire, est plutôt un effet de cette énergie, qu’une
condition favorable à sa manifestation. Je suis porté à croire
que, d’abord accidentelle, elle est devenue héréditaire en s’ac¬
centuant dans les produits, parce qu’ils avaient hérité tout à la
fois et d’une conformation déjà vicieuse et de cette énergie
musculaire qui avait été efflcace à la déterminer, chez leurs
ascendants. Il me paraît probable, par exemple, que les chevaux
ne se tordent les jambes en pieds de banc que parce que déjà
prédisposés à cette déviation par une- conformation native, on
jarrf:t.
o8i
les a employés trop jeunes à des travaux au-dessus de leurs
forces et que, grâce à leur énergie, ils ont été déterminés à des
efforts qui excédaient la résistance de leurs leviers osseux.
Qu’une jument ainsi faussée dans ses aplombs soit employée à
la reproduction, et elle pourra donner des produits prédisposés
à se jarreter, qui, effectivement, contracteront ce défaut, dès
qu’ils seront mis dans les conditions voulues, c’est-à-dire dès
qu’ils seront déterminés à se livrer à des efforts énergiques.
D’où cette conclusion que les chevaux deviennent crochus
parce qu’ils sont bons de père en fds et non pas, comme l’ad¬
mettait Rigot, qu’ils sont bons parce qu’ils sont crochus.
, Il existe une disposition des jarrets, inverse de celle-ci: c’est
celle qui est caractérisée par la déviation des calcanéums en
dehors, et la convergence l’un vers l’autre des deux pieds qui
sont tournés en dedans. Dans ces conditions de fausse direction
des jarrets et des autres rayons du membre, on dit que le cheval
est ouvert du derrière^ à cause du grand écartement qui existe
entre les membres postérieurs, au niveau de là région du jarret,
écartement qui ne résulte pas seulement de ce que les calca¬
néums sont divergents de la ligne d’aplomb, mais encore de çe
que le membre, considéré dans son ensemble, depuis le sommet
de la jambe jusqu’au sabot, décrit une courbe à concavité inté¬
rieure dont la région du jarret est le centre : de la la grande'
distance qui semble exister, qui existe réellement entre les deux
jarrets, distance que rend plus frappante èncore le rapproche¬
ment des deux sabots. Cette défectuosité a quelque ressemblance
avec celle de l’homme bancal dont les jambes incurvées se
regardent par leur concavité. Si nous eu parlons dans ce para¬
graphe, parce que effectivement elle a pour conséquence de faire
dévier le jarret de sa direction et de lui donner une position
anormale, on doit dire, cependant, que ce n’est pas dans cette
région qu’elle a sa cause et qu’elle procède du mode d’attache
du rayon fémoral dans la cavité cotyloïde. Contourné en dedans,
ce rayon fait dévier la jambe dans le même sens, et par la jambe,
le jarret et le pied.
Cette déviation du jarret peut être, du reste, parfaitement
compatible avec sa conformation régulière, comme il est possible
aussi qu’elle coïncide avec d’autres dispositions vicieuses, telles,
par exemple, que la coudure exagérée. En soi, et abstraction
faite de ce que peut être la conformation bonne ou mauvaise
du jarret, la divergence des calcanéums constitue une défectuo¬
sité, au double point de. vue de la beauté d’apparence et de la
JARRET.
080
disposition mécanique de Tappareil locomoteur. L’écartement
des membres postérieurs donne, en effet, au cheval une
démarche tout à fait disgracieuse, qui l’empêcherait de con¬
venir pour la service du luxe, et notamment comme cheval de
selle, quand bien même cette position de ses jambes ne serait
pas pour lui une condition de faiblesse. « On ne peut assujettir
ces sortes de chevaux sur les hanches , dit Solleysel , car la
foiblesse les empêche de pouvoir s’y tenir, et sont hors de force
pour soutenir les hanches; j’aimerois mieux un cheval crochu
que s’il avoit ce deffaut. » {Parfait MareschaU IP partie, 1682.)
Si le cheval à jarrets divergents n’a pas toutes les aptitudes
voulues pour répondre à ce que son cavalier peut lui demander,
il n’a pas non plus celles que comporte le service du tirage, ou,
pour parler plus exactement, il ne les a pas au même degré que
si, à conditions égales d’intensité de la force motrice, la région
du jarret était chez lui régulièrement conformée. Il faut, en
effet, considérer que le jarret divergent par sa pointe ne peut
imprimer le mouvement que dans une direction oblique de
dehors en dedans, et que, conséquemment, le centre de gravité
doit nécessairement osciller entre les impulsioas que les deux
membres tendent à lui imprimer alternativement d’un côté à
l’autre, au lieu de suivre la ligne droite qui serait la sienne, si
les champs dans lesquels se meuvent les deux membres propul¬
seurs étaient parallèles, et non pas convergents l’un vers l’autre.
En résumé, grandes dimensions des diamètres qui s’expri¬
ment par la largeur et l’épaisseur; direction verticale du rayon
du canon qui place le bras de levier calcanéendans la position
la plus favorable au développement de la force musculaire;
situation du jarret sous le bassin, de telle sorte que la perpen¬
diculaire tombant des ischions coïncide avec la ligne verticale
des tendons ; telles sont les conditions essentielles de la belle
conformation du jarret, abstraction faite des races et même des
services, car il nous paraît incontestable qu’à supposer égale
l’intensité de la force motrice, le cheval dont le jarret est bien
construit et bien placé sera capable déplus grands efforts et con¬
séquemment de plus grands résultats que celui chez lequel
cette région sera plus ou moins défectueuse, au double point
de vue de la construction et de la position relativement au centre
de gravité.
Étudions, maintenant, les différentes altérations dont la ré¬
gion du jarret peut être le siège.
386
JARRET,
Pathologie.
Les altérations dont le jarret peut être le siège sont nom¬
breuses, variées, et souvent d’une gravité extrême. On peut les
rencontrer dans toutes les parties constitutives de cet appareil
complexe : dans les os, dans les synoviales qui les lubrifient,
dans les ligaments qui les unissent, dans les tendons et dans
leurs gaines de glissement, et enfin dans le tissu cellulaire sous-
cutané. La peau, elle-même, peut présenter quelques lésions par¬
ticulières, mais d’une importance tout à fait secondaire, quand
on les compare à celles des parties intrinsèques de la région.
Le nombre et la gravité des altérations que ces parties peu¬
vent subir s’expliquent par le rôle si considérable que remplit
le jarret dans la fonction locomotrice. C’est dans son centré
qu’aboutissent les pressions du poids du corps, transmises par
le tibia ; c’est sur le levier que ses os propres concourent à for¬
mer avec les métatarsiens, que se concentrent les efforts dés
muscles qui, par l’intermédiaire de ce levier, impriment à la
masse du corps son mouvement en avant. Lorsque cette masse,
soulevée du sol, y revient, après son mouvement accompli, le
jarret est encore un centre où aboutissent les réactions de bas
en haut qui se produisent au moment de cette rencontre. Enfin,
quand le cheval se cabre et que son poids tout entier s’accu¬
mule sur le bipède postérieur, les muscles moteurs du jarret
deviennent alors moteurs de tout le corps sur le jarret immo¬
bile, et contribuent, pour une grande part, à l’élever et à le
maintenir dans cette attitude, où le tibia transmet au centre de
l’articulation une si grande somme de pressions. Si l’on consi¬
dère, maintenant, que, dans l’état de domesticité, les efforts
auxquels le cheval doit se livrer ont pour but, non pas seule¬
ment la translation de son corps, mais encore celle des poids
qu’il porte, ou qu’il doit mettre en mouvement à l’aide dés ma¬
chines dont il est le moteur, on comprendra comment et pour¬
quoi la résistance des différentes parties de son appareil loco¬
moteur est si souvent surmontée par l’intensité des forces qui
entrent en jeu pour en faire mouvoir les ressorts, intensité qui
doit être si supérieure à celle qui serait nécessaire si c’était le
corps de l’animal seulement qui dût être déplacé. Ces condi¬
tions spéciales du fonctionnement de la machine du cheval
donnent la clef de toutes les altérations que nous allons avoir à
étudier dans la région du jarret, ce rouage si important du
mécanisme.
JARRET.
o87
Suivant ici la marche adoptée pour les autres régions, nous
allons donner, sur ces altérations, les indications les plus né¬
cessaires pour bien en faire connaître les caractères extérieurs,
sans entrer dans les développements que comporterait leur
histoire complète, pour laquelle nous renvoyons aux articles
généraux sur les maladies soit des os, soit des articulations,
soit des gaînes synoviales.
1® MALADIES DES APPAREILS OSSEUX ET LIGAMENTEUX. — Ces
maladies que nous ne nous proposons de considérer ici que sous
leur type chronique se caractérisent extérieurement par des
tumeurs dont quelques-unes, en raison de la üxité de leur siège
et de la fréquence de leur apparition, ont reçu des noms spé¬
ciaux : ces tumeurs sont celles que l’on appelle la courbe,
Yéparvin et le jardon ou \a.jarde; ce sont elles qui constituent
les tares osseuses de la région du jarret.
A. COURBE. — La courbe a son siège sur la tubérosité déjà
naturellement développée que présente le tibia au côté interne
de son extrémité inférieure, et sur laquelle les faisceaux super¬
ficiel et moyen de l’appareil ligamenteux interne prennent leur
implantation supérieure. Elle consiste dans une périostose, plus
ou moins étendue en surface et en épaisseur, qui ajoute ses
couches par-dessus la tubérosité, qu’elle déforme, en la grossis¬
sant dans des proportions variables, suivant l’intensité de la
cause qui l’ii déterminée.
La courbe peut résulter de contusions comme celle d’un coup
de pied, ou des froissements violents déterminés par une em-
barrure, en un mot d’une violence extérieure ; mais le plus
ordinairement elle est produite par la distension des ligaments
latéraux internes et par l’effort qu’ils exercent sur le tissu du
périoste et de l’os, au point de leur implantation. Une périostose
et une ostéite s’ensuivent, qui donnent lieu à la formation
d’une couche d’os nouvelle par-dessus le noyau de la tubérosité
normale et au delà.)
La courbe se caractérise extérieurement par une tumeur plus
volumineuse que le relief de la tubérosité et qui en diffère
encore en ce que, au lieu d’être, comme elle, conoïde et acu-
minée, elle est arrondie, mousse et plus étalée ; sous son plus
gros format, elle conserve, cependant, assez la forme de la
tubérosité à laquelle s’est ajoutée la couche anormale qui la
constitue, pour que, dans certains cas, on puisse éprouver quel¬
que difficulté à savoir si réellement la courbe existe ou n’existe
588
JARRET.
pas. Dans ces cas, c’est l’examen comparatif des deux jarrets
qui fournit les éléments du diagnostic, à moins qu’il n’y ait en
même temps deux courbes, et du même volume ; ce qui est
tout à fait exceptionnel. La courbe est facile à reconnaître au
volume anormal de l’extrémité inférieure du tibia du côté in¬
terne et à la forme irrégulièrement arrondie de la tumeur
qu’elle constitue. A l’œil, cette tumeur se profile au côté interne
du jarret quand on. l’examine de face; au toucher, elle donne la
sensation de sa consistance, et des irrégularités de sa surface.
Par l’un et l’autre de ces moyens d’exploration, on peut avoir
une idée nette de son étendue en surface et de ses proportions,
surtout lorsque l’on a pour terme de comparaison l’état sain du
côté opposé.
La courbe est la moins grave des tares osseuses du jarret,
parce que, dans le plus grand nombre des cas, la lésion qui la
constitue reste indépendante de l’articulation tibio-astraga-
lienne, et ne met pas d’entrave à son jeu régulier. Si, à sa pé¬
riode initiale, et avant l’achèvement de son ossification, elle est
caractérisée par une claudication plus ou moins intense, celte
claudication est presque toujours provisoire, et, au bout d’un
temps plus ou moins long, la régularité de la locomotion se
rétablit complètement, malgré la persistance de la tumeur
osseuse et la déformation extérieure qui en résulte. En sorte
qu’à un certain moment, la courbe dépare plutôt l’animal
qu’elle ne nuit réellement à son service ; et encore est-il vrai de
dire qu’il y a des courbes qui sont réductibles sous l’influence
d’applications résolutives, soit seulement dans une certaine
mesure, soit d’une manière complète comme celles surtout qui
résultent d’une violence extérieure. Dans quelques cas excep¬
tionnels, cependant, la courbe donne lieu à une claudication
persistante et irrémédiable ; mais c’est que alors la cause qui
lui a donné naissance n’a pas borné son action à la tubérosité
interne du tibia et, qu’au lieu d’une périostose circonscrite,
elle a déterminé une inflammation de l’extrémité inférieure de
l’os dans une grande étendue et un empiétement des dépôts
osseux de nouvelle formation jusque sur les marges de Tarti-
culation et même au-delà. Dans ce cas, l’effort subi par l’arti¬
culation tibio-astragalienne a été beaucoup plus violent que
'celui qui traduit ses effets par la périostite de la tubérosité.
Aussi la périostose consécutive ne reste-t-elle pas circonscrite
dans lu champ étroit de la courbe et embrasse-t-elle une bien
plus grande étendue, en superficie et en profondeur,
JARRET.
o89
B. ÉPARVIN. •— On désigne sous le nom d’éparvin deux états
patRologiques différents de la région du jarret, que Ton dis¬
tingue Tun de Tautre par les épithètes de calleux et de sec. —
V épar vin calleux est caractérisé extérieuremeut par une tu¬
meur osseuse, développée à la face interne et à la base du
jarret. On Ta encore appelé éparvin de hœufk cause de la simi¬
litude d’apparence que la présence de cette tumeur établit entre
le jarret du cheval et celui du bœuf, chez lequel normalement
les os se dessinent en relief très-accusé à l’endroit où l’éparvin
a son siège chez le cheval. Quant à Y éparvin sec, ce qui le ca¬
ractérise, c’est un mouvement comme convulsif de flexion du
jarret qui n’est pas sans analogie avec celui qu’exécute norma¬
lement l’épervier. Le nom donné à ce mouvement anormal
dérive de cette analogie même ; le cheval qui marche en flé¬
chissant ses jarrets d’une manière saccadée a été comparé à
i’épervier, et comme ce symptôme co-existe quelquefois avec la
présence de la tumeur osseuse de la face interne du tarse, l’un
a été attribué à l’autre, et le même nom, avec des qualificatifs
différents, a été employé pour les désigner tous les deux.
Nous allons les étudier dans deux paragraphes spéciaux :
A. Éparvin calleux.— L’éparvin dit calleux est constitué exté¬
rieurement par une tumeur de nature osseuse, qui a son siège
, à la face interne et à la base du jarret, c’est-à-dire à l’endroit
même où la tête du métatarsien interne, la tubérosité d’inser¬
tion ligamenteuse du métatarsien principal et le petit cunéi¬
forme forment sous la peau un relief normal. L’éparvin paraît
donc constitué, comme la courbe, par un développement anor¬
mal d’une éminence osseuse physiologique, mais il en diffère,
dans le plus grand nombre des cas, par des lésions beaucoup
plus profondes et beaucoup plus graves.
La tumeur de l’épaiAin n’est pas, en effet, toujours iden¬
tique à elle-même; tantôt, elle reste circonscrite seulement
aux deux métatarsiens et ne va pas au delà de leur marge su¬
périeure; d’autres fois, au contraire, et le plus souvent, elle
s’étend sur les os du tarse, par-dessus lesquels elle forme une
couche continue jusqu’à la base de l’astragale. Entre ces deux
variétés d’éparvins calleux, il y a des différences essentielles
qu’il faut bien préciser pour expliquer la différence des sym¬
ptômes par lesquels peut se caractériser cette lésion articulaire,
qui comporte, sous l’uniformité de ses apparences extérieures,
des degrés considérables dans sa gravité.
Pour distinguer ces degrés, nous appellerons métatarsien
o90
JARRET.
l’éparvin qui est circonscrit au somnaetdes os du canon, sans
empiéter sur ceux du tarse ; et tarso-métatarsien celui qui en¬
globe tout à la fois les uns et les autres.
L’éparvin métatarsien peut consister dans une simple périos-
tose, déterminée par une violence extérieure, comme un coup
de pied par exemple. Dans ce cas, c’est un accident tout provi¬
soire; provisoire dans ses effets et dans sa durée, car les sym¬
ptômes de claudication qui surviennent à la suite du dévelop¬
pement de la tumeur osseuse ne persistent pas et cette tumeur
finit aussi par disparaître.
Une autre variété de l’éparvin métatarsien est celle qui ré¬
sulte de la soudure du métatarsien rudimentaire interne avec
Tos principal. L’éparvin, dans ce cas, peut être considéré
comme une tumeur de cal, expression extérieure de cette an¬
kylosé par l’intermédiaire de laquelle ces 'deux os n’en font
plus qu’un. La condition de cét accident nous paraît être la
même que celle que nous avons exposée, à l’article Canon, en
parlant de la formation des suros. Il nous paraît très-admis¬
sible que l’inflamination intra-métatarsienne, dont l’éparvin
métatarsien sera l’expression ultérieure, puisse être déterminée
par une forte poussée du petit cunéiforme sur la tête du méta¬
tarsien rudimentaire interne : foulée excessive qui est suscep¬
tible de se produire lorsque le corps, enlevé de terre par une
détente vigoureuse, retombe sur un seul membre postérieur,
comme dans l’allure du galop, ou à la suite d’un saut de bar¬
rière ou de fossé. Sans doute aussi que les chances de cet ac¬
cident sont plus grandes lorsqu’on soumet les animaux trop
jeunes à des entraînements, des travaux ou des exercices pen¬
dant lesquels la ténacité des tissus est souvent surmontée, soit
par l’énergie de la contraction musculaire, soit par les actions
du poids du corps accrues par l’intensité du mouvement com¬
muniqué.
L’éparvin métatarsien est caractérisé par la présence d’uné
tumeur à l’endroit où la tubérosité ligamenteuse du métatar-^
sien principal et la tête du rudimentaire se dessinent normale¬
ment sous la peau par le relief qui leur est propre. L’éparvin
circonscrit à la région du canon est donc comme le grossisse¬
ment de cette saillie normale, dont l’épaisseur et l’étendue su¬
perficielle sont augmentées parla couche de matière osseuse de
nouvelle formation qui lui a été surajoutée. De fait, sur les
pièces macérées, il est facile de reconnaître cette couche nou¬
velle à sa teinte rosée, à sa texture finement granuleuse et à sa
JARRET.
S91
consistance, inférieure à celle de l’os, lorsqu’elle est en voie de
développement. En un mot, les caractères qu'elle présente à
cette époque sont ceux de la matière qui se dépose autour des
fragments d’un os fracturé. Plus tard cette matière constitutive
de la tumeur de l’éparvin acquiert la dureté de l’os définitif,
mais elle reste différente de l’os normal par l’aspect rocheux
de sa surface, creusée de sillons et hérissée de tubérosités irré¬
gulières. — L’éparvin métatarsien, quand il est l’expression de
la soudure du métatarsien rudimentaire à l’os principal, s’ac¬
compagne toujours d’une claudication, intense au début, qui
s’atténue graduellement à mesure que s’achève le travail de
l’ossification, et qui est susceptible de disparaître complètement
lorsque ce travail est terminé et que les surfaces articulaires du
tarse se sont accommodées aux conditions nouvelles qui résul¬
tent de la disparition de l’articulation inter-métatarsienne.
Mais sous cette forme et dans les limites où il reste circon¬
scrit, Téparvin ne constitue qu’un accident dont les effets sont
temporaires et qui, malgré sa persistance comme tumeur, peut
fort bien cesser de mettre obstacle au jeu libre du jarret; il
n’en est plus de même lorsque la tumeur a envahi les os du
tarse et qu’elle les englobe, pour ainsi dire, sous l’épaisse couche
qui la constitue.
Cette variété d’éparvin que nous proposons d’appeler tarso-
métatarsien, pour donner par son nom une idée de son siège
et de son étendue, est bien autrement grave que celui qui reste
circonscrit aux métatarses, et sa gravité résulte de ce qu’il
est l’expression d’altérations bien autrement étendues et pro¬
fondes. L’éparvin tarso-métatarsien, si justement appelé cal¬
leux par l’ancienne hippiatrie, est, en effet, une sorte de cal
qui soude les os du tarse entre eux, sous l’astragale et avec les
métatarsiens; et cette soudure extérieure marche toujours de
pair avec un travail de soudure entre ces os, par leurs surfaces
de rapports, en sorte que l’éparvin calleux n’est, à proprement
parler, que l’expression extérieure d’un travail d’ankylose, con¬
sécutif à une inflammation complexe des articulations inter¬
tarsiennes. De fait, la tumeur de l’éparvin calleux est presque
toujours précédée de la manifestation d’une boiterie, assez in¬
tense d’ordinaire et persistante, dont le siège, qui n’est pas tou¬
jours très-facile à préciser dans le début, devient manifeste
lorsque Véparvin sort, comme le disait l’ancienne hippiatrie
qui avait bien reconnu cette filiation de phénomènes. Cet épar-
vin qui sort, c’est la tumeur de l’ankylose qui se constitue à
JARRET.
b92
l’extérieur des articulations dont les surfaces sont en train de se
souder. Quelle est maintenant la condition de cette inflamma¬
tion des articulations tarsiennes et tarso-métatarsiennes, qui
détermine la soudure des os entre eux et transforme en un
seul bloc les assises sous-astragaliennes du jarret, tout au
moins du côté interne? Cette condition est la même que celle
qui cause les suros ; c’est la violence des pressions que les os
du jarret éprouvent dans les sauts, dans les allures rapides,
dans l’attitude du cabrer et enfin dans les efforts violents de la
locomotion, lorsque l’animal développe toutes ses forces pour
surmonter Tes résistances des masses inertes qu’il doit dépla¬
cer. Probablement qu’il s’ensuit des sortes d’écrasements, des
dilacérations des liens intra-articulaires, des froissements des
synoviales, ou toutes autres causes déterminantes de l’inflamma¬
tion dont la soudure des surfaces est la conséquence dernière.
Telle est la signification véritable de l’éparvin tarso-méta-
tarsien ; c’est le signe extérieur de l’ankylose des articulations
sur les marges desquelles il est développé et qu’il enveloppe de
manière à ne former qu’un seul bloc de toutes les pièces super¬
posées a la base du jarret.
Maintenant il y a des degrés dans la gravité de cet éparvin
et qui sont en rapport avec son étendue. Tantôt, en effet, l’in¬
flammation n’a envahi que les articulations des cunéiformes
avec les métatarsiens ; l’éparvin, dans ce cas, ne dépasse pas la
limite supérieure des cunéiformes. S’il [s’étend au-dessus, c’est
que l’inflammation s’est propagée entre les cunéiformes et le
scaphoïde; enfin si l’articulation du scaphoïde avec l’astragale
est aussi envahie, la tumeur de l’éparvin embrasse ce dernier
os à sa base et elle a alors le plus grand développement qu’elle
puisse acquérir.
Cette tumeur de l’éparvin ne se développe pas seulement aü
côté interne de l’articulation ; elle s’étend aussi antérieurement
et postérieurement, et comme elle ne peut se faire sa place
qu’en soulevant l’appareil ligamenteux si épais et d’une si
puissante ténacité qui associe les os du tarse entre eux et avec
les métatarsiens, il en résulte que les parties composantes de cet
appareil sont soumises à une distension forcée qui doit être, pen¬
dant un certain temps tout au moins, une des conditions de la
souffrance qui accompagne le développement de l’éparvin et
une condition aussi de la claudication qui coexiste avec cette
tumeur. Mais cette claudication antérieure, dans le plus grand
nombre des cas, à l’apparition de la tumeur, a d’autres causes
JARRET.
393
que celles qui résultent de sa présence. Avant que l’éparvin
soit sorti, elle est Texpression des douleurs toujours si intenses
que détermine une inflammation intra-articulaire, quel que
soit son siège; et quand la tumeur de l’éparvin s’est défîniti-ve-
ment constituée, quand la soudure des surfaces articulaires s’est
achevée, lorsqu’en un mot l’ankylose est complète, la claudica¬
tion n’en persiste pas moins, bien que les douleurs du travail
inflammatoire soient éteintes; mais elle est alors l’expression du
dérangement mécanique du jarret, de l’impossibilité actuelle
de son fonctionnement régulier et, probablement aussi, des
fatigues plus grandes que les muscles éprouvent en raison de
l’imperfection de l’appareil sur lequel ils exercent leur action.
Les sensations musculaires pénibles que nous éprouvons nous-
mêmes lorsque nous sommes forcés de marcher, alors que l’ar¬
ticulation d’un pied n’a pas la liberté de ses mouvements, peu¬
vent nous faire concevoir la part qui revient à ces sensations
dans la production de la boiterie dont l’ankylose des articula¬
tions tarso-métatarsiennes est la condition première.
Cette boiterie a-t-elle un caractère qui lui soit propre, s’ef¬
fectue-t-elle d’une telle manière qu’en la voyant se manifester,
l’idée de sa cause et de son siège naisse immédiatement dans
l’esprit de l’observateur? Evidemment non. Non-seulement
l’éparvin ne se caractérise pas, pendant la locomotion, par des
symptômes univoques qui seraient communs à tous les chevaux
affectés de cette maladie, mais encore, sur le même animal, ces
symptômes ont des caractères différents aux différentes périodes
du mal, et ces symptômes de périodes différentes ne sont pas
les mêmes chez tous les sujets.
Au début, lorsque l’inflammation des articulations tarsiennes
ne se dénonce par aucun symptôme local, rien dans le mode de
manifestation de la boiterie n’autorise à affirmer que son siège
est dans le jarret. Il faut, en effet, considérer que la cuisse et
le canon sont synchroniques dans leur flexion, par l’intermé¬
diaire du tendon du tibio-prémétatarsien qui associe l’une à
l’autre, et que conséquemment lorsqu’une cause ou une autre
détermine l’animal à borner les mouvements de l’un de ces
rayons l’autre n’exécute les siens que dans la même étendue.
Que si, par exemple, une douleur de l’articulation coxo-fémo-
rale limitait les mouvements de flexion de la cuisse, forcément
ceux du canon sur le jarret .seraient limités dans une mesure
rigoureusement égale, puisque ceux-ci sont dépendants de
ceux-là. Etant donnée cette solidarité qui résulte de la con-
X.
38
S94
MRRET.
sü-uction même, grande est bien souvent la difficulté de re¬
connaître où réside la condition de l’irrégularité du fonction-
nement d’un membre? Est-elle en haut, ou en bas, ou au
milieu? Trop souvent, en pareil cas, l’observateur reste dans
l’indécision et dans le doute, parce que le symptôme vraiment
significatif lui manque tant que Yéparnin n’est pas sorti, c’est-
à-dire tant que ne s’est pas montrée la tumeur osseuse qui in- j
dique tout à la fois et le siège et la nature du mal d’où la boi¬
terie procédait.
Quelquefois les chevaux harpent, à la période initiale de
l’éparvin non encore apparent, qui doit devenir calleux ulté¬
rieurement; en d’autres termes, la douleur, dont les articula¬
tions tarsiennes enflammées sont le siège, donne lieu à la
flexion convulsive de l’articulation tibio-astragalienne. L’épar¬
vin, dans ce cas, est sec avant que sa tumeur caractéristique ^
ait apparu, et quand elle s’est montrée, souvent le mouvement
de harper continue comme devant. Ce symptôme, au point de
vue du siège, a quelque chose de significatif, mais il n’est pas
constant, loin s’en faut; et, comme, d’autre part, il n’appartient
pas exclusivement à l’éparvin calleux, on ne saurait se baser
sur sa manifestation pour affirmer que la condition de ce der¬
nier existe actuellement et pour annoncer son apparition plus
ou moins prochaine avec certitude.
Quand cette apparition s’est effectuée, le mode de la claudi- i
cation n’est pas le même qu’à la période initiale du mal. A cette
période et pendant un certain temps, avant que le travail de
l’ankylose ne soit achevé, la claudication procède surtout de la
souffrance, et si les mouvements du membre n’ont pas leur
étendue et leur intensité physiologiques, cela dépend surtout
des prévisions et des calculs de l’instinct. Mais, plus tard, une
cause mécanique intervient, qui se substitue à la douleur et ;
constitue l’obstacle principal et définitif à la régularité des |
mouvements. Cette cause est l’ankylose, des articulations tar-
siennes et tarso-métatarsiennes : ankylosé qui donne, par les
effets si manifestes qu’elle produit, la démonstration expérb
mentale accidentelle de l’importance des fonctions de ces arti¬
culations, au point de vue du jeu libre du jarret et du fonction¬
nement régulier de tout le membre. De fait, quand l’éparvin
tibio-prémétatarsien a acquis des proportions considérables, ce
qui implique la soudure des articulations sous-astragaliennes*
le jeu du canon sur le tibia ne s’exécute plus avec la même h"
berté, l’appui du pied sur le sol ne s’opère plus par toute
JARRET.
o9o
rétendue de la surface plantaire. Sou-vent, c’est par la pince
exclusi-vement qu’il s’effectue, les talons restant toujours en
l’air; quelquefois, le rayon du canon se dévie de dedans en
dehors, et alors c’est la pince et une partie du quartier interne
qui viennent à l’appui, les talons et le quartier externe y étant
soustraits. D’une manière ou d’une autre, dans ces différents
cas, le cheval est estropié; l’obstacle qui s’oppose à ce que la
flexion du jarret s’opère dans toute l’étendue de son champ
donne à la partie sous-rotulienne du membre éparviné une rai¬
deur qui s’oppose à ce que ses actions soient synchroniques à
celles du membre opposé ; d’où une claudication très-marquée
qui rend difficile l’utilisation des animaux au service du trot.
Pendant l’évolution lente du travail d’ ankylosé dont Téparvin
est l’expression, les souffrances déterminées par cette lésion ne
se traduisent pas seulement par l’irrégularité de la locomotion ;
elles influent aussi sur tout l’organisme, sont une cause de
dépérissement et prédisposent aux maladies d’épuisement,
comme la morve, le farcin, l’anémie, lorsque les animaux sont
forcés à des travaux pénibles, malgré les douleurs qu’ils
endurent. Solleysel signale cette influence avec sa sagacité
habituelle. « La douleur que cause l’esparvin, dit-il, fait sécher
le cheval et perdre le flanc. Que si par le repos vous le remettez,
dans une journée de travail il sera si extraque que vous l’enfile¬
riez avec une éguille, ayant le flanc comme celui d’un lévrier.
Il est assuré que tout cheval avec un ou deux esparvins de boeuf
ne servira jamais de rien, à quelque usage qu’on le mette et
particulièrement si l’esparvin, outre la grosseur, est douloureux,
en sorte qu’il fasse boiter le cheval quand il trotte. » Cette
influence de Téparvin sur le système général s’explique bien
par la connaissance que nous avons de la nature de la maladie
dont il est l’expression extérieure. Cette maladie c’est l’inflam¬
mation des articulations multiples du tarse, c’est-à-dire une
lésion à marche lente qui donne lieu à des souffrances d’une
grande intensité, et persistant tant que le travail de l’ossifica¬
tion ne s’est pas achevé entre les différents os du tarse et n’a
pas fait un seul bloc de leur ensemble. Evidemment une simple
exostose, extérieure aux articulations, ne produirait pas de
pareils effets.
La tumeur dé Téparvin calleux varie beaucoup de volume et
d’étendue, suivant les individus et, même sur le même sujet,
suivant la date de son évolution. Tantôt elle est assez peu
volumineuse et assez circonscrite pour qu’on ait peine à la
b96
JARRET.
distinguer des tubérosités normales des extrémités supérieures
des métatarsiens ; et, dans ses proportions extrêmes, elle peut
acquérir et même dépasser les dimensions d’un gros œuf de
poule. Son volume dans ce cas, et le siège étendu qu’elle occupe
à la face interne de la base du jarret, ne laissent aucun doute
sur la nature de cette maladie, et, quand on regarde le jarret,
en avant ou en arrière, et qu’on voit se profiler sur sa face
interne le relief de l’éparvin, dépassant les limites supérieures
des métatarsiens, il suffit dans le plus grand nombre des cas de
ce symptôme, perçu par la vue, pour formuler le diagnostic
avec certitude. Cependant on peut y être trompé. La tumeur de
l’éparvin peut être imitée par une tumeur molle, qui n’est autre
qu’une hydarthrose de la synoviale tapissant la gaine de glisse¬
ment de la branche cunéenne du tibio-prémétatarsien. Le tou¬
cher, dans ce cas, fournit un moyen sûr de rectifier Terreur
que Ton a pu commettre eu s’en rapportant exclusivement aux
apparences.
Au point de vue pronostique, Téparvin calleux constitue Tune
des plus graves altérations de l’appareil locomoteur. Ce que nous
avons dit de sa signification, lorsqu’il enveloppé tous les os de
la base du jarret, suffit pour justifier ce jugement qui n’en
resterait pas moins vrai, du reste, quand même la nature de
i’éparvin serâit inconnue , car l’expérience de tous les temps
témoigne de la gravité extrême de cet accident. On peut voir,
par la citation que nous avons faite plus haut àu Parfait
Mareschal, que l’ancienne hippiatrie ne s’y était pas trompée.
11 est bien entendu, maintenant, qu’il faut admettre des degrés
dans la gravité de Téparvin qui, du reste, nous l’avons déjà fait
remarquer dans cette étude, n’a pas une signification univoque
et peut ne consister, quand il est circonscrit aux métatarsiens^
que dans une simple exostose, provisoire ou persistante, mais
pouvant ne pas avoir d’influence durable sur la liberté des
mouvements du jarret. Il est clair que , sous cette formé^
Téparvin ne saurait être comparé, au point de vue de la gravité,
avec la tumeur de même nom qui résulte d’un travail d’anhylose.
Cette tumeur, expression de Tankylose des os du jarret, h’apas
non plus la même gravité dans tous les cas. Il est clair encore
que, pour l’apprécier à ce point de vue, il faut prendre en con¬
sidération son étendue, qui est proportionnée au nombre des
articulations du tarse dans lesquelles l’inflammation développée
doit avoir pour résultat final la soudure des os. Il y a donc une
différence à faire entre Téparvin qui ne dépasse pas la limite
JARRET. o97
supérieure des cunéiformes, et celui qui s’étend jusqu’à la base
de l’astragale et du calcanéum.
M. le professeur Lafosse a proposé, pour le traitement de
l’éparvin, de pratiquer la section de la branche cunéenne du
tibio-prémétatarsien. Cette opération ingénieuse, dont la descrip¬
tion sera donnée à l’article Ténotomie, ne peut être efficace
qu’autant que l’éparvin est superficiel et que la claudication
qu’il détermine a sa cause principale, sinon exclusive, dans la
distension de cette bride tendineuse, soulevée par la couche
osseuse de nouvelle formation déposée au-dessous d’elle. Dans
ce cas, on conçoit l’utilité de l’opération et les résultats heureux
qu’elle a donnés entre les mains de M. Lafosse. Mais cette
.section tendineuse ne peut rien contre les éparvins tarso-
métatarsiens, expression extérieure d’un travail inflammatoire
intra-articulaire, qui détermine des douleurs bien autrement
intenses et persistantes que celles qui peuvent résulter de la
distension d’une bridé tendineuse. Que même, dans ce cas, la
ténotomie cunéenne ait son utilité, en supprimant une cause de
souffrance, cela est possible. Mais c’est là un effet minime et
d’une importance secondaire, quand la claudication symptoma¬
tique de l’éparvin procède de l’inflammation des articulations
tarsiennes. Quoi qu’il en soit, l’opération proposée par M. Lafosse
constitue une ressource d’autant plus importante, pour remédier
aux conséquences de l’éparvin, que le feu et tous les résolutiis
restent dans la plupart des cas complètement infidèles.
B. Êparvin sec.— L’éparvin sec est caractérisé par un mouve¬
ment comme convulsif de flexion du jarret, qui se ferme comme
s’il était mû par un ressort et, suivant toutes probabilités, sans
que les muscles fléchisseurs concourent à l’achèvement de ce
mouvement; ils ne font que le commencer. Dans de certains
, cas, où ce défaut est excessif, la fermeture du jarret est portée
au point qu’à chaque pas le sahot va effleurer et même toucher
par sa face antérieure les parois du ventre. Quelle est la cause
de ce mouvement de harper, qui fait marcher le cheval à la ma¬
nière d’un épervier, du nom duquel, comme nous l’avons rappelé
plus haut, dérive le nom de la maladie du jarret, dont ce mouve¬
ment est l’expression ? Cette cause n’est pas encore trouvée,
faute sans doute de recherches suffisantes. Le mouvement de
harper ne nous paraît être que l’exagération d’un fait physio¬
logique. La charnière de l’articulation tibio-astragalienne est si
parfaite, qu’il y a quelque chose d’automatique dans îfes mouve¬
ments qui s’y passent; c’est-à-dire que lorsqu’ils ont commencé
o98
JARRET.
flans le sens de la flexion ou de l’extension, ils s’achèvent d’eux-
mêmes. Quand, par exemple, l’articulation tibio-astragalienne
est à moitié fléchie et que, conséquemment, l’astragale corres¬
pond au tibia par le sommet de sa courbe, la flexion se continue
d’elle-même par le fait même de l’inclinaison des surfaces
articulaires, de la même manière qu’un couteau à ressort se
ferme de lui-même, une fois que la lame est arrivée à la moitié
du chemin qu’elle doit parcourir. De même pour Textension.
En d’autres termes, quand la poulie astragalienne a parcouru
et un peu dépassé la moitié de sa course, le mouvement
commencé tend à se continuer mécaniquement, dans un sens
ou dans Tautre, par le mécanisme même de l’inclinaison des
surfaces sur lesquelles s’opère le glissement. Le mouvement de '
harper dépend-il de l’exagération de la disposition normale en
vertu de laquelle la flexion du jarret tend à se faire automatique¬
ment, dans le dernier temps où elle s’accomplit? nous sommes
porté à le croire. Mais ce n’est là qu’une induction.
D’un autre côté, comme les mouvements du jarret sont soli¬
daires de ceux de la cuisse, la condition de la flexion convulsive
de la première de ces régions ne pourrait-elle pas être dans la
seconde? La question peut être posée; mais il nous semble que
dans le cheval qui harpe, c’est dans le jarret exclusivement que
se passe le mouvement, et que le fémur ne se fléchit que dans
la mesure normale.
Quoi qu’il en soit, le défaut de harper est tout à fait incu¬
rable. Il né met pas les animaux qui en sont affectés hors d’u¬
sage, mais il diminue singulièrement leurs aptitudes motrices,
soit au point de vue de la vitesse, soit au point de vue de la
force. Le temps employé pour la production de la saccade con¬
vulsive est, en effet, perdu pour l’élan; et s’il s’agit d’un cheval
moteur, la tendance qu’a le jarret à se fléchir brusquement
s’oppose à ce que le membre propulseur s’arcboute sur le sol,
pendant tout le temps voulu pour la production de l’effort. Le
jarret, dans de pareilles conditions anormales, tend à se dé¬
rober par une flexion anticipée à l’action des pressions que
supporte le membre à l’appui. Dans les chevaux de manège,
quand l’éparvin sec existe de chaque côté, dans la même me¬
sure et sans exagération, le défaut de harper a moins d’incon¬
vénient que pour un cheval de service sur les routes. « Il y a
beaucoup d’escuyers, dit même Solleysel, qui estiment fort les
chevaux pour le manège, lorsqu’ils ont des esparvins secs
pouveu aussi qu’ils ayent les autres qualités. Il est vrai, ajoute-
JARRET.
t-il, que ce mouvement est beau dans les airs, ils rabattent plus
ferme, mais en échange ils sont bientôt usés, et ne résistent
guèreS au travail, quoique médiocre, dans les écoles bien
réglées. »
Le défaut de harper est'tantôt intermittent et tantôt continu.
Dans le premier cas, c’est à froid qu'il se produit, et pendant le
premier temps de l’exercice, üne fois l’animal échauffé, il dis¬
paraît pour se montrer de nouveau, et avec la même intensité,
après un certain temps de repos. Ce temps est souvent très-
court, il suffit qu’un cheval qui harpe soit arrêté, pour que le
défaut que l’exercice avait fait disparaître se remontre dans les
premiers pas qui s’exécutent immédiatement après le temps
d’arrêt. L’éparvin sec est évidemment rédhibitoire, quand il se
manifeste avec le caractère de l’intermittence, car il constitue,
en définitive, une variété de la boiterieintermitteniepour danse de
vûuù} mal {voy. Boiterie) .
Le type intermittent de l’éparvîn sec est le plus rare. Dans le
plus grand nombre des cas, lorsque la condition de l’éparvin
sec existe, le cheval harpe toutes les fois qu’il fléchit son jarret,
soit à l’écurie, soit pendant la marche ; et il harpe toujours
dans la même mesure, soit au début de l’exercice, soit pendant,
soit à sa fin. Le jeu même de la locomotion ne semble donc pas
une condition, actuelle tout au moins, de l’aggravation dé l’é-
parvin sec. A la longue, cependant, ce défaut peut finir par
s’exagérer et par atteindre ces proportions excessives où la
saccade du jarret est telle que le sabot vient effleurer le ventre
et même le percuter.
L’éparvin sec peut exister sans aucune déformation extérieure
des jarrets : c’est même le cas le plus ordinaire. On le voit plus
exceptionnellement apparaître comme symptôme de l’éparvin
calleux. Enfin il y a des cas où la tumeur caractéristique de
cet éparvin se développe consécutivement à l’épàrvin sec qu’il
vient compliquer.
Cette variété de Téparvin ne comporte aucun traitement effi¬
cace. Beaucoup ont été employés : aucun n’a réussi.
C. JARDON. — On donne le nom dejardon ou dejarde (expres¬
sions que l’on doit considérer comme synonymes) à une tumeur
osseuse située à la base du jarret et sur sa face externe, à l’op-
positë, conséquemment, de l’éparvin calleux dont elle peut être
Considérée comme le pendant, au point de vue du siège, des
différentes formes qu’elle peut revêtir et de la signification
qu’elle peut avoir comme symptôme de lésions profondes.
600
JARRET.
Il y a donc lieu, comme pour les éparvins, d’établir des dis¬
tinctions entre les jardons, suivant que la tumeur qui les cons¬
titue reste circonscrite aux métatarsiens, ou qu’elle se prolonge
supérieurement par-dessus les os du tarse.
Le jardon métatarsien peut ne consister, comme la variété la
plus simple de l’éparvin, que dans une simple périostose, consé¬
quence d’unecontusion. Ce que nous avons dit plus haut de
réparvin sous cette forme est absolument applicable à la jarde
périostique.
Le jardon métatarsien peut être, comme l’éparvin, sous une
autre de ses formes, l’expression extérieure de la soudure du
métatarsien “rudimentaire externe avec le principal. Mêmes
conditions de développement, mêmes phénomènes consécutifs,
mêmes manifestations extérieures.
Dans ces deux cas, la tumeur qui constitue le jardon est si¬
tuée sur le côté externe du canon, à l’endroit même où se dessine
le relief normal de la tête du métatarsien rudimentaire externe,
et de la tubérosité ligamenteuse du métatarsien principal. Le
jardon, dans ces conditions, n’est, pour ainsi dire, que le gros¬
sissement de cette éminence naturelle, mais il ne déborde pas
sur les os du tarse et ne se prolonge pas en arrière. Mêmes
considérations, au point de vue de sa gravité, que celles qui ont
été exposées au sujet de la variété d’éparvin qui lui correspond.
Sous sa forme la plus grave, le jardon est l’expression exté¬
rieure, comme l’éparvin tarso-métatarsien, de l’inflammation
des articulations des os du tarse avec les métatarsiens et entre
eux. La tumeur du jardon est donc, elle aussi, une tumeur
d’ankylose, sous laquelle peuvent sè trouver englobés, suivant
rétendue qu’elle occupe, la tête du métatarsien rudimentaire
externe, l’extrémité supérieure du métatarsien principal, le
cuboïde, une partie du grand cunéiforme et du scaphoïde, la
base du calcanéum’ et enfin jusqu’à celle de l’astragale.- La
mesure du nombre et de l’étendue des lésions est rigoureuse¬
ment donnée, comme pour Téparvin, par le volume dé la tu¬
meur et l’étendue de la surface qu’elle occupe.
Toutes les considérations développées au sujet de l’épar vin
calleux se trouvent applicables au jardon qui n’est, au côté ex¬
terne du jarret, que la répétition de ce que l’éparvin est au
côté interne, il est inutile de les exposer ici de nouveau, mais,
au point de vue du mode de développement du jardon, et de
ses caractères symptomatiques, il y a quelques particularités
qu’il est important de signaler.
JARRET.
601
Le jardon se développe sous cet appareil si complexe et si
puissant qui est constitué par les ligaments calcanéo-métatar-
sien, astragalo-métatarsien et tarso-métatarsien postérieur :
appareil auquel aboutissent, ainsi qu’aux os qu’il recouvre et
qu’il associe, tous les efforts de la contraction musculaire
s’exerçant sur le bras du levier calcanéen. •— Le jardon, évi¬
demment, a sa cause dans l’énergie de ces efforts, qui se con¬
centrent sur la partie postérieure du jarret, quand la masse du
corps est soulevée par le levier tarso-pbalangien,et qui, malgré
la solidité de la construction de cette partie, peuvent cepen¬
dant surmonter la ténacité de ses fibres et produire des irrita¬
tions articulaires, par suite de la rupture de quelques-uns des
liens inter-osseux.
La preuve que le jardon procède bien des efforts concentrés
sur l’appareil ligamenteux postérieur du jarret, et sur les os
qu’il recouvre, depuis le calcanéum jusqu’aux métatarsiens,
c’est que cet accident est d’autant plus fréquent que le jarret
pèche davantage par sa construction et par ses aplombs. La
jarde se rencontre si souvent, par exemple, dans le jarret
coudé, qu’elle en constitue comme un caractère inévitable.
C’est que, en effet, la coudure du jarret a pour conséquence
nécessaire l’inclinaison, d’arrière en avant, du levier tarso-pha-
langien qui se trouve toujours ainsi dans l’attitude de l’impul¬
sion; et de la sorte, le poids du corps fait effort constamment
contre l’appareil ligamenteux postérieur du jarret, au lieu
d’être supporté, pour sa plus grande somme, par les assises
osseuses, comme c’est le cas quand elles affectent la direction
verticale. Dans ces conditions on peut dire du levier tarso-pha-
langien ce que les architectes disent de la voûte : que jamais il
ne se repose.
Mais le jarret coudé n’a pas seulement un mauvais aplomb,
il pèche aussi par sa mauvaise construction. Sa base est trop
étroite relativement à la longueur du bras de levier calcanéen,
dont la position oblique est encore, pour les muscles, une con¬
dition de développement d’une plus grande force. Et comme,
en thèse générale, tous les efforts de la contraction aboutissent
à la base et à la partie postérieure des - jarrets, lorsque le
membre est en fonction de translation du corps, il est clair que
si ces parties sont faibles, comme dans le jarret coudé, par le
fait même du trop petit volume des os, c’est à leur endroit que
devront se manifester les altérations qui sont l’expression de
l’insufiyance de leur ténacité.
602
JARRET.
De fait, c’est ce qui se produit, car le jardon que l’oû voit si
souvent coexister avec la coudure du jarret, n’est, en définitive
comme nous l’avons établi plus haut, que le caractère extérieur
de ces altérations profondes que les efforts accumulés de la
contraction musculaire sont susceptibles de déterminer dans
les os du tarse, dans leurs articulations et dans l’appareil liga-
menteux qui les associe.
Le jardon, lorsqu’il a cette signification, donne lieu à une dé¬
formation très-caractéristique du profil du jarret dans sa partie
postérieure. La ligne qui le délimite en arrière, au lieu d’être
parfaitement droite, du sommet du calcanéum à l’extrémité infé¬
rieure du canon, comme dans la conformation régulière, décrit,
au contraire, une courbe à convexité postérieure, dont le relief
est en rapportavec le nombre des articulations tarsiennes où l’in¬
flammation a déterminé un travail d’ankylose. Lorsque toutes
les articulations sont envahies depuis le calcanéum jusqu’aux
métatarsiens, la tumeur du jardon se profile en arrière depuis
le tiers inférieur du premier de ces os jusqu’au delà des li¬
mites de la tête du métatarsien rudimentaire. Dans le cas de
lésions moins étendues, le volume de cette tumeur se réduit
proportionnellement, en sorte qu’il en donne la mesure tout
aussi fidèlement que l’engorgement induré qui accompagne un
mal de garrot ou d’encolure donne celle de la profondeur des
fistules. Ce relief caractéristique du jardon, sur la ligne posté¬
rieure du jarret, est constitué à la base du calcanéum par la
tumeur osseuse qui englobe, sous sa couche, l’extrémité infé¬
rieure de cet os, lecuboide et la tête du métatarsien rudi¬
mentaire, et se trouve elle-même recouverte par le plastron
fibreux du ligament calcanéo-métatarsien; et d’autre part, dans
sa partie la plus inférieure, par les tendons fléchisseurs, au
moment où ils émergent de la coulisse calcanéenne. Gés ten¬
dons repoussés par la tumeur osseuse qui soulève le ligament
tarso-métatarsien postérieur et comble en partie la coulisse que
leur forment les deux métatarsiens rudimentaires, s’incurvent
par-dessus cette tumeur et décrivent ainsi une courbe saillante
qui déborde en arrière la ligne de ces os ; en sorte qu’en défi¬
nitive, la tumeur sous-cutanée qui constitue le jardon, consi¬
dérée sur la ligne postérieure du jarret, est en partie osseuse et
en partie tendineuse, la base osseuse étant dissimulée, à l’ex¬
trémité supérieure des métatarsiens, par la double couche des
tendons superposés. A la face externe du jarret, le jardon est
exclusivement osseux comme l’éparvin dont il occupé la situa-
JARRET.
603
tion postérieure ; mais il ne se prolonge pas autant en avant,
et, en général, il ne se développe pas non plus dans les mêmes
proportions en épaisseur.
Le jardon est, comme Téparvin, une cause de claudication,
qui procède des mêmes conditions physiques et physiologiques,
et dont l’intensité varie suivant les périodes d’évolutions du
travail d’inflammation et d’ankylôse. A cet égard, ce qui a été
dit de la tumeur interne du jarret est parfaitement applicable
à la tumeur externe ; mais cette similitude disparaît lorsque ce
double travail est achevé. Tandis que la soudure des articula¬
tions tarsiennes du côté interne donne lieu, dans le plus grand
nombre des cas, à une irrégularité permanente de la locomo¬
tion, il n’en est plus de même lorsque c’est du côté externe que
cette altération s’est établie. Un jardon, même volumineux, est
loin, en général, d’avoir les mêmes conséquences qu’un éparvin
développé dans les mêmes proportions : Voilà ce que l’expérience
enseigne. Lorsque l’évolution du jardon est achevée, que les li¬
gaments se sont accommodés au volume accru des os qu’ils
recouvrent, les douleurs étant éteintes, le levier tarso-phalan-
gien peut fonctionner assez régulièrement dans les conditions
nouvelles où la soudure de quelques-unes de ses pièces l’a
constitué, et, en définitive, les animaux, malgré leurs jarrets
déformés par des jardes volumineuses, sont encore capables
de rendre de très-bons services, même pour l’usage du gros
trait. D’où vient cette différence? Probablement de ce que les
inflammations articulaires et Fossiflcation anormale consécu¬
tive, dont le jardon est l’expression,, restent circonscrites dans
un champ plus étroit que du côté interne et ne se prolongent
jamais jusqu’aux marges de la grande articulation tibio-astra-
lienne. — Quoi qu’il en puisse être des interprétations, le fait
est constant et, au point de vue de leur gravité, une grande
différence doit être faite entre la tumeur de l’éparvin et celle
delajarde.
Considérons maintenant les tumeurs molles de la région du
jarret. Elles sont de deux ordres : les unes procèdent du sys¬
tème synovial, articulaire ou tendineux, et les autres en sont
indépendantes. Nous allons les passer successivement en revue
et établir les caractères extérieurs à l’aide desquels on peut les
distinguer très-nettement les unes des autres, et éviter ainsi
les erreurs très-graves qui pourraient résulter de l’application
de moyens de traitement qui peuvent parfaitement convenir
pour les unes, tandis que, pour les autres, ils sont absolument
004
JARRET.
contre-indiqués, en raison de dangers souvent excessifs dont
leur usage peut être suivi.
A. ARTICDLATION TiBio-ASTRAGALiENNE. — La grande activité
fonctionnelle de l’articulation tibio-astragalienne donne lieu
très-communément à une sorte d’hypertrophie de l’appareil
vasculaire de sa membrane synoviale, dont la fonction sécré¬
toire s’exagère proportionnellement. D’où une quantité sura¬
bondante de synovie qui remplit la cavité articulaire au delà de
la mesure physiologique, et en distend les parois. Ce n’est pas,,
en général, par un acoup subit que la eavité de l’articulation
arrive à Tétat de plénitude qui se caractérise par sa déforma¬
tion extérieure. Il faut, au contraire, pour cela, un assez long
temps, pendant lequel on voit se dessiner, peu à peu, les re¬
liefs formés par la poussée intérieure du liquide intra-articü-
laire. Cette poussée, égale sur toute l’étendue des parois de la
cavité, en vertu de la loi d’égalité de pression, se traduit, ce¬
pendant, par des effets plus accusés sur des points que sur
d’autres, parce que, si la pression est partout la même, la ré¬
sistance qui lui est opposée ne l’est pas. Les parois articulaires
ont, en effet, des côtés faibles, justement ménagés pour qu’elles
puissent se prêter, dans l’état physiologique, aux poussées du
liquide synovial, lorsqu’il est déplacé par le va et vient des sur¬
faces qu’il lubrifie, et par le changement de rapports des
rayons osseux dans les différentes attitudes. C’est par ces points
de sa périphérie où l’appareil contentif extérieur à la membrane
synoviale tibio-astragalienne présente le moins de résistance,
qu’obéissant à la pression du liquide qu’elle contient, elle fait
hernie, pour ainsi dire, en dehors denses limites physiologiques,
et vient former, sous la peau, des tumeurs plus ou moins volu¬
mineuses, saillantes et tendues, suivant le degré de la plénitude
de la cavité articulaire. Ces points faibles des parois de l’articu¬
lation tibio-astragalienne, nous les avons indiqués au para¬
graphe de l’anatomie. Ils se trouvent, d’une part, à la face an¬
térieure de cette articulation, là où le ligament capsulaire est
mince, assez lâche, et n’est pas soutenu par les tendons qui
glissent en avant du jarret, du côté externe ; et, d’autre part, en
arrière des ligaments latéraux, de chaque côté du plastron
fibreux qui supporte le tendon du perforant. Dans ces deux
autres points, le ligament capsulaire présente encore plus de
laxité que dans sa partie antérieure, et il cède très-facilement
aux poussées intérieures.
Lorsque l’articulation du jarret se trouve dans un état de plé-
JARRET.
603
nitude suffisant pour que sa membrane synoviale distendue
vienne faire hernie à sa circonférence, dans ces points déter¬
minés par la structure de ses parois, elle forme, sous la peau,
trois tumeurs, dont le siège est constant, mais qui peuvent se
présenter dans des conditions différentes de volume et de ten¬
sion suivant les individus, car ces derniers caractères sont dé¬
pendants du plus ou moins de plénitude de la cavité articulaire
et en donnent la mesure. De ces trois tumeurs, que l’on désigne
sous le nom de vessigons, l’une est antérieure et les deux
autres latérales. La première, située à la face antérieure du
jarret dans son pli, mais plus en dedans qu’en dehors, forme
une sorte de boursouflure qui s’accuse, sur la ligne du profil an¬
térieur de la région, par une courbe plus ou moins saillante
suivant son volume. Au toucher, cette tumeur donne des sensa¬
tions différentes suivant que l’articulation est plus ou moins
distendue, et suivant aussi que le membre est au poser, ou qu’il
est levé ou dans l’attitude de ;la demi-flexion. C’est, en effet,
une loi générale, pour toutes les tumeurs articulaires, que leur
tension est plus grande lorsqu’elles sont explorées pendant le
moment de l’appui du membre que lorsqu’il est levé. Cet état
de tension peut aller jusqu’à la rénitence quand le liquide ar¬
ticulaire est abondant ; mais dès que le membre est levé, à
l’instant même ces caractères disparaissent et la tumeur syno¬
viale, tout à l’heure si dure et si tendue, devient molle et facile¬
ment dépressible. Ainsi en est-il du vessigon articulaire anté¬
rieur : tendu dans quelques cas jusqu’à donner la sensation de
la dureté au doigt qui le touche, il se ramollit instantanément
lorsque le membre se plie, et devient immédiatement dépres¬
sible.
Les vessigons articulaires latéraux, situés dans l’angle que
forme le calcanéum avec le tibia, se développent entre ce dernier
os et le tendon du perforant; ils sont donc toujours plus rap¬
prochés du tibia que de la corde calcanéenne. C’est là un pre¬
mier caractère qui les distingue très-nettement des vessigons
tendineux. Ils se présentent généralement sous la forme de
tumeurs arrondies, ou un peu ovalaires, de volumes très-iné¬
gaux suivant les sujets. Gros comme une noix, comme un œuf
de poule, comme le poing d’un homme, chez les uns ou les
autres, les vessigons articulaires latéraux peuvent acquérir dans
quelques cas exceptionnels jusqu’aux dimensions d’une tête
d’enfant. Le plus ordinairement leur volume est représenté par
celui d’un œuf de poule ou de dinde. Tantôt les deux vessigons
606
JARRET.
latéraux existent en même temps, égaux ou inégaux, et tantôt
il n’y en a qu’un. Dans ce dernier cas, c’est plutôt du côté in¬
terne que de l'externe qu'il apparaît, parce que le champ est
plus ouvert à son développement en dedans qu'en dehors, le
muscle extenseur latéral des phalanges pouvant lui opposer de
ce dernier côté un certain obstacle qui n’existe pas de l’autre.
Dans le cas d’inégalité des deux vessigons latéraux, c’est ordinai¬
rement l’interne qui est le plus volumineux et, probablement,
par la même raison. Si l’un ou l’autre des vessigons latéraux
peut manquer, on voit toujours coexister celui du devant avec
l’un ou l’autre de ceux-ci, ou les deux à la fois. C’est que effec¬
tivement jamais rien ne s’oppose à ce que la capsule articulaire
vienne boursoufler dans le pli du jarret lorsque la synovie y est
surabondante.
Au point de vue des caractères fournis par le toucher, les
vessigons latéraux se comportent identiquement comme le
vessigon antérieur: tendus pendant l’appui du membre, ils se
ramollissent et deviennent dépressibles dès l’instant que la
flexion s’exécute.
Les trois vessigons articulaires du jarret ne constituant que
des diverticulums de la même cavité synoviale, il est possible
en exerçant une pression sur l’un, dans l’état de demi-flexion de
la jointure, de repousser le liquide dans les deux autres, et de
percevoir, par l’application des doigts à la surface de ceux-ci, le
mouvement de refoulement que le liquide déplacé imprime à
leur paroi. Là se trouve un autre moyen de diagnostic différen¬
tiel des vessigons du jarret, grâce auquel il est toujours possible
et même facile de distinguer les vessigons articulaires des
vessigons tendineux.
Enfin autre caractère distinctif des premiers : ils peuvent se
développer en avant de l’articulation et de chacun de ses côtés,
entre le tibia et le calcanéum , mais jamais au-dessous, le
ligament tarso-métatarsien postérieur opposant un obstacle
insurmontable à la poussée des liquides du côté de la base du
calcanéum.
B. synoviales tendineuses. — Les synoviales qui facilitent
lé glissement des tendons dans la région du jarret peuvent aussi
être le siège de dilatations anormales, causées par la surabon¬
dance de leurs liquides intérieurs. Ces dilatations se dénoncent,
comme celle de l’articulation tibio-astragalienne,par des tumeurs
extérieures, que l’on désigne aussi sôus le nom de vessigons, en
JARRET.
607
es caractérisant par le qualificatif tendineux^ pour les distinguer
nominativement de ceux de l’articulation.
Les vessigons tendineux de la région du jarret sont au nombre
de deux: le vessigon tarsien et le xessigon calcanéen.
1“ Vessigon tarsien. — Ce vessigon, qui a son siège, comme
son nom l’indique, dans la gaine tarsienne (uoÿ. le § de l’ana¬
tomie) et qui est constitué par la dilatation anormale de la
grande synoviale vaginale, dont cette gaine est tapissée, se carac¬
térise extérieurement par des tumeurs sous-cutanées, dans la
région supérieure et dans la région inférieure du jarret : premier
caractère distinctif entre le vessigon tarsien et les vessigons
articulaires.
A la région supérieure, la tumeur que forme le vessigon
tarsien se dessine dans le vide du jarret, entre la corde calca-
néenne et le tendon du perforant, en affectant généralement
une forme ovalaire dans le sens de la direction de la corde. Le
plus ordinairement, elle se montre de chaque côté, sous un
volume égal ou inégal, et dans ce dernier cas, c’est du côté
interne qu’elle présente ses plus grandes dimensions } comme
c’est aussi sur ce côté qu’on la voit dans les cas exceptionnels où
elle n’est pas bilobée. En règle générale, les tumeurs du vessigon
tarsien sont plus volumineuses que celles du vessigon articu¬
laire, en arrière desquelles elles sont placées ; aussi se prolon¬
gent-elles plus haut que celles-ci sur la jambe.
La forme ovalaire des tumeurs caractéristiques du vessigon
tarsien, leur situation sous la corde calcanéenne dans le vide du
jarret, leur volume plus grand qui les fait s’étendre davantage
vers la région jambière : autant de caractères différentiels entre
le vessigon tarsien et le vessigon articulaire. Ajoutons encore
cet autre, d’une très-grande importance : que le vessigon tarsien
peut avoir les plus grandes dimensions sans qu’aucun gonfle¬
ment apparaisse sur la face antérieure du jarret, tandis que
toujours ee gonflement se manifeste en même temps que les
tumeurs latérales du vessigon articulaire. Les deux synoviales
constitutives des deux variétés de vessigons étant toujours
indépendantes l’une de l’autre, la pression exercée sur les
tumeurs tendineuses ne saurait donner lieu à aucune poussée
de liquide contre le ligament capsulaire antérieur de l’articula¬
tion, tandis que, au contraire, dans le cas de vessigon articulaire,
cette pression exercée sur les tunaeurs latérales fait saillir
davantage la tumeur antérieure.
Outre les tumeurs de la région supérieure du jarret, le
JARRET.
vessigon tarsien se caractérise encore par un gonflement spécial
le long des tendons des muscles fléchisseurs, dans une étendue
correspondante à celle de la partie inférieure de la synoviale
vaginale, c’est-à-dire dans le tiers supérieur du canon. Dans
cette région, cette synoviale est trop contenue par la gaine
(ibreuse qui l’enveloppe, pour qu’elle puisse prendre les mêmes
développements que dans la région supérieure du jarret. Mais,
malgré son appareil contentif, elle traduit, cependant, son état
de plénitude par une tuméfaction allongée, plus perceptible aù
toucher qu’à la vue, tuméfaction qui est comme moniliforme,
parce que les parois de la gaine enveloppante, n’étant pas égale¬
ment épaisses, opposent à la poussée intérieure des liquides des
résistances inégales.
Ce caractère tout particulier au vessigon tendineux tarsien
établit encore, entre lui et le vessigon articulaire, une distinction
des plus marquées, car ce dernier, on le sait, n’a pas de proion- .
gement inférieur, l’articulation se trouvant absolument contenue
en arrière et en bas par l’épais plastron du ligament tarso-
métatarsien postérieur.
Avec des caractères distinctifs si nombreux et si nettement
accusés, il est bien difficile, ce nous semble, de confondre entre
eux les deux grands vessigons de la région du jarret. Cette con¬
fusion ne serait possible que dans le cas où une communication
accidentelle existant entre les deux synoviales , la pression
exercée sur le vessigon tendineux déterminerait le refoulement
du ligament capsulaire antérieur. Mais ce fait n’est qu’une
très-rare exception et, dans la presque universalité des cas, les
deux synoviales restent indépendantes.
Ce qui a été dit du vessigon articulaire, au point de vue des
caractères différents que revêtent les tumeurs synoviales,
suivant que le membre est à l’appui ou dans un état de demi-
flexion, est également applicable aux tumeurs tendineuses. Elles
donnent la sensation de la mollesse ou de la résistance, suivant
l’attitude du membre, au moment où on les examine.
Le vessigon tendineux est susceptible d’acquérir des dimen¬
sions énormes, surtout du côté interne; on en a vu qui s’étaient
agrandis dans de telles proportions que, l’espace entre les deux
membres ne leur suffisant plus pour leur développement, la
peau de leur surface se frayait et s’excoriait pendant les mouve¬
ments de la marche, par ses frottements contre le jarret opposé.
2® Vessigon calcanéen. — Le vessigon calcanéen est formé par
la dilatation de la synoviale vésiculaire, interposée entre les
JARRET.
tendons des jumeaux de la jambe et du perforé et destinée à
faciliter le glissement de ces muscles l’un sur l’autre et du
perforé sur le bord postérieur du calcanéum. Cette synoviale
est trop fortement contenue dans son trajet calcanéen par
la gaine fibreuse que lui forme le perforé, pour que les
liquides qui la distendent puissent donner lieu, par leur
poussée contre ses parois, à la formation de tumeurs apparentes
sous la peau. Mais il n’en est pas de même en avant et au-dessus
du calcanéum, dans une certaine étendue du trajet de la corde.
Là, la synoviale de glissement n’étant revêtue que d’une mince
tunique fibreuse, assez lâche, son état de plénitude se traduit
par une tumeur allongée cylindrolde qui, dans une étendue de
1 0 à 12 centimètres, au-dessus du calcanéum, donne à la corde
du jarret l’apparence d’un plus gros volume. Cette tumeur est
surtout perceptible au toucher, de chaque côté de la corde, et,
comme toutes celles qui sont formées par les synoviales disten¬
dues, elle est rénitente pendant le moment de l’appui du mem¬
bre et s’amollit et se déprime, dès l’instant que cet appui
vient à cesser. Jamais elle n’acquiert de bien grandes dimen¬
sions; sous son plus gros volume, c’est à peine si elle double
celui de la corde calcanéenne.
Sous le tendon commun aux deux ventres des jumeaux, à son
passage sur le sommet du calcanéum, existe une autre synoviale
vésiculaire, destinée à faciliter le glissement du tendon et du
calcanéum l’un sur l’autre; mais cette synoviale est si fortement
enveloppée par la calotte fibreuse du tendon du perforé qu’il
lui est absolument impossible de se distendre et de venir former
des tumeurs extérieures. C’est donc à tort que quelques auteurs
ont pu la considérer comme le siège de la tumeur spéciale que
l’on désigne sous le nom de capelet; nous étudierons plus loin,
dans un paragraphe spécial, cette tumeur qui est d’un autre
ordre que les tumeurs synoviales.
En parlant de l’éparvin, nous avons dit qu’il pouvait être
simulé, à la vue, par ime tumeur molle formant, comme l’épar-
vin, UD relief assez accusé sur la ligne du profil interne du jar¬
ret, vu par sa face antérieure. Cette tumeur n’est autre que la
dilatation de la synoviale vésiculaire qui sert au glissement de
la branche cunéenne du tendon de la partie charnue du muscle
tibio-prémétatarsien. On peut donc la considérer comme un
petit vessigon auquel le nom de cunéen conviendrait.
Ce vessigon cunéen se montre en dedans du jarret, mais un
peu en avant du point où la tumeur de l’éparvin est le plus en
X.
610
JARRET.
relief; il constitue une tumeur du volume d’une grosse bille
ou d’un petit marron, toujours molle, quelle que soit l’attitude
du membre, fluctuante, mais n’étant pas susceptible de s’effacer
sous la pression comme les tumeurs formées par les synoviales
à grandes dimensions. Si, à la vue, elle simule très-bien l’épar-
vin par son relief, au toucher cette similitude disparaît et les
signes perçus permettent de lui assigner son véritable caractère.
Les tumeurs synoviales du jarret, qu’elles soient articulaires
ou tendineuses, n’exercent pas sur le fonctionnement de la ré¬
gion une influence aussi grave que les tumeurs osseuses, celles
surtout qui sont l’expression de lésions et de transformations
intra-articulairès. En règle générale, les tumeurs synoviales
restent compatibles avec la liberté des mouvements du jarret
tant que l’hydropisie qu’elles représentent est assez modérée
pour que, au moment de l’extension, la synovie, malgré sa
quantité accrue, trouve à se loger dans les diverticulums de la
cavité, sans mettre ses parois dans un état de trop grande ten¬
sion. Dans ces cas, en effet, le jeu des rayons reste suffisamment
libre, pour qu’aucune boiterie ne se manifeste. Mais si la syno¬
vie est en telle quantité qu’elle ne trouve plus où se loger lors¬
que les changements de rapport des os déterminent son
refoulement d’entre les surfaces, alors, en vertu de son incom¬
pressibilité, elle oppose un obstacle infranchissable au dévelop¬
pement de l’extension^ et le jeu du membre se trouvant empêché^
proportionnellement aux effets que cet obstacle est susceptible
de produire, la marche devient irrégulière dans la même me¬
sure. A ce point de vue Thydropisie articulaire est beaucoup
plus grave que Thydropisie tendineuse tarsienne qui, trouvant
un champ plus vaste ouvert à son développement, en raison de
la plus grande laxité de la gaine tarsienne, n’est pas, pour le
jeu de l’articulation, une cause aussi efficace d’empêchement.
Le vessigon câlcanéen peut aussi donner lieu à une claudica¬
tion lorsque sa gaîne, distendue à l’excès^, s’oppose au libre glis¬
sement des tendons, et exerce sur eux un effort de distension
par l’interposition entre eux du liquide auquel son incompres¬
sibilité fait remplir le rôle d’un corps solide, agissant à la ma¬
nière d’un coin.
Lorsque les vessigons du jarret sont très-anciens, leurs parois
subissent des transformations qui donnent à ces dilatations
synoviales d’autres caractères extérieurs. Ces parois s’épaissis¬
sent et prennent une texture plus fibreuse qui, en augmentant
leur rigidité, devient, pour le jarret, une condition de moins
JARRET.
611
grande liberté de ses mouvements, en raison de l’obstacle plus
grand que ces parois plus inextensibles opposent au refoule¬
ment de la synovie. Cet effet est porté à son summum quand
des noyaux d’ossification s’établissent dans les parois indurées
des vessigons et qu’à la longue, elles se trouvent transformées
en une coque en grande partie osseuse. Dans ce cas, les tumeurs
molles ont changé complètement de caractère et elles donnent
au toucher la sensation de dureté qui appartient au tissu os¬
seux, partout où ce tissu s’est constitué dans leurs parois, car
c’est une ossification véritable qu’elles ont subie. Là où ces
parois sont restées fibreuses, leur rigidité est telle que les
sensations de fluctuation n’y sont plus perceptibles.
L’ossification des parois du vessigon articulaire est, pour
l’articulation tibio-astragalienne, comme un premier degré
d’ankylose qui n’est jamais assez complète pour immobiliser les
rayons, mais qui limite leur jeu et devient pour le membre une
cause de très-grande rigidité. Aussi les chevaux dont les vessi¬
gons sont en partie ossifiés ne sont-ils guère utilisables qu’au
service du pas ; la locomotion rapide ne leur est plus possible.
G. Hygroma du jarret. — Une dernière tumeur molle peut se
développer dans la région du jarret : c’est un hygroma qui a son
siège sur le sommet du calcanéum. On le désigne sous les noms
synonymes de capelet et de passe-campane. Le premier de ces
noms vient, sans doute, de ce que la tumeur a été comparée à
un chapelet (petit chapeau) coiffant la tête du calcanéum. Quant
au second, il signifierait, d’après Littré, que le volume de cette
tumeur dépasse, passe celui d’une campane ou petite cloche.
C’est donc bien passe-campane qu’il faut dire et non pas passe-
campagne, car cette dénomination n’a aucun sens.
Le capelet a toujours son siège et exclusivement dans le tissu
cellulaire sous-cutané de la pointe du jarret. Jamais il ne peut
être constitué par la synoviale qui lubrifie le sommet du calca¬
néum, sous le tendon des jumeaux, l’appareil contentif qui en¬
toure cette synoviale ne présentant aucun côté faible par où elle
pourrait venir faire hernie au dehors.
Déterminé toujours, soit par des froissements, soit par des
contusions, comme peuvent en produire le choc d’une stalle
mobile, les frottements auxquels les jarrets sont exposés dans
les transports en wagons de chemin de fer, etc., etc., le capelet
consiste primitivement dans une simple infiltration séreuse du
tissu cellulaire, infiltration qui peut disparaître d’emblée sans
laisser de trace, mais qui, le plus souvent, sous l’influence du
612
JARRET.
va et vient qu’impriment au calcanéum les mouvements' de la
jointure, se transforme en une pocRe celluleuse unique que
remplit un liquide séreux analogue à la synovie par son aspect
et même par ses usages accidentels.
Cette tumeur du capelet, un peu sphéroïdale, déborde la
pointe du jarret sur toute sa circonférence, en même temps
qu’elle la surmonte, et elle donne ainsi à la région une appa¬
rence des plus disgracieuses. A ce point de vue, elle constitue
une véritable tare, d’autant plus grave qu’elle est souvent des
plus rebelles à l’action des résolutifs.
La sensation que donne le capelet, au toucher, est celle d’une
tumeur qui le plus souvent est uniformément fluctuante et un
peu molle, sans être jamais complètement dépressible et effa¬
çable, comme peut l’être une tumeur synoviale. Dans quelques
cas exceptionnels, cette tumeur est rendue rénitente par l’excès
de sa plénitude. Toujours elle est mobile d’un côté à l’autre ou
dans le sens vertical, mais ses attaches la fixent au sommet du
calcanéum et ne lui permettent que d’obéir au va et vient des
oscillations qu’on lui imprime sur place. La plupart du temps,
elle est complètement indolente ; ce n’est que à sa période ini¬
tiale, ou quand elle a été irritée par des actions extérieures,
que sa pression peut donner lieu à quelques manifestations de
douleur.
Dans son principe, l’hygroma de la pointé du jarret est con¬
stitué par une membrane mince, d’apparence séreuse, formée
par la condensation des lames celluleuses que le liquide infiltré
a repoussées excentriquement, en se rassemblant dans une
poche unique. Mais cette membrane, tout accidentelle, finit
par se renforcer extérieurement d’une espèce de doublure
d’apparence fibreuse, qui résulte d’une transformation subie
par le tissu cellulaire, et alors l’hygroma se constitue à l’état
d’une sorte de bourse synoviale qui, créée par l’accident d’un
froissement ou d’une contusion, tend à persister comme un or¬
gane définitif, et à remplir, entre la face interne de la peau et
le coude des tendons, au sommet du calcanéum, l’office d’une
synoviale de glissement. C’est cette perfection d’organisation à
laquelle peut arriver, par le jeu incessant du jarret, la gaine de
l’hygroma, qui fait que cet organe accidentel est si rebelle à
l’action des moyens auxquels on peut recourir pour le faire dis¬
paraître.
A part ce qu’il a de disgracieux, le capelet ne constitue pas
un accident sérieux, car il n’exerce aucune influence sur la li-
JARRET.
613
berté de la locomotion. Un cheval' joue de ses jarrets tout
aussi bien quand ils sont coiffés du capelet que lorsqu’ils
ont leur forme régulière. Mais les jarrets, ainsi coiffés, sont
difformes à un tel point qu’ils s’opposent, par cela même, à
l’utilisation du cheval au service de la selle et même, pour les
attelages riches, au service du trait léger. Le capelet est donc
une tare, et des plus graves, pour les chevaux chez lesquels la
beauté des apparences est une condition essentielle de leur
valeur.
On peut rencontrer sur un même jarret des tumeurs dures
et des tumeurs molles réunies : toutes à la fois ou en certain
nombre. On exprime cêt état maladif complexe de la région en
disant que le jarret est cerclé, ou autrement dit que, sur tous
les points de son contour, il est possible de constater une alté¬
ration soit des os, soit des synoviales.
Il nous reste maintenant, pour compléter l’examen patholo¬
gique de la région du jarret, à dire quelques mots d’une altéra¬
tion spéciale dont la peau peut être le siège.
Cette altération est celle que l’on désigne sous le nom de so-
Zandre, expression dont l’étymologie est inconnue; elle consiste
dans une crevasse transversale, dans le pli même du jarret. A
la suite d’une inflammation de la peau, produite soit par un
frottement violent, soit par une action vésicante ou tout autre
cause extérieure, il est possible que la peau se fendille à l’en¬
droit de son pli, et qu’une fois donnée cette lésion superficielle
du tégument, elle s’entretienne et persiste par le jeu même de
la jointure qui met obstacle à une cicatrisation dont la condition
première serait la complète immobilité. Les bords de cette
plaie, ainsi entretenue, finissent par s’épaissir et à devenir cal¬
leux, puis la sécrétion épidermique s’exagère à leur surface,
proportionnellement même à l’irritation permanente qui y est
entretenue, et une sorte de production cornée irrégulière ajoute
son épaisseur aux callosités du tissu. Enfin, la matière puru¬
lente qui suinte entre ces lèvres calleuses et cornées les re¬
couvre des croûtes qu’elle forme en se desséchant. C’est à cet
état morbide, chronique et complexe, qu’on donne le nom de
solandre.
Ces solandres sont difficilement curables et elles constituent
une tare assez sérieuse, non-seulement parce qu’elles déforment
la région d’une manière permanente, mais encore parce qu’elles
sont susceptibles de s’aviver, soit dans les saisons pluvieuses
sous l’influence de l’humidité, soit dans les saisons chaudes, où
614
JARRET.
elles se transforment facilement en pkies d’été, et deviennent
alors un véritable accident, très-difficile à guérir, en raison de
son siège dans un pli articulaire, et qui met les chevaux tout à
fait hors de service.
En dehors des solandres, la peau de la région du jarret n’est
pas le siège de maladies qui méritent une notation spéciale. Il
faut dire seulement que lorsqu’il s’agit du choix à faire d’un
cheval, il ne faut pas regarder comme indifférentes les excoria-
, tiens, même superficielles, que l’on peut rencontrer sur les dif¬
férentes parties du jarret. Ces excoriations peuvent être, en effet,
la conséquence des ruades auxquelles l’animal s’est livré, et
alors elles ont une signification très-importante au point de vue
de son caractère.
. Telles sont les maladies de différente nature dont la région du
jarret peut devenir le siège et qui, en même temps qu’elles al¬
tèrent sa forme extérieure, sont susceptibles, à des titres divers,
de mettre obstacle au jeu libre de ses fonctions. En les appré¬
ciant individuellement à ces différents points de vue, nous nous
sommes efforcé de faire ressortir l’importance de chacune d’elles
et de mettre bien en relief les caractères à l’aide desquels on
peut les reconnaître et les distinguer les unes des autres. Elles
comporteraient d’autres développements, surtout au point de
vue de la thérapeutique, mais, pour éviter les répétitions, nous
croyons devoir renvoyer aux articles généraux sur les maladies
des appareils articulaires, les hydarthroses, les injections, etc.
H. BOULEY.
JAUNISSE. Foir Foie.
FI» DU TOME DIXIÈME.
LISTE
PAR ORDRE ALPHABÉ-riQDE
DES AUTEURS QUI ONT COOPÉRÉ A CE VOLUME,
aiec indicatioii de leurs articles.
ittt.
ARLOING. ..... Inanition.
BAiLtÈT. ..... If. — Insectes.
BAILLET et FILHOL. . IWaié.
BAILBET et HEYNAI.. . Jarosse.
BOüEËY. ..... Immobilité. — Indigestion. Jambe, — Jarret.
BOULÉY et TBASBÔT. Inflammation.
GAYOT. ... . . . Incubation.
3HEGOTY. ..... Impétigo.
PEECSH. ...... Invagination.
REY. . . Injections.
SANSON. ..... Infection. Instinct. — Intelligence.
TABOGRIN . Iode. Ipêcacuanba.
ZUNDEE. i
TABLE GÉNÉRALE
PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE YOLÜME
letère. . . . . 1
if, par M. Baillet . 1
Iléus . 17
Immobilité, par M, Boulet. . 17
Symptôme de l’immobilité. . 18
Anatomie pathologique. . . 26
Nature de l’immobilité. . . 31
Traitement de l’immobilité. . 40
De l’immobilité sots le rap¬
port DE LA REDHIBITION. . . 50
impétigo, par M. Mégnin. . . 65
luanition, parM. ÂRLOiNG. . . 58
Causes de l’inanition. ... 58
r De l’abstinence . 59
Durée de l’abstinenee. ... 59
Effets de l’inanition sur les
ORGANES ou MODIFICATIONS ANA¬
TOMIQUES . 63
Effets de l’inanition sur les
FONCTIONS 'ou MODIFICATIONS
PHYSIOLOGIQUES. ..... 67
Peut-on prolonger la durée de
l’inanition CHEZ LES SUJETS
PRIVÉS d’aliments ? .... 73
Existe-t-il une différence en¬
tre LES EFFETS DE L’HIBERNA-
tion et ceux de l’abstinence ? 74
2* De l’alimentation insuffisante. 75
Effets de l’alimentation insuf¬
fisante . .
Applications a la pathologie. . 77
Incision . . .
Incubation, par M. Gatot. . 78
Pages.
Indemnité . IO4
Indigestion , par M. Boulet. . lOi
Chapitre I". Indigestion dans
l’espèce chevaline. . . . . 104
Considérations physiologiques
PRÉLIMINAIRES . .106
§ I. Indigestion stomacale. . 120
Symptômes de l’indigestion
stomacale . .123
Traitement . .133
§ 2. Indigestion cœcale. . . . 139 :
Symptôme de T’indigestion coé-
cale. . . . 140
Traitement. . . ... .142
§ 3. Indigestion du gros intes¬
tin. . . . . . . ... 143
Symptômes de l’indigestion in¬
testinale. ...... 148
Traitement. . . . . . .
Chapitre II. Indigestion chez les
ruminants. . . . . . . 156
CONSIDÉRARIONS PHTSIOLOGlQDFS
PRÉLIMINAIRES. . . ... 159
§ 1". Indigestion du rumen. , l68
1° Symptômes de l’indigestion
durumen . . . 175
2' Symptômes de l’indigestion
du rumen avec surcharge d’a¬
liments. . ...... l'!8
§ 2. Indigestion du feuillet. . 183
Symptômes de l’indigestion du
feuillet . .186
Traitement .
§ 3. De l’indigestion de la cail.
lette. . . . .219
Symptômes de l’indigestion de la
caillette . 211
Traitement . 212
TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES.
616
Piges.
Chapitre III. Indigestion dans
les espèces porcine, canine et
féline . 214
§ 1". Indigestion stomacale. . 215
Symptômes de l’indigestion
stomacale . 216
Symptômes de l’indigestion
intestinale . 217
Traitement des indigestions du
porc et du chien. . . .220
Chapitre IV. Indigestion chez
les oiseaux . 223
Traitement de l'indigestion
ingluviale . 226
Résumé général de l’indiges¬
tion . 228
infection, par M. Sanson. . . 232
inflammation, par MM. Boclet
et Trasbot. . . . . . .237
§ 1". De l’inflammation consi¬
dérée au point de vue symp¬
tomatique, local et général. . 238
§ 11. De l’inflammation consi¬
dérée au point de vue histolo¬
gique . 263
Anatomie microscopique. . . 265
I. Analyse anatomique des ex-
sudats . 287
II. Dégénérescence granulo -
graisseuse consécutive à l’in¬
flammation . '. . 293
III. Altérations anatomiques et
chimiques des humeurs. . . 296
§ III. Physiologie pathologique
de l’inflammation . 302
Examen des théories actuelles
de l’inflammation. . . .311
Influence du sy.stème nerveux
sur le développement et la
marche des phénomènes in¬
flammatoires . 331
Influeuza, par M. Zundel. . . 337
Ingninales . 319
injections, par M. Rev. . . .349
Inocnlation . 364
Insalivafion . 364
Insectes, par M. Baillet. . . 365
Instinct, par M. Saxson. . . .396
Intelligence, par M. SansON. . 399
Intoxication . 427
Page*.
invaslnation, par M. Peüch. . 427
§ 1“. Caractères anatomiques. 428
Lésions locales :
A. Invagination de l’intestin
grêle dans ce viscère lui-
même . 428
B. Invagination de l’intestin
grêle dans le cæcum et le cô¬
lon. . . . • . 430
C. Invagination du cæcum dans
le côlon . .
§ II. Mode de formation. . . 434
§ III. Étiologie . 434
§ IV. Symptômes, marche, du¬
rée, terminaison . 437
§ V. Diagnostic . 44 1
§ VI. Pronostic . 444
S VII. Traitement . 444
Iode, par M. Taboürin. . . .448
I. Iode et iodnres (chimie). . 448
II. Iodes et iodures ( matière
médicale et thérapeutique). . 459
Des iodnrés en général. . . 459
Des iodurés en particulier. . 464 ^
Ipécaenanha, par M. Tabourin. 482
Irrigation. ^ . 488,/^ '
Isabelle . . 48^.^ / ,
Isolement . . . 488
Isothermes . 48^1- Vrv
Ivraie, par MM. Baileet et C:'^
Fjlhol . 489\V
ixode . 529
J
Jalap . 529
Jambe, par M. H. Bodley. . . 529
Anatomie . 529
Physiologie . 531
Extérie’jr . 532
Pathologie . 536
Jarde . 516
Jarosse, par MM. Baillet et Ret-
SAL . 546
Jarret, par M. fl. Boulet. . . 562
Anatomie. . . 562
Physiologie . 571
Extérieur . 575
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BOTANIQUE AGRICOLE ET MÉDICALE
Oü ÉTÜDE DES PLANTES QÜI INTÉRESSENT PRINCIPALEMENT LES
MÉDECINS, LES VÉTÉRINAIRES ET LES AGRICULTEURS,
Accompagnée de 155 planches, représentant plus de 900 figures, intercalées
dans le texte.
Par H. -J.-Â. RODET, directeur de l’École vétérinaire de Lyon.
2® édition, revue et considérablement augmentée, avec la collaboration de
C. BAILLET, professeur d’hygiène, de zoologie et de botanique à l’école vé¬
térinaire d’Alfort.
1 très-fort vol.in-8 de plus de 1,400 pages, cartonné à l’anglaise, 1872. Prix : 17 fr.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE FOURRAGÈRE
Histoire botanique, économique et agricole des plantes fourragères
et des plantes nuisibles qui se rencontrent dans les prairies et les
pâturages.
Par MM. gourdon, professeur à l’École vétérinaire de Toulouse, et NAUMN,
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